Revue des Maladies Respiratoires (2014) 31, 255—258

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CAS CLINIQUE

Hypercalcémie majeure révélatrice d’une sarcoïdose induite par étanercept Severe hypercalcaemia revealing sarcoidosis precipitated by etanercept A. Watrin a,b, M. Royer b,c, E. Legrand b,c, F. Gagnadoux a,∗,b a

Département de pneumologie, CHU d’Angers, 4, rue Larrey, 49033 Angers cedex 9, France Université Nantes-Angers-Le-Mans, Angers, France c Service de rhumatologie, CHU d’Angers, 49033 Angers cedex 9, France b

Rec ¸u le 9 avril 2013 ; accepté le 30 avril 2013 Disponible sur Internet le 26 juillet 2013

MOTS CLÉS Sarcoïdose ; Anti-TNF ; Hypercalcémie ; Splénomégalie ; Étanercept



Résumé Introduction. — Les principaux effets secondaires des biothérapies anti-TNF alpha sont maintenant bien connus, notamment le risque d’infections opportunistes. Certains effets paradoxaux sont plus exceptionnellement décrits, tels que le développement de réactions granulomateuses de type sarcoïdose. Observation. — Nous rapportons ici l’observation d’une femme de 39 ans suivie pour une polyarthrite rhumatoïde sévère traitée par étanercept depuis cinq ans, hospitalisée en urgence pour vomissements et douleurs abdominales diffuses révélant une hypercalcémie majeure avec insuffisance rénale aiguë. Après correction des troubles métaboliques sous hydratation et biphosphonates, le scanner thoracoabdominopelvien a montré la présence d’un syndrome interstitiel bilatéral et d’une volumineuse splénomégalie hétérogène. Le diagnostic de sarcoïdose a été confirmé par les biopsies bronchiques perendoscopiques. L’évolution a été favorable après l’arrêt de l’étanercept et une corticothérapie à doses décroissantes. Conclusion. — Le risque de sarcoïdose induite doit être connu chez les patients sous anti-TNF et doit être évoqué en cas d’hypercalcémie majeure et/ou de splénomégalie. © 2013 SPLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F. Gagnadoux).

0761-8425/$ — see front matter © 2013 SPLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.rmr.2013.04.029

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KEYWORDS Sarcoidosis; Anti-TNF; Hypercalcaemia; Splenomegaly; Etanercept

A. Watrin et al. Summary Introduction. — The principal secondary effects of anti-TNF alpha therapy are now well understood, particularly the risk of opportunistic infections. Other paradoxical effects have been described much more occasionally such as the developement of sarcoid-like granulomatous reactions. Case report. — We report here the case of a woman of 39 years treated for severe rheumatoid arthritis for five years with etanercept. She was admitted to hospital as an emergency with vomiting and diffuse abdominal pain. Investigations revealed severe hypercalcaemia and acute renal failure. After correction of the metabolic disturbances with rehydration and biphosphonates, CT scanning of the abdomen, pelvis and thorax showed bilateral interstitial infiltration and splenomegaly. The diagnosis of sarcoidosis was confirmed by endoscopic bronchial biopsies. Progress was satisfactory following withdrawal of the etanercept and corticosteroid therapy in reducing dosage. Conclusion. — The risk of induced sarcoidosis should be understood in patients receiving antiTNF therapy and should be considered in cases of hypercalcaemia and/or splenomegaly. © 2013 SPLF. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction La sarcoïdose est une maladie chronique inflammatoire d’étiologie mal élucidée. Son diagnostic est basé sur un tableau clinicoradiologique et/ou sur l’existence de granulomes épithélioïdes sans nécrose caséeuse. Le principal acteur de cette formation de granulomes est le TNF alpha, associé aux cytokines Th1 [1]. Les traitements par anti-TNF tels que l’étanercept, l’infliximab et l’adalimumab sont utilisés, avec une très grande efficacité, dans la polyarthrite rhumatoïde, l’arthrite juvénile idiopathique polyarticulaire, le rhumatisme psoriasique et la spondylarthrite ankylosante. Ils peuvent également être utilisés dans les sarcoïdoses réfractaires [2]. Les principales complications de ces traitements sont dominées par les pathologies infectieuses, mais récemment ont été décrites des complications inflammatoires paradoxales comme le psoriasis, l’uvéite antérieure ou les granulomatoses telles que la maladie de Crohn ou les sarcoïdoses [3,4]. Nous présentons une observation originale de granulomatose sarcoïdosique induite par anti-TNF, révélée par une hypercalcémie majeure et une importante splénomégalie.

