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PED21310.1177/1757975913517123Review (Revue)K. Charlebois et al.

Article original L’implication des personnes vulnérables dans la recherche participative en soins primaires : une revue de la littérature Kathleen Charlebois1, Christine Loignon1, Alexandrine Boudreault-Fournier2, Sophie Dupéré3 et Cristina Grabovschi1

Résumé : Malgré un vif intérêt pour la participation des patients à la gestion et à la prestation des soins de santé primaires, il n’existe aucune revue de la littérature sur le rôle des personnes vulnérables dans les projets de recherche participative menés dans le domaine des soins primaires. Une revue de la littérature de type narrative a été menée afin de combler cette lacune. L’objectif principal de cette revue a été d’évaluer le rôle des personnes vulnérables au sein de projets de recherche participative. Notre revue a recensé 26 articles et analysé 33 projets de recherche ou d’intervention en soins primaires. Elle révèle de nombreux écueils concernant l’implication des personnes vulnérables. Ces personnes ont joué un rôle varié, mais surtout modeste ou limité au sein des différents projets. Leur implication a surtout eu lieu à l’étape de la collecte des données. Peu de projets ont permis aux personnes vulnérables de prendre part à l’analyse des données ou à la diffusion des connaissances. Les tensions entre les chercheurs et les personnes vulnérables et la tendance à intégrer des acteurs organisés au sein des projets ont contribué à affaiblir le degré de participation des personnes vulnérables, et ce, à diverses étapes du processus de recherche et du développement d’intervention. Malgré tout, plusieurs retombées positives ont été identifiées, tant pour la communauté et les personnes vulnérables que pour les chercheurs. Entre autres, les projets ont permis aux chercheurs non universitaires d’acquérir de nouvelles compétences. De plus, certains projets ont favorisé la mise en place de nouveaux modèles de prestations de soins. Enfin, différents mécanismes permettant de rehausser la réciprocité entre les chercheurs et les personnes vulnérables sont proposés comme solutions pour réduire les inégalités et les tensions et, ultimement, favoriser l’implication des personnes vulnérables. (Global Health Promotion, 2014; 21(3): 38–45) Mots clés : équité, justice sociale, personnes vulnérables, recherche participative, soins primaires, statut socioéconomique

Introduction Répondre aux besoins des populations vulnérables a été au fondement de l’essor des actions de promotion de la santé et du développement des

systèmes de santé universels dans le monde. Les transformations successives des systèmes de soins alliées à la privatisation de certains services de santé ont compromis l’accès à des soins de qualité pour les

1. Centre de recherche de l’Hôpital Charles LeMoyne, Université de Sherbrooke, Québec, Canada. 2. Département d’anthropologie, Université Victoria, Colombie-Britannique, Canada. 3. Faculté des Sciences Infirmières, Université Laval, Québec, Canada. Correspondance à : Christine Loignon, Centre de recherche de l’Hôpital Charles LeMoyne, Université de Sherbrooke, 150 Place Charles LeMoyne, bureau 200, Longueuil, Québec, J4K 0A8, Canada. Email : christine.loignon@ usherbrooke.ca (Ce manuscrit a été soumis le 12 octobre 2012. Après évaluation par des pairs, il a été accepté pour la publication le 13 septembre 2013) Global Health Promotion 1757-9759; 2014; Vol 21(3): 38­–45; 517123 Copyright © The Author(s) 2014, Reprints and permissions: http://www.sagepub.co.uk/journalsPermissions.nav DOI: 10.1177/1757975913517123 http://ghp.sagepub.com Downloaded from ped.sagepub.com at OAKLAND UNIV on June 3, 2015

