Table ronde L’homosexualité à l’adolescence (Adolescents)

Les jeunes LGBT face au risque : suicide et pratiques addictives J.-M. Firdiona, F. Beckb* aCentre Maurice halbwachs, UMR8097, Equipe de Recherche sur les Inégalités Sociales (ERIS), 48 boulevard Jourdan, 75014 Paris, France bOFDT, 3 avenue du Stade de France, 93218 Saint Denis La Plaine cedex, France

1. Les jeunes LGBT face au risque suicide et pratiques addictives Violences subies, consommation problématique de drogues illicites ou d’alcool, histoire familiale marquée par le suicide, difficultés ou absence de communication, perte affective, événement traumatique, sont les principaux facteurs corrélés aux comportements suicidaires observés dans les enquêtes et raisons évoquées par les individus ayant commis une tentative de suicide. S’y ajoutent également certaines pathologies mentales, notamment des troubles de l’humeur, et les difficultés professionnelles ou scolaires, en particulier la déscolarisation. Enfin, la découverte de son homosexualité ou de sa bisexualité est également un facteur de risque important chez les jeunes. Depuis une vingtaine d’années, le lien entre comportement suicidaire et orientation sexuelle a été pris en compte dans certaines recherches en santé publique portant sur les discriminations, ainsi que dans des dispositifs de prévention des conduites suicidaires. Les jeunes lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels (LGBT), ou ne se reconnaissant pas comme tel mais ayant des pratiques homosexuelles, semblent en effet davantage touchés par le risque de suicide et certaines pratiques addictives. Le harcèlement et la discrimination, dont ces minorités sexuelles sont souvent victimes, pourraient aggraver les causes habituelles de comportement suicidaire ou même s’y substituer et expliquer le risque accru de comportement suicidaire observé.

2. Des tentatives de suicide plus fréquentes parmi les jeunes LGBT Les prévalences de tentatives suicidaires s’avèrent nettement plus élevées parmi les homosexuels et bisexuels que parmi les hétérosexuels ; ce phénomène est accentué chez les adolescents et jeunes adultes homosexuels ou bisexuels  [1]. Du fait d’un modèle culturel hétérosexuel largement dominant et de différentes formes d’intolérance à l’homosexualité, bien des éléments jouent un rôle important dans la genèse des comportements suicidaires chez les jeunes qui découvrent leur homosexualité

*Correspondance : [email protected]

124 © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Archives de Pédiatrie 2015;22(HS2):124-125

ou leur bisexualité, ou bien qui s’interrogent sur leur orientation sexuelle. Or, concernant les actes suicidaires, davantage qu’un seul facteur, c’est le cumul qui importe : le risque augmente dès lors que plusieurs facteurs se conjuguent. Un sentiment d’indignité ou de honte peut atteindre les adolescents qui découvrent leur attirance homosexuelle, pouvant être aggravé par des conflits familiaux ou par le comportement des pairs se livrant à des actes et des paroles humiliants ou dégradants. Le jeune peut aussi souffrir d’angoisse, d’isolement, se sentir menacé. À la clé, le risque qu’un état dépressif (pouvant être associé à une consommation problématique de substances psychoactives) s’installe et, si la souffrance devient insupportable, il peut y avoir passage à l’acte suicidaire. Chez les plus jeunes, les périodes dépressives sont proches de l’âge de survenue du coming-out. Les homosexuels masculins exclusifs (âgés de 18 à 30  ans) avaient 1,8 fois plus de risque d’avoir eu des idéations suicidaires au cours des 12 derniers mois et les hommes bisexuels 2,9 fois plus de risque que les hommes exclusivement hétérosexuels (à diplôme, classe d’âge, occupation, adversité durant l’enfance, consommation de substances psychoactives et épisode dépressif majeur, égaux) (Tableau I).

3. La « non-conformité » de genre Les stéréotypes de genre sont encore très prégnants dans nos sociétés et la stigmatisation, au titre d’une apparence physique supposée non conforme à une image dominante de la masculinité ou de la féminité, peut toucher les jeunes hétérosexuels, bisexuels ou homosexuels. Cette « non-conformité » de genre expose également à un risque de suicide plus élevé. Les phénomènes d’exclusion, de mépris, de stigmatisation et d’exposition à l’homophobie qu’elle engendre peuvent en effet conduire à une perte d’estime de soi, de confiance dans l’avenir et dans les autres.

