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Neurophysiologie Clinique/Clinical Neurophysiology (2014) xxx, xxx—xxx

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ARTICLE ORIGINAL/ORIGINAL ARTICLE

Comment ce que disent les patients peut nous renseigner sur leurs crises non épileptiques psychogènes What the patient’s history tells us about their nonepileptic seizures M. Reuber a,∗, J.-A. Micoulaud-Franchi b,c, E. Gülich d, F. Bartolomei e,f,g, A. McGonigal e,f,g a

Academic neurology unit, university of Sheffield, Royal Hallamshire hospital, Glossop Road, Sheffield S10 2JF, Royaume-Uni b Solaris, pôle de psychiatrie universitaire, hôpital Sainte-Marguerite, 270, boulevard de Sainte-Marguerite, 13009 Marseille, France c UMR CNRS 7291, laboratoire de neurosciences cognitives (LNC), 31 Aix-Marseille université, site Saint-Charles, 3, place Victor-Hugo, 13331 Marseille cedex 3, France d FakultätfürLinguistik und Literaturwissenschaft, Universität Bielefeld, Postfach 10 01 31, 33501 Bielefeld, Allemagne e Inserm, U1106, institut de neuroscience des systèmes, 13005 Marseille, France f Faculté de médecine, Aix-Marseille université, 13005 Marseille, France g Service de neurophysiologie clinique, Assistance publique des Hôpitaux de Marseille, CHU de la Timone, 13005 Marseille, France Rec ¸u le 5 septembre 2013 ; accepté le 23 septembre 2013

MOTS CLÉS Étiologie ; Analyse conversationnelle ; Épilepsie ; Crises non épileptiques psychogènes ;

Résumé L’étiologie des crises non épileptiques « psychogènes » (CNEP) reste mal comprise et le diagnostic différentiel avec les crises épileptiques est parfois difficile. Dans la première partie de cet article de revue, nous décrivons des pistes récentes pour comprendre les fondements neurobiologiques des CNEP. Ainsi des études démontrent l’importance des anomalies de la régulation des émotions chez les patients souffrant de CNEP. Ces anomalies ont été mises en évidence par des études sur entretien des vécus des patients et des études neuropsychologiques des processus cognitifs préconscients. Ces études montrent que les CNEP ne seraient pas les seules manifestations du trouble mental chez ces patients, en effet un évitement excessif des



Auteur correspondant. Adresses e-mail : [email protected], m.reuber@sheffield.ac.uk (M. Reuber), [email protected] (M.-F. J.-A.), [email protected] (E. Gülich), [email protected] (F. Bartolomei), [email protected] (A. McGonigal). 0987-7053/$ – see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.neucli.2013.09.002

Pour citer cet article : Reuber M, et al. Comment ce que disent les patients peut nous renseigner sur leurs crises non épileptiques psychogènes. Neurophysiologie Clinique/Clinical Neurophysiology (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.neucli.2013.09.002

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M. Reuber et al.

Diagnostic différentiel

KEYWORDS Aetiology; Conversation analysis; Epilepsy; Psychogenic non-epileptic seizures; Differential diagnosis

situations de menace sociale et une dysrégulation des processus émotionnels seraient également présents en dehors des crises et peuvent donc contribuer au handicap au-delà des crises ellesmêmes. Dans la seconde partie de cette revue, nous décrivons les résultats d’études qui ont examiné les différences entre les comportements communicationnels des patients souffrant de CNEP et ceux souffrant d’épilepsie. Bien que ces études soient initialement destinées à aider les cliniciens pour le diagnostic différentiel entre les CNEP et l’épilepsie, nous proposons que l’analyse sociolinguistique des transcriptions des patients décrivant leurs maladies puisse aussi fournir des indices sur l’étiologie des CNEP. Dans la troisième et dernière partie de cette revue, nous proposons une lecture précise des transcriptions d’un entretien particulier entre une patiente souffrant de CNEP et son médecin, et nous verrons que la fac ¸on dont les patients parlent d’eux-mêmes et de leur maladie, peut probablement donner des indices sur les causes des CNEP dans chaque cas particulier. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary The aetiology of ‘‘psychogenic’’ non-epileptic seizures (NES) remains poorly understood and the differentiation of NES from epilepsy can be a difficult. In the first part of this review article we focus on recent insights into the neurobiological underpinnings of NES. We summarise a number of studies demonstrating the importance of abnormalities of emotion regulation in patients with NES. Evidence for abnormal emotion regulation comes from both self-report and experimental studies of pre-conscious cognitive processes. These studies show that NES are not the only manifestation of abnormal mental processing in these patients and that excessive social threat avoidance and emotional dysregulation are also evident between seizures and may therefore contribute to disability beyond the seizures themselves. In the second part of this review, we describe the findings of a number of studies, which have examined differences between the communication behaviour of patients with NES and those with epilepsy. We argue, that, whilst these studies initially aimed to help clinicians with the differential diagnosis of NES and epilepsy, close sociolinguistic analysis of patient’s talk can also provide clues about the aetiology of NES. We conclude that the interaction of patient with NES with the doctor can be interpreted as a manifestation of avoidance and a demonstration of helplessness perhaps intended to secure active support from the doctor. In the third part of this review, we suggest that a close reading of a transcript of the interaction between a patient with NES and her doctor (and perhaps attentive listening to how patients’ talk about themselves and their disorder) can yield clues to the causes of NES in individual cases. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction Les crises non épileptiques psychogènes (CNEP) peuvent ressembler à des crises épileptiques mais ne sont pas associées à une activité électrique anormale « épileptiforme » dans le cerveau. D’une manière générale, ce sont des épisodes paroxystiques de perte de conscience associée à des symptômes et des signes variés, depuis des manifestations motrices et sensorielles, jusqu’à des manifestations psychologiques et comportementales anormales [30]. La grande majorité des CNEP sont considérées comme échappant au contrôle volontaire. Dans le DSM-IV, elles font partie des « troubles somatoformes » et sont plus précisément dénommées « troubles de conversion avec crises épileptiques ou convulsions », ce qui constitue une appellation ambiguë et génératrice de confusion, puisqu’il ne s’agit justement pas de crises épileptiques [1]. Dans la CIM-10, les CNEP font partie des troubles dissociatifs [51], ce qui peut les rapprocher d’un équivalent d’un syndrome de répétition traumatique caractérisé par un trouble dissociatif récurrent [2,3]. Pour une mise au point en franc ¸ais sur les troubles dissociatifs, voir [22]. Les CNEP ne sont pas des troubles factices [1,51]. L’étiologie des CNEP est complexe. Aucun facteur étiologique nécessaire et suffisant n’a été identifié. Bien qu’il existe des facteurs communs, de très nombreux facteurs

de risques peuvent, chez un patient donné, prédisposer à l’apparition de CNEP, déclencher la première crise et entretenir le trouble après la première crise [9,35]. Il existe cependant des facteurs de risque plus fréquemment associés aux CNEP, à savoir, parmi les facteurs prédisposants, l’abus sexuel dans l’enfance et, parmi les facteurs déclencheurs, une maladie intercurrente entraînant une expérience de perte de conscience ou de contrôle de soi [10]. Suite aux développements récents, dans tous les domaines de la médecine, de notre compréhension des liens intimes et bidirectionnels entre le bien-être physique, les émotions et l’expérience subjective [23], on peut raisonnablement considérer que la division dualiste entre les maladies du corps « somatiques » et les troubles mentaux « psychiatriques » est maintenant dépassée [17]. La pensée dualiste est remplacée par un modèle biopsychosocial qui postule que les expériences que fait un sujet entraînent des changements physiques dans son cerveau modifiant en retour ses expériences futures ainsi que ses relations avec les autres [31]. Le fait que le traitement des CNEP, en l’absence de comorbidité dépressive ou anxieuse, relève davantage d’approches « psychologiques » (psychothérapies) que « somatiques » (médicaments) ne signifie évidemment pas que ces troubles n’ont pas de bases « physiques » dans le cerveau [32]. Effectivement, bien que leur étiologie reste