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personnes vulnérables. Plusieurs études effectuées auprès de personnes vulnérables telles que les personnes récemment immigrées, en situation de pauvreté ou éloignées du système de soins, ont mis en lumière de nombreux obstacles financiers, culturels et sociaux à l’accès aux services sociaux et aux services de santé. Les personnes en situation de pauvreté éprouvent de plus grands besoins, mais bénéficient de soins dans des proportions moindres que les personnes plus aisées (1,2). Certaines études ont démontré que les personnes en situation de pauvreté n’obtiennent pas nécessairement une aide répondant à leurs besoins, lorsqu’elles consultent un professionnel de la santé. Plusieurs études qualitatives ont aussi fait ressortir que ces personnes vivent des expériences négatives – incompréhension, mépris, jugement, stigmatisation et dévalorisation – en lien avec les services de santé et les services sociaux (3–5). Certains auteurs avancent même que les services de santé pourraient renforcer les inégalités en matière de santé (6). Ont récemment vu le jour certaines initiatives visant à susciter la participation du public et à accroître le rôle des personnes vulnérables dans le processus de prise de décisions liées à la prestation de soins de santé primaires. On a d’ailleurs de plus en plus recours à la recherche participative dans le domaine des soins primaires, afin d’améliorer des situations complexes et d’éliminer les disparités en matière de soins de santé auxquelles sont confrontées les populations vulnérables (7,8). Dans ce contexte, la prévalence élevée de maladies chroniques chez les personnes les plus vulnérables et le vieillissement de la population au Canada commandent le renforcement des soins de santé primaires et de la participation citoyenne à ceux-ci (9). Le fait de favoriser l’implication active des patients rejoint la recherche participative qui, historiquement, intègre les personnes vulnérables et stimule leurs capacités et leur pouvoir d’agir, afin de réduire les inégalités en matière de santé (7,10,11). La définition même de la recherche participative ne fait pas consensus et ses balises demeurent floues. Elle peut donc prendre diverses formes, et s’éloigner de ce que certains considèrent comme des principes communs (12,13). Wright et al. (12) rapportent que certains projets présentés sous le couvert de la recherche participative demeurent hiérarchiques et favorisent peu la participation des utilisateurs de

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connaissances. Pourtant, les chercheurs et communautés s’intéressent de plus en plus à l’évaluation des processus et des résultats de la recherche participative (14,15). Toutefois, nous en savons très peu sur le rôle des personnes vulnérables au sein de la recherche participative, dans le domaine des soins de santé primaires. L’évaluation participative peut s’avérer utile pour analyser le rôle des personnes vulnérables. Le domaine de l’évaluation participative définit la participation selon trois dimensions : le contrôle sur le processus d’évaluation, la sélection des participants et l’intensité de la participation (16). Plus récemment, dans le but de faciliter la mesure de la participation des chercheurs non universitaires au processus de recherche participative, Daigneault et Jacob (17) ont précisé davantage ces dimensions à l’aide de trois aspects : •• L’étendue de la participation ; •• La diversité des participants ; et •• Le contrôle sur le processus d’évaluation. En s’appuyant sur ces trois aspects de la participation, cette revue de la littérature cherche à répondre à la question suivante : Quelle est la nature du rôle des personnes vulnérables au sein de projets de recherche participative dans le domaine des soins de santé primaires? Aux fins de cette revue, sont dites « vulnérables » les personnes présentant une vulnérabilité sociale (personnes défavorisées sur le plan socioéconomique), une vulnérabilité médicale (personnes souffrant ou susceptibles de souffrir d’une ou de plusieurs maladies chroniques) ou une vulnérabilité clinique (personnes éloignées du système, ayant difficilement accès aux soins de santé) (18). Cette revue a pour objectif principal d’analyser le rôle des personnes vulnérables au sein de projets de recherche participative liés aux soins primaires, et pour objectifs secondaires d’examiner les retombées de ces projets et de décrire les obstacles rencontrés lors de ceux-ci.

Méthodologie Nous avons procédé à une revue narrative de la littérature (19) portant exclusivement sur des articles scientifiques en anglais, publiés entre 1998 et 2012, dans des revues avec comité de lecture. La recension IUHPE – Global Health Promotion Vol. 21, No. 3 2014

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des articles a été effectuée à l’aide des mots clés « primary care », « community-based participatory research », « poverty » et « user involvement », dans les bases de données CINAHL, SocIndex et Medline, puis à l’aide de Google Scholar et de INVOLVE.

ont servi à différencier les projets selon leur visée (recherche, intervention ou les deux). Enfin, nous avons procédé à une analyse comparative des projets de recherche participative auxquels ont pris part des personnes vulnérables, en fonction de leurs retombées et des obstacles rencontrés.

Critères d’inclusion des études Les articles correspondant aux trois critères suivants ont été sélectionnés : articles décrivant un projet ou une initiative de recherche participative dans le domaine des soins primaires, selon la définition de l’Organisation Mondial de la Santé (OMS) (9), articles sur des projets qui visaient les personnes vulnérables, et articles portant sur la prévention ou le traitement de conditions chroniques.

