Gynécologie Obstétrique & Fertilité 42 (2014) 444–447

CAS CLINIQUE

Gigantomastie unilatérale gravidique : à propos d’un cas d’hamartome géant Unilateral gigantomastia of pregnancy: Case-report of a giant breast hamartoma F. Kuhn-Beck a,*, L. Foessel b, M.-F. Bretz-Grenier b, C. Youssef Akladios c, C. Mathelin a a

Unité de sénologie, hôpital de Hautepierre, CHRU de Strasbourg, avenue Molière, 67200 Strasbourg cedex, France Unité d’imagerie mammaire, hôpital de Hautepierre, CHRU de Strasbourg, avenue Molière, 67200 Strasbourg cedex, France c Unité de chirurgie gynécologique, hôpital de Hautepierre, CHRU de Strasbourg, avenue Molière, 67200 Strasbourg cedex, France b

Reçu le 15 février 2013 ; accepté le 8 janvier 2014 Disponible sur Internet le 20 mai 2014

Résumé L’hamartome du sein est une tumeur bénigne composée de tissu adipeux, fibreux et glandulaire. Nous décrivons le cas exceptionnel d’une jeune femme opérée à 19 semaines de grossesse d’une gigantomastie unilatérale secondaire à la croissance rapide d’un hamartome géant survenu lors de sa deuxième grossesse. La démarche diagnostique a consisté en un examen clinique et échographique suivi de biopsies multiples. La décision opératoire a été retenue devant la menace de l’intégrité cutanée et le risque d’infarcissement. Notre observation détaille les principales tumeurs bénignes gravidiques, les modalités de l’imagerie et les particularités de la chirurgie mammaire chez la femme enceinte. ß 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Breast hamartoma is a benign tumour consisting of fat, fibrous and glandular tissue. A young woman in her 19th week of pregnancy underwent exceptional surgery for a unilateral gigantomastia secondary to a rapid-growth giant hamartoma during her second pregnancy. Rigourous clinical and ultrasonographic examinations were performed followed by multiple biopsies. The decision to perform surgery was guided by the risk to skin integrity and of tumour infarct. Our report provides detailed information on gestational benign breast tumours, on the specificities of medical imaging and breast surgery in pregnant patients. ß 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Mots clés : Gigantomastie gravidique ; Grossesse ; Hamartome ; Sein ; Tumeur bénigne Keywords: Benign tumors; Breast; Gigantomastia complicating pregnancy; Hamartoma; Pregnancy

1. INTRODUCTION

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F. Kuhn-Beck), [email protected] (C. Mathelin).

Toute masse mammaire suspecte de malignité nécessite la réalisation d’une imagerie et de microprélèvements. Notre observation relate le cas d’une jeune femme opérée à la 19e semaine de sa deuxième grossesse d’une gigantomastie unilatérale secondaire à la croissance d’un hamartome, tumeur

1297-9589/$ see front matter ß 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. http://dx.doi.org/10.1016/j.gyobfe.2014.01.017

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rare du sein, en détaillant les modalités d’imagerie et les particularités de la chirurgie chez la femme enceinte. 2. OBSERVATION Une patiente de 26 ans, sans antécédents particuliers en dehors d’une première grossesse normale suivie d’une année d’allaitement, a présenté une gigantomastie droite à 17 semaines d’une seconde grossesse d’évolution normale (Fig. 1). L’apparition de cette asymétrie a été progressive depuis la fin du premier trimestre de la grossesse. L’examen clinique mettait en évidence une tuméfaction de 12 cm de grand axe à l’union des quadrants externes du sein droit sans écoulement associé. Cette masse était à l’origine d’une mastodynie et de dorsalgies invalidantes. L’échographie mammaire retrouvait une image lacunaire à limites nettes, à grand axe horizontal, hétérogène et mesurant 12  10  4 cm (Fig. 2). Ses caractéristiques permettaient d’évoquer une lésion fibro-épithéliale ou un hamartome. Nous n’avons pas retenu l’indication d’une mammographie ni d’une IRM mammaire en raison de la grossesse. En revanche, dix microbiopsies étagées explorant l’ensemble du volume tumoral ont été réalisées. Toutes les biopsies étaient en faveur d’un tissu mammaire normal permettant de suspecter le diagnostic d’hamartome. Une surveillance hebdomadaire a été instaurée : à 19 semaines de grossesse l’asymétrie mammaire s’était accentuée, la lésion mesurait 16  11  4 cm en échographie. La cinétique de croissance menaçant l’intégrité de l’étui cutané, l’indication opératoire a été retenue. Une chirurgie conservatrice par voie périaréolaire avec énucléation de la lésion a été réalisée (Fig. 3).

