Évaluation et progrès

Recherche clinique

Presse Med. 2014; 43: 1080–1082 ß 2014 Elsevier Masson SAS Tous droits réservés.

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La recherche translationnelle : une ambition à partager avec le secteur biomédical hospitalier Patrice Debré1,2,3

1. AP–HP, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, département d’immunologie, 75013 Paris, France 2. Inserm, U1135, CIMI, 75013 Paris, France 3. Sorbonne universités, UPMC – université Paris 06, CIMI, 75013 Paris, France

Correspondance : Disponible sur internet le : 4 septembre 2014

Patrice Debré, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, département d’immunologie, 75013 Paris, France. [email protected]

Translational research: An ambition to share with hospital biomedical sector

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es principes de Louis Pasteur prônant pour la première fois, de manière explicite, un continuum entre recherche fondamentale et ses applications ont, depuis lors, suscité de nombreuses réactions. Certains s’y réfèrent pour demander un appui à la translation et un soutien à la recherche d’impacts, d’autres s’élèvent contre toute initiative qui risquerait d’appauvrir les études sur le cognitif. Ainsi, Martin Chalfie, prix Nobel 2008, qui a utilisé la protéine fluorescente verte comme marqueur biologique et génétique chez le nématode, à l’origine de nombreuses applications chez l’homme, s’est élevé en 2011 contre une politique favorisant la recherche translationnelle. Ces considérations sont avant tout dues à la segmentation des sciences et à leur compétition vis-à-vis des financements publics [1]. Bien évidemment, tous ceux qui sont concernés par la lutte contre les maladies et plus largement le secteur de la santé souhaitent tirer parti des découvertes du fondamental pour des applications à l’homme malade et au bien-être des sociétés. La question n’est pas tant d’en discuter l’intérêt, que de définir la recherche qui la sous-tend, cerner l’espace où elle se réalise, la stratégie pour la développer, et les ambitions

nécessaires pour obtenir des résultats qui modifient les pratiques de soin. Individualisée depuis plus de 20 ans aux États-Unis, la recherche translationnelle le fut seulement il y a quelques années en France [2,3]. Or, elle prend théoriquement place au deux temps de la recherche clinique si l’on définit celle-ci comme les études cliniques qui comparent les stratégies diagnostiques et thérapeutiques chez l’homme, dans des conditions de pratique courante (Comparative effectiveness research) : en amont, pour permettre la validation de concepts utiles à leur mise en oeuvre et/ou leur validation, en aval comme une aide à la décision des politiques et modalités de santé publique [4]. Dans ce dernier cas, il s’agit de faciliter des études sur les systèmes de soin, et/ou la première diffusion commerciale ou de mise sur le marché d’innovations qui ont validé leur efficacité clinique et leur sécurité dans le cadre d’études cliniques comparatives. Nous réservons ici notre réflexion sur la recherche translationnelle à la première étape, celle d’amont, qui précède et facilite les études d’efficacité dans des conditions de sécurité. C’est cette étape qui fut récemment soutenue en France par le programme de recherche translationnelle en santé (PRTS), tandis que la seconde est financée par le programme de recherche médico-économique (PRME) [5]. tome 43 > n810 > octobre 2014 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2014.07.004

La recherche translationnelle : une ambition à partager avec le secteur biomédical hospitalier

La recherche translationnelle a pour objet le transfert d’informations du laboratoire de recherche fondamentale vers les établissements de santé (ou vice versa). Une meilleure compréhension de la biologie et physiopathologie, le développement de modèles animaux et la prise en compte de leur limitation, l’impact de nouvelles technologies telles celles des omics qui concernent l’exploration du génome, la transcriptomique, la métabolomique, et l’interaction de ces marqueurs autour de la biologie de système, rendent aujourd’hui nécessaire la validation de nouveaux concepts, instrumentations et marqueurs, pour permettre des études cliniques randomisées. En ce sens, la translation est une étape préalable à la recherche clinique. Dans la dynamique qui va du laboratoire au patient, la recherche translationnelle a pour objectif l’établissement chez l’homme de preuves de concepts tirées du fondamental. Celles-ci concernent la validation de nouveaux biomarqueurs, de nouvelles thérapies ou de nouvelles instrumentations. Elles peuvent nécessiter des études physiopathologiques humaines ou des essais cliniques pilotes précédant des études de sécurité et d’efficacité. L’inverse peut également se concevoir quand les résultats d’essais cliniques nécessitent un retour vers des recherches fondamentales.