4. La violence des discriminations homophobes Quelle que soit la stratégie mise en œuvre par les adolescents et jeunes adultes homosexuels ou bisexuels pour éviter ou résister à une discrimination possible (affichage revendiqué de l’orientation

Les jeunes LGBT face au risque : suicide et pratiques addictives

Tableau I Prévalence des idéations suicidaires au cours des 12 derniers mois selon les pratiques sexuelles déclarées (durant les 12 derniers mois) dans l’enquête Baromètre santé 2010 chez les 18-30 ans [2]. Homosexuels-Bisexuels (n = 94)

Hétérosexuels (n = 3 458)

Aucune pratique sexuelle durant les 12 derniers mois (n = 523)

Ensemble

12,3 %

4,5 %

8,9 %

Hommes

15,8 %

4,2 %

11,8 %

Femmes

3,1 %

4,8 %

5,7 %

Lecture : 12,3 % des hommes ayant eu des relations homosexuelles (durant les douze mois précédant l’enquête) ont déclaré avoir eu des pensées suicidaires au cours des 12 derniers mois. Source : Baromètre santé 2010, Inpes.

sexuelle ou au contraire dissimulation de l’homosexualité ou de la non-conformité aux stéréotypes de genre), le coût psychique et physique s’avère souvent élevé, même à long terme. Par rapport à d’autres types de discriminations, les effets des discriminations homophobes sont aggravés par la faiblesse du soutien de la famille. Le cercle familial n’est pas toujours une source de réconfort et de réassurance identitaire. Au contraire, les jeunes des minorités sexuelles ont un risque plus élevé que les jeunes hétérosexuels d’y subir de mauvais traitements. Autre facteur aggravant : la précocité des préjudices subis. Les périodes de collège et de lycée sont particulièrement éprouvantes à cet égard [3]. Les stéréotypes homophobes alimentent une conception hiérarchisée et sexiste de la sexualité qui contribue à durcir les frontières sexuelles (hétéro/homo) et de genre (masculin/féminin), en stigmatisant ce qui relèverait de la « confusion des genres ».

5. LGBT et addiction La consommation de substances psychoactives est en lien avec les états dépressifs et les comportements suicidaires ; leur effet désinhibiteur est susceptible de faciliter le passage à l’acte, et les personnes en détresse peuvent y recourir pour atténuer leur souffrance. L’étude épidémiologique de la surconsommation de produits psychoactifs parmi les minorités sexuelles a débuté dans le contexte de l’épidémie du VIH et de la prévention de comportements sexuels à risque. Par la suite les recherches se sont orientées vers d’autres problématiques, telles que la prévention du suicide, et ont pris en compte d’autres facteurs comme l’âge, la victimation, le type de minorité sexuelle (gay, lesbienne, bisexuel, en questionnement), les adversités vécues durant l’enfance, la précocité du coming-out... [4]. La surconsommation de substances chez les minorités sexuelles –  surtout parmi les jeunes, les femmes et les bisexuels  – pose des difficultés d’analyse notamment parce qu’elle est multifactorielle, porte sur des segments de population minoritaires, et semble varier selon les contextes  [5]. De nombreuses études sur les jeunes LGBT

cherchent à identifier les facteurs de protection et de risque [6], l’effet des harcèlements en milieu scolaire [7], d’une période sans domicile [8], pour mieux comprendre son lien avec les conduites suicidaires, et en quoi cette surconsommation peut être considérée comme une stratégie de coping [9].

Références [1] Beck F, Firdion JM, Legleye S, et al. Les minorités sexuelles face au risque suicidaire. Acquis des sciences sociales et perspectives. Saint-Denis : Inpes, 2014 (2ème éd.). [2] Legleye S, Beck F, Peretti-Watel P, et al. Suicidal ideation among young French adults: association with occupation, family, sexual activity, personal background and drug use. J Affect Disord 2010;123:108-15. [3] Russell ST, Everett BG, Rosario M, et al. Indicators of victimization and sexual orientation among adolescents: analyses from youth risk behavior surveys. Am J Public Health 2014:104:255-61. [4] McLaughlin KA, Hatzenbuehler ML, Xuan Z, et al. Disproportionate exposure to early-life adversity and sexual orientation disparities in psychiatric morbidity. Child Abuse Negl 2012;36:645-55. [5] Lea T, de Wit J, Reynolds R. Minority stress in lesbian, gay, and bisexual young adults in Australia: associations with psychological distress, suicidality, and substance use. Arch Sex Behav 2014;43:1571-8. [6] Eisenberg ME, Resnick MD. Suicidality among gay, lesbian and bisexual youth: the role of protective factors. J Adolesc Health 2006;39:662-8. [7] Huebner DM, Thoma BC, Neilands TB. School victimization and substance use among lesbian, gay, bisexual, and transgender adolescents. Prev Sci 2014; Dec 23. [Epub ahead of print]. [8] Rosario M., Schrimshaw EW, Hunter J. Risk factors for homelessness among lesbian, gay, and bisexual youths: A developmental milestone approach. Child Youth Serv Rev 2012;34:186-93. [9] McCabe SE, Bostwick WB, Hughes TL, et al. The relationship between discrimination and substance use disorders among lesbian, gay, and bisexual adults in the United States. Am J Public Health 2010;100:1946-52.

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[Young LGBT are at risk of suicide and addictive behavior].

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