Pour citer cet article : Reuber M, et al. Comment ce que disent les patients peut nous renseigner sur leurs crises non épileptiques psychogènes. Neurophysiologie Clinique/Clinical Neurophysiology (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.neucli.2013.09.002

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Comment ce que disent les patients peut nous renseigner sur leurs crises largement inconnue, les CNEP sont très probablement associées à des modifications neurobiologiques. Cet article sera divisé en trois parties : • sa 1re partie résume un certain nombre d’études qui ont fourni de nouvelles connaissances sur les fondements neurobiologiques des CNEP, complétant en franc ¸ais notre dernière revue de 2009 [31] ; • sa 2e partie décrit les conclusions des études dans lesquelles des techniques sociolinguistiques microanalytiques [46,16,49,41,18] ont été utilisées pour décrire et analyser le comportement communicationnel des patients souffrant de CNEP au cours d’entretiens médicaux portant sur leurs crises. Nous allons montrer que, bien que ces études aient été initialement déployées pour aider au diagnostic différentiel entre les CNEP et l’épilepsie, les différences en termes de caractéristiques interactionnelles, linguistiques et de contenus catégoriels trouvées entre les deux troubles nous informent également sur les facteurs mis en jeux dans les CNEP ; • dans la 3e partie de cet article, nous utiliserons les transcriptions d’une première consultation entre un patient et un neurologue pour illustrer le fait que l’analyse des caractéristiques interactionnelles, linguistiques et des contenus catégoriels propres à la fac ¸on de parler de ses crises pour un patient donné peuvent aider le médecin ou le thérapeute à comprendre les CNEP d’un patient individuel. L’idée selon laquelle l’analyse approfondie du langage et de sa dynamique interactionnelle pourrait ouvrir une fenêtre sur les processus psychodynamiques n’est d’ailleurs pas nouvelle et a déjà été utilisée chez des patients présentant d’autres « troubles mentaux » [15,11].

Partie 1 : données récentes concernant la compréhension biopsychosociale des CNEP Plusieurs études ont montré que les patients souffrant de CNEP présentent des modifications du traitement cognitif des émotions. Prigatano et Kirlin ont ainsi montré que les patients souffrant de CNEP avaient une performance moins bonne que celle des patients souffrant d’épilepsie pour les tâches de perception et d’expression des émotions, tandis qu’il n’y avait pas de différences significatives entre les performances de ces deux groupes de patients à d’autres tests neuropsychologiques [29]. Des altérations du traitement des émotions ont également été mises en évidence dans une série d’études réalisées par Bakvis et al. Par exemple, ces auteurs ont réalisé une expérience faisant appel à une tâche de Stroop émotionnel, qui a révélé une hypervigilance (préconsciente) aux visages en colère chez les patients souffrant de CNEP (par rapport aux témoins sains) avant et après récupération, mais pas au cours de la phase de stress [8,4]. Le même groupe a également mené une étude explorant le comportement d’évitement chez les patients avec CNEP. Dans cette étude, il a été demandé aux patients et à des sujets témoins sains de répondre par des mouvements du bras de manière congruente (extension du bras, permettant symboliquement de mettre le stimulus négatif à distance) ou non congruente (flexion du bras) à des images de visages en colère ou heureux. L’étude a démontré que les patients

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souffrant de CNEP présentent un évitement accru aux signes de menaces sociales [7], ce qui confirme expérimentalement ce qui avait été suggéré dans des études basées sur des entretiens avec les patients [12]. Il existait par ailleurs une corrélation positive entre le niveau de cortisol et le degré d’évitement [7]. Il a été également retrouvé chez ces patients des biais attentionnels anormaux vis-à-vis de stimuli menac ¸ants[8,4]. Dans une autre étude, Bakvis et al. ont constaté que les patients avec CNEP avaient, par rapport à des sujets témoins, une réduction plus importante de leur performance dans un test de mémoire de travail lorsque avant le test, ils étaient exposés à un distracteur (image de visage). La réduction de performance au test de mémoire de travail se généralisait si un état de stress physiologique était induit : ainsi dans les situations de stress, les patients avec CNEP avaient un niveau de performance inférieur aux témoins dans la condition avec ou sans visage distracteur[5]. La plupart des patient(e)s (principalement des femmes) ayant participé aux études de Bakvis et al. avaient subi un traumatisme sexuel. Des altérations du traitement cognitif des indices de menaces et des niveaux de cortisol plus élevés furent observées dans le sous-groupe des patientes ayant ces antécédents de traumatisme sexuel [6]. Un hypercorticisme basal, tel qu’identifié par Bakvis et al., n’est pas le seul marqueur de l’augmentation du niveau de stress durant les périodes séparant les CNEP, les patients présentant également une réduction de la variabilité de la fréquence cardiaque [4]. Ce dernier phénomène, indicateur d’une réduction du tonus parasympathique et/ou d’une augmentation du tonus orthosympathique, fut reproduit dans une autre étude comparant des patients avec CNEP, des patients atteints d’épilepsie et des témoins sains [28]. Toutes ces études suggèrent que les CNEP (en particulier dans le sous-groupe de patients ayant des antécédents de traumatisme) ne sont qu’une seule et même manifestation d’une condition plus globale caractérisée, durant les périodes séparant les CNEP, par des anomalies du traitement des émotions et des niveaux de stress plus élevés. Ces anomalies persistantes de la perception et de la cognition peuvent avoir des répercussions handicapantes sur le fonctionnement au quotidien des patients et ont été négligées dans les recherches antérieures. En dehors d’un niveau d’éveil augmenté, ces anomalies du fonctionnement cognitif et émotionnel persistant entre les CNEP, pourraient entraîner des réponses anormales et une augmentation de l’évitement à la menace sociale. En raison probablement de l’augmentation de l’évitement (ou des changements dans la perception des émotions liée à une hypervigilance), les patients souffrant de CNEP auraient des difficultés à identifier et à communiquer leurs émotions. Cependant, il est également possible que les modifications retrouvées dans le traitement cognitif des émotions soient en fait davantage liées au traumatisme d’origine et à un possible trouble de stress post-traumatique (PTSD) [3] qu’à des modifications directement reliées à la neurobiologie des CNEP. Se pose donc la question de la spécificité des anomalies identifiées. Par exemple, une étude récente n’a pas retrouvé de différences dans le traitement des émotions entre des patients souffrant de CNEP et des sujets signalant un niveau élevé de symptômes post-traumatiques sans CNEP associées [38] (Fig. 1).

Pour citer cet article : Reuber M, et al. Comment ce que disent les patients peut nous renseigner sur leurs crises non épileptiques psychogènes. Neurophysiologie Clinique/Clinical Neurophysiology (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.neucli.2013.09.002

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M. Reuber et al.

12 10

**

*

*

n.s.

8 6 Épilep CNEP

4 2 0 Agent/force

Événement/ situation

Endroit/lieu

Autre

Figure 1 Préférence pour les conceptualisations métaphoriques manifestées par les patients présentant des crises épileptiques ou CNEP [25]. * p < 0,05 ; ** p < 0,01 ; n.s. : insignifiant.