Méthodes de collecte et d’analyse des données La recension d’articles a permis d’identifier 118 articles, desquels 81 ont dû être rejetés pour nonrespect des critères. Cette première sélection a été réalisée à partir de la lecture et de l’analyse des résumés des articles. Parmi les 81 articles rejetés, 15 portaient sur le photovoix (méthode participative recourant à la photographie) (20), 48 concernaient la santé en général ou la santé publique, et 18 proposaient des réflexions théoriques. Enfin, 11 autres articles ont été rejetés parce que la description des projets était insuffisante ou qu’il s’agissait de duplicata. Notons que quatre chercheurs ont mené en alternance le processus de sélection. Tout article initialement retenu a dû être lu et évalué en fonction des critères de sélection par deux chercheurs, qui devaient arriver à un consensus pour qu’un article soit analysé dans le cadre de cette revue.

Extraction et analyse des données L’extraction des données a été réalisée à l’aide d’une analyse de cas croisée, une méthode qui consiste à comparer des données provenant de différentes sources par le recours à une matrice ou à un tableau qui permet la juxtaposition des données (21). Les données ont été extraites à travers le développement itératif d’une matrice présentée à l’aide d’un tableau, puis divisées en diverses catégories. Ainsi, les données recueillies au sujet des objectifs, du déroulement et des résultats des projets

Résultats Description des études La stratégie de recherche a permis d’identifier 26 articles répondant aux critères d’inclusion. Ces articles comportent 33 initiatives en recherche participative, menées en contexte de soins primaires auprès de personnes en situation de vulnérabilité. Le Tableau 1 (en annexe ; disponible sur http://ghp. sagepub.com/supplemental) montre la répartition des articles selon le type, les objectifs, les retombées et les limites des projets, le type de maladies chroniques et le type de groupes vulnérables. Parmi les initiatives analysées, 11 misent sur la recherche, 12 sur des interventions et 10 intègrent à la fois un processus de recherche et un processus d’intervention. Le rôle des personnes vulnérables dans le processus de recherche L’étendue de la participation. L’analyse de l’étendue de la participation des personnes vulnérables, c’est-à-dire la manière dont elles prennent part au processus de recherche, notamment au développement du protocole de recherche, à la collecte et à l’analyse des données et à la diffusion des connaissances (17), nous a permis de constater qu’elles ont exercé un rôle varié et modeste à différentes étapes du processus de recherche. Les groupes vulnérables ont pris part à la collecte de données (22–27) dans 27% des projets et à l’analyse des données (22,24,25) dans 21% des projets. Le contrôle sur le processus.  Lors de notre revue, nous avons soulevé plusieurs difficultés reliées au partage du contrôle sur le processus de recherche entre les chercheurs et les personnes vulnérables (17). Notons d’abord les difficultés liées aux dynamiques relationnelles entre les chercheurs et les personnes vulnérables, causées notamment par l’usage d’un jargon scientifique par les chercheurs (28,29). Puis, s’ajoutent les problèmes de financement de projets en

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recherche participative (23,26,27,30,31). La réticence des organismes subventionnaires à soutenir des projets en recherche participative a d’ailleurs constitué un obstacle majeur (7,24,26,27,31). De plus, les exigences liées à la recherche se sont heurtées aux valeurs et aux missions des organismes communautaires (25). Par ailleurs, plusieurs auteurs ont mentionné que l’implication des membres de la communauté dans la collecte des données pourrait être une source de biais (32,33). La persistance de divergences entre les chercheurs et les personnes vulnérables reflète un dilemme important : la nécessité d’assurer un rôle pour les personnes vulnérables et de se conformer aux critères de la démarche scientifique. Le recrutement et la sélection des participants. Nous avons constaté une grande variabilité en matière de recrutement et de sélection des participants. De plus, la qualité du processus de méthodologie et le rôle des personnes vulnérables se sont avérés tributaires de la capacité des chercheurs à soutenir le rôle des personnes vulnérables. Pour offrir un tel soutien, les chercheurs ont dû interagir de façon continue, avec les personnes vulnérables. D’ailleurs, Ramsden et al. (34) soulèvent que la tenue de réunions continues entre chercheurs et participants renforce la cohésion du projet. De plus, Mosavel et al. (25) ainsi que Nyamathi et al. (35) soulignent l’importance chez les chercheurs de tisser des liens avec les membres de la communauté. D’autre part, la volonté des personnes vulnérables à prendre part au processus de recherche et leur capacité à le faire ont aussi influé sur le soutien de leur rôle par les chercheurs. Selon Truman et Raine (29), il est difficile pour certaines personnes de prendre part à de tels projets, en raison de leur état de santé fragile. L’implication de personnes Les retombées.  vulnérables aux projets répertoriés a généré des retombées positives. Selon les chercheurs, la recherche participative a contribué au partage des connaissances scientifiques, ce qui a atténué les tensions entre chercheurs et participants (26,28,31,36), contribué à sensibiliser les professionnels de la santé à certains problèmes de santé (31,36), et permis de réduire l’écart entre les connaissances issues du milieu local et celles issues du milieu expert (26,28). L’implication des membres de la communauté a également facilité le recrutement et la rétention des participants (34,35,37,38). Les