Fig. 2. Aspect échographique de l’hamartome à 19 semaines de grossesse. Il faut noter les contours réguliers, l’aspect hypoéchogène et le grand axe horizontal de la lésion mesurant 12  10  4 cm.

Fig. 3. Vue peropératoire de l’exérèse de l’hamartome par voie périaréolaire à 19 semaines de grossesse. Il faut souligner l’aspect bien limité et encapsulé de la lésion.

Fig. 1. Présentation clinique de l’hamartome à 17 semaines de grossesse. La comparaison des deux seins permet d’objectiver l’hypertrophie mammaire droite.

Fig. 4. Pièce opératoire entière (a) : il s’agit d’une lésion ovalaire bien limitée de 16  13  4 cm, les flèches indiquent les stigmates des microbiopsies antérieures. Pièce opératoire coupée en deux dans le sens de son grand axe (b) : il s’agit d’une lésion tout à fait homogène sans accident hémorragique ni nécrotique (en dehors des stigmates des microbiopsies antérieures).

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Fig. 5. Présentation clinique huit jours après l’intervention (a). La comparaison des deux seins permet d’objectiver la restauration de la symétrie mammaire. Présentation clinique huit jours après l’intervention (b) : la flèche désigne la cicatrice périaréolaire, les fils sont encore présents.

La pièce opératoire, de 540 grammes, a été adressée en examen macro- et microscopique extemporanés confirmant le diagnostic d’hamartome (Fig. 4a et b). L’hémostase du lit tumoral a été soigneuse et un drainage a été mis en place. À l’issu immédiate de la chirurgie, la glande a retrouvé un volume normal, le sein restant venant combler spontanément la zone d’exérèse (Fig. 5a et b). L’examen histologique définitif a confirmé le diagnostic d’hamartome. L’évolution postopératoire à 7 mois de grossesse était favorable sans récidive avec une cicatrisation parfaite. 3. DISCUSSION Notre observation illustre la prise en charge d’une tumeur mammaire bénigne gravidique. Deux étapes sont fondamentales : une démarche diagnostique rigoureuse (associant un examen clinique méticuleux, une imagerie et des microprélèvements) et un suivi clinique rapproché, l’évolution des tumeurs gravidiques pouvant s’accompagner de nécrose ou de croissance exceptionnellement rapide. 3.1. Particularités de l’imagerie mammaire pendant la grossesse L’échographie mammaire est l’examen de diagnostic radiologique de première intention dans l’exploration des lésions du sein gravide [1]. Elle permet de préciser les contours et le contenu des tumeurs découvertes pendant la grossesse. Le tissu mammaire gravide normal est hypoéchogène en raison de l’accroissement du tissu fibroglandulaire. Cet examen permet secondairement de diriger les prélèvements cytologiques ou micro-biopsiques qui restent possibles pendant la grossesse : une compression mammaire est ensuite indispensable pour éviter les fistules laiteuses et les hématomes plus fréquents en raison de l’hypervascularisation gravidique [2,3]. Le cytopathologiste doit