Des espaces de recherche translationnelle Cette recherche s’appuie nécessairement sur plusieurs espaces de programmation et/ou de réalisation. L’un est celui de la clinique, nécessaire au choix et à la sélection des patients qui font l’objet de ce transfert, et du recueil des données. Un second espace, source amont du transfert, est celui des laboratoires de recherche des Établissements publiques à caractère scientifique et technique (EPST) (Inserm, CNRS, CEA, notamment), ou des établissements universitaires, où s’effectue l’expérimentation préclinique. Leur intégration dans le concept de CHU, proche des unités de soin, prend dans ce cadre une particulière importance. La recherche translationnelle peut se limiter à ces deux espaces, notamment lors de la preuve de concept de thérapies ou instrumentations innovantes. Dans ces deux types de circonstances, la création de Centres d’investigation clinique (CIC), sous double label d’établissements de soins et d’établissements de recherches, ou de Centres de recherche clinique, à seul label hospitalier, facilite leur mise en oeuvre [6]. Ceux-ci disposent d’infrastructures et personnels dédiés. Cependant, l’évaluation de biomarqueurs, accompagnée ou non d’études physiopathologiques, s’effectue dans un espace bien particulier, celui du laboratoire. Certes, il peut s’agir des laboratoires EPST ou universitaires, mais les structures biomédicales hospitalières apparaissent particulièrement adaptées à cette activité. Elles se présentent comme des récipiendaires de choix où

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effectuer la preuve biologique ou anatomique chez l’homme du nouveau concept à tester provenant de l’expérimentation préclinique. Les évaluations et mises au point de marqueurs nécessaires aux essais thérapeutiques impliquent de travailler chez l’individu sain ou malade sur des échantillons, cryoconservés ou non, ou sur des images anatomiques, cellulaires ou tissulaires. Les unités EPST doivent être équipées et habilitées à travailler sur des prélèvements de patients, ce qui n’est pas toujours le cas, et en avoir l’expertise dédiée à une future utilisation spécifique. À l’inverse, les services paracliniques de CHU, qu’il s’agisse de biologie et pathologie hospitalière tels ceux d’hématologie, immunologie, génétique, microbiologie, biochimie, anatomopathologie, etc. ou de services d’imagerie ou d’explorations fonctionnelles, devraient être les premiers concernés par de telles activités de recherche. De fait, les services de biologie et pathologie hospitaliers ont toute l’expertise et la légitimité pour traiter les prélèvements humains, notamment les échantillons frais de sang, liquides biologiques, cellules ou tissus, qu’ils ont l’occasion d’étudier en routine, selon chaque spécialité, à proximité des centres de recherche clinique ou des secteurs de soin. Ils disposent ou alimentent les Centres de ressources biologiques : ils assurent parfois directement à partir des prélèvements qui leur sont envoyés par les services cliniques, le recueil, la conservation ou la transformation des échantillons, tel l’établissement de lignées cellulaires. De même, les services d’imagerie ou d’explorations fonctionnelles peuvent accueillir les patients pour de telles recherches, comme ils le font pour les soins. Le contrôle qualité qui s’effectue dans le secteur paraclinique hospitalier s’applique particulièrement à la rigueur de ces recherches biomédicales que représente l’évaluation de biomarqueurs. C’est dire que les laboratoires et services d’imagerie ou d’explorations fonctionnelles hospitaliers doivent non seulement se préparer aux activités de recherche translationnelle, mais les favoriser, en identifiant et formant le personnel approprié (médecins ou pharmaciens hospitaliers, ingénieurs et ingénieurs d’études, techniciens d’études biologiques), en repérant les instruments nécessaires à cette recherche et en codifiant cette activité. Cette investigation biomédicale, à travers sa valorisation, nécessite également reconnaissance, programmation, et soutien de la part des autorités administratives hospitalières. La biologie, imagerie, explorations fonctionnelles de CHU doivent faire de l’innovation et du transfert une de leurs missions essentielles. Rapprochant les activités de recherche de celles qui sont effectuées au service du soin, la qualité et l’expertise de ce secteur hospitalier en seront nécessairement renforcées.