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personnes vulnérables ont elles aussi bénéficié de retombées positives. Entre autres, leur implication leur a permis d’acquérir de nouvelles compétences et d’ainsi améliorer leurs perspectives d’emploi (23). Au cours de leur participation, elles ont acquis un sentiment de contrôle, ce qui leur a permis d’exercer davantage une influence sur leur propre vie (33,34). De plus, l’implication des personnes vulnérables a favorisé le développement de liens sociaux, tout en renforçant le capital social (23,27). Le rôle des personnes vulnérables dans le processus d’intervention L’étendue de la participation. Bien que diversifiée, l’étendue de la participation des personnes vulnérables aux projets axés sur le développement d’intervention s’est avérée fort limitée (23,26–28,30,31,37,38). D’abord, 5 des 22 projets misant sur l’intervention (28,32,37–39) n’ont pas favorisé la participation des personnes vulnérables elles-mêmes, même si ces personnes étaient ciblées. En fait, leur implication y est décrite de façon imprécise, les auteurs relatant la participation de « membres de la communauté », ce qui se résumait parfois à un ou à quelques représentants d’organismes communautaires. Il n’en demeure pas moins que les structures mises sur pied dans le cadre de ces projets ont revêtu un caractère participatif. Le développement ainsi que le maintien d’une coalition ont caractérisé le déroulement de 18% des 33 projets (22,27,31,38,40,41). De plus, 33% des projets ont mis en place des mécanismes pour faciliter la diffusion des connaissances auprès de la communauté en général (22,23,26,28,30,37), des mécanismes comptant des comités directeur (12%), consultatif (15%) ou coordonnateur (3%) (22,23,26–28,30,37). Le contrôle sur le processus.  L’appui de décideurs politiques et le partenariat entre différentes organisations ont assuré le succès et la longévité d’un projet (32). Le rôle d’organisations bien établies, non seulement d’organismes communautaires, semble aussi avoir été un élément déterminant du succès d’un projet (32). Comme il a été mentionné plus tôt, l’inclusion de personnes vulnérables requiert que les chercheurs soutiennent l’implication de ces personnes par des mécanismes IUHPE – Global Health Promotion Vol. 21, No. 3 2014

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conçus, pour favoriser la collaboration entre chercheurs et participants (27,30,32). Dans l’un des projets, le fait d’avoir présenté ledit projet comme un service public plutôt que comme un projet de recherche, a permis d’accroître la confiance des personnes vulnérables envers celui-ci (27). Un souci pour l’engagement communautaire chez les chercheurs semble aussi important pour qu’un projet favorise un contrôle sur le processus de la part des chercheurs non universitaires (25). Le recrutement et la sélection des participants. Certains projets d’intervention ont surtout relevé de partenariats regroupant des représentants des milieux communautaire, universitaire et parfois gouvernemental. Toutefois, dans certains projets, le monopole du pouvoir décisionnel par des acteurs organisés a représenté un obstacle pour les personnes vulnérables. Minkler et al. (39), ainsi que Bluthenthal et al. (26) admettent que le manque de représentation des personnes vulnérables, en raison de leur recrutement difficile, constitue une lacune importante de leurs projets respectifs (26). Assurer le maintien du rôle des personnes vulnérables tout au long du projet a aussi été ardu (26,27,30), possiblement en raison des différences entre les cultures organisationnelles (universitaire et communautaire) (30), ou de la méfiance des groupes vulnérables envers le milieu de la recherche (27,28). Cette méfiance des membres de la communauté peut s’expliquer par un sentiment d’inconfort lié à un sentiment d’infériorité face aux partenaires du milieu universitaire. Les retombées. Tout comme les projets de recherche, les projets d’intervention ont présenté plusieurs retombées positives de l’implication des personnes vulnérables. La mise sur pied de coalitions a permis d’atténuer les tensions entre chercheurs et communauté (27), tout en facilitant la production de connaissances pertinentes à l’élaboration de politiques publiques (22). Krieger et al. (23) ont souligné le rôle clé d’un comité de pilotage, composé de chercheurs et de membres de la communauté défavorisée, pour assurer un meilleur partage du pouvoir et améliorer la résolution de conflits. En outre, quelques interventions ont consolidé la capacité d’agir des personnes vulnérables, tant sur le plan de leur propre prise en charge que de leur rôle dans la communauté (22,33).

