Annales de dermatologie et de vénéréologie (2014) 141, 729—735

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FICHE THÉMATIQUE / PEAU HUMAINE ET SOCIÉTÉ

Annonce d’une mauvaise nouvelle en dermatologie夽 The announcement of bad news in dermatology L. Misery a,∗,b, D. Legoupil a, M. Schollhammer a,b, E. Brenaut a, C. Abasq a, A.-M. Roguedas-Contios a, M. Chastaing b,c a

Service de dermatologie, CHU, 2, avenue Foch, 29200 Brest, France Groupe psychodermatologie, société franc¸aise de dermatologie, 25, rue la Boétie, 75008 Paris, France c Unité de psychologie médicale, CHU, 2, avenue Foch, 29200 Brest, France b

Disponible sur Internet le 3 octobre 2014

L’information du patient, en particulier l’annonce d’une mauvaise nouvelle, est un problème complexe [1—3], une véritable « violence sans agressivité », comme le dit Jean-Jacques Kress. Chaque médecin est régulièrement confronté à ce genre de situation et il apparaît utile de faire le point. Cette question est désormais traitée au cours des études de médecine et il s’agit d’un des items de l’examen national classant [4]. En dermatologie, on pense au mélanome, à d’autres cancers ou au sida. Mais une mauvaise nouvelle peut aussi être une maladie chronique ou altérant profondément la qualité de vie, une maladie génétique ou bien encore sexuellement transmise. Rappelons ce qui devrait être une évidence est pour le patient qu’une nouvelle est mauvaise.

Qui doit annoncer ? À notre avis, le médecin qui fait cliniquement le diagnostic ou qui rec ¸oit le résultat de l’examen anatomo-pathologique ou biologique, ou sinon celui qui l’a demandé et qui a alors dû préparer le patient au résultat, est le plus habilité à annoncer le diagnostic. Mais il doit y avoir aussi tôt que possible une concertation étroite avec les autres médecins concernés (notamment, le médecin traitant) et avec le personnel paramédical dans un hôpital. Il est donc très important d’avoir un discours unifié. Pour cela, la meilleure solution est d’écrire et de transmettre ce qui a été dit au patient à tous les acteurs de santé concernés.

Aspects éthiques

夽 Conférence présentée le 25 juin 2014 au Congrès de la Société franc ¸aise du cancer à Paris (D. Legoupil, L. Misery) et le 19 septembre 2014 au 22e forum Peau Humaine et Société à Lyon (M. Chastaing, L. Misery). ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (L. Misery).

http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2014.09.018 0151-9638/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

La demande d’information des patients est de plus en plus exprimée : 80 % des bien-portants affirment vouloir être informés en cas de maladie grave [5]. À la différence des pratiques d’il y a quelques décennies, la nécessité éthique d’informer le patient est désormais claire. Elle relève du principe du respect de l’autonomie de la personne [6] qui repose sur l’importance accordée à la liberté individuelle et au libre choix. Si la maladie

730 implique une certaine dépendance (dépendance par rapport à son corps mais aussi dépendance relationnelle), il apparaît encore plus indispensable de considérer le patient comme un être qui conserve son libre arbitre et qui doit bénéficier d’une information véritable sur son état de santé, information qui lui permettra de prendre en connaissance de cause les décisions qu’il estime les plus appropriées à sa situation. L’article 8 de La Convention européenne des Droits de l’Homme fait autorité en la matière [7]. Certaines situations nécessitent une modulation de cette information. Il peut s’agir de patients dont les capacités de compréhension ou de jugement sont altérées. Le dialogue avec l’entourage ou la personne de confiance qui a été désignée antérieurement à l’installation des troubles cognitifs paraît alors indispensable. Il peut s’agir aussi de patients qui présentent une pathologie psychiatrique, par exemple dépressive, mais celle-ci ne dispense pas pour autant de la nécessité éthique d’une information qui justifiera cependant certaines précautions dans sa délivrance et dans l’accompagnement qui en découlera. L’évolution de la relation médecin-malade influence la position médicale par rapport à l’information [8]. Autrefois, le modèle prédominant était paternaliste : le médecin faisait et disait au patient ce qu’il fallait faire. À partir des États-Unis, dans les années 1960—1970, est apparu le modèle « libertaire » : c’est le patient qui sait et qui prend la décision seul. Aujourd’hui, le modèle participatif est celui qui est largement adopté par notre société : le médecin apporte des informations et dialogue beaucoup avec le patient dans le but de prendre une co-décision. Il apparaît donc tout à fait nécessaire d’éclairer le patient pour qu’il soit en mesure de décider librement de l’orientation de sa vie après l’annonce du diagnostic. Une nouvelle éthique médicale doit donner au patient son autonomie [6], ce qui n’empêche pas de devoir rechercher son consentement à l’information [9].

