Presse Med. 2015; 44: 581–583

Éditorial

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Quand La Presse Médicale publiait la thèse de médecine de Louis Ferdinand Céline. . . en la censurant partiellement ? Gérard Lorette

Disponible sur internet le : 5 juin 2015

Université François-Rabelais, CHU de Tours, service de dermatologie, 37044 Tours cedex 09, France [email protected]

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tome 44 > n86 > June 2015 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2015.04.003 © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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ous sommes en 1924 ; Louis Ferdinand Destouches, qui deviendra l'écrivain Louis Ferdinand Céline, vient de soutenir sa thèse de médecine. Le sujet en est : « La vie et l'œuvre de Philippe Ignace Semmelweis (1818–1865) ». Semmelweis avait été rejeté par ses pairs alors qu'il avait mis en évidence une cause essentielle des infections puerpérales de l'époque, souvent mortelles, et le moyen de les éviter. Destouches propose à La Presse Médicale, cette même année, une version synthétique de cette thèse intitulée : « Les derniers jours de Semmelweis » [1] (Nous publions en complément électronique de cet éditorial un fac-similé de l'article) (figure 1). Très récemment, Alexandre Junod, un chercheur Suisse, a découvert à Genève des textes inédits de Céline semblant correspondre aux corrections demandées à l'auteur par La Presse Médicale avant publication de cet article [2]. La rédaction aurait notamment exigé la suppression d'une première partie jugée « trop philosophique ». Nous n'avons pas encore le texte exact de cette critique ; il sera intéressant de lire les commentaires de nos lointains collègues quand ces documents seront publiés. Plusieurs journaux et chroniqueurs ont commenté cette information, certains avec des titres assez provocateurs [3]. La perspective est bien sûr maintenant faussée : nous savons que le jeune Dr L.F. Destouches allait devenir, sous le nom de Louis Ferdinand Céline, l'un des plus grands écrivains français. Nous pouvons aussi comprendre la perplexité du comité de rédaction de l'époque. La vie de Semmelweis était connue et avait d'ailleurs déjà fait l'objet d'un article dans cette même La Presse Médicale, en 1906, sous la plume du professeur Pinard [4] (disponible en complément électronique). Sur le fond, l'article de Destouches a fait rapidement l'objet de critiques de la part de T. de Györy, professeur à l'université de Budapest et éditeur de Semmelweis [5] : Semmelweis n'était pas un accoucheur viennois, mais hongrois ; les taux de décès chez « Klin » (en fait « Klein ») n'étaient pas de 96 %, mais de 16 à 31 % ; il y a des erreurs dans les dates ; enfin, la scène finale

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G. Lorette

Figure 1 « Les derniers jours de Semmelweis » dans La Presse Médicale

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sur la mort de Semmelweis est de pure imagination. Le style de Destouches, épique, est loin de l'aridité habituelle des textes médicaux. Pourtant l'article, une fois corrigé et écourté, a bel et bien été publié. Mais l'histoire de Céline et de La Presse Médicale ne s'arrête pas là.

Louis Ferdinand Destouches a fait paraître deux autres articles dans notre revue. En 1929, il s'agit d'une simple note sur la vaccination orale contre la typhoïde [6], qui n'amène pas de commentaire particulier. Mais cette note est précédée en 1928 d'un article sur « Les assurances sociales et une politique économique de la

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santé publique » [7]. Très marquée politiquement, cette violente critique des assurances sociales, qui insiste sur la « nécessité » de faire travailler les malades dans les entreprises sous le contrôle d'une médecine « du travail », que l'auteur compare à une police chargée surtout de maintenir ces malades en état de travailler, renseigne sur certains aspects de la pensée de Céline. Nous trouvons là des idées polémiques et très contestables, que l'auteur développera à d'autres reprises. Nous sommes frappés par l'absence de la prudence et du raisonnement critique habituels dans les documents médicaux. La rédaction de La Presse Médicale avait d'ailleurs jugé utile de faire précéder cette prise de position « d'un de nos jeunes confrères de Clichy », de la note suivante : « . . . un article que nous croyons devoir publier en raison des idées originales et neuves que cet article renferme, bien que ces idées paraîtront peut-être à certains théoriques et aventureuses. On ne sera pas sans remarquer que le confrère de Clichy arrive à conclure comme le confrère de Dantzig [NDLR : il est fait état d'un autre article dans le même numéro], en la militarisation de la médecine et de la classe ouvrière comme seul moyen pratique d'appliquer les assurances sociales. Quel idéal !! » [7] (ces 2 articles sont également disponibles en compléments électroniques).

Toute sa vie, Céline a pratiqué la médecine, sous différentes formes : successivement médecin hygiéniste à la fondation Rockefeller puis à la SDN de Genève, médecin de dispensaire, puis installé en médecine libérale. Il a repris une activité médicale après son incarcération pour collaboration après la deuxième guerre mondiale. Il s'est toujours revendiqué médecin autant qu'écrivain. Les observations qu'il a pu faire au cours de son exercice médical lui ont servi pour les descriptions littéraires des maladies, en particulier dans « voyage au bout de la nuit » [8]. Nous espérons que la nouvelle mise à disposition de ces textes contribuera à mieux faire connaître un aspect des idées très controversées de Louis Ferdinand Céline telles qu'elles s'exprimaient dans ses jeunes années. Ces articles ont enfin, et peut-être surtout, l'intérêt de préfigurer le style littéraire si particulier de cet auteur, style qui s'épanouira quelques années plus tard, en 1932, dans le « Voyage. . . » [8].

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Quand La Presse Médicale publiait la thèse de médecine de Louis Ferdinand Céline. . . en la censurant partiellement ?

Déclaration d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d'intérêts en relation avec cet article.

Matériel complémentaire Complément électronique disponible sur le site Internet de La Presse Médicale (http://dx.doi.org/10. 1016/j.lpm.2015.04.003)

Références

[2]

[3]

Destouches L. « Les derniers jours de Semmelweis ». La Presse Médicale 1924;51: 1068–72. Launet E. À Genève, un bout de Céline exhumé. http://liberation.fr/culture/2014/ 12/04/a-geneve-un-bout-de-celineexhume_1156989. Nau JY. Scandale littéraire : Louis-Ferdinand Céline a été censuré par « La Presse

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[4] [5]

Médicale » [billet de blogue]; 2014. Repéré à http://jeanyvesnau.com/2014/12/04/ scandale-litteraire-louis-ferdinand-celine-aete-censure-par-la-presse-medicale/. Pinard. « Ignace Philippe Semmelweis ». La Presse Médicale 1906;92:739–42. de Györy T. In: Céline , Semmelweis, editors. Remarques. Paris: Gallimard (L'Imaginaire); 1999. p. 121.

[6]

[7]

[8]

Destouches LF. « Deux expériences de vaccination en masse et « per os » contre la typhoïde ». La Presse Médicale 1929;73: 193–4. Destouches LF. « Les assurances sociales et une politique économique de la santé publique ». La Presse Médicale 1928;94:1193–4. Céline LF. Voyage au bout de la nuit. Paris: Gallimard (Folioplus classiques); 2006, 615 p.

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[1]

[When La Presse Medicale published the medical thesis of Louis Ferdinand Céline was it partially censured?].

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