Partie 2 : comportement de communication des patients souffrant de CNEP Premières études Devant les difficultés que représente la nécessité d’un diagnostic rapide et précis de CNEP [33] et les réflexions cliniques de certains neurologues indiquant que les entretiens avec des patients souffrant de CNEP sont parfois plus difficiles qu’avec les patients souffrant d’épilepsie, un groupe de recherche multidisciplinaire de l’université de Bielefeld et du Bethel Epilepsy Center en Allemagne a cherché à savoir si l’analyse linguistique approfondie des entretiens cliniques entre les médecins et les patients pouvait contribuer au diagnostic différentiel entre les crises épileptiques et les CNEP. Leur projet, appelé « EPILING » « typologie linguistique de crises épileptiques et non-épileptiques », était fondé sur l’analyse d’entretiens entre des médecins et des patients, enregistrés et transcrits selon des conventions permettant de tenir compte de toutes sortes de détails communicatifs (hésitations, pauses, accentuations, autocorrections, etc.). Le début de ces entretiens comprend des questions ouvertes posées aux patients à propos de leur biographie, afin qu’ils puissent décrire leurs expériences personnelles et présenter les aspects de leur maladie qu’ils jugent particulièrement pertinents. Les médecins impliqués dans ces entretiens avaient rec ¸u des directives les incitant à laisser le patient décider du sujet de conversation, le laisser parler librement (en indiquant une volonté d’écoute), ne pas l’interrompre, poser des questions ouvertes d’éclaircissement et limiter le contrôle apparent du médecin sur l’entretien. L’approche micro-analytique des transcriptions de ces entretiens était basée sur la méthodologie de l’analyse conversationnelle (AC) [46,16,49,41,18]. Une caractéristique de cette méthode est que l’analyse ne se concentre pas seulement sur le contenu du discours des patients, mais surtout sur la fac ¸on dont ils parlent de leurs crises [13]. Le groupe Bielefeld a décrit deux « profils » différents d’entretiens et a constaté que ces profils correspondent largement aux diagnostics médicaux des patients : alors que les patients atteints d’épilepsie avaient tendance à décrire spontanément les détails de leurs symptômes subjectifs pendant leurs crises, les patients souffrant de CNEP avaient au contraire tendance à éviter les descriptions détaillées

de leurs symptômes et sensations et à se concentrer plutôt sur les circonstances ou les conséquences de leurs crises [45]. Les caractéristiques les plus importantes suggérant un diagnostic de CNEP ont été dénommées « detailing block », signifiant un « blocage par rapport aux détails » et « focusing resistance » signifiant une « tendance à rester dans les dimensions périphériques » du vécu subjectif. Le « blocage par rapport aux détails », souvent retrouvé chez les patients souffrant de CNEP, réfère à la pauvreté des informations spontanément données sur les symptômes subjectifs des crises et à des récits de crise incomplets. La « tendance à rester dans les dimensions périphériques » se manifeste lorsque les patients sont invités à décrire avec plus de détails certains épisodes de crise et consiste, d’une part, en une difficulté à décrire les symptômes subjectifs de crise plutôt que les situations dans lesquelles les crises se produisent ou leurs conséquences (dimensions « situatives » ou périphériques) et, d’autre part, à l’apparition de signes d’évitement ou de retrait interactionnel [48,19] (pour un exemple de comparaison de cas voir [24]). Ces différences sont particulièrement marquées quand il s’agit de décrire les périodes d’inconscience [14] (Tableau 1). Le projet « EPILING » a été actuellement repris par un groupe de recherche de l’université de Sheffield au Royaume-Uni (projet intitulé : « Listening to people with seizures »). Le groupe de Sheffield a analysé des entretiens de recherche entre un neurologue et des patients souffrant de crises. Le neurologue a suivi les directives d’entretien élaborées à Bielefeld avec des modifications mineures. Puisqu’il avait été démontré que les caractéristiques sociolinguistiques des entretiens entre les patients allemands souffrant de crises et les neurologues permettaient un diagnostic différentiel, il a été fait l’hypothèse que des différences similaires seraient observées dans les entretiens avec les patients anglais faisant des crises (épileptiques et/ou non-épileptiques) [44]. Ils ont donc enregistré de nouveaux entretiens avec l’intention de décrire de nouvelles caractéristiques permettant le diagnostic différentiel. Les résultats du groupe multidisciplinaire de Bielefeld (largement publiés en allemand) ont été résumés en anglais et, plus largement, dans une monographie allemande [45,48]. Deux articles sur ce travail ont été publiés en franc ¸ais [14,13]. Dans le présent article, nous allons nous concentrer principalement sur les travaux du groupe de Sheffield, afin de dégager les caractéristiques qui permettent de distinguer les différents profils conversationnels entre crises épileptiques et CNEP. Parmi les études du groupe de Sheffield, quatre ont analysé en détail un même corpus linguistique basé sur des enregistrements vidéo et la retranscription du premier entretien des patients avec un neurologue (MR). Tous les patients avaient bénéficié d’une vidéo-EEG, de telle sorte que leur neurologue référent était incertain de la nature de leur crise. Vingt patients ont été inclus dans la première étude et un patient supplémentaire dans les deuxième, troisième et quatrième études. Tous les patients présentaient des crises avec perte de conscience ; le diagnostic du type de crise était confirmé par l’observation d’une crise typique par vidéo-EEG, considéré comme l’examen de référence. La procédure d’entretien est décrite dans le Tableau 2 [25]. Les transcriptions ont été analysées par des linguistes, totalement aveugles par

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Comment ce que disent les patients peut nous renseigner sur leurs crises

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Tableau 1 Résumé des principaux éléments interactionnels, topicaux et linguistiques qui interviennent dans le diagnostic différentiel. Élément

Patients avec crises épileptiques

Patients avec CNEP

Symptômes subjectifs des crises

Description spontanée et détaillée

Description éludée, refus de détailler (blocage à la description détaillée)

Travail de formulation (par exemple pauses, tentatives de re-formuler, autocorrections, hésitations, redémarrages)

Important, beaucoup de détail

Pratiquement absent, peu d’effort pour trouver des détails

Crises comme sujet de discussion

Sujet initié par le patient

Sujet initié par le médecin

Focaliser la conversation sur la description de la crise

Facile

Difficile ou impossible « tendance à rester dans les dimensions périphériques »

Référence spontanée aux efforts de contrôler la crise

Fréquente

Rare

Description de la crise par la négation « je ne sais pas, je n’entends pas, je ne me souviens pas »

Rare ; la négation est en général contextualisée « je me souviens de ceci mais pas cela »

Fréquente, complète (« je ne sens rien », « je ne sais pas ce qui s’est passé »)

Description des épisodes d’autocontrôle réduit

Travail de formulation intensif Tentative de description précise, détaillée Tentative de reconstruction de la période de perte de connaissance Volonté de situer avec précision la période de perte de conscience dans le déroulement de la crise Volonté explicite de savoir ce qui s’est passé pendant la période de perte de connaissance Le degré d’inconscience peut être discuté dans l’interaction

Description sommaire de la perte de connaissance (« je n’en sais rien », « je me souviens de rien ») Aucune différentiation de la perte de connaissance (il est p. ex. moins probable qu’avec des personnes avec crises épileptiques que le patient dise spontanément, « je voyais les gens mais je ne pouvais pas répondre ») Tendance à affirmer une incapacité à se souvenir de quoi que ce soit Pas de description détaillée spontanée La description des « trous » va prédominer dans la présentation des symptômes La nature complète de la perte de connaissance est difficilement mise en question

Adapté de [45].

rapport aux situations cliniques (y compris le résultat de la vidéo-EEG).

Analyse conversationnelle La première étude a utilisé l’analyse conversationnelle afin d’observer des différences dans les entretiens entre le neurologue et les patients souffrant d’épilepsie, d’une part, de CNEP, d’autre part. Le but de cette étude était de déterminer si les différences interactionnelles, linguistiques et thématiques initialement décrites par le groupe de Bielefeld pourraient être utilisées de manière prospective afin de prédire un diagnostic d’épilepsie ou de CNEP [36]. En préparation de son étude, le groupe de Sheffield a construit un questionnaire de cotation linguistique fondé sur 17 caractéristiques ayant une potentielle valeur

discriminante. Ensuite, deux linguistes aveugles par rapport aux résultats vidéo-EEG ont été invités à coter chaque entretien sur chaque caractéristique, pour produire un score total et pour générer une hypothèse diagnostique en fonction de leur évaluation qualitative. Les deux linguistes ont prédit correctement le diagnostic de la vidéo-EEG chez 17 des 20 patients (85 %). Ce résultat était impressionnant puisque la vidéo-EEG n’avait fait que confirmer les diagnostics cliniques de pré-admission dans 40 % des cas, et avait modifié le diagnostic du neurologue de référence dans 60 % des cas.