Aspects psychologiques Qualité de la relation médecin-malade Tout au long de la consultation où l’information est délivrée pour la première fois, l’attitude empathique du médecin est primordiale et doit se baser sur une présence chaleureuse et une écoute attentive, mais aussi sur la capacité de recevoir et de contenir les émotions et les affects ressentis par le patient et dont il faut favoriser l’expression. La pitié, la consolation systématique ou la réassurance excessive n’ont pas leur place, au contraire de la compassion et de l’empathie. La qualité de la relation qui va s’instaurer entre le patient et le médecin va dépendre de la capacité que ce dernier aura à garder une distance « suffisamment bonne » vis-à-vis du patient et de la situation : rester professionnel n’exclut pas une implication de soi en tant qu’être humain. Mais pour pouvoir ne pas être envahi par ses propres affects, il faut que le praticien s’exerce à les repérer, à en prendre conscience. Le travail du médecin se trouvera facilité s’il a lui-même la possibilité d’évoquer ses propres réactions à des tiers, collègue ou membre de l’équipe soignante, ou au sein d’un groupe de formation à la relation thérapeutique comme par exemple le groupe Balint.

L. Misery et al.

Réactions paradoxales De nombreux paradoxes et quiproquos [10] émaillent cette entrée dans la maladie tant le choc émotionnel est violent pour le malade, mais aussi pour l’entourage et pour le médecin. Il est nécessaire que le médecin connaisse les possibles réactions affectives et les mécanismes de défense que le patient peut développer à l’annonce du diagnostic de mélanome. Cela lui permettra de maintenir une relation de qualité avec le patient et de contenir sa souffrance. Si l’angoisse [2] est le dénominateur commun de toutes les réactions après une telle information, avec un choc émotionnel, voire une ‘‘fièvre émotionnelle’’ [11] de une à deux semaines, elle peut se décliner sous d’autres aspects et engendrer des mécanismes de défense très divers. Ainsi, une phase de sidération peut être contemporaine de l’annonce du diagnostic. Ce type de réaction ne doit pas être ignoré car si apparemment le patient « semble bien réagir » à l’information, il peut s’en suivre une véritable décompensation psychopathologique que le médecin risque alors d’ignorer. Cette sidération psychique peut aussi s’accompagner d’une sidération intellectuelle, avec impossibilité pour le patient d’entendre, de comprendre les informations fournies. Ce type de réaction justifie donc déjà certaines précautions dans les modalités de délivrance de l’information. D’autres mécanismes de défense [12] peuvent être observés, comme le déni (le plus souvent partiel, mais parfois total) des informations données qui peut d’un certain côté protéger le patient d’une angoisse trop massive et destructrice, mais qui risque de l’autre d’avoir des répercussions négatives sur la prise en charge médicale ultérieure (absence de surveillance, non observance des traitements) [13]. Des sentiments d’injustice, des attitudes de révolte avec mécanismes projectifs sur l’extérieur (comme par exemple rancœur à l’égard des bien-portants) se rencontrent fréquemment. Cette projection agressive est souvent dirigée contre les soignants. Si elle ne cesse pas, toute communication peut devenir impossible. Le patient peut aussi développer des attitudes d’hypermaîtrise (comme la recherche effrénée d’une cause ou les rites obsessionnels) ou encore de négociation, de marchandage, acceptant ainsi tel ou tel aspect de sa maladie ou du traitement et en refusant tel autre. Le déplacement est un autre mécanisme de défense possible. Le patient déplace son anxiété vers un autre élément, parfois très éloigné de la maladie. Le médecin peut y être confronté devant un problème somatique bénin ou inexistant mais source d’une anxiété majeure et inappropriée, comme une chute de cheveux minime ou un angiome stellaire. Il faudra alors tenter de retrouver la maladie grave qui avait été annoncée et aborder le sujet prudemment. Une véritable régression est possible. Le malade ne se considère plus que comme malade, se déclare « foutu » et désinvestit le monde extérieur tout en ayant des attitudes puériles et passives. La sublimation est un mécanisme de défense au contraire très efficace. En effet, le patient se sert de sa maladie comme d’un tremplin et lutte contre la maladie pour luimême et pour les autres.

