Journal français d’ophtalmologie (2015) 38, e163—e166

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

LETTRE À L’ÉDITEUR Uvéite associée à un syndrome néphrotique : manifestations initiales de syphilis secondaire夽 Uveitis associated with nephrotic syndrome: Initial manifestations of secondary syphilis Introduction La syphilis est une infection sexuellement transmissible due à Treponema pallidum [1] dont l’histoire naturelle de la maladie est stéréotypée avec une évolution en trois phases : primaire (chancre), secondaire (septicémie tréponémique) et tertiaire (complications neurologiques et cardiovasculaires). Rare dans les pays industrialisés au cours des années 1990, une recrudescence est observée depuis 2000 en France où sa prévalence a été multipliée par six entre 1998 et 2001 [2] ; le même phénomène a pu être observé dans le reste de l’Europe. Elle présente un grand polymorphisme clinique, qui lui vaut le nom de « grande simulatrice », et explique les difficultés diagnostiques rencontrées [3]. L’ophtalmologiste est lui aussi confronté a des uvéites syphilitiques plus fréquentes [4], et doit savoir évoquer ce diagnostic. Nous rapportons le cas d’un homme de 43 ans présentant une choriorétinite bilatérale associée à un syndrome néphrotique secondaire à une syphilis secondaire. Observation Un homme de 43 ans était adressé à la consultation d’urgence ophtalmologique du CHU de Clermont-Ferrand par son ophtalmologiste pour une choriorétinite bilatérale. À l’interrogatoire, ce patient, sans antécédent particulier, rapportait une altération de l’état général depuis un an, une baisse d’acuité visuelle bilatérale depuis 3 semaines ainsi qu’un œdème des membres inférieurs depuis 10 jours. L’examen retrouvait une acuité visuelle à 6/10 à gauche et une absence de perception lumineuse à droite. Le segment antérieur ainsi que le tonus oculaire étaient normaux des deux côtés. Le fond d’œil retrouvait des lésions de choriorétinite de l’ensemble du pôle postérieur à droite et en inter-papillo-maculaire à gauche. Lors de la consultation, on notait un œdème des membres inférieurs bilatéral, symétrique, prenant le godet. L’angiographie à la fluorescéine mettait en évidence des plaques choroïdiennes bilatérales



Cette lettre à lettre est issue d’un e-poster présenté au 120e congrès annuel de la Société franc ¸aise d’ophtalmologie.

correspondant à celles observées au fond d’œil associées à une papillite bilatérale (Fig. 1). La sérologie syphilitique retrouvait : TPHA = 32U ; VDRL = 5140U. La ponction lombaire permettait de mettre en évidence une sérologie syphilitique positive dans le liquide céphalorachidien (LCR) ainsi qu’une méningite lymphocytaire. Le bilan ne retrouvait aucune autre co-infection. Il n’existait aucune notion de contage. Le bilan rénal montrait un syndrome néphrotique avec une protéinurie à 3,5 g/24 h, une protéinémie à 52 g/L et une albuminémie à 15,6 g/L. La ponction biopsie rénale mettait en évidence des lésions de glomérulonéphrite extramembraneuse de stade I (Fig. 2). La prise en charge était menée en collaboration avec les médecins infectiologues et néphrologues : un traitement de neurosyphilis par pénicilline G intraveineuse pendant 14 jours associé à une corticothérapie orale en prévention de la réaction d’Herxheimer était instauré. Le traitement symptomatique du syndrome néphrotique consistait en la prescription de diurétiques ainsi qu’une anticoagulation efficace par antivitamine K. L’évolution sous traitement était rapidement favorable avec une réponse partielle du syndrome néphrotique dès le 15e jour de traitement (protéinurie à 0,7 g/24 h et albuminémie à 22,5 g/L) et une réponse complète lors de sa réévaluation à 3 mois (disparition des œdèmes des membres inférieurs, protéinurie à 0,15 g/24 h ; albuminémie à 35 g/L). À 6 mois on notait une disparition complète des plaques syphilitiques avec toutefois une atrophie de l’épithélium pigmentaire séquellaire (Fig. 3) et une amélioration de l’acuité visuelle à VBLM à droite et 10/10 P2 à gauche. Discussion Parallèlement à la recrudescence de la syphilis diagnostiquée dans les différents services de spécialité d’un centre hospitalier universitaire, une augmentation des atteintes ophtalmologiques a été constatée [4], et les ophtalmologistes sont les seconds spécialistes après les infectiologues à mettre en évidence la maladie. Les manifestations cliniques ophtalmologiques sont extrêmement variées, ce qui justifie la recherche d’une syphilis devant toute uvéite sans étiologie évidente. Ces manifestations surviennent le plus souvent à la phase de syphilis secondaire ou tertiaire [5,6]. Les atteintes antérieures ou intermédiaires sont possibles mais l’atteinte postérieures est la plus fréquente [7,8] avec en particulier la choriorétinite aiguë postérieure en plaque ou acute syphilitic posterior placoid chorioretinitis (ASPPC) [9], ou encore la survenue d’une papillite [4]. L’ASPPC correspond à une infection de l’épithélium pigmentaire par Treponema pallidum [9,10]. À l’examen du fond d’œil, elle

