Néphrologie & Thérapeutique 10 (2014) 183–185

ÉCHO DE LA RECHERCHE

La vitamine B3 pour prévenir la polykystose rénale autosomique dominante Amina Al Adlouni a, Alexandre Hertig a,*,b a

Urgences néphrologiques et transplantation rénale, hôpital Tenon, 4, rue de la Chine, 75020 Paris, France

b

Université Pierre-et-Marie-Curie, Sorbonne universités, 4, place Jussieu, 75005 Paris, France

Reçu le 3 novembre 2013 ; accepté le 13 novembre 2013

1. INTRODUCTION La polykystose rénale autosomique dominante (PKD) touche une personne sur 1000 dans la population générale [1]. Elle conduit lentement les patients vers l’insuffisance rénale terminale (typiquement vers l’âge de 50 ans), sans que l’on puisse intervenir très efficacement pour ralentir la progression des kystes. L’inhibition de la voie mTOR a été une vraie source d’espoir, mais deux essais cliniques de grande envergure, l’un avec le sirolimus donné à un stade précoce de la maladie et l’autre avec l’évérolimus, n’ont pas montré de bénéfice, notamment sur le critère principal de jugement qui était le volume rénal [2,3]. Plus récemment, un essai international prospectif et randomisé versus placebo a montré que le tolvaptan pouvait ralentir la kystogenèse, mais au prix d’effets secondaires importants [4]. L’objectif de cet écho est de rapporter les résultats d’un article publié en juillet 2013 dans le Journal of Clinical Investigation, par le groupe de Xiaogang Li au Texas (États-Unis), qui suggère que la vitamine B3 est une piste thérapeutique majeure, de par sa propriété d’inhibition de la sirtuine 1 [5].

2. LES SIRTUINES Dans la classe des mammifères, la famille des sirtuines comporte sept membres, dont la fonction est d’ôter le radical acétyl (COCH3) des protéines : il s’agit des déacétylases. La réaction est dépendante du nicotinamide adenine dinucleotide (NAD), un accepteur d’électron également très connu pour * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Hertig).

son rôle dans l’oxydation du glucose. Le NAD sert de substrat pour les sirtuines, qui l’utilisent pour produire un accepteur de radical acétyl : ainsi, en clivant le NAD, les sirtuines produisent, d’une part, le nicotinamide (la vitamine B3) et, d’autre part, un sucre intermédiaire (le O-alkyl-amidate) sur lequel est transféré le radical acétyl de la protéine cible afin de former un O-acétylADP ribose. Très schématiquement, donc, les sirtuines transfèrent le radical acétyl des protéines sur le sucre du NAD. À l’échelle de l’organisme entier, la fonction de la sirtuine 1 (codé par Sirt1) semble bénéfique, car dans les modèles animaux sa surexpression augmente la survie et exerce des effets favorables sur les plans métabolique (protégeant notamment du diabète), cardiovasculaire, et même neurologique puisqu’elle limite la dégénérescence cérébrale physiologique ou pathologique [6]. Mais à l’échelle d’une cellule, l’effet des sirtuines est extrêmement complexe. La déacétylation peut porter sur des protéines membranaires ou cytoplasmiques, mais également sur des protéines nucléaires, comme des facteurs de transcription ou encore des histones, ces protéines autour desquelles l’ADN s’enroule. Ces deux derniers effets, nucléaires, influencent profondément l’activité transcriptionnelle de nombreux gènes : les effets de l’activation ou de l’inhibition des sirtuines dans un organ(ism)e donné dépendent donc du contexte cellulaire, individuel et environnemental.

3. LA VITAMINE B3 La vitamine B3 (également appelée vitamine PP) est la nicotinamide [7]. Elle provient de l’alimentation (essentiellement des viandes et des poissons), mais peut aussi être fabriquée à partir du tryptophane. Historiquement, le déficit majeur en vitamine B3 était la cause de la pellagre, qui a

1769-7255/$ see front matter ß 2014 Association Socie´te´ de ne´phrologie. Publie´ par Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. http://dx.doi.org/10.1016/j.nephro.2013.11.009

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A. Al Adlouni, A. Hertig / Néphrologie & Thérapeutique 10 (2014) 183–185

quasiment disparu, en tous cas dans les pays riches. Un déficit mineur en vitamine B3 peut être causé par l’alcoolisme chronique. La vitamine B3 est le plus puissant inhibiteur connu des sirtuines. En excès, la nicotinamide peut réagir avec le O-alkylamidate (le sucre intermédiaire généré par le catabolisme de NAD) et régénérer le NAD : inhibition classique et non compétitive de l’enzyme.