Conceptualisations métaphoriques Inspiré par une étude allemande qui s’était concentrée sur l’utilisation, par les patients souffrant d’épilepsie ou de CNEP, de métaphores pour décrire leurs crises [48], le

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M. Reuber et al. Tableau 2

Protocole de l’entretien [24].

Phase de l’entretien

Questions

Durée approximative

Phase « ouverte »

Avec quelles attentes êtes-vous venu à l’hôpital ?

10 minutes

Faire décrire des épisodes de crises

Est-ce que vous pourriez me raconter votre première crise ? Pourriez-vous me raconter la dernière crise la dont vous vous souvenez ? Est-ce que vous pourriez me raconter votre crise la plus grave ?

10 minutes

Phase de mise en question de la description fournie par le patient

Questions pour tester la validité de la description fournie par le patient

5 minutes

Consignes pour le médecin Évitez d’introduire de nouveaux sujets de conversation Tolérez les périodes silencieuses Émettez des mmh, d’accord, etc. pour indiquer que vous restez attentif Répétez les propos du patient afin d’encourager des explications plus détaillées

groupe de Sheffield a également examiné les conceptualisations métaphoriques utilisées par les patients au cours d’entretiens avec le médecin [25]. En utilisant la définition de la métaphore par Lakoff et Johnson [21], un linguiste, aveugle par rapport au diagnostic médical, a identifié toutes les métaphores dans les transcriptions. Il a ensuite classé les métaphores dans différentes conceptualisations. Les crises ont été le plus souvent décrites comme un agent/force, événement/situation ou espace/lieu (Tableau 3) : parmi les 382 métaphores identifiées, 80,8 % appartenaient à l’une de ces catégories conceptuelles. La plupart des patients ont utilisé des métaphores de toutes les catégories, mais le profil du choix de la métaphore différait significativement entre les patients souffrant d’épilepsie et les patients souffrant de CNEP. Les patients atteints d’épilepsie utilisaient préférentiellement des métaphores décrivant la crise comme un agent/une force ou un événement/une situation. En revanche, les patients souffrant de CNEP utilisaient plus souvent les métaphores de l’espace/du lieu.

Étiquettes diagnostiques Frappé par les difficultés rencontrées par certains patients pour décrire leur problème, le groupe de Sheffield a également analysé l’usage par les patients des « étiquettes diagnostiques »[26]. Le terme diagnostique le plus couramment utilisé dans les 21 transcriptions était « seizure » (crises) (132 emplois), suivi par « attack » (attaque) (66), « fit » (accès) (42) et « blackout » (malaise) (22). Les patients faisaient des distinctions lexicales fines entre les différentes étiquettes diagnostiques qu’ils utilisent pour décrire leurs expériences. Ainsi, les termes « fit » et « blackout » ont été utilisés plus spécifiquement que « seizure » ou « attack » : le terme « fit » décrivait les événements impliquant une raideur et/ou des secousses, « blackout » les événements avec effondrement, perte de tonus musculaire et/ou trou de mémoire. Qui plus est, alors que « fit » et « blackout »

étaient considérés comme des terminologies profanes, le terme « seizure » tendait seulement à être appliqué lorsque le diagnostic avait été formulé par un professionnel de la santé. Enfin, les patients atteints de CNEP utilisent moins d’étiquettes de symptômes que les patients souffrant d’épilepsie (Fig. 2). Bien que le terme « seizure » semblait être préféré à d’autres termes (et fut utilisé par 8 patients atteints de CNEP sur 13), de nombreux patients présentaient un degré de réticence à ce terme « médical ». Mis à part le fait de ne pas utiliser le terme « crise » (et montrer une préférence marquée pour l’utilisation des pronoms par rapport à n’importe quel terme), cette résistance devient évidente lorsque les patients n’évoquent le terme « seizure » qu’après sollicitation de la part du médecin ou avec hésitation (Pat : « il me semble avoir, euh, deux sortes de (0,9 secondes de pause) de crises qui surviennent »), ou avec un commentaire exprimant une incertitude concernant le choix d’un terme

Utilisations par rencontre

10

*

n.s.

n.s.

8 6

Épilepsie

4

CNEP

2 0

"Seizure"

"Fit"

"Blackout"

Figure 2 Les patients avec épilepsie sont différents des patients avec CNEP par rapport à leurs préférences de description des symptômes [26].

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Tableau 3

Conceptualisation métaphorique des crises [25].

Catégorie

Représentation de la crise comme un agent ou une force

Représentation de la crise comme un événement ou une situation

Représentation de la crise comme un endroit ou un lieu

Autre

Sujet grammatical

Crise

Crise

Patient

Variable

Rôle central (du point de vue du sens)

Du côté de la crise

Variable

Du côté du patient

Variable

Exemples

Seizures come, go, come in, come on, come up, creep up on you, get you, try to do things, set off, are sent in, are straight there, are fought, counteracted, contained, are let pass, wear off Les crises peuvent : venir, s’en aller, survenir, monter, vous saisir, essayer de faire quelque chose, s’estomper, se déclencher, être envoyées, être là d’un coup, être combattues. . .

Seizures happen, occur, take place, are due, start, finish, go on, carry on, develop, are experienced, witnessed, handled, controlled, stopped, avoided / put off, are brought on, run their course Les crises peuvent : se passer, m’arriver, se développer, être expériencées, être observées, être contrôlées, être déclenchées, être évitées, être stoppées, poursuivre leur cours. . .

Drifting off, being off somewhere else, going, going off, being gone, coming back, coming round, coming to, going down, being down, not being there, being out into seizures, in seizures, out of seizures, within seizures, through seizures Les crises peuvent : s’en aller, être autre part, s’échapper, être parti, tourner le coin, revenir, être absent, tomber, ne pas être là. On est dans la crise, hors de la crise, en plein milieu de la crise, on passe par la crise. . .

Seizures are started up, are fixed, like an electrical charge, like the lights are on but nobody’s at home, like something going off, like shutting a computer off, like cold or hot water on the top of your head, are as if your head carries on without you Les crises peuvent être : déclenchées, comme un choc électrique, comme si la lumière était allumée mais personne n’est là, comme quelque chose qui s’épuise, comme si l’on ferme l’ordinateur, comme de l’eau froide (chaude) sur la tête, comme si la tête partait sans vous

approprié (Betty : « lors de la crise ou de quoi que ce soit que j’ai eu »), ou avec reformulation : Doctor: ‘‘Is this related to (.) to the seizures er er not waking up from a seizure or just not (.)1 waking up?’’ Médecin : « Est-ce que c’est lié (.) aux crises. . . euh. . . euh. . . que vous ne vous réveillez pas d’une crise ou plutôt que vous ne vous réveillez pas ? » Tallulah: ‘‘Not waking up from (0.3) a sei- er (.) having a fit.’’ Tallulah : « que je ne me réveille pas (0,3) d’une crise. . .de faire un malaise » La présence d’une résistance devant le terme « crise » peut avoir une valeur de diagnostic différentiel : dix sur 13 des patients atteints de CNEP, mais seulement 1 sur 8 avec épilepsie ont montré une telle résistance (×2 = 8,24, p = 0,004).

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(.) = brève pause dans la conversation.

