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ScienceDirect www.sciencedirect.com Médecine et maladies infectieuses 46 (2016) 49–51

Cas clinique

Sepsis grave lié à un abcès pulmonaire avec bactériémie à Elizabethkingia miricola Severe sepsis and pulmonary abscess with bacteremia due to Elizabethkingia miricola C. Gonzalez a , N. Coolen-Allou b , J. Allyn a , J.-B. Estève c , O. Belmonte d , N. Allou a,∗ a

Service de réanimation polyvalente, centre hospitalier universitaire Félix-Guyon, allée des Topazes, 97400 Saint-Denis, France b Service de pneumologie, centre hospitalier universitaire Félix-Guyon, allée des Topazes, 97400 Saint-Denis, France c Service de cardiologie, centre hospitalier universitaire Félix-Guyon, allée des Topazes, 97400 Saint-Denis, France d Service de bactériologie, centre hospitalier universitaire Félix-Guyon, allée des Topazes, 97400 Saint-Denis, France Rec¸u le 2 octobre 2015 ; rec¸u sous la forme révisée le 6 octobre 2015 ; accepté le 21 octobre 2015 Disponible sur Internet le 19 novembre 2015

Mots clés : Sepsis ; Abcès pulmonaire ; Bactériémie ; Elizabethkingia miricola Keywords: Sepsis; Pulmonary abscess; Bacteremia; Elizabethkingia miricola

1. Introduction Elizabethkingia miricola est une bactérie à Gram négatif, isolée pour la 1re fois en 2003 de l’eau de condensation de la station spatiale russe Mir [1] et dont le génome a été récemment séquencé [2]. Initialement nommée Chryseobacterium miricola, le séquenc¸age du gène de l’ARN ribosomique 16S a montré une similitude allant de 91,9 à 93 % avec les autres espèces du genre Chryseobacterium. Elle a été reclassée avec Chryseobacterium meningosepticum dans le genre Elizabethkingia suite aux analyses phylogénétiques et phénotypiques des souches qui ont montré des différences phénotypiques importantes avec les Chryseobacterium [3]. L’incidence des infections liées à ce germe et la prise en charge thérapeutique sont méconnues, il n’y a que 2 cas cliniques ayant été rapportés à ce germe [4,5]. 2. Présentation du cas Il s’agissait d’une patiente de 31 ans, ayant un antécédent d’hypertension artérielle, n’ayant pas effectué de voyage récent. L’histoire de la maladie a été marquée par une altération de l’état général, une toux sèche, de la fièvre à 38,6 ◦ C et une dyspnée s’aggravant depuis un mois, associées à un tableau d’anasarque ∗

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (N. Allou).

http://dx.doi.org/10.1016/j.medmal.2015.10.011 0399-077X/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

faisant découvrir une insuffisance cardiaque globale sur une cardiopathie dilatée ischémique (mise en évidence d’un thrombus au niveau de l’artère interventriculaire antérieure proximale à la coronarographie) avec une fraction d’éjection systolique à 10 % imposant l’instauration de catécholamines. À l’entrée, le scanner thoracique a retrouvé une condensation lobaire inférieure droite ainsi qu’une lame d’épanchement pleural droit. Par ailleurs, il a été mis en évidence un thrombus intraventriculaire gauche ainsi qu’une thrombose de la veine sous-clavière gauche. Les hémocultures, l’examen cytobactériologique des urines et les antigénuries légionelle et pneumocoque étaient négatifs. La ponction pleurale droite avant antibiothérapie a mis en évidence un exsudat avec à 51 g/L de protides, 450 leucocytes (avec 64 % de polynucléaires neutrophiles, 20 % de monocytes et 16 % de lymphocytes), Lactate déshydrogénase à 1196 UI/L et une culture stérile au 5e jour. La fibroscopie bronchique à l’admission n’a pas pu être réalisée étant donné l’instabilité respiratoire et le refus de la patiente. Une antibiothérapie par ceftriaxone et métronidazole a été introduite. Elle était ensuite traitée par corticothérapie dans l’hypothèse d’une maladie auto-immune devant le tableau de thromboses multiples inexpliquées. Devant la dégradation respiratoire et hémodynamique, elle a été admise en réanimation. À l’examen clinique en réanimation, elle avait un indice de masse corporel à 26 kg/m2 , une saturation en oxygène à 98 % sous 4 L/min d’O2 , une pression artérielle à

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C. Gonzalez et al. / Médecine et maladies infectieuses 46 (2016) 49–51 ceftriaxone/métronidazole (J0) pipéracilline/tazobactam (J2) pipéracilline/tazobactam et ciprofloxacine (J4)

300

CRP (mg/L)

240

180

Fig. 1. Angioscanner thoracique en fenêtre parenchymateuse : excavation pulmonaire droite et épanchement pleural droit. Cardiomégalie et thrombus intraventriculaire gauche. Chest computed tomography scan: right lung abscess and right pleural effusion. Dilated cardiomyopathy with left ventricular thrombus.