être informé de la grossesse et de son terme pour éviter une interprétation erronée des modifications gravidiques (mitoses plus nombreuses, cellules lactantes). La mammographie réalisée en seconde intention peut être d’interprétation difficile, car le tissu adipeux est réduit et le tissu glandulaire gravide apparaît souvent très dense avec des opacités hétérogènes nodulaires et confluentes. La protection fœtale par tablier plombé permet une irradiation négligeable de 0,3 mGy pour une mammographie en double incidence [1]. Il est cependant recommandé de limiter ses indications lors du premier trimestre de grossesse. Elle ne doit être réalisée que si l’échographie ne permet pas de conclure ou devant une lésion calcifiée ou des microcalcifications [1]. Concernant l’imagerie par IRM, il n’y a pas à ce jour de preuve d’un effet néfaste sur le fœtus de l’usage des champs magnétiques ou du gadolinium passant la barrière placentaire [4]. Cependant l’American College of Radiology ne recommande pas l’utilisation de l’IRM mammaire en cours de grossesse car le rapport bénéfice/risque n’est pas démontré [3–5]. De plus, l’IRM est d’interprétation difficile en raison notamment de prises de contraste importantes et diffuses aspécifiques liées à l’état d’hypervascularisation de la glande gravide [4]. 3.2. Principales tumeurs mammaires bénignes gravidiques La gigantomastie gravidique est une pathologie exceptionnelle [6,7]. Elle se traduit par un développement hypertrophique de la glande mammaire généralement bilatéral, pouvant survenir chez une primigeste ou une multipare et peut récidiver lors des grossesses successives. D’augmentation progressive, elle apparaît généralement à la fin du premier trimestre et se stabilise ou régresse en période post-natale. La gêne liée au poids des seins et à la tension cutanée est constante. En cas de croissance extrême, la peau recouvrant le sein peut s’ulcérer et

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être à l’origine de complications septiques. Différents traitements sont possibles. La bromocriptine paraît quelquefois utile. En cas de rupture de l’étui cutané une réduction chirurgicale d’urgence est indiquée pouvant aller jusqu’à la mammectomie dans des cas d’exceptionnelle gravité [8]. Le lymphome mammaire bilatéral en est le principal diagnostic différentiel [9]. Une gigantomastie gravidique unilatérale, comme nous l’avons observée, est généralement secondaire à la croissance d’une lésion bénigne sous l’effet des modifications hormonales de la grossesse. Les mécanismes en cause dans l’augmentation de taille de l’hamartome lors de la deuxième grossesse de notre patiente ne sont pas élucidés. En effet, aucune asymétrie mammaire n’avait été notée lors de la première grossesse. Les mécanismes d’apoptose après la première grossesse, les modifications du stroma et de la réceptivité hormonale liées à l’allaitement prolongé antérieur peuvent avoir modifié l’hormonodépendance de l’hamartome [10]. Les principales tumeurs décrites pendant la grossesse sont l’adénome lactant, le fibroadénome et l’hamartome. Celui-ci, observé à tout âge, est généralement limité par une capsule fibreuse périphérique et reproduit le tissu mammaire normal, d’où son appellation « sein dans le sein ». Il est d’autant plus mou qu’il contient du tissu adipeux. Bien que son aspect mammographique soit pathognomonique, la mammographie n’est pas réalisée en première intention pendant la grossesse. L’échographie, comme c’est le cas dans notre observation, suggère le diagnostic en présence de tissu mammaire encapsulé. En revanche, le diagnostic de certitude est difficile sur les biopsies guidées car la lésion est formée de tissu mammaire normal et la capsule caractéristique, est généralement absente des carottes biopsiques. Lorsqu’une gigantomastie est associée à la croissance d’une tumeur mammaire, outre le risque de rupture de l’étui cutané, on peut exceptionnellement observer un infarcissement tumoral. Il survient généralement au troisième trimestre de grossesse ou dans le post-partum et serait lié à une thrombose ou une insuffisance vasculaire [11]. Il se présente sous la forme de masses indurées, uniques ou multiples, sensibles, voire douloureuses, de taille variable dont l’exérèse chirurgicale est tant diagnostique que thérapeutique. 3.3. Particularités de la chirurgie mammaire gravidique Le recours à la chirurgie mammaire pendant la grossesse est exceptionnel : les tumeurs sont généralement bénignes et l’échographie assortie de microprélèvements précisent généralement le diagnostic [1–3]. Il est rarement nécessaire de réaliser une tumorectomie diagnostique ou thérapeutique (fibroadénome ou adénome lactant infarci. . .). L’anesthésie locale ou l’hypno-analgésie, quand elle est possible, préférée à l’anesthésie