Analyse de la référence à des tiers Ayant constaté que les patients mentionnent souvent un tiers non présent au cours de leur entretien avec le médecin lorsqu’ils décrivent les périodes de perte de conscience, nous avons entrepris une autre étude utilisant le même ensemble de données. Dans cette étude, nous avons d’abord identifié toutes les références à des tiers et analysé le contenu alors employé pour les décrire et avons noté s’il s’agissait d’une description spontanée ou incitée [39]. Il nous est apparu que les références ont, soit une fonction de « normalisation » (exprimant un « trouble resistance », c’est-à-dire une résistance à la notion de trouble ou de maladie et un « down playing », c’est-à-dire une tendance à sous-estimer le danger des crises ou de leurs impacts émotionnels et sociaux), soit des effets de « catastrophising » ou « dramatisation » (exprimant une exagération, des ruminations et une impuissance). L’analyste (aveugle par rapport au diagnostic médical) devait alors catégoriser les références à un tiers notées dans les entretiens dans l’une des trois

Pour citer cet article : Reuber M, et al. Comment ce que disent les patients peut nous renseigner sur leurs crises non épileptiques psychogènes. Neurophysiologie Clinique/Clinical Neurophysiology (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.neucli.2013.09.002

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M. Reuber et al. Tableau 4 Références « dramatisantes » et « normalisantes » à une tierce personne (non présente pendant la rencontre entre le médecin et le patient). Patient (diagnostic) : codage

Exemple

Henry (épilepsie) : incité à parler, ami, normalisant

Médecin : Qu’est-ce qu’ils vous disent, vos amis, par rapport à vos crises ? Patient : Enfin pas grand-chose. On me dit juste (0,3) que j’en ai fait encore une (1,5). Ou sinon que j’ai fait une petite pause comme ils disent Médecin : Mm (0,7) Patient : Euh, sinon je vais bien, il n’y a pas de problème (2,5), mes mes mes amis sont au courant et donc. . . voilà. On habite tous ensemble, donc. . .

Jack (épilepsie) : non-incité, conjoint, ni normalisant ni dramatisant

Patient : J’étais un peu. . .je pense que ma femme s’énervait parce qu’elle avait plein de choses à faire à la maison Médecin : mh ; (1,5) Patient : alors je lui n’en ai pas beaucoup parlé. Je suis rentré et je ne lui en ai quasiment pas dit un mot (0,3). Je l’ai fermée (1,8) et (0,3) puis c’était le (1,2) C’est mardi soir que j’ai commencé à faire des crises. Je n’étais absolument pas au courant. En fait ¸ ca a commencé vers dix heures du matin (1,1) et je n’en savais rien (0,9) rien du tout. Je me suis réveillé de temps en temps, je parlais correctement et puis je me rendormais

Barbara (CNEP) : non-incité, institutionnel, dramatisant

Médecin : quelle a été votre crise la plus grave ? Patiente : euh, j’en ai fait quelques-unes, j’en ai fait dans la baignoire, où j’ai failli me noyer ; je me suis retrouvée dans les escaliers avec les pompiers parce que j’étais tombée dans les escaliers et ma jambe. . . euh. . . ma jambe s’était coincée dans la balustrade, euh. . . et alors il a fallu que les pompiers viennent avec la scie pour me faire sortir de l’escalier ; et j’en ai eu en plus pendant que je faisais la cuisine, j’en ai eu au milieu de la rue, donc j’en ai fait quelques-unes dans les situations assez dangereuses

catégories (« normalisation », « dramatisation », « aucun »). Un total de 510 références à un tiers a été identifié et codé. Les références à des tiers ont été utilisées aussi souvent chez les patients atteints d’épilepsie (23,1 % des entretiens) que chez les patients atteints de CNEP (26,8 % des entretiens, différence non significative). Cependant, la catégorie « dramatisation » se trouve dans 92,3 % (12/13) des entretiens avec des patients souffrant de CNEP, mais seulement dans 14,3 % (1/7) des entretiens avec des patients souffrant d’épilepsie (p = 0,001). En revanche, la catégorie « normalisation » a été identifiée dans 15,4 % (2/13) des entretiens du groupe CNEP et 85,7 % (6/7) des entretiens du groupe épilepsie (p = 0,004). La catégorie « dramatisation » était donc 72 fois plus susceptible d’être utilisée dans les entretiens avec les patients atteints de CNEP (IC 95 % : 3,8—1361), la catégorie « normalisation » étaient 33 fois plus susceptible d’être utilisée dans les entretiens avec les patients atteints d’épilepsie (IC 95 % : 2,5—444). Pour des exemples de référence à des tiers de la catégorie « dramatisation » ou « normalisation » (Tableau 4).

Significations étiologiques des observations sociolinguistiques. Les observations sociolinguistiques décrites ne sont pas simplement des indicateurs diagnostiques, elles révèlent aussi ce que les patients pensent et ressentent au sujet de leur état et sont donc susceptibles de contenir des indices sur l’étiologie des CNEP et de la psychopathologie associée à ce trouble. Ainsi, la catégorie « detailing block » ou « blocage

aux détails » et « focusing resistance » ou « tendance à rester dans les dimensions périphériques » n’indiquent pas que les patients atteints de CNEP ne pourraient pas avoir une saisie de leurs expériences ou ne pourraient rien dire au sujet de leurs crises. Au contraire ces phénomènes pourraient être surmontés par un effort de la part du médecin pour questionner plus précisément cette expérience. La tendance au « blocage aux détails » et de « rester dans les dimensions périphériques » serait plutôt une manifestation d’un certain évitement renforcé dans les interactions. Il est possible que les trous et le manque de continuité dans les descriptions, ainsi que l’absence d’une perspective en première personne concernant l’expérience des CNEP chez les patients seraient liés à un déficit de mémoire de travail, une tendance à la dissociation, des difficultés d’attachement et des ressources adaptatives inefficaces qui favoriseraient l’apparition des premières CNEP et ensuite le maintien du trouble. Notre étude des métaphores sur les crises a montré que les crises d’épilepsie sont décrites (et probablement expérimentées) comme une entité autonome, qui agit sur le patient de l’extérieur et qui lui est étranger [25]. Les patients atteints de CNEP en revanche sont plus susceptibles d’éprouver leurs crises comme un état ou une entité qui vient de l’intérieur. Les patients présentant des CNEP semblent préférer utiliser des métaphores qui rentrent dans la catégorie « states are location » ou « un état exprimé comme un lieu ». Cela ne permet pas seulement de distinguer l’expérience des CNEP des crises d’épilepsie. Cela relie également l’expérience des CNEP à celle d’autres troubles mentaux, psychologiques ou émotionnels pour lesquels des constructions métaphoriques similaires sont utilisées [27].

Pour citer cet article : Reuber M, et al. Comment ce que disent les patients peut nous renseigner sur leurs crises non épileptiques psychogènes. Neurophysiologie Clinique/Clinical Neurophysiology (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.neucli.2013.09.002

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Comment ce que disent les patients peut nous renseigner sur leurs crises Le fait que l’agent linguistique dans la plupart des métaphores de CNEP incombe au patient plutôt qu’à la crise suggère que les patients ont tendance à conserver un certain degré de conscience qui est plus souvent perdu dans des crises d’épilepsie [32]. De la même manière, l’observation de la résistance des patients à utiliser le terme médical « seizure » est non seulement un indicateur pour le diagnostic de CNEP mais communique aussi un message important pour le médecin concernant les représentations du patient sur son trouble. Ainsi le doute que certains patients peuvent avoir concernant l’étiologie « médicale » (ou physique) des CNEP peut indiquer que le patient est réceptif à une explication psychologique de son trouble. Alternativement, l’hésitation avec laquelle les patients utilisent une étiquette « médicale » pour leur problème peut indiquer un mouvement interactionnel qui, en encourageant le médecin à poser ou à confirmer l’étiquette, amène le médecin et le patient dans un processus collaboratif de médicalisation. Enfin, l’observation que certains patients semblent rejeter l’étiquette « médicale » pour leurs attaques (même après que le médecin l’ait proposée) indique un degré de désalignement avec les représentations du médecin et pourrait faire allusion à un manque de confiance dans les médecins précédents (ou peut-être plus largement à des difficultés d’attachement). Enfin, notre étude portant sur les références aux tiers montre à quelle fréquence les patients atteints de CNEP utilisent des termes qui tendent à « dramatiser » leur trouble et comment les patients atteints d’épilepsie utilisent des termes qui tendent à « normaliser » leur condition. La dramatisation qui a déjà été décrite en cas de pauvreté de ressources adaptatives[20] pourrait ainsi remplir une fonction communicative (sociale-comportementale), car elle maximise la possibilité que la détresse soit gérée socialement plutôt qu’individuellement. Par exemple, elle pourrait permettre une baisse des attentes du conjoint concernant les tâches ménagères, mais également des attentes sociales ou professionnelles [40,47]. La vie des patients atteints de CNEP (comme ceux des patients souffrant d’autres troubles somatoformes) semble aussi souvent impliquer un degré élevé de dépendance [34], et il est possible que, tout comme dans le trouble panique, la dramatisation soit un mode d’interaction qui assure, d’une certaine fac ¸on, aux patients des stratégies adaptatives pour obtenir le soutien des autres face à ce qui leur arrive [11,39].