120

93/55 mmHg, une fréquence cardiaque à 81/min et une température à 36,6 ◦ C. À l’auscultation pulmonaire, il y avait à la base droite une diminution du murmure vésiculaire avec un souffle tubaire. Le reste de l’examen était sans particularité. Un nouvel angioscanner thoracique (Fig. 1) a été réalisé qui a montré un volumineux abcès pulmonaire droit associé à un épanchement pleural droit de faible abondance. Le bilan biologique objectivait une ré-ascension du syndrome inflammatoire avec une protéine C réactive (CRP) à 308,4 mg/L, une procalcitonine à 0,35 ␮g/L et une hyperleucocytose à 18,5 G/L à prédominance de polynucléaires neutrophiles (14,4 G/L). Le taux d’Hb était à 13,1 g/dL, les plaquettes à 224 G/L, le TCA de la patiente à 38 s pour un TCA témoin à 32 s, le TQ patiente à 18,1 s pour un TQ malade à 13,4 s, le taux de prothrombine était à 56 % avec un facteur V à 76 % et le fibrinogène était à 5,4 g/L. Par ailleurs, la fonction rénale, le bilan hépatique complet et l’ionogramme sanguin étaient normaux. Les bilans de thrombophilie et de maladies auto-immunes ne mettaient pas en évidence d’anomalies significatives. L’antibiothérapie a été modifiée pour de la pipéracilline/tazobactam (4 g/6 h). Quatre hémocultures sont revenues positives à E. miricola : la première prélevée 2 jours avant le changement d’antibiothérapie, qui a été considérée initialement comme une souillure, et les 3 autres les 3 jours suivants.

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3. Analyse microbiologique et mise en évidence du germe Les hémocultures ont été isolées par le système BACTEC FX (Becton Dickinson). La détection a été effectuée par immunofluorescence, puis les prélèvements ont été examinés par une coloration de Gram et mis en culture en milieu MHiso (Müller Hilton isovitalex, marque Biomerieux). Après incubation pendant 24 heures à 37,8 ◦ C, les colonies ont été identifiées par la technique de spectrométrie de masse MALDI TOF (Matrix Assisted Laser Desorption/Ionization Time Of Flight). L’antibiogramme a été effectué sur un milieu de MuellerHinton, et la lecture par sirscann 2000. Le référentiel EUCAST

CRP (mg/L)

60

0

5

10

15

20

25

30

35

40

Jours

Fig. 2. Évolution de la protéine C réactive (CRP) en fonction du temps sous antibiothérapie. C-reactive protein levels during antibiotic therapy.

(European Committee on Antimicrobial Susceptibility Testing) 2015 version 2.1 a été utilisé pour la lecture de l’antibiogramme. E. miricola n’y étant pas référencée, la base de Pseudomonas aeruginosa a été utilisée pour la lecture. 4. Profil de résistance La souche était résistante à toutes les céphalosporines, à la ticarcilline, aux carbapénèmes, à l’aztréonam, à l’amikacine, au cotrimoxazole et à la fosfomycine. La souche était rendue sensible à la gentamicine, à la tigécycline (concentration minimale inhibitrice à 1,5 mg/L), à la ciprofloxacine et à la pipéracilline. 5. Évolution Devant la persistance des hémocultures sous antibiothérapie par pipéracilline/tazobactam bien conduite, un changement des cathéters artériel et veineux a été effectué (qui sont revenus stériles), l’antibiothérapie a été complétée par 2 injections de gentamicine à 8 mg/kg pendant 2 jours, la pipéracilline/tazobactam était poursuivie à la même posologie (16 g/j) mais en continu et de la ciprofloxacine (400 mg/8 h) a été rajoutée. L’évolution sur les plans respiratoire et inflammatoire était favorable, permettant un sevrage de l’oxygène à j30, une régression franche du syndrome inflammatoire (Fig. 2) et la négativation des hémocultures sous bi-antibiothérapie. Le scanner thoracique de contrôle montrait une régression de l’abcès pulmonaire et de l’épanchement pleural.

