Annales de dermatologie et de vénéréologie (2014) 141, 86—88

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

NOTE DE PHARMACOVIGILANCE

Modification involontaire de la composition d’un médicament couramment employé en dermatologie sous l’effet du récipient utilisé pour le transvaser Unintended changes in the composition of a drug commonly used in dermatology caused by its container E. Cinotti a, J.-L. Perrot a, I. Maréchal a,b, A. Boukenter c, Y. Ouerdane c, A. Ranchon d, M. Lefèvre e, C. Guy f, C. Rigamonti a, B. Labeille a,∗, F. Cambazard a a

Service de dermatologie, hôpital Nord, CHU, 42055 Saint-Étienne cedex 2, France Service de pharmacie, hôpital Nord, CHU, 42055 Saint-Étienne cedex 2, France c CNRS UMR-5516, laboratoire Hubert-Curien, university of St-Étienne, 18, rue du Professeur-Benoît-Lauras, 42000 Saint-Étienne, France d Maison de retraite de la Loire, 11, route de Chambles, 42170 Saint-Just-Saint-Rambert, France e Agence régionale de santé de la Loire, 129, rue Servient, 69003 Lyon, France f Service de pharmacovigilance, hôpital Nord, CHU, 42055 Saint-Étienne cedex 2, France b

Rec ¸u le 18 avril 2013 ; accepté le 28 juin 2013 Disponible sur Internet le 8 octobre 2013

La gale est une maladie parasitaire qui a actuellement une recrudescence en France. Le traitement topique le plus utilisé est une lotion à base de benzoate de benzyle, sulfirame, alcool éthylique, polysorbate et eau (Ascabiol® , Zambon, France). Ce médicament est contenu dans un flacon à col étroit et normalement, il est transvasé dans un autre récipient pour permettre l’utilisation d’un pinceau large pour une application sur presque toute la surface cutanée.



Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (B. Labeille).

Matériel et méthode Pour transvaser ce médicament, les infirmières de notre service de sermatologie se servent d’un récipient en plastique jetable. Nous avons pu observer que ce produit laissé dans un tel récipient quelques heures entraîne une dégradation de celui-ci (Fig. 1). Nous avons analysé par spectroscopie Raman la composition chimique d’une coupelle en plastique habituellement utilisée pour mettre l’Ascabiol® , la composition de l’Ascabiol® laissé dans ce récipient en plastique pendant 24 heures et la composition de l’Ascabiol® directement prélevé de son flacon. Nous avons constaté des traces

0151-9638/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2013.06.009

Modification involontaire de la composition d’un médicament

Figure 1.

Récipient en polystyrène dégradé par l’Ascabiol® .

de la dissolution de la coupelle dans l’Ascabiol® laissé 24 heures dans cette dernière. Sur l’ensemble du spectre Raman, on observe trois bandes de vibrations dans la solution d’Ascabiol® provenant du spectre de la coupelle à 2609, 3168 et 3205 cm, démontrant une interaction entre l’Ascabiol® et la coupelle (Fig. 2). Le récipient en plastique utilisé dans notre hôpital était en polystyrène dur, ce qui est le cas de la majorité des récipients plastiques jetables, tandis que le flacon où est contenu normalement le médicament est d’une autre matière plastique, le polyéthylène haute densité. On envisage l’hypothèse que le benzoate de benzyle soit le composant de l’Ascabiol® qui interagit avec les matériaux plastiques car c’est un produit très réactif. On ne sait pas si des composants toxiques peuvent être libérés dans ces réactions.

87 Ni sur l’emballage du produit, ni sur la notice jointe, ni dans le dictionnaire thérapeutique Vidal ne sont détaillées les précautions d’utilisation de la manipulation du produit. L’utilisation du pinceau est recommandée pour l’application cutanée mais le type de récipient dans lequel le produit du flacon doit être transvasé n’est pas spécifié. Ce médicament est vendu dans plusieurs pays. Les notices anglaises spécifient que la lotion peut abîmer le plastique et qu’il faut donc faire attention à ne pas appliquer la lotion sur de telles surfaces. Nous avons ensuite distribué des questionnaires à 35 dermatologues de notre région à l’occasion d’une réunion de FMC pour leur demander s’ils donnaient des consignes précises aux patients concernant l’application du produit. Trente-trois ne donnaient aucune consigne pour son application, un précisait qu’il fallait le transvaser dans un récipient à usage unique et un autre précisait que ce récipient devait être en plastique. Une enquête de pratique menée au moyen d’un questionnaire a été effectuée auprès des infirmières du service de dermatologie du CHU de SaintÉtienne et de la Maison de retraite de la Loire, par leur cadre de santé, en demandant à celles qui avaient appliqué le produit au moins une fois au cours du mois précédent de préciser dans quel type de récipient elles mettaient le produit. Sur les 20 infirmières répondant aux critères, toutes transvasaient le produit dans un récipient qui pouvait être en plastique (cité 15 fois), en verre (cité 4 fois) ou en métal (cité 4 fois). Personne n’avait eu d’information concernant la nature du récipient où recueillir le produit. La durée moyenne pendant laquelle le produit était gardé dans le récipient était supérieure à 15 minutes pour 19 des infirmières interrogées. Une seule infirmière déclarait avoir aussi utilisé le produit directement à partir du

