Annales de dermatologie et de vénéréologie (2014) 141, 215—218
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CAS CLINIQUE
Nécrolyse épidermique toxique au vemurafenib Vemurafenib-induced toxic epidermal necrolysis M. Wantz a,∗, I. Spanoudi-Kitrimi a, A. Lasek a, D. Lebas a, J.-F. Quinchon b, P. Modiano a a
Service de dermatologie, hôpital Saint-Vincent-de-Paul, GHICL, boulevard de Belfort, 59000 Lille, France b Service d’anatomopathologie, hôpital Saint-Vincent-de-Paul, GHICL, boulevard de Belfort, 59000 Lille, France Rec ¸u le 10 mai 2013 ; accepté le 29 octobre 2013 Disponible sur Internet le 14 d´ ecembre 2013
MOTS CLÉS Vemurafenib ; Nécrolyse épidermique toxique ; Syndrome de Lyell ; Mélanome
∗
Résumé Introduction. — Nous rapportons le premier cas de nécrolyse épidermique toxique (NET) survenue sous vemurafenib. Observation. — Une femme de 75 ans était traitée par vemurafenib pour un mélanome de stade IV porteur de la mutation BRAF V600E. Elle présentait brutalement de la fièvre, un érythème maculo-papuleux diffus prurigineux, un œdème palpébral, une bulle palmaire, une conjonctivite, une chéilite et des érosions muqueuses. L’évolution se faisait vers un décollement touchant 50 % de la surface cutanée. La biopsie cutanée montrait une dermatose lichénoïde, focalement vésiculeuse avec de nombreux polynucléaires éosinophiles. L’étude en immunofluorescence directe (IFD) était négative. Le vemurafenib était le seul médicament imputable. Nous concluions à une NET au vemurafenib. Discussion. — Il s’agit à notre connaissance du premier cas rapporté de NET au vemurafenib mais cet effet indésirable, quoique déjà décrit dans l’étude BRIM-3, semble rare en pratique clinique. Dans la littérature, d’autres réactions cutanées sévères ont été décrites. Parmi elles, un cas de syndrome de Stevens-Johnson chez une patiente sous vemurafenib, précédemment traitée par ipilimumab. De manière plus fréquente, les réactions cutanées à type d’efflorescence de lésions hyperkératosiques bénignes parfois accompagnées d’authentiques carcinomes épidermoïdes ou kératoacanthomes sont rapportées et justifient une surveillance cutanée régulière des patients traités par vemurafenib.
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (M. Wantz).
0151-9638/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2013.10.054
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M. Wantz et al. Conclusion. — Devant l’apparition d’un exanthème maculo-papuleux sous vemurafenib, la poursuite du traitement doit être réévaluée puisque le risque d’évolution plus grave, comme ici, une NET, n’est pas nul. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
KEYWORDS Vemurafenib; Toxic epidermal necrolysis; Lyell’s syndrome; Melanoma
Summary Background. — Herein we report the first case of toxic epidermal necrolysis (TEN) occurring with use of vemurafenib. Patients and methods. — A 75-year-old female patient was being treated with vemurafenib for stage IV melanoma with BRAF V600E mutation. She suddenly presented fever, diffuse pruriginous maculopapular erythema, palpebral edema, palmar bulla, conjunctivitis, cheilitis and mucosal ulceration. The condition progressed towards detachment affecting 50% of the skin area. Cutaneous biopsy revealed lichenoid dermatosis, chiefly vesicular with numerous eosinophils. Direct immunofluorescence (IFD) was negative. Vemurafenib was the only drug to which the reaction was ascribable and we concluded on vemurafenib-induced TEN. Discussion. — To our knowledge, this is the first reported case of vemurafenib-induced TEN, but this adverse effect, although already described in the BRIM-3 study, appears rare in clinical practice. Other severe skin reactions have been described in the literature. These include a case of Stevens-Johnson syndrome in a female patient treated with vemurafenib and previously receiving ipilimumab. A more common occurrence is cutaneous reactions involving efflorescence of benign hyperkeratotic lesions, occasionally accompanied by authentic epidermal carcinoma or keratoacanthoma, and requiring regular dermatological monitoring of patients treated with vemurafenib. Conclusion. — If maculopapular exanthema occurs under vemurafenib, continuation of this treatment should be reassessed since the risk of progression to a more serious condition such as TEN, as seen in the present case, cannot be ruled out. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Le vemurafenib est un inhibiteur sélectif de BRAF. Il est indiqué en monothérapie dans le traitement du mélanome non resécable ou métastatique porteur d’une mutation BRAF V600. Il est disponible depuis avril 2011 et a obtenu en février 2012 l’autorisation de mise sur le marché en France (AMM). Il représente une avancée majeure puisqu’il a permis un allongement de la survie globale des malades [1]. Ses effets indésirables cutanés sont fréquents et variés. Nous rapportons le premier cas, à notre connaissance, de nécrolyse épidermique toxique (NET) liée au vemurafenib.