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6. Discussion

7. Conclusion

E. miricola est un germe récemment isolé et peu souvent retrouvé dans la littérature [4,5]. Ce germe, a priori non pathogène chez les sujets immunocompétents, semble pathogène chez les sujets immunodéprimés. Dans le premier cas, le patient [4] a développé une pneumopathie au décours d’une chimiothérapie suite à une allogreffe de cellules souches pour un lymphome du manteau. La souche avait été mise en évidence dans les hémocultures et les expectorations. Chez le second patient [5], non strictement immunodéprimé, mais éthylique chronique hospitalisé pour une pancréatite aiguë alcoolique grave avec une atteinte hépatique grave, le germe avait été mis en évidence sur des hémocultures. Dans les 2 cas cliniques précédemment décrits, les patients avaient également rec¸u une antibiothérapie préalable. Le premier patient avait été traité par ceftazidime et vancomycine puis meropénème [4] et le deuxième patient par imipénème [5]. E. miricola semble avoir un tropisme respiratoire, deux des trois cas cliniques reportant des infections respiratoires à ce germe [4]. Le traitement des sepsis à ce germe est mal connu. Dans ce cas clinique, la monothérapie par pipéracilline/tazobactam a été un échec microbiologique et biologique. Cet échec a pu être lié à un défaut de concentration d’antibiotique au niveau du site infecté. Après adjonction de ciprofloxacine, les hémocultures sont revenues stériles et l’état général s’est amélioré. Dans les autres cas de la littérature, l’évolution a également été favorable après un traitement par bi-antibiothérapie ; une association tigécycline et lévofloxacine dans le 1er cas [4] et par l’association pipéracilline/tazobactam et ciprofloxacine dans le 2e cas [5]. Il n’y a pas de recommandations établies pour définir les concentrations minimales inhibitrices des différents antibiotiques pour E. miricola et le peu de données dans la littérature concernant les infections à ce germe rendent sa prise en charge thérapeutique incertaine (bithérapie ? durée de traitement ?).

E. miricola est un microorganisme pouvant être en cause dans le cas d’infections graves chez des patients immunodéprimés. E. miricola possède de nombreux gènes de résistance codant notamment pour des bétalactamases le rendant résistant à de nombreuses classes d’antibiotiques. Le traitement d’un sepsis à ce germe devrait possiblement reposer sur une bi-antibiothérapie. Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Remerciements Acquisition des données : C.G., N.C.A., J.A., J.B.E., O.B., M.D., N.A. Rédaction du cas clinique : C.G., N.C.A., O.B., N.A. Révisions importantes du cas clinique : C.G., N.C.A., O.B., O.B., N.A. Supervision du cas clinique : N.A., J.A. Références [1] Li Y, Kawamura Y, Fujiwara N, Naka T, Liu H, Huang X, et al. Chryseobacterium miricola sp. nov., a novel species isolated from condensation water of space station Mir. Syst Appl Microbiol 2003;26(4):523–8. [2] Matyi SA, Hoyt PR, Ayoubi-Canaan P, Hasan NA, Gustafson JE. Draft genome sequence of strain ATCC 33958, reported to be Elizabethkingia miricola. Genome Announc 2015;3(4), http://dx.doi.org/ 10.1128/genomeA.00828-15 [pii: e00828-15]. [3] Kim KK, Kim MK, Lim JH, Park HY, Lee ST. Transfer of Chryseobacterium meningosepticum and Chryseobacterium miricola to Elizabethkingia gen. nov. as Elizabethkingia meningoseptica comb. nov. and Elizabethkingia miricola comb. nov. Int J Syst Evol Microbiol 2005;55(Pt 3):1287–93. [4] Green O, Murray P, Gea-Banacloche JC. Sepsis caused by Elizabethkingia miricola successfully treated with tigecycline and levofloxacin. Diagn Microbiol Infect Dis 2008;62(4):430–2. [5] Rossati A, Kroumova V, Bargiacchi O, Brustia D, Luigi Garavelli P. Elizabethkingia miricola bacteriemia in a young woman with acute alcoholic pancreatitis. Presse Med 2015, http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2015.08.003 [pii: S0755-4982(15)00375-9].

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