Partie 3 : ce que les comportements communicationnels peuvent nous apprendre à propos des CNEP chez un patient particulier La signification des observations sociolinguistiques chez une patiente : « Sue » Les études linguistiques ne fournissent pas seulement des indices sur l’étiologie des CNEP en général, mais peuvent aussi nous aider à comprendre les CNEP chez un patient particulier. Nous avions notamment montré dans une étude de cas comparant un entretien d’un patient souffrant d’épilepsie avec celui d’un patient souffrant de CNEP,

9

comment le comportement interactionnel du patient avec CNEP est caractérisé par un certain évitement tout au long de son entretien avec le médecin [24]. Dans cet article, nous ne pouvons fournir qu’un petit « aperc ¸u » de l’intérêt d’une étude linguistique détaillée en discutant deux extraits d’une transcription de courte durée. Une analyse plus approfondie de l’ensemble des transcriptions serait beaucoup plus convaincante, mais est au-delà de la portée de cet article. Les transcriptions sont tirées du premier entretien clinique entre MR et « Sue », qui a eu lieu lorsque « Sue », 55 ans, a été admise pour vidéo-EEG, son dernier neurologue ayant remis en cause son diagnostic d’épilepsie. « Sue » a accepté de prendre part à l’étude sociolinguistique décrite précédemment. « Sue » est une mère célibataire de trois enfants. Elle a rec ¸u des prestations d’invalidité et n’a jamais travaillé. Elle a développé des épisodes de perte de conscience transitoire à 35 ans et a eu un certain nombre d’admissions à l’hôpital avec des symptômes médicalement inexpliqués. Une « fibromyalgie » sévère dans son adolescence l’a obligée à utiliser un fauteuil roulant pendant plusieurs semaines. Elle a présenté un bref épisode de perte de conscience liée à un traumatisme crânien léger à 24 ans (avec un examen neurologique normal à l’arrivée à l’hôpital et une sortie après observation en milieu hospitalier pendant 24 heures). Elle a déjà fait des surdosages médicamenteux délibérés. Elle présente également un asthme. Elle a été explorée pour une dyspareunie, a subi une dilatation et un curetage et a finalement subi une hystérectomie parce qu’elle s’était plainte de saignements menstruels excessifs. Son évaluation psychiatrique n’a été réalisée que par son neurologue. La coexistence de comorbidités psychiatriques (antécédent d’épisode dépressif majeur, troubles anxieux et, en particulier, trouble de stress post-traumatique) n’a été ni formellement confirmée ni formellement éliminée. À l’âge de 35 ans, elle a présenté deux épisodes de perte transitoire de conscience dans un contexte de crise « d’asthme » ou plutôt d’anxiété avec symptôme de type attaque de panique. Son médecin généraliste a alors prescrit un traitement par phénytoïne. Elle a été orientée vers un neurologue après avoir eu d’autres attaques similaires. Un EEG a montré un « nombre très important d’ondes lentes angulaires » et « un ralentissement généralisé important au cours de l’hyperpnée ». Le neurologue a alors confirmé que la phénytoïne était indiquée. À 36 ans, elle a été admise aux urgences pour un état de mal épileptique suivi d’une hémiparésie gauche, d’une hémianopsie du champ visuel gauche et d’un trouble de la marche (symptômes résolutifs en trois mois). Les crises ont été observées à l’hôpital et décrites dans le dossier clinique comme associant « une perte de conscience, un arrêt respiratoire, une cyanose, une hypersalivation, une fermeture volontaire des paupières, des mouvements répétés du bras droit et une perte de connaissance pendant 20 minutes ». Il y avait aussi des crises avec une douleur dans la gorge et les yeux, et un effondrement sans avertissement. Bien que ces observations remettent en cause le diagnostic d’épilepsie, le traitement de « Sue » a consisté à essayer différentes combinaisons de médicaments antiépileptiques au cours des 18 années de son suivi. Pendant ce temps, « Sue » a continué à faire en moyenne deux crises par semaine.

Pour citer cet article : Reuber M, et al. Comment ce que disent les patients peut nous renseigner sur leurs crises non épileptiques psychogènes. Neurophysiologie Clinique/Clinical Neurophysiology (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.neucli.2013.09.002

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10 Tableau 5

M. Reuber et al. Au cours de sa consultation chez le neurologue, « Sue » développe des hypothèses au sujet de sa maladie.

Line

Causes

Contexte

77

Problèmes familiaux

Je n’ai pas fait les crises, parce que je n’ai pas eu les problèmes qu’on s’attend à avoir à la maison

91

Soucis familiaux

C’est les soucis qui ont provoqué ¸ca, comme euh quand j’ai beaucoup de problèmes familiaux

94

Carreaux/ronds/noir et blanc

Si je regarde beaucoup de petits carreaux ou des petits ronds ils vont déclencher les crises ; certains vidéos en noir et blanc, ou sinon autre choses en noir et blanc

114

La lumière bleue

La lumière bleue me dérange ; cette lumière bleue qui clignote

123

La maladie

Quand je ne me sens vraiment pas bien, cela peut déclencher des malaises

152

Soucis de santé

Quand je serai à nouveau hospitalisée (. . .), ¸ca va m’angoisser et puis cela va déclencher une crise

299

Traumatisme crânien

Et puis j’ai eu un accident de la route (. . .) et puis trois semaines plus tard on m’a attaquée, on m’a donné des coups de pieds dans la tête (. . .) donc je n’ai jamais su lequel de ces deux incidents était responsable de mes crises

348

Fatigue

Tout ce que je sais c’est que. . . euh. . . c’est parce qu’on me prive de sommeil, c’est ¸ca

727

Culpabilité

Et puis la culpabilité (. . .) puis je commence à penser à ces choses, et cela déclenche le malaise, c’est ma fac¸on de gérer ¸ca

757

Culpabilité constante

C’est parce que je suis toujours en train d’y réfléchir, cela me ne quitte jamais (. . .) et si j’y pense, ¸ca me déclenche le malaise (. . .) j’essaie de ne pas y penser tant que ce n’est pas nécessaire

827

Culpabilité généralisée

Je me sens coupable parce que je l’ai rendue responsable (. . .) je suis capable de me sentir coupable de tout

866

Les deux enfants aînés

Si mes deux garc¸ons aînés me contactent, ¸ca me bouleverse (. . .) je me culpabilise parce qu’on ne se voit pas assez (. . .) je pense que si je n’avais pas fait ce que j’ai fait quand j’étais jeune, de me marier si jeune, vous savez (. . .) l’idée me perturbe et déclenche le malaise