Annonce d’une mauvaise nouvelle en dermatologie Ces mécanismes de défense peuvent alterner chez le même patient, se succéder dans le temps, nécessitant donc une observation et une écoute très attentive de la part du médecin. Certaines circonstances sont des facteurs de vulnérabilité [2,11], prédictifs de réactions « pathologiques » à l’annonce du diagnostic : antécédents psychiatriques, difficultés sociales, difficultés affectives, médecin perc ¸u comme peu aidant, traitement perc ¸u comme peu efficace, perspectives de survie courtes, symptômes médicaux inquiétants, cancers évolués.

Bénéfices de l’information loyale L’information claire des patients a des avantages démontrés [2]. L’anxiété est moins grande. Tout ce qui est connu est moins anxiogène que ce qui est inconnu [14] : « tout plutôt que le vide explicatif qui renvoie aux pires angoisses archaïques » [15]. Il y a moins de symptômes dépressifs. La consommation d’antalgiques est moins grande [14]. Il y a une meilleure observance des traitements [13]. Les patients seront mieux impliqués dans la lutte contre la maladie. La connaissance partagée du diagnostic permet des discussions ouvertes et des rapports francs entre le patient, l’équipe médicale et paramédicale mais aussi son entourage. Poser le diagnostic de cancer permet de donner du sens à sa maladie, ce qui semble être un processus capital pour vivre avec la maladie [10].

Aspects juridiques Rappelons tout d’abord que le secret médical s’applique à toute personne qui ne participe pas à la prise en charge médicale du patient du point de vue professionnel. Si l’information est due aux patients, elle ne doit pas donc être donnée à l’entourage en l’absence de consentement du patient. Il y a désormais obligation d’informer les patients. Déjà, le décret du 6 septembre 1995 portant Code de Déontologie Médicale disait que « le médecin doit au patient une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les choix qu’il propose ». Mais, il disait aussi : « toutefois, dans l’intérêt du malade et pour des raisons que le praticien apprécie en conscience, un malade peut être tenu dans l’ignorance du diagnostic ou d’un pronostic grave » (sauf si risque de contamination). Il était recommandé de prévenir les proches sauf si une volonté contraire était exprimée par le malade. La loi du 4 mars 2002, loi sur les Droits des Patients dite « loi Kouchner », va beaucoup plus loin. « Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur éventuelle urgence, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque postérieurement à l’exécution des investigations, traitements, ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit être informée sauf en cas d’impossibilité de la retrouver ». « Cette information incombe à tout professionnel de

731 santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seule l’urgence ou l’impossibilité d’informer le patient peuvent l’en dispenser ». « Cette information est délivrée au cours d’un entretien individuel ». « La volonté d’une personne d’être tenue dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic doit être respectée sauf lorsque des tiers sont exposés à un risque de transmission. » Des précisions sont apportées pour les mineurs et les majeurs sous tutelle. « Les droits des mineurs ou des majeurs sous tutelle mentionnés au présent article sont exercés selon les cas par les titulaires de l’autorité parentale ou par le tuteur. Ceux-ci rec ¸oivent l’information prévue par le présent article sous réserve des dispositions de l’article L1111-5. Les intéressés ont le droit de recevoir eux-mêmes une information et de participer à la prise de décision les concernant d’une manière adaptée, soit à leur degré de maturité s’agissant des mineurs, soit à leur faculté de discernement s’agissant des majeurs sous tutelle ». L’information du patient doit être complète : « toute personne a accès à l’ensemble des informations concernant sa santé ». « La présence d’une tierce personne lors de la consultation de certaines informations peut être recommandée par le médecin les ayant établies ou en étant dépositaire pour des motifs tenant aux risques que leur connaissance sans accompagnement ferait courir à la personne concernée. Le refus de cette dernière ne fait pas obstacle à la communication de ces informations ». La loi a le mérite de clarifier les choses quant à la nécessité d’une information totale du patient, quant à la co-décision et quant au statut des mineurs et des majeurs sous tutelle.