La définition du succès des projets d’intervention a gravité autour de l’accomplissement d’actions concrètes. Dans le cadre de deux études, la recherche participative a permis aux personnes vulnérables de parfaire leurs habiletés à défendre une cause et d’exercer une réelle influence sur les politiques publiques (31,39). D’autres études ont rapporté des changements sur le plan clinique, notamment l’amélioration du suivi des patients (27,32,33). Certains intervenants ont signalé des changements concrets dans leur environnement (35) ou dans leur mode de vie (38), ainsi que de nouveaux modèles de prestation de soins (37). Ainsi, la démarche participative s’est avérée idéale pour faire concorder les besoins de la recherche avec ceux d’une communauté (37).

Discussion Cette revue de la littérature est à notre connaissance la première à examiner le rôle des personnes vulnérables au sein de projets de recherche participative dans le domaine des soins de santé primaires. Notre analyse suggère que l’implication des personnes vulnérables au sein de ces projets comporte de nombreux écueils. Outre l’exclusion de personnes vulnérables dans cinq des projets recensés, les limites des personnes vulnérables à participer, ainsi que la persistance de tensions entre elles et les chercheurs, ont eu pour effet d’amoindrir le caractère participatif de la recherche. Avant d’aborder nos résultats, il convient de soulever les limites de cette revue narrative. D’abord, notons qu’il ne s’agit pas d’une revue systématique de la littérature, ce qui peut restreindre la portée de nos conclusions. De plus, notre revue comporte un nombre réduit d’articles, spécifiquement 26, ce que nous attribuons en partie à nos critères de sélection, au choix des mots clés utilisés et aux bases de données retenues. Néanmoins, nous avons procédé à une analyse approfondie et rigoureuse des 26 articles, ce qui a permis de dégager des pistes de réflexion et des recommandations pour les organisations et chercheurs intéressés par cette approche de recherche. Bien que des chercheurs du domaine de la recherche participative en santé aient déployé des efforts pour établir des critères communs liés à la participation des personnes vulnérables et à la méthodologie (7,12,42,43), 5 des 33 projets

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analysés n’incluaient aucune personne vulnérable. Ainsi, l’établissement de critères communs ne semble pas toujours avoir de portée sur le déroulement de projets qui misent sur les personnes vulnérables. Cette revue a aussi fait ressortir l’existence de tensions et d’inégalités entre chercheurs et personnes vulnérables dans le cadre de certains projets. Le recours à l’approche participative ne garantit donc pas l’absence de conflits entre ces acteurs. L’absence d’une définition claire de l’implication des personnes vulnérables rend le rôle de celles-ci ambigu et pourrait d’ailleurs contribuer à renforcer les tensions entre chercheurs et personnes vulnérables. Les tensions et inégalités constatées dans cette recension reflètent ce que Gregg et al. (24) caractérisent comme le tournant positiviste qui sous-tend le recours à l’approche participative, et ce, alors que ses assises relèvent d’une perspective constructiviste. D’autre part, nous avons constaté une grande variété du rôle des personnes vulnérables et un faible degré de participation de celles-ci. Certains auteurs des projets recensés (23,29) avancent que la participation des personnes vulnérables peut prendre diverses formes et qu’une participation active ne signifie pas nécessairement une implication à toutes les phases de la recherche. Pour d’autres chercheurs, la participation renvoie plutôt à une notion de représentativité (26,39), c’est-à-dire à la présence même de personnes vulnérables dans le cadre du projet. Finalement, lorsque vient le temps d’analyser les tensions liées à l’implication des personnes vulnérables, il convient de ne pas perdre de vue que des éléments contextuels rendent souvent difficile le recrutement de ces personnes par les chercheurs. La notion de réciprocité, telle que développée par Maiter et al. (44), procure une base à partir de laquelle il serait possible de définir l’implication de personnes vulnérables en recherche participative, et ce, tout en tenant compte des éléments contextuels qui peuvent parfois restreindre le rôle de ces personnes dans le cadre de tels projets. Selon Maiter et al., la réciprocité est « an ongoing process of exchange with the aim of establishing and maintaining equality between parties  » [un processus continu d’échange ayant comme but l’établissement et le maintien de l’égalité entre les parties] (44). Deux éléments caractérisent la réciprocité : l’égalité et l’échange (44). Autrement dit, l’égalité