e164

Lettre à l’éditeur

Figure 1. Clichés tardifs d’angiographie à la fluorescéine : volumineuse plaque choroïdienne englobant l’ensemble du pole postérieur de l’œil droit et plaque inter-papillo-maculaire au niveau de l’œil gauche.

Figure 2. Clichés anatomopathologiques de la ponction biopsie rénale. A. Membranes basales glomérulaires épaissies à l’imprégnation argentique Maronozzi (× 600). B. Dépôts granuleux extramembraneux avec les sérums anti-IgG, antiC3 et antichaînes légères kappa et lambda en immunohistochimie (× 600).

Figure 3. Rétinophotographies (en haut) et clichés tardifs d’angiographie à la fluorescéine (en bas) : disparition des plaques choroïdiennes à droite et à gauche, remaniements de l’épithélium pigmentaire prédominant à droite.

Lettre à l’éditeur Tableau 1

Principaux syndromes oculo-rénaux.

Syndromes Maladies auto-immune Maladie de Behc ¸et

Sarcoïdose

Vascularites systémiques Granulomatose avec périartérite Granulomatose éosinophilique Maladies infectieuses Syphilis Tuberculose TINU Sd

e165

Atteinte ophtalmique

Atteinte rénale

Uvéite postérieure, vascularite, occlusions vasculaires, uvéites antérieures à hypopion Uvéite granulomateuse tous segments

Glomérulonéphrite proliférante, amyloïdose rénale

Conjonctivite, épisclérite, sclérite, inflammation orbitaire Conjonctivite, épisclérite, sclérite, inflammation orbitaire

Glomérulonéphrite progressive nécrosante

ASPPC, papillite, uvéite tous segments Uvéite granulomateuse tous segments Uvéite antérieure

Glomérulonéphrite membraneuse

Atteinte granulomateuse du segment tubulo-interstitiel du rein ± glomérulonéphrite

Néphrite interstitielle diffuse ou focale

Granulome rénaux et nécrose papillaire Néphrite interstitielle : protéinurie, hématurie, cylindres hyalins

ASPPC : acute syphilitic posterior placoid chorioretinitis ; TINU Sd : tubulo-interstitial nephritis and uveitis syndrome.