Un nouvel avis neurologique a donc été pris à 54 ans. L’IRM cérébrale était normale. La vidéo-EEG n’enregistra aucune crise typique. Le tracé EEG a été décrit comme montrant « des bouffées et décharges irrégulières d’activité lente autour de 2—4 Hz à prédominance fronto temporale » et « de rares ondes lentes angulaires en région temporale gauche ». Au cours d’une nouvelle admission pour vidéo-EEG (celle, où « Sue » a accepté de participer à notre étude sociolinguistique), a été enregistré une CNEP avec perte de connaissance, faiblesse, tremblements généralisés sans aucun changement EEG de nature épileptique. Cette crise a été décrite comme typique par le partenaire de Sue. Un diagnostic de CNEP a donc été confirmé et les médicaments antiépileptiques ont été retirés progressivement pendant l’hospitalisation. Au cours de l’entretien de 35 minutes avec le neurologue dans le cadre de l’étude sociolinguistique, « Sue » a donné une explication pour ses crises : elle a mis en avant que ses crises avaient tendance à se produire dans le cas de situation « familiale » compliquée. Notamment, elle déclare se sentir coupable du fait que sa fille a été agressée sexuellement par un ami d’une voisine pendant qu’elle était elle-même malade et qu’elle avait demandé au voisin de s’occuper de

sa fille. Elle a également éprouvé une culpabilité par rapport aux moments difficiles que ses deux autres enfants ont pu vivre pendant son précédent mariage (Tableau 5). Alors que cela pourrait être accepté comme une explication suffisante pour ses CNEP, une analyse plus précise passant du contenu de son discours à la manière de le formuler va nous fournir un éclairage complémentaire sur ses crises, ses expériences traumatisantes, non révélées, dans sa propre vie, ainsi que sur ses stratégies adaptatives.

La conversation avec « Sue » : phase « ouverte » Premier extrait (phase initiale et ouverte de l’entretien) I: One other thing you said, you (—) you said doctor X saw a seizure, what what happened there? I : Vous avez dit autre chose, vous (—) avez dit que le Docteur X aurait vu une crise, alors qu’est-ce qui s’est passé là ? S: Yeah; (-), hh (-) well actually, actually he witnessed two two (.) things altogether, (-) in the time I went to see him; (1.5) well, (-) you know how you’re going into a waiting room; well (-) you wouldn’t notice that I suppose, which you didn’t have to

Pour citer cet article : Reuber M, et al. Comment ce que disent les patients peut nous renseigner sur leurs crises non épileptiques psychogènes. Neurophysiologie Clinique/Clinical Neurophysiology (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.neucli.2013.09.002

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Comment ce que disent les patients peut nous renseigner sur leurs crises S : Ouai, eh bien en fait, en fait il a vu deux. . . deux trucs au total, (-), au moment que je suis allée le voir ; (1,5) ; alors vous savez comment on va dans la salle d’attente ; eh bien (-) vous n’y faites pas attention j’imagine, vous n’en avez pas besoin I: Alright, I : D’accord, S: Well you have to sit in the (0.4) waiting rooms and then you go into a his waiting room; S : Alors il faut patienter dans la (0,4) salle d’attente générale et puis ensuite on va dans sa salle d’attente à lui I: Yeah; (—) I : Oui ; (—) S: (-) Well (0.9) no I wasn’t at X where I saw Dr Y S : (-) Bon, (0,9), non, en fait je n’étais pas finalement à X où je voyais le Dr Y I: Mh, I : ok S: It wasn’t in X I was here, S : Je n’étais pas chez X en fait, j’étais ici I: Mhmh (-) I : Mhmh (-) S: You know how you go down the corridor, and (.) it’s the: (.) and it’s there used to be curtains, I don’t know if S : Vous savez comment vous allez dans le couloir, et (.) c’est le (.) et c’est là, il y avait des rideaux, je ne sais pas si I: Yeah; I : Oui ; S: It’s still the same; (1.7) and erm (0.6) you used to go behind there and then you used to go through a door to the (-) to see doctor X; (-) I was actually just walking through and must be (-) and .h I put them down to worrying again; (–) cause I were worried what (.) you know; (1.4) but I were walking through into his (–) study, into his room; S : C’est toujours pareil ; (1,7) et euh (0,6), on va derrière les rideaux et puis on passe la porte au (-) pour voir le Dr X ; (-) en fait j’étais en train d’y entrer et je devais être (-) et je pensais que c’était à cause de l’inquiétude ; (–) car j’étais inquiète que (.) vous savez ; (1;4) mais j’entrais dans son bureau ; I: Mhmh (—) I : Mhmh (—) S: When (-) I jus: (—) just went; S : Et à ce moment-là (-) je (—) suis partie I: Mhmh (–) I : Mhmh (–) S: That was the first time; the second time, (0.6) I was actually (—) comin in here, and I were on this had one on the s- (.) on the (-) fit eh (-) lift comin up. S: C ¸ a c’était la première fois ; la deuxième fois, (0,6) je venais ici, et j’en ai fait une dans l’ascenseur en train de monter.

Interprétation sociolinguistique « Sue » répond aux questions relativement ouvertes du médecin concernant une crise particulière, en décrivant les détails de la situation dans laquelle les crises

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se sont produites plutôt que les sentiments et les sensations subjectifs qu’elle a ressentis avant ou pendant la crise. La crise elle-même est décrite seulement comme perte de connaissance : « Et à ce moment-là (-) je (—) suis partie ». « Sue » recourt ici à une conceptualisation métaphorique spatiale pour décrire la crise comme un lieu qu’elle quitte. Cette métaphore lui permet de maintenir un certain contrôle linguistique sur ces crises ; en disant « I just went » (je suis partie) elle exprime une action qu’elle accomplit : c’est elle qui agit. De plus, « Sue » évite de donner aux crises une étiquette spécifique. Elle préfère parler des « trucs » (après une brève hésitation) et « celle-ci », même lorsque le médecin propose le terme « crises » dans sa question. Interprétation psychologique Le recours à une conceptualisation de type « un état psychique est une espace/un lieu » fait que « Sue » utilise une description en termes de lieu plutôt qu’en termes d’état interne. Cela relie ainsi l’expérience des CNEP à celle d’autres troubles psychiques, par exemple les troubles anxieux, tels que les attaques de panique. L’accent préférentiel sur les circonstances situationnelles plutôt que sur l’expérience de la crise elle-même pourrait être interprété comme un indice interactionnel d’évitement des émotions négatives ou des souvenirs désagréables. Le peu d’information fourni sur l’expérience de la crise elle-même pourrait être mis en perspective avec une interprétation dissociative de l’attaque elle-même [2,22]. La difficulté pour « Sue » de reprendre à son compte le terme utilisé dans la question du médecin pourrait indiquer une certaine résistance interactionnelle contre l’étiquette médicale « crise » ou un degré de désalignement avec le médecin — pouvant peut-être fournir une partie d’explication de la relation difficile qu’elle a pu avoir avec d’autres médecins dans le passé.