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repose sur la qualité des interactions entre chercheurs et personnes vulnérables, tandis que la qualité de ces interactions nécessite que la distribution du pouvoir au sein du projet soit effectuée de manière transparente et ouverte. La notion de réciprocité permettrait de réduire les inégalités et de tenir compte des éléments imprévisibles et contextuels qui caractérisent le déroulement d’un projet de recherche participative. Ainsi, il apparaît crucial que les chercheurs et les personnes vulnérables s’entendent, au préalable, quant aux modalités du rôle des personnes vulnérables, notamment en ce qui concerne l’étendue de leur participation, leur contrôle sur le processus et leur recrutement. L’approche participative en soins de santé primaires pourrait aussi tirer des leçons d’autres domaines, notamment celui de la santé dentaire (45). En effet, des projets ayant vu le jour dans ce domaine ont permis de consolider le rôle des personnes vulnérables, tout en favorisant la réciprocité entre elles et les chercheurs. Les enjeux éthiques ont été peu considérés au sein des études recensées. Pourtant, il s’agit d’un aspect à ne pas négliger en contexte d’implication de personnes vulnérables dans la recherche en santé (46,47). Il serait donc opportun que les recherches futures abordent les dimensions éthiques liées à la vulnérabilité des chercheurs non universitaires. Enfin, il serait intéressant d’explorer plus largement la littérature non anglophone ou provenant d’ailleurs que les États-Unis (US), une limite de notre revue, afin de mieux analyser les initiatives qui ont tenté d’optimiser les soins primaires en favorisant l’implication de personnes vulnérables.

Conclusion Le rôle des personnes vulnérables au sein d’initiatives en soins primaires menées selon une approche participative est varié, mais surtout modeste. Favoriser la réciprocité des échanges entre chercheurs et personnes vulnérables, par des mécanismes instaurés au sein des projets, semble une avenue à envisager afin d’élargir la portée du rôle des personnes vulnérables. L’établissement de critères généraux communs au sein de la communauté scientifique permettrait d’éviter une distorsion de cette approche et une possible instrumentalisation des personnes vulnérables. IUHPE – Global Health Promotion Vol. 21, No. 3 2014

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Conflits d’intérêt Les auteures déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt.

Contributions Toutes les auteures ont apporté une contribution significative (a) à l’élaboration et à la conception et/ou à l’analyse et l’interprétation des données, (b) à l’élaboration de l’article ou à la révision critique de son contenu intellectuel et (c) toutes les auteures ont approuvé la version soumise dans Global Health Promotion.

Financement Les travaux menés ont été financés grâce au soutien financier du FRQS (Fonds de recherche du Québec - Santé) (Bourse jeune chercheure Junior 1) et à l’appui offert par la Faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke.

Remerciements Nous aimerions remercier Michael Wright qui a accepté de nous rencontrer et de discuter des défis de la recherche participative au moment où nous menions cette revue de littérature. Nous sommes reconnaissantes à Pierre Pluye pour ses généreux conseils pendant la rédaction de cet article. Enfin, nous remercions Sophie Paré-Beauchemin, qui a révisé la qualité du français.

Documentation complémentaire Consulter le Tableau 1 sur le site-web de la revue : http:// ghp.sagepub.com/supplemental

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IUHPE – Global Health Promotion Vol. 21, No. 3 2014

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[The involvement of vulnerable people in participatory research in primary care: a literature review].

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