se manifeste par une lésion placoïde jaunâtre localisée au niveau du pôle postérieur et se manifeste par une hypofluorescence précoce et une hyperfluorescence tardive à l’angiographie à la fluorescéine [10]. La faible récupération visuelle au niveau de l’œil droit de notre patient montre à quel point les lésions d’ASPPC, lorsqu’elles sont étendues et prises en charge tardivement, peuvent évoluer vers l’atrophie de l’épithélium pigmentaire et une basse vision [11]. Les atteintes ophtalmologiques sont le plus souvent isolées, mais dans 20 % des cas il existe une association à d’autres atteintes symptomatiques [4], dans le cas de ce patient il s’agissait d’une atteinte rénale glomérulaire. Les syndromes oculo-rénaux acquis à évoquer devant ce tableau sont avant tout la maladie de Lyme et le syndrome d’immunodéficience aquise (sida). La maladie de Lyme peut en effet se manifester par une uvéite pouvant toucher tous les segments ainsi qu’une glomérulonéphrite membranoproliférative [12—14]. L’infection par le VIH doit aussi être recherchée car au stade du sida, on peut retrouver une rétinite virale à Herpesviridae associée à un syndrome néphrotique [14]. D’autres syndromes oculo-rénaux acquis peuvent être discutés : sarcoïdose, maladie de Behc ¸et, tuberculose, périartérite noueuse et tubulo-interstitial nephritis and uveitis syndrome (TINU syndrome) (Tableau 1) [14]. Contrairement à l’atteinte oculaire, l’atteinte rénale n’est pas liée à une conséquence directe de l’infection du tissu rénal mais aux dépôts d’immuns-complexes formés à partir d’antigènes du tréponème contre lesquels sont dirigés des anticorps. On ne sait si ces complexes sont formés sur le site du dépôt ou s’il s’agit de complexes sériques qui se déposent secondairement.

Néanmoins ce modèle de GEM est particulièrement intéressant du fait de la rapidité de la réponse rénale inhabituelle dans les GEM primitives [15,16]. Ces mécanismes d’atteinte opposés entre l’œil et le rein expliquent la réponse rénale très favorable alors que des séquelles ophtalmiques persistaient. La prise en charge de l’uvéite syphilitique n’est pas consensuelle alors qu’elle est bien codifiée [7] : dans la mesure où l’œil est un organe « sanctuaire », où la pénétration des traitements est réduite, les traitements intraveineux prolongés sont à privilégier [17—19]. Pour cette raison, les recommandations de traitement des maladies sexuellement transmissibles de 2010 incitent à traiter tous les patients atteints d’une uvéite syphilitique de la même fac ¸on que les neurosyphilis par pénicilline G intraveineuse à la posologie de 18 à 24 millions d’unités par jour durant 10 à 14 jours. L’utilisation d’autres antibiotiques comme les céphalosporines n’est pas recommandée. Les corticoïdes ne doivent pas être utilisés avant la mise en route d’une antibiothérapie en raison d’un risque d’aggravation due à leur action immunosuppressive, en revanche ils peuvent être utiles après instauration d’une antibiothérapie pour contrôler l’inflammation [20] et prévenir ou traiter la réaction de Jarisch-Herxheimer [21] due à la lyse des spirochète suite à l’instauration de l’antibiothérapie. Conclusion Ce cas illustre le polymorphisme clinique de la syphilis, qui peut parfois se présenter sous forme d’un syndrome oculo-rénal. Depuis une dizaine d’années, la syphilis connaît une recrudescence et toutes les spécialités sont touchées.