Des programmations incitatives La recherche translationnelle apparaît indispensable à la mise en place des études cliniques randomisées de sécurité et d’efficacité. Elle les précède comme preuve de concept à partir d’une hypothèse solidement étayée par des données

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Des objectifs et une définition

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expérimentales, notamment animales. Aussi doit-elle conduire à des mesures incitatives de la part de décideurs locaux, nationaux ou internationaux. Il en existe de plusieurs ordres qui répondent à des stratégies différentes :  favoriser l’interface et la programmation conjointe : la politique du grand emprunt et la mise en place des Instituts et Départements Universitaires, les IHU et DHU favorisent à l’évidence des activités de transfert au sein de ces structures. Des réflexions et informations partagées, séminaires communs, suscitent le dialogue entre les communautés scientifiques et médicales et ainsi la translation ;  développer une mixité des métiers de la recherche : les contrats d’interface attribués aux chercheurs EPST statutaires procèdent de cet objectif. Ils favorisent l’élargissement des activités des chercheurs fondamentalistes, en permettant d’apporter leur expertise à des études cliniques. Les postes d’accueil dans les laboratoires de recherche attribués à des cliniciens répondent également à cette logique ;  soutenir des projets conjoints : le soutien à la recherche translationnelle passe par des appels d’offres. Ils doivent, par définition, associer les établissements de santé et des établissements de recherche. Le PRTS fut ainsi soutenu conjointement par la DGOS et l’ANR. L’évaluation doit tenir compte de la qualité des données expérimentales et des hypothèses d’amont, de l’impact des résultats pour les essais cliniques d’efficacité en aval, ainsi que la dynamique de la translation.

Des ambitions La recherche translationnelle doit se faire au bénéfice du transfert, selon la définition ci-dessus, et favoriser l’établissement de preuves de nouveaux concepts utiles à la pathologie humaine (ou vice versa). L’impact pour les patients est un critère majeur, en même temps que la qualité scientifique de sa

réalisation. La recherche translationnelle doit avoir comme ambition d’être utile aux métiers de la recherche et à ceux du soin :  pour les fondamentalistes, la recherche translationnelle doit les conduire à de nouvelles réflexions sur les retombées de la recherche, les tournant vers l’hôpital pour mesurer l’impact de leurs données expérimentales. La recherche translationnelle fait dépasser les champs du cognitif et favorise le continuum vers des applications utiles à l’homme malade ;  pour les médecins hospitaliers, la recherche translationnelle est un pré-requis aux essais cliniques. Mais elle participe aussi à une autre ambition pour le secteur biomédical hospitalier : en introduisant ce concept au sein des services de biologie et pathologie, de ceux d’imagerie et d’explorations fonctionnelles, cette activité devrait accroître l’expertise du secteur paraclinique, des médecins, pharmaciens, ingénieurs ou techniciens. En élargissant leur formation à des techniques nouvelles, leur réflexion à d’autres domaines, leur aptitude au service du soin devrait en être renforcée. Il s’agit pour ce secteur d’activité de favoriser ainsi sa mission de CHU, en interface avec le soin et la recherche des cliniciens, et celle des chercheurs fondamentalistes. Au bénéfice du malade, mais dans la perspective des soins du futur, la recherche translationnelle doit permettre une nouvelle ambition pour l’hôpital et favoriser à travers le transfert, les métiers de la biologie et de l’imagerie. Les établissements de santé doivent s’y préparer, les EPST y contribuer, les ministères respectifs en charge de la Santé et de la Recherche la favoriser, mais c’est aux biologistes, pathologistes et imageurs, médecins, pharmaciens et techniciens, de se saisir de cette opportunité pour donner une dimension nouvelle à leurs activités hospitalières. Déclaration d’intérêts : l’auteur n’a pas transmis de déclaration de conflits d’intérêts.

Références [1]

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[3]

CCTS. What is translational research? 2014 [accès au site le 10/07/2014] http:// ccts.uth.tmc.edu/what-is-translationalresearch. Krakoff I. Progress and prospects in cancer The Karnofsky Legacy. J Clin Oncol 1994;12:432-8. Chabner B, Boral A, Multani P. Translational research: walking the bridge between idea and cure-seventeenth Bruce F. Cain Memorial Award Lecture. Cancer Res 1998;58:4211-6.

[4]

[5]

Woolf SH. The meaning of translational research and why it matters. JAMA 2008;299:211-3. Circulaire n o DGOS/PF4/2013/105 du 18 mars 2013 relative au programme hospitalier de recherche clinique, au programme de recherche médico-économique, au programme de recherche sur la performance du système de soins, au programme de recherche infirmière et

[6]

paramédicale, au programme de recherche translationnelle, pour l’année 2013. BO Santé – Protection sociale – Solidarité 2013;4:86-119. Ministère des Affaires sociales et de la Santé. Organisation de la recherche clinique; 2014 [accès au site le 08/07/2014] http:// www.sante.gouv.fr/organisation-de-larecherche-clinique.html.

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