Pourquoi informer ? Nous avons vu qu’il y avait clairement une nécessité juridique et éthique et un intérêt médical à le faire. Le contexte général de notre société y est tout à fait favorable. Les conséquences juridiques n’ont pas tardé à apparaître et le défaut d’information est clairement considéré comme une perte de chance [16]. Le bénéfice psychologique d’une information de diagnostic de maladie grave est clair. Il faut avouer que le médecin peut aussi être soulagé de partager un « fardeau ». Mais ce n’est pas le but !

Pourquoi certains médecins ne veulent-ils pas informer ? Certains médecins préfèrent encore ne pas communiquer un diagnostic grave. Il s’agit souvent de médecins étant encore dans le modèle paternaliste. Mais, d’autres facteurs peuvent intervenir, liés au médecin lui-même [17,18]. Il y bien sûr la peur de la mort et, en particulier, de sa propre mort. Certains médecins ont peur d’être désapprouvés, comme s’ils étaient responsables de cette mauvaise nouvelle ou ne se sentent pas capables d’assumer l’impuissance de la médecine dans certaines circonstances. D’autres ont peur de ne pas être à la hauteur et de ne pas savoir réagir aux réactions émotionnelles du patient mais aussi aux leurs.

732 D’autres ne peuvent pas faire face à une sorte de surresponsabilité. Pourtant, « la parole qui tue » reste un fantasme. Les médecins doivent comprendre que l’annonce aura un impact important mais tenter de surmonter la crainte d’être « blâmé » ou de ne pas être capable de faire face à la situation [19].

Conséquences de la non-information Si une information est refusée au patient qu’il la demande ou non, la responsabilité juridique du médecin est engagée mais d’autres conséquences sont beaucoup plus graves [2]. Les relations du patient avec son entourage et avec l’équipe médicale sont faussées. Le patient va perdre confiance. Il n’y a pas de communication possible. Son isolement ira en s’accroissant tout comme son anxiété. Il ne pourra pas être rassuré sur ses peurs. Il ne pourra pas prendre les dispositions nécessaires quant à sa vie après l’annonce du diagnostic mais aussi quant à sa succession. Parfois, les patients refusent d’être informés. Ceci est rarement clairement exprimé. Cette situation est difficile à gérer. La position du patient doit être réévaluée plus tard.

Que dire ou ne pas dire ? L’équilibre n’est pas facile à trouver. L’anxiété ou la dépression sont souvent associées au sentiment d’en savoir trop ou trop peu [20]. Il est donc fondamental de s’enquérir de ce que comprend et ressent le malade. Donner une information systématiquement ou quasi systématiquement ne signifie pas que le médecin doit s’engager dans un monologue. Bien au contraire, il est plus important d’écouter que de parler [2]. L’information du malade par son médecin n’est pas une simple communication de données factuelles mais doit être située dans le cadre plus large du rapport du patient et du médecin au savoir de la médecine [9]. Il ne faut pas forcément tout dire mais il ne faut jamais mentir. L’information doit se dérouler dans une ambiance de vérité. Elle ne se limite pas au dévoilement d’un diagnostic c’est-à-dire qu’informer le patient c’est être disponible et capable de répondre véritablement à sa demande. Les questions et les demandes du patient peuvent être multiples et porter sur la maladie, les traitements, leurs répercussions, les conditions de vie ultérieures, ses propres réactions, la possibilité de trouver un sens à la vie qui lui reste, etc. Il ne faut jamais laisser de question sans réponse. Les connaissances médicales sont limitées, mais dire que l’on ne sait pas est déjà une réponse. Les renseignements donnés doivent être utiles au malade et ne doivent pas être des certitudes (d’ailleurs souvent très relatives) assénées au patient. Le patient n’est pas un ignare qui attend tout d’un médecin-qui-sait-tout. Il est surtout préoccupé de savoir comment il peut organiser sa vie et participer à la gestion de sa maladie et le dialogue dans le respect de chacun est indispensable. Il est clairement préférable d’éviter toute considération pronostique personnelle ou générale. Lorsque c’est possible, on peut (et on doit) dire que la maladie n’est