e166 L’ophtalmologiste est en première ligne et ne doit pas méconnaître cette pathologie, son diagnostic devant être évoqué devant chaque inflammation oculaire sans étiologie évidente afin d’éviter des complications pouvant être dramatiques. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt en relation avec cet article. Références [1] Thorburn AL. Fritz Richard Schaudinn, 1871—1906: protozoologist of syphilis. B J Vener Dis 1971;47:459—61. [2] Parc CE, Chahed S, Patel SV, Salmon-Ceron D. Manifestations and treatment of ocular syphilis during an epidemic in France. Sex Transm Dis 2007;34:553—6. [3] Peeling RW, Hook 3rd EW. The pathogenesis of syphilis: the Great Mimicker, revisited. J Pathol 2006;208:224—32. [4] Bonnin N, Laurichesse H, Beytout J, Mrozek N, Lesens O, Andre M, et al. Ophthalmologists play a key role in the management of syphilis presenting with ocular involvement. Acta Ophthalmol 2013. [5] Aldave AJ, King JA, Cunningham Jr ET. Ocular syphilis. Curr Opin Ophthalmol 2001;12:433—41. [6] Browning DJ. Posterior segment manifestations of active ocular syphilis, their response to a neurosyphilis regimen of penicillin therapy, and the influence of human immunodeficiency virus status on response. Ophthalmology 2000;107:2015—23. [7] Amaratunge BC, Camuglia JE, Hall AJ. Syphilitic uveitis: a review of clinical manifestations and treatment outcomes of syphilitic uveitis in human immunodeficiency virus-positive and negative patients. Clin Experiment Ophthalmol 2010;38:68—74. [8] Schwartz GS, Harrison AR, Holland EJ. Etiology of immune stromal (interstitial) keratitis. Cornea 1998;17:278—81. [9] Gass JD, Braunstein RA, Chenoweth RG. Acute syphilitic posterior placoid chorioretinitis. Ophthalmology 1990;97:1288—97. [10] Chen J, Lee L. Posterior placoid chorioretinitis: an unusual ocular manifestation of syphilis. Clin Ophthalmol 2008;2:669—73. [11] Muldoon EG, Hogan A, Kilmartin D, McNally C, Bergin C. Syphilis consequences and implications in delayed diagnosis: five cases of secondary syphilis presenting with ocular symptoms. Sex Transm Infect 2010;86:512—3. [12] Steere AC. Lyme disease. N Engl J Med 1989;321:586—96. [13] Kirmizis D, Efstratiadis G, Economidou D, Diza-Mataftsi E, Leontsini M, Memmos D. MPGN secondary to Lyme disease. Am J Kidney Dis 2004;43:544—51.

Lettre à l’éditeur [14] Regenbogen L. Oeil et rein. In: EMC Néphrologie. Paris: Elsevier Masson; 1995 [18-059-B-10]. [15] Tourville DR, Byrd LH, Kim DU, Zajd D, Lee I, Reichman LB, et al. Treponemal antigen in immunopathogenesis of syphilitic glomerulonephritis. Am J Pathol 1976;82:479—92. [16] Ponticelli C. Membranous nephropathy. J Nephrol 2007;20: 268—87. [17] Barza M, Kane A, Baum J. Ocular penetration of subconjunctival oxacillin, methicillin, and cefazolin in rabbits with staphylococcal endophthalmitis. J Infect Dis 1982;145:899—903. [18] Miyao M, Tazawa H, Motoyama M, Suzuki A, Ooishi M. Intraocular penetration of current antibiotics. Nihon Ganka Gakkai Zasshi 1993;97:318—23. [19] Schechter RJ. Systemic antibiotics for use in ocular infections—penicillin-resistant Staphylococcus. Ann Ophthalmol 1978;10:422—6. [20] Levy JH, Liss RA, Maguire AM. Neurosyphilis and ocular syphilis in patients with concurrent human immunodeficiency virus infection. Retina 1989;9:175—80. [21] Danesh-Meyer H, Kubis KC, Sergott RC. Not so slowly progressive visual loss. Surv Ophthalmol 1999;44:247—52.

O. Bons a , N. Bonnin a,∗,b , F. Bacin a , J. Albaret c , A. Tiple c , A.E. Heng c , J.L. Kemeny d , F. Chiambaretta a,b a

RMND-M2O pole, ophthalmology department, Clermont-Ferrand university hospital, 58, rue Montalembert, 63003 Clermont-Ferrand cedex, France b EA 7281 R2D2, biochemistry laboratory, medicine faculty, Auvergne university, 58, rue Montalembert, 63003 Clermont-Ferrand cedex, France c RHEUNNIRS pole, nephrology department, Clermont-Ferrand university hospital, 58, rue Montalembert, 63003 Clermont-Ferrand cedex, France d Biology pole, pathology department, Clermont-Ferrand university hospital, 58, rue Montalembert, 63003 Clermont-Ferrand cedex, France ∗ Auteur

correspondant.

Adresse e-mail : [email protected] (N. Bonnin) Disponible sur Internet le 3 juillet 2015 http://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2014.07.015 0181-5512/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

[Uveitis associated with nephrotic syndrome: Initial manifestations of secondary syphilis].

[Uveitis associated with nephrotic syndrome: Initial manifestations of secondary syphilis]. - PDF Download Free
1003KB Sizes 0 Downloads 23 Views