Figure 2. Spectre Raman de la solution d’Ascabiol® provenant du récipient en polyétilène haute densité (rouge) comparé avec le spectre de l’Ascabiol® pur (noir) et le spectre du récipient (bleu). On observe trois bandes de vibrations dans la solution d’Ascabiol® provenant du spectre du récipient à 2609, 3168 et 3205 cm (étoiles). Ces bandes ne sont pas présentes dans le spectre Raman de l’Ascabiol® directement prélevé de son récipient en polyétilène haute densité et indiquent la présence de matériel plastique dans la solution.

88 flacon grâce un petit pinceau trempé directement dans le flacon.

Discussion Dans notre pratique clinique, nous avons observé que l’Ascabiol® nécessite l’utilisation d’un deuxième récipient pour être appliqué à l’aide d’un pinceau large. Selon l’enquête clinique que nous avons effectuée, les médecins ne donnent pas de consignes précises concernant l’application de ce produit aux patients. Les infirmières utilisent, dans la majorité des cas, un récipient en plastique car il est jetable. Par ailleurs, le produit dégrade le récipient en plastique. Une analyse Raman a été effectuée sur l’Ascabiol® mis en contact avec la coupelle en plastique pendant 24 heures. La spectroscopie Raman est une technique qui analyse la composition chimique des matériaux et qui est basée sur la détection des vibrations moléculaires. Elle analyse le rayonnement diffusé résultant de l’interaction entre une source de lumière monochromatique incidente et les molécules du milieu à étudier. L’échange d’énergie entre le faisceau de lumière incident et le milieu traversé entraîne une modification de la longueur d’onde de la lumière diffusée (effet Raman) qui est caractéristique et qui se traduit par un spectre du matériel étudié [1]. L’analyse Raman a confirmé l’interaction entre l’Ascabiol® et le plastique de type polystyrène dur qui est le composant majoritaire des récipients plastiques jetables. Le délai d’apparition des produits libérés par la dégradation du plastique en contact avec l’Ascabiol® est au maximum de 24 heures (délai de réalisation de notre analyse), mais nous n’avons pas conduit des études de cinétique qui permettraient de préciser le délai minimum de la première interaction détectable, études lourdes de mise en œuvre. Toutefois on a constaté un ramollissement du récipient en plastique dès la sixième heure de contact avec l’Ascabiol® . Nous ne savons pas si une interaction entre Ascabiol® et récipient peut se produire en quelques minutes, délai habituel avant l’application de l’Ascabiol® sur la peau du patient. Il est en effet peut-être

E. Cinotti et al. possible d’éviter la dégradation du plastique en limitant la durée de contact et des études spécifiques pourraient préciser le délai de dégradation du plastique. Avant de disposer de telles données, et comme nous n’avons pas d’informations sur la toxicité éventuelle des produits libérés lors de la dégradation du récipient, nous recommandons par précaution l’utilisation d’un récipient inerte comme le verre qui n’aura pas d’interactions avec cette lotion. Suite à notre observation, une déclaration de pharmacovigilance a été faite auprès du centre régional de pharmacovigilance de Saint-Étienne (CRPV SE) le 22 octobre 2012 (déclaration numéro SE 1200577). Un courrier a été envoyé par le CRPV SE à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), ce qui a motivé une discussion au comité technique de pharmacovigilance le 4 décembre 2012. Ce dossier reste en cours de traitement par l’ANSM en date du 19 juin 2013. Le laboratoire Zambon commercialisant l’Ascabiol® a été averti par courrier et téléphone. Cette démarche de pharmacovigilance permettra que cette précaution soit rajoutée sur la notice du produit franc ¸ais comme il a déjà été recommandé dans d’autres pays. En attendant la modification de la notice, nous recommandons que les prescripteurs et les pharmaciens expliquent aux patients et aux infirmières les modalités d’utilisation d’Ascabiol® en précisant de plus qu’il est préférable d’utiliser rapidement, voire en extemporané, la lotion transvasée dans un récipient inerte.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Référence [1] Schrader B. Infrared and Raman spectroscopy. New York: VCH Publishers Inc.; 1995.

[Unintended changes in the composition of a drug commonly used in dermatology caused by its container].

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