Conversation initiale avec « Sue » : récit de la crise la plus grave Extrait 2 (Invitation à décrire sa crise la plus grave) I: What about the (0.4) worst seizure that you’ve ever had? (1.3) I : Quelle est la (0,4) crise la plus grave que vous avez jamais eue ? (1,3) S: I think the worst seizure I c- I can ever say I’ve had is when I actually drowned in the bath;(-) S : Je pense que la crise la plus grave que j’ai eue. . .que je peux dire que j’ai eue est quand j’ai effectivement pu me noyer dans la baignoire I: Mh, I : Mh, S: And I had to be (0.4) revived; (—) erm (–) all I can remember feeling there, (0.9) was (.) I I felt (–) I felt like an (-) a dizziness; (1.7) and er I’d got this (.) violent headache again and I thought (-) I can remember thinking to meself (-) I’ll have to and get out d’bath; (1.3) and the next thing (-) I know (.) is that (0.4) the lodger (-) who was a boy (0.3) you know it was a male, (0.6) (-) was (-)

Pour citer cet article : Reuber M, et al. Comment ce que disent les patients peut nous renseigner sur leurs crises non épileptiques psychogènes. Neurophysiologie Clinique/Clinical Neurophysiology (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.neucli.2013.09.002

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M. Reuber et al. knocking the bathroom door down; (1.1) and erm (3.9) or he’d knocked the bathroom door down, (-) shouted my husband, (—) my husband come down and I can sort of hear that, .h now I don’t know if I heard that or it’s just that I’ve heard it being him said (0.4) that many times, but I think I heard it; (0.8) I don’t know. S : Et que j’ai dû être réanimée; (—) ; euh (–), la seule chose dont je m’en souviens (0,9) est que (.) je ressentais la tête qui tournait ; (1,7) et j’ai eu encore une fois un mal de tête violent et je me suis dit (-) je me rappelle que je me suis dit (-) qu’il faut sortir du bain ; (1,3) et ensuite (), c’était le locataire (-) qui était un garc ¸on (0,3), je veux dire que c’était un homme, (0,6) (-) il tapait sur la porte de la salle de bain pour y entrer ; (1,1) et euh il a enfoncé la porte, (-) mon mari criait, (—) mon mari arrive et je l’entends parler plus ou moins, maintenant je ne sais pas si je l’ai vraiment entendu ou si ¸ ca fait tellement de fois que je l’ai entendu raconter cette histoire, mais il me semble que je l’ai entendu, je ne sais pas.

Interprétation sociolinguistique « Sue » répond à la question du médecin lui demandant de décrire la pire crise qu’elle ait eue en indiquant une crise étant survenue dans une des circonstances les plus dangereuses, avec des conséquences potentielles les plus significatives. « Quand j’ai effectivement pu me noyer dans la baignoire », « et que j’ai dû être . . . réanimée ». Ces indications fonctionnent comme une sorte de résumé ou comme un titre pour le récit chronologique qu’elle fera ensuite de la crise. Le fait de thématiser tout d’abord le danger de mort dans lequel elle se trouvait est une technique de dramatisation du récit de crise. La liste faite des symptômes sans élaboration (liés uniquement avec les conjonctions « et », « et la prochaine chose ») qui caractérisent le déroulement de la crise constitue unecaractéristique typique de la description des attaques de panique, contrairement aux descriptions des crises d’épilepsie [43]. Pour finir elle fait à nouveau référence à un élément de dramatisation. En effet, la séquence « le locataire qui était un garc ¸on vous savez que c’était un mâle, (0,6) (-) avait (-) défoncé la porte de la salle de bains en bas », accentue le caractère dramatique de la situation, d’une part, parce que la locutrice insiste (par une reformulation) sur le sexe masculin du locataire, d’autre part, parce les détails « situatifs » (taper sur la porte et enfoncer la porte) soulignent le danger imminent de se noyer. Interprétation psychologique Cette référence « dramatisante » à une tierce personne — le locataire qui sauve « Sue » — pourrait souligner l’impuissance et la fragilité de celle-ci. Son incertitude de se souvenir de l’événement lui-même et de ce qu’elle aurait pu avoir dit plus tard pourrait être le reflet des difficultés de perception associées à des états dissociatifs, des troubles de la mémoire ou des déficits de l’ego observés chez les patients ayant CNEP. Le fait que « Sue » réponde à la question du médecin concernant ses pires crises avec une narration dans laquelle un locataire masculin a cassé la porte de sa salle de bains fait allusion à des possibles problèmes de limites. En fait, toute la scène pourrait représenter ce que Freud appelle une « Deckerinnerung », « un souvenir écran », la transgression

des limites étant d’autant plus traumatique qu’elle impliquerait un individu du sexe masculin. Le suivi de « Sue » Le traitement antiépileptique de « Sue » a été arrêté suite au diagnostic de CNEP réalisé par la vidéo-EEG. Ses crises se sont arrêtées complètement pendant deux ans. Elle a été revue à 57 ans quand elle a présenté un handicap secondaire à de multiples douleurs, associé à une fatigabilité et de brèves pertes de contact (non associées à un effondrement et non causées par les admissions à l’hôpital). Elle a été orientée pour un traitement psychothérapeutique au cours duquel elle a révélé une histoire de grave négligence infantile et des abus sexuels qui avaient continué au cours de son premier mariage. Après 20 séances de traitement, elle avait acquis une meilleure compréhension de la nature de ses problèmes. Sa qualité de vie s’est donc améliorée avec la psychothérapie, mais elle est cependant restée partiellement handicapée dans sa vie quotidienne.

Conclusion Les CNEP sont un trouble sémiologiquement et étiologiquement hétérogène [31], elles sont caractérisées par quelques grands sous-groupes différents [37,50]. Les recherches récentes par entretiens sur les vécus des patients et des recherches plus expérimentales ont permis d’augmenter nos connaissances sur les CNEP. Ainsi, les CNEP seraient souvent associées à des anomalies de la régulation émotionnelle qui seraient probablement une dimension importante pour expliquer le déclenchement d’une crise, et qui seraient également présentes dans la période inter-critique (en dehors des CNEP elles-mêmes). Dans cet article, nous avons montré que les manifestations de dysrégulation affective et d’autres facteurs pertinents étiologiquement peuvent être identifiés grâce à des descriptions de crises par le patient lors d’entretiens cliniques et grâce à l’analyse des comportements communicationnels. Les comportements interactionnels des patients atteints de CNEP se caractérisent par une augmentation de l’évitement des circonstances émotionnellement difficiles telles que les expériences subjectives de crises. L’analyse des conceptualisations métaphoriques suggère que les patients ont tendance à percevoir leurs crises comme des états émotionnels plutôt que des attaques venant de l’extérieur ou ayant une autonomie propre. Les patients atteints de CNEP présentent une résistance à l’utilisation du terme « crise » pour décrire leurs expériences paroxystiques, qui indique peut-être une certaine préférence à ce que le problème ne soit pas « médical » et peut mettre en difficulté le médecin dans la démarche médicale de collaboration qu’il essaye de mettre en place. La tendance des patients à employer des références à la tierce personne pour dramatiser leur expérience de CNEP pourrait être interprétée comme une stratégie interactionnelle adaptative pour obtenir de l’aide de la part du médecin. Contrairement à d’autres techniques de diagnostic (tels que les enregistrements vidéo-EEG ou IRM), l’observation du profil communicationnel d’un patient permet aux médecins de tirer des conclusions qui vont au-delà de la constatation que les crises ne sont pas « épileptiques » et qu’il n’y

Pour citer cet article : Reuber M, et al. Comment ce que disent les patients peut nous renseigner sur leurs crises non épileptiques psychogènes. Neurophysiologie Clinique/Clinical Neurophysiology (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.neucli.2013.09.002

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Comment ce que disent les patients peut nous renseigner sur leurs crises a aucune lésion épileptogène. Les comportements interactionnels peuvent aussi être interprétés comme des indices de ressources adaptatives et de styles d’adaptation privilégié, parfois « pathologiques » comme l’est la dissociation [2,22], l’évitement et la tendances à la dramatisation [42]. Une attention particulière aux caractéristiques sociolinguistiques peut donc fournir des indices sur l’étiologie de la crise chez un patient donné. Qui plus est, montrer ces caractéristiques interactionnelles aux patients peut être un moyen particulièrement efficace de créer des liens entre les crises et les difficultés de traitement émotionnel « Quand vous parlez de vos convulsions vous semblez trouver facile de me dire où se sont passés différentes crises et quels sont les problèmes qui les ont causés, mais vous avez beaucoup plus de mal à me dire comment vous vous sentiez au moment de la crise ».

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Remerciements Nous remercions Ulrich Krafft pour son aide lors de la préparation du manuscrit et le Dr. Martin Schöndienst pour sa contribution à l’interprétation linguistique.

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[What the patient's history tells us about their nonepileptic seizures].

The aetiology of "psychogenic" non-epileptic seizures (NES) remains poorly understood and the differentiation of NES from epilepsy can be a difficult...
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