L. Misery et al. en général pas mortelle. Il n’est pas nécessaire de donner le détail de toutes les évolutions possibles. L’information doit évoluer au cours du temps. Il n’est pas utile et judicieux de tout dire tout de suite. En particulier, les messages de prévention ne seront efficaces que dans un deuxième temps. À l’occasion de ces messages, il est important de ne pas culpabiliser. Il est indispensable de maintenir un espoir, mais sans prescrire d’examen ou de traitement inutile [21] et donc de faux espoirs. L’espoir n’est pas forcément celui de guérir. Il peut s’agir de l’espoir de ne pas souffrir ou de l’espoir d’avoir une survie de quelques mois ou quelques années ou de ne pas se retrouver seul face à la maladie.

Comment le dire ? Si l’annonce est trop brutale, le patient vit tout contact futur avec le médecin comme une atteinte à son intégrité [10]. L’information doit avoir lieu de visu dans un environnement adapté, calme et confidentiel. Il est important de prendre le temps nécessaire pour que le patient puisse apprivoiser cette réalité difficile. Il est alors utile de penser à une stratégie [22], c’est-à-dire de prévoir les objectifs de la consultation ainsi que son déroulement : dans quel ordre va-t-on effectuer l’annonce ? Comment y préparer le patient ?. . . Pour cela, l’attention portée au malade et aux différentes dimensions de son être paraît capitale. L’annonce sera facilitée, si déjà lors de la première consultation, quand le praticien envisage la biopsie, il a pris le temps d’avoir une approche globale du patient c’est-à-dire qu’il a tenté de repérer ses liens familiaux, son milieu socioculturel, les éléments significatifs de son histoire, quelques traits de personnalité. On pourrait finalement dire que l’annonce d’une mauvaise nouvelle commence dès que le praticien y pense et qu’il met en œuvre la démarche pour son éventuelle confirmation. Il doit déjà avertir le patient de ce qu’il recherche et lui demander par exemple s’il veut être accompagné lorsqu’il viendra rechercher le résultat de l’examen anatomo-pathologique. Même si elle engendre une certaine angoisse, cette attitude aura permis au patient d’aménager déjà des adaptations défensives. L’information doit être claire, exprimée avec des termes compréhensibles, non agressive, neutre et progressive. Ce ne doit pas être un cours mais une discussion. Il est nécessaire de faire participer le malade et de lui laisser ainsi le contrôle de la quantité et de la vitesse des informations, toujours dans le but de lui permettre d’aménager des stratégies défensives face à l’angoisse d’une telle annonce. Il faut laisser de la place à l’espoir quel qu’il soit. Au moment où on les donne, il faut tenter d’accompagner les mauvaises nouvelles d’autres meilleures et de mots d’espoir. Il ne faut pas hésiter à reparler avec le patient quelques jours plus tard, à reprendre la discussion plusieurs fois. L’information n’est pas donnée une fois pour toute. Enfin, il est très important de laisser dans le dossier des traces de cette information : celle-ci ne se situe pas uniquement dans le colloque singulier médecin-malade car la prise en charge globale du malade nécessitera un travail d’équipe et cette dernière a besoin pour une meilleure communication avec

Annonce d’une mauvaise nouvelle en dermatologie

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le patient de savoir quelle information lui a été transmise et quelles ont été ses réactions initiales. . .

personnelle, de l’histoire familiale, du groupe culturel, de la religion, du contexte socioéconomique et évidemment de l’état psychologique [25].