Observation Une femme de 75 ans était traitée par vemurafenib (960 mg × 2/j) pour un mélanome de stade IV (métastases ganglionnaires, pulmonaires et hépatiques) porteur de la mutation BRAF V600E. Trois semaines après l’introduction du vemurafenib, elle présentait une altération de l’état général brutale et un exanthème généralisé. L’examen clinique trouvait une patiente asthénique et fébrile à 38,7 ◦ C. Il existait un érythème maculo-papuleux diffus, prurigineux, un œdème palpébral et une bulle palmaire. On notait aussi une atteinte des muqueuses avec une conjonctivite bilatérale, une chéilite et des érosions muqueuses. L’évolution se faisait rapidement vers un décollement cutané touchant 50 % de la surface cutanée, avec présence d’un signe de Nikolsky (Fig. 1 et 2). Les prélèvements sanguins montraient une hyperleucocytose (16 000/mm3 ) à neutrophiles (12 000/mm3 ) et éosinophiles (1300/mm3 ), une CRP augmentée à 123 mg/L, une cholestase biologique (taux de
gammaGT à 3 fois la normale et de phosphatases alcalines à 2 fois la normale) sans cytolyse, un taux de LDH augmenté à 967 UI/L. La fonction rénale et l’ionogramme sanguin étaient sans particularité. Une hémoculture était positive à Staphylococcus hominis. La biopsie cutanée, réalisée précocement, montrait une dermatose lichénoïde, focalement vésiculeuse avec de nombreux éosinophiles (Fig. 3). L’étude en immunofluorescence (IFD) directe était négative. Le vemurafenib était le seul médicament imputable trouvé à l’interrogatoire. Nous concluions à une nécrolyse épidermique toxique (NET) au vemurafenib. L’évolution était favorable avec l’arrêt du vemurafenib, une bi-antibiothérapie intraveineuse par oxacilline et gentamicine, une corticothérapie générale et des soins locaux. Une déclaration de pharmacovigilance était effectuée. Le vemurafenib était arrêté définitivement. Après réunion de concertation pluridisciplinaire, la décision d’une chimiothérapie par dacarbazine était prise, mais la malade décédait de l’évolution de son mélanome un mois plus tard.
Discussion Au vu de la chronologie, et en l’absence de toute autre cause, la responsabilité du vemurafenib dans la survenue de cette toxidermie est probable. Le score d’imputabilité relatif à ce cas était C2 S1 B3 selon la méthode d’imputabilité de Bégaud et al. [2]. Le diagnostic de NET était retenu. Le diagnostic d’hypersensibilité médicamenteuse à type de DRESS syndrome (Drug Reaction with Eosinophilia and Systemic Symptoms) était éliminé devant l’existence d’un
Nécrolyse épidermique toxique au vemurafenib
Figures 1 et 2.
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Exanthème maculo-papuleux, décollement cutané, chéilite.
décollement cutané, le faible taux d’hyperéosinophilie et l’absence de cytolyse hépatique. Il s’agit du premier cas rapporté de NET au vemurafenib et cet effet indésirable, quoique déjà décrit [3], semble rare en pratique clinique. Dans notre cas, c’est un exanthème maculo-papuleux initialement de grade de sévérité 3 qui a rapidement évolué vers une NET, imposant l’arrêt du traitement. Cependant, les exanthèmes maculo-papuleux sous vemurafenib sont fréquents mais rarement graves [3,4]. En fonction de la sévérité de l’éruption, le traitement peut être maintenu à la même dose, ou interrompu et repris à une moindre dose [3,4]. Il est
Figure 3. Présence d’un décollement bulleux sous-épidermique associé à quelques nécroses kératinocytaires et à un abondant infiltrat à éosinophiles, compatibles avec une toxidermie.
alors important de garder en mémoire qu’une aggravation reste possible, comme ici l’évolution vers une NET. Dans la littérature, d’autres réactions cutanées sévères ont été observées sous vemurafenib. Parmi elles, un cas de syndrome de Stevens-Johnson chez une patiente précédemment traitée par ipilimumab [5]. Contrairement à cette observation, notre patiente n’avait rec ¸u que le vemurafenib. Harding et al. ont constaté que les patients traités par ipilimumab dans le mois précédent l’introduction du vemurafenib étaient plus à risque de développer une toxidermie sévère. Ils ont suggéré que l’ipilimumab prédisposait aux réactions d’hypersensibilité cutanée de ce type sous vemurafenib [6]. D’autres effets indésirables cutanés sont plus fréquemment constatés sous vemurafenib, notamment les érythèmes diffus à type de kératose pilaire [3,4,7,8] et une photosensibilité [1,4,9,10]. Cette dernière, potentiellement sévère, justifie une photoprotection systématique des malades. Des réactions cutanées à type d’efflorescence de lésions hyperkératosiques bénignes (verrues, kératoses séborrhéiques, hyperkératose palmoplantaire. . .) sont rapportées [4,7,8,11,12], parfois accompagnées d’authentiques carcinomes épidermoïdes ou de kératoacanthomes [3,4,9,12]. Ces derniers surviennent chez plus de 20 % des sujets traités, dans un délai médian de 7 à 8 semaines [3,4,11,12]. Parmi les autres effets indésirables fréquents, on note le prurit et l’alopécie [1,4]. L’éruption de nævus [9] et l’apparition de mélanomes secondaires ont aussi été décrits [13]. Des cas de panniculite [4,14,15] et des dermatoses acantholytiques [16] ont été rapportés. Le cas présenté est, à notre connaissance, le premier cas rapporté de NET au vemurafenib. Au vu de la fréquence des effets indésirables cutanés et de leur potentielle gravité,
218 une surveillance cutanée attentive mensuelle ainsi qu’une information aux malades paraissent nécessaires. En conclusion, cette observation rappelle qu’en cas d’apparition d’un exanthème maculo-papuleux sous vemurafenib, la poursuite du traitement doit être réévaluée puisque le risque d’évolution plus grave, comme ici, une NET, n’est pas nul.
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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