4. L’ARTICLE DE ZHOU ET AL. [5] Les auteurs ont utilisé trois modèles murins de PKD :  l’un, décrit en 2001, au cours duquel une mutation à l’état homozygote dans l’exon 4 de Pkd1 (Pkd1null/null) induit un phénotype rénal extrêmement sévère, avec des kystes rénaux dès l’âge embryonnaire et une forte mortalité périnatale [8] ;  le second modèle consiste à limiter le déficit en Pkd1 au tissu rénal, en flanquant les exons de Pkd1 de séquences dites FLOX, qui seront excisées en présence d’une enzyme, la recombinase (Cre), dont le gène est intégré et placé sous la dépendance d’un promoteur spécifique au rein (Ksp pour kidney-specific) : en croisant des souris Pkd1flox/flox avec des souris KSP-Cre, l’on obtient donc des animaux dont seules les cellules rénales sont déficitaires en Pkd1, et ces animaux développent eux aussi une polykystose rénale sévère [9] ;  enfin, pour le troisième et dernier modèle, les auteurs ont utilisé les souris Pkd1nl/nl, chez lesquelles Pkd1 est dit hypomorphe (la quantité de transcrit Pkd1 est inférieure à 20 %) [10]. Ce modèle, moins sévère, est particulièrement utile pour tester l’effet d’une intervention dans la période postnatale. Les auteurs ont d’abord documenté que le déficit constitutif ou acquis en Pkd1 dans les cellules rénales s’accompagnait d’une expression pathologique (augmentée) de la sirtuine 1, chez la souris comme chez l’homme, en lien avec une surexpression d’un facteur de transcription (c-Myc) et d’une cytokine, le tumor necrosis factor (TNF)-a (dont on sait qu’il est présent en quantité dans le fluide des kystes). Ils ont ensuite testé le rôle des sirtuines en suivant une double approche :  l’une, génétique, a consisté à comparer la kystogenèse rénale de souris ayant un déficit isolé en Pkd1 à celle de souris ayant un double déficit, en Sirt1 et Pkd1 ;  l’autre, pharmacologique, a consisté à utiliser des inhibiteurs de la sirtuine 1, comme la nicotinamide ou encore l’EX-527, un inhibiteur spécifique. Les résultats sont probants. D’une part, le double déficit congénital intra-rénal en Pkd1 et Sirt1 atténue considérablement la maladie kystique rénale par comparaison au « simple » déficit en Pkd1, et prolonge la vie des souris de 8 jours. D’autre part, la nicotinamide injectée à des femelles gravides hétérozygotes Pkd1null/+ et accouplées avec des mâles également hétérozygotes a permis de diminuer considérablement la kystogenèse rénale des embryons homozygotes Pkd1null/null, avec, là aussi, un effet sur la survie néonatale. Injectés en période postnatale à des souriceaux Pkd1flox/flox KSP-

Cre (quatre jours de traitement, de j3 à j6) ou à des souriceaux Pkd1nl/nl (trois semaines de traitement, de j5 à j27), la nicotinamide et l’inhibiteur EX-527 réduisaient franchement la kystogenèse. Comment un excès de sirtuine 1 participe-t-il à la kystogenèse rénale ? L’article de Xiaogang Li et al. démontre de façon convaincante l’interaction biologique entre la sirtuine 1 et la protéine du rétinoblastome (Rb) dans les cellules rénales. La protéine Rb stoppe normalement le cycle cellulaire à la phase G1 en séquestrant le facteur de transcription E2F. En déacétylant Rb, la sirtuine 1 permet sa phosphorylation, ce qui libère le facteur E2F et permet l’entrée de la cellule dans la phase S. En somme, la perte de Pkd1 induit une surexpression de la sirtuine 1 qui stimule à son tour la prolifération cellulaire par une voie Rb-E2F dépendante. Elle s’oppose également à l’apoptose, en déacétylant le facteur de transcription p53. Cette découverte portant sur l’effet des sirtuines sur la déacétylation d’une protéine nucléaire différente des histones est originale (il avait déjà été démontré que l’inhibition des histones déacétylases avait un effet bénéfique en modulant la kystogenèse au cours de deux modèles animaux, chez la souris [11] et le zebrafish [12]).

5. CONCLUSION ET PERSPECTIVES L’article commenté ici fait de la sirtuine 1 un coupable important de la kystogenèse rénale dans le contexte de déficit en Pkd1 chez la souris. Il démontre également tout l’intérêt de son inhibition pour retarder la kystogenèse, et cela même in utero. La vitamine B3 est le plus puissant inhibiteur de la sirtuine 1 connu à ce jour. Son utilisation étant dépourvue d’effets secondaires graves chez l’homme (en tout cas à court terme et en dessous de 3 grammes par jour, mais les doses utilisées ici chez la souris sont par comparaison très supérieures), il est probable que des essais cliniques seront lancés dans un proche avenir. Souhaitons qu’ils confirment les résultats obtenus chez la souris, et aussi que le bénéfice rénal de l’inhibition systémique et prolongée de la sirtuine 1 ne soit pas délétère aux patients.

DÉCLARATION D’INTÉRÊTS Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. RÉFÉRENCES [1] [2]

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