Conduite à tenir après l’annonce

Spécificités du mélanome

La prescription systématique de psychotropes après l’annonce n’est pas justifiée, sauf en cas de diagnostic d’anxiété ou de dépression majeure. Cela peut paraître évident mais il est important de le rappeler, tant la pratique est parfois différente. En revanche, une intervention psychosociale précoce est souvent souhaitable, au minimum dans le cadre de la relation médecin-malade. Elle peut être représentée par des groupes de paroles, une psychothérapie de soutien (écoute et réassurance), une relaxation, une thérapie cognitive (éducation, management du stress, entraînement à la résolution de problèmes, soutien social). Dans le cadre des maladies chroniques, il peut aussi y avoir l’opportunité de commencer un traitement psychothérapique d’inspiration analytique.

L’annonce d’un mélanome primitif est une mauvaise nouvelle, mais n’est pas dramatique dans la très grande majorité des cas puisqu’il n’y aura pas de métastase. Cette situation est inhabituelle en cancérologie et il est alors facile de faire suivre la mauvaise nouvelle d’une bonne nouvelle, tout en restant attentif aux réactions du patient, qui ne sont pas toujours celles que l’on pourrait attendre. Au contraire, l’annonce d’un mélanome métastatique était celle d’une mort certaine et habituellement rapide jusqu’à une date récente. Les nouveaux traitements changent la problématique. Bien que la survie à long terme reste mal connue, la survie à court et moyen terme peut être augmentée, ce qui est une différence majeure avec les chimiothérapies, à peu près inefficaces. On peut donc donner de l’espoir, même si de nombreuses incertitudes demeurent. Mais de nouvelles problématiques apparaissent. Ainsi, il faut gérer des différences de destin potentiel entre des patients dont la tumeur a telle ou telle mutation et qui savent que tout se joue à ce niveau-là. En cas de succès d’une thérapeutique, celui-ci est souvent rapide, mais la durée d’efficacité peut être une source d’angoisse très importante. Au contraire, d’autres traitements peuvent avoir une efficacité retardée avec poursuite initiale de la progression de la maladie. Alors comment faire ? On revient aux fondamentaux : • donner une information loyale et claire, en s’adaptant aux demandes du patient et à son niveau de compréhension ; • ne pas mentir (mais ne pas tout dire) ; • ne pas transmettre de données statistiques (qui n’ont aucune valeur chez un patient donné) ; • ne jamais faire croire qu’on peut apporter des solutions miracles, mais au contraire rester modeste, empathique et scientifique ; • apporter un soutien psychologique dans la durée.

Mélanome Annonce d’un cancer Le terme « cancer » est associé immédiatement à la souffrance, à la solitude et à la mort. Le pronostic est pourtant souvent voisin des troubles cardiovasculaires. Mais annoncer un cancer est plus difficile qu’annoncer un infarctus ou une maladie métabolique grave ou même le sida. L’annonce d’un cancer réveille souvent des traumatismes anciens, en particulier la perte d’êtres chers. La qualité de relation médecin-malade est importante. Il est nécessaire d’avoir une relation de confiance, avec des mouvements transférentiels et contre-transférentiels positifs. Le mot « mélanome » a un impact plus modéré que le mot cancer par exemple, mais il faut pourtant rester clair sur la nature de la maladie, et ainsi dépassionner le mot « cancer ». Le mot « chimiothérapie » est très anxiogène et peut être facilement remplacé par d’autres mots plus précis, plus adaptés. Leur abandon progressif au profit des thérapies ciblées et des immunothérapies facilite les choses, ce d’autant plus qu’elles sont plus efficaces. Une étape essentielle consistera à apprécier la connaissance du malade sur le mélanome mais aussi ses représentations de cette affection, liées à son histoire [10]. Penser l’éducation du patient se réduit trop souvent à une réflexion sur la pédagogie et la communication. Le patient doit être reconnu comme sujet singulier mais aussi comme sujet désirant [23]. Il faut respecter la personnalité du patient et favoriser l’expression des émotions. Si celles-ci sont agressives, le médecin peut tenter de les calmer, tout en les laissant émerger. Le patient a non seulement un corps mais aussi une personnalité, des liens affectifs, un passé, un milieu socioculturel, un rôle social, des croyances, etc. Toutes ces composantes doivent être prises en compte car elles sont importantes dans la prise en charge [24]. En réalité, les différences de perception de ce qu’est un cancer sont présentes dès le dépistage (ou le refus de dépistage) et sont très variables en fonction de l’histoire