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générale. Pour notre observation, le volume important de la lésion impliquait son exérèse sous anesthésie générale. La patiente avait été inclinée de 158 en décubitus latéral gauche afin de minimiser la gène au retour veineux de la veine cave inférieure par l’utérus gravide. Un contrôle pré- et postopératoire de la vitalité fœtale est préconisé. L’hémostase doit être minutieuse en raison de l’hypervascularisation gravidique et le drainage du lit tumoral est systématique. Enfin, les patientes doivent être informées que la cicatrisation n’est pas optimale dans un sein gravide (risque de cicatrices élargies, pigmentées ou chéloïdes en particulier sur peau noire). 4. CONCLUSION Même si les modifications gravidiques rendent l’examen des seins difficile, il doit faire partie intégrante des examens cliniques pré- et post-nataux. Devant toute tumeur mammaire gravidique, un bilan rigoureux doit être rapidement réalisé afin de ne pas méconnaître une lésion cancéreuse. DÉCLARATION D’INTÉRÊTS Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. RÉFÉRENCES [1] Robbins J, Jeffries D, Roubidoux M, Helvie M. Accuracy of diagnostic mammography and breast ultrasound during pregnancy and lactation. AJR Am J Roentgenol 2011;196(3):716–22. [2] Schackmuth EM, Harlow CL, Norton LW. Milk fistula: a complication after core breast biopsy. AJR Am J Roentgenol 1993;161(5):961–2. [3] Canoy JM, Mitchell GS, Unold D, Miller V. A radiologic review of common breast disorders in pregnancy and the perinatal period. Semin Ultrasound CT MR 2012;33(1):78–85. [4] Webb JA, Thomsen HS, Morcos SK. The use of iodinated and gadolinium contrast media during pregnancy and lactation. Eur Radiol 2005;15(6):1234–40. [5] Joshi S, Dialani V, Marotti J, Mehta TS, Slanetz PJ. Breast disease in the pregnant and lacting patient: radiological-pathological correlation. Insights Imaging 2013;4:527–38. [6] Rausky J, Burin des Roziers B, Daoud G, Cartier S. Gigantomastia complicating pregnancy. A case report. J Gynecol Obstet Biol Reprod (Paris) 2011;40(4):367–70. [7] Agarwal N, Kriplani A, Gupta A, Bhatla N. Management of gigantomastia complicating pregnancy. A case report. J Reprod Med 2002;47(10):871–4. [8] El Boghdadly S, Pitkanen J, Hassonah M, Al Saghier M. Emergency mastectomy in gigantomastia of pregnancy: a case report and literature review. Ann Saudi Med 1997;17(2):220–2. [9] Windom KW, McDuffie Jr RS. Non-Hodgkin’s lymphoma presenting with gigantomastia in pregnancy. Obstet Gynecol 1999;93(5 Pt 2):852. [10] Mathelin C, Youssef C, Brettes JP, Rio MC. Paradoxical interactions between pregnancy and breast cancer. Gynecol Obstet Fertil 2007;35(5):449–56. [11] Hasson J, Pope CH. Mammary infarcts associated with pregnancy presenting as breast tumors. Surgery 1961;49:313–6.

[Unilateral gigantomastia of pregnancy: case-report of a giant breast hamartoma].

Breast hamartoma is a benign tumour consisting of fat, fibrous and glandular tissue. A young woman in her 19th week of pregnancy underwent exceptional...
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