Psoriasis Ici, la mauvaise nouvelle est celle d’une maladie chronique, altérant tout autant la qualité de vie [26], et disposant de nombreux traitements mais dont aucun ne permet la guérison. L’annonce d’un psoriasis n’est donc pas aussi évidente qu’on pourrait le croire. Même si elle peut être réalisée en plusieurs temps, l’information doit rapidement permettre de comprendre que le psoriasis est une maladie chronique (pour éviter au patient de chercher n’importe où une guérison impossible), mais pour laquelle nous disposons de nombreux traitements efficaces (donnant ainsi très vite de l’espoir). Il faut aussi d’emblée dire que ce n’est pas contagieux, pour prévenir dès que possible une autostigmatisation. La part de la génétique doit être abordée avec prudence, en s’enquérant du contexte familial. D’une manière générale, le psoriasis est une maladie fréquente donc connue (mais pas toujours). Les connaissances des

734 patients sont parfois erronées. Le dialogue est donc indispensable et participe aussi de l’éducation thérapeutique, qui doit être engagée assez tôt [13].

Génodermatoses L’annonce d’une maladie génétique rejoint celle du psoriasis dans la mesure où il s’agit d’une maladie chronique avec un retentissement important sur la qualité de vie. Mais il n’y a habituellement pas de traitement et nous sommes dans le contexte de maladies rares, qui peuvent être mortelles. Un diagnostic précis est toutefois particulièrement important car l’angoisse générée par un diagnostic flou ou une absence de diagnostic est souvent très grande. De plus, cela permet de définir la probabilité d’autres cas dans la famille. Les questions sur un avenir inéluctable, personnel et familial, prédominent. La problématique familiale tient une grande place ici. La culpabilité des parents ou d’un parent est souvent présente, le sentiment d’injustice du patient aussi. Parfois, des conflits familiaux sont attisés. Parfois, des paternités ou des non-paternités inattendues sont découvertes. La question de l’information de mineurs ou de majeurs sous tutelle est souvent posée. Rappelons ce que dit la loi à ce sujet « Les droits des mineurs ou des majeurs sous tutelle sont exercés selon les cas par les titulaires de l’autorité parentale ou par le tuteur. Ceux-ci rec ¸oivent l’information prévue par le présent article sous réserve des dispositions de l’article L1111-5. Les intéressés ont le droit de recevoir eux-mêmes une information et de participer à la prise de décision les concernant d’une manière adaptée, soit à leur degré de maturité s’agissant des mineurs, soit à leur faculté de discernement s’agissant des majeurs sous tutelle ». Pour ce qui est des mineurs, la tendance actuelle est de les informer de plus en plus tôt et de protéger leurs droits par le secret médical de plus en plus tôt. C’est une excellente avancée, mais qui demande beaucoup de précautions et n’exclut pas de rechercher une alliance avec les parents aussi.

Infections sexuellement transmissibles (IST) Il peut s’agir de maladies chroniques et potentiellement fatales (sida) mais plutôt de maladies aiguës ou subaiguës en général. Mais même si le diagnostic est banal pour le médecin, il ne l’est souvent pas pour le patient [27] ! En effet, les IST restent encore des maladies « honteuses », par lesquelles les gens se sentent « salis ». Certaines, comme la gale, ont une connotation particulièrement négative et leur annonce peut aussi représenter un choc psychologique. Le choc peut aussi survenir si une IST est une surprise. Cela signifie brutalement au patient qu’il (elle) a été trompé(e), mauvaise nouvelle non médicale mais sousjacente et plus importante que tout pour la personne concernée. Il est important de répondre de manière franche mais dans la mesure où la science le permet. Ainsi, il est facile de répondre sur la date possible de la contamination

L. Misery et al. pour une gonococcie mais impossible pour des infections à papillomavirus. Il peut aussi exister un sentiment de culpabilité. La culpabilité peut se situer par rapport à l’infidélité commise ou par rapport à un « accident » vis-à-vis d’une conduite que le patient s’était fixée ou que la société ou un groupe culturel (religion ou autre) lui avait fixé. Le retentissement sur la vie sexuelle peut être majeur et durable. Des symptômes subjectifs peuvent persister longtemps, souvent pour des raisons psychologiques. Pour le médecin, connaître les circonstances de contamination n’a aucun intérêt réel, ce qui n’empêche pas d’aborder simplement les diverses pratiques sexuelles afin de donner des conseils de prévention. En revanche, il est indispensable de lui indiquer qu’il doit prévenir son, sa ou ses partenaires, pour diagnostic et traitement. Du point de vue médical, le sens de la contamination n’a pas d’importance : ce qui importe, c’est de traiter le consultant et ses partenaires. Si le patient est accompagné, s’assurer de la qualité de la personne accompagnante (conjoint, partenaire, membre de la famille, ami, etc.) doit être le premier réflexe. Il faut demander clairement au patient si des informations peuvent être données devant cette personne car le secret médical doit être scrupuleusement respecté. C’est le cas pour toute information médicale, mais cette notion prend particulièrement d’importance ici. . .

Dermatoses psychosomatiques Nous entendrons par dermatose psychosomatique ici une atteinte cutanée dans laquelle des facteurs psychiques jouent un rôle. On pourrait s’attendre à ce que le diagnostic de symptômes inexpliqués jusque-là soit une bonne nouvelle. Paradoxalement, ceci peut aussi constituer une mauvaise nouvelle car un tel diagnostic concerne aussi l’intimité, peut être vécu comme « infamant » ou nécessitant une remise en cause personnelle. Si nombre de patients sont très soulagés d’être enfin compris, d’autres le vivent comme une « accusation » face à laquelle ils réagissent avec culpabilité ou sentiment d’injustice. Un sentiment de honte peut aussi être présent car la « folie » au sens large du terme n’a pas bonne presse. Des réactions féroces de déni peuvent être rencontrées parce qu’il est beaucoup plus facile, chez certains patients, d’avoir des symptômes physiques que de mettre à jour une grande souffrance psychique. Là-aussi, un tel diagnostic doit être annoncé prudemment et progressivement. Il est très important que le médecin soit à l’aise avec le rôle du psychisme, c’est-à-dire qu’il reste dans une position scientifique, sachant faire la part entre le rôle de la vie psychique dans toute symptomatologie et la prudence nécessaire pour éviter toute interprétation abusive. La meilleure solution est probablement d’évoquer spontanément la possibilité de facteurs psychiques et d’autres facteurs d’emblée lorsqu’on suspecte la possibilité d’un diagnostic tel que des excoriations psychogènes, une pathomimie, un prurit psychogène ou simplement le rôle du stress dans une dermatose classique. Il est ensuite possible d’avancer des arguments pour la récuser ou la confirmer. Mais il est bien certain qu’annoncer brutalement un diagnostic tel que « c’est le stress » ou « c’est

Annonce d’une mauvaise nouvelle en dermatologie psychologique » sans jamais l’avoir évoqué auparavant et uniquement parce qu’un bilan est dit « négatif » est mal vécu et conduit naturellement à remettre en doute la qualité de la prise en charge médicale. Afin de permettre une prise en charge thérapeutique, le diagnostic d’un trouble psychique ou de l’aggravation d’une dermatose par des facteurs psychiques doit être annoncé clairement à un moment ou à un autre. Mais il y a des exceptions, où une telle annonce peut être particulièrement délétère, en particulier dans le cas de la pathomimie, où elle est même contre-indiquée [28].

Conclusions Il n’y a pas de technique miracle lorsqu’il faut annoncer une maladie grave. Réduire la relation médecin-malade à l’utilisation de techniques de communication qu’il faudrait « réussir » est une véritable régression et ne devrait plus se voir au XXIe siècle. Bien entendu, chaque cas est particulier et chaque médecin a sa propre démarche. Pour comprendre ce qui se passe pendant et après l’annonce et adapter son attitude, il apparaît très utile d’avoir certaines connaissances, que nous avons tenté d’apporter en partie ici. Nous recommandons aussi la lecture des recommandations de la Haute Autorité de santé. Mais une véritable éthique de la relation médecin—malade reste le point le plus important.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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