Observation Une patiente de 39 ans, traitée depuis cinq ans par étanercept en injections sous-cutanées hebdomadaires associé à du diclofénac à faible dose, a été hospitalisée en réanimation médicale pour des vomissements importants depuis sept jours, associés à des douleurs abdominales et à une altération de l’état général avec une anorexie. L’examen initial retrouvait une saturation à 97 % en air ambiant, une douleur abdominale diffuse sans défense et une splénomégalie indolore. Le bilan biologique montrait une calcémie corrigée à 4,18 mmol/L avec une insuffisance rénale aiguë (créatininémie à 225 ␮mol/L). La numération sanguine, l’ionogramme sanguin et le bilan hépatique étaient normaux. La CRP était à 28 mg/L. Le TP était à 60 % avec

un facteur V normal. L’échographie abdominale retrouvait une splénomégalie majeure à 14 cm, avec une augmentation du réseau veineux splénique, portal et mésentérique inférieur. La radiographie thoracique montrait un syndrome interstitiel bilatéral. L’ECG était sans anomalie. Un bilan étiologique d’hypercalcémie a été réalisé : la phosphatémie, la parathormone (PTH), la PTH related protein (PTH RP) étaient normales et la 1,25-hydroxyvitamine D augmentée à 96 pg/mL. L’enzyme de conversion de l’angiotensine (ECA) était élevée à 88 UI/L. L’électrophorèse des protéines plasmatiques objectivait une forte hypoalbuminémie à 31 g/L. Les facteurs rhumatoïdes étaient positifs à 397 UI/mL et les anticorps anti-CCP positifs à 340 UI/mL. Le quantiféron était négatif. Après un traitement par hyperhydratation et biphosphonates, la calcémie et l’insuffisance rénale se sont normalisées. Le scanner thoracoabdominopelvien (Fig. 1) montrait la présence d’un syndrome interstitiel bilatéral prédominant dans le champ pulmonaire droit et d’une volumineuse splénomégalie hétérogène. Le lavage bronchoalvéolaire objectivait 360 éléments/mm3 dont 68 % de lymphocytes, 29 % de macrophages, 1 % de polynucléaires neutrophiles, 1 % d’éosinophiles, 1 % de plasmocytes et l’absence de sidérophage et d’élément microbien. Les biopsies bronchiques étagées révélaient des granulomes épithélioïdes, sans nécrose caséeuse, permettant de poser le diagnostic de sarcoïdose. Aux épreuves fonctionnelles respiratoires, le transfert de monoxyde de carbone (TCO) était diminué à 37 % des valeurs prédites, sans amputation des débits ou des volumes. La patiente a été traitée par corticothérapie 1 mg/kg par jour et l’arrêt de l’étanercept. L’évolution a été marquée par une normalisation clinique et biologique avec absence de récidive de l’hypercalcémie et amélioration des images tomodensitométriques à six mois (Fig. 2). Dix mois après l’épisode initial, l’arrêt de l’étanercept et une corticothérapie à doses très progressivement décroissantes jusqu’à la dose de 7 mg/j, la patiente était totalement asymptomatique. Aucun traitement de fond de la polyarthrite n’a été repris.

Hypercalcémie sous anti-TNF

Figure 1. Tomodensitométrie thoracoabdominale initiale en fenêtre parenchymateuse : a : micronodules sous-pleuraux, péribronchiques et périvasculaires bilatéraux avec des plages en verre dépoli et des adénopathies hilomédiastinales et à l’étage abdominal ; b : une splénomégalie hétérogène avec de multiples plages hypodenses mitées micronodulaires au sein du parenchyme.

Discussion Cette observation rapporte un cas de sarcoïdose histologiquement prouvée révélée par une hypercalcémie majeure pour laquelle la responsabilité de l’étanercept a été retenue sur les critères chronologiques et l’amélioration à l’arrêt du traitement et sous corticothérapie à doses progressivement décroissantes. La majorité des cas précédemment publiés de sarcoïdoses induites sous traitement par anti-TNF concernait des patients traités pour une polyarthrite rhumatoïde et survenait dans un délai moyen de 20 mois (entre un mois et cinq ans) [3—6]. L’évolution était favorable dans la majorité des cas à l’arrêt du traitement par anti-TNF. L’analyse de la littérature ne révèle pas de spécificité clinique évidente des sarcoïdoses induites par anti-TNF par rapport aux sarcoïdoses non induites. Il existe toutefois quelques différences. Le pic d’incidence est inversé avec une majorité de patients en période périménopausique et un pic moins important entre 20 et 40 ans dans les sarcoïdoses induites. La calcémie est perturbée dans 11 % des cas de sarcoïdoses non induites [7] contre 3 % dans notre relevé de la littérature dans les sarcoïdoses induites par anti-TNF. L’enzyme de conversion de l’angiotensine est augmentée chez 19 % des patients contre environ 60 % chez les patients atteints

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Figure 2. Tomodensitométrie thoracoabdominale à six mois de l’arrêt de l’étanercept : régression franche du syndrome interstitiel avec persistance de rares micronodules pulmonaires (a) et normalisation radiologique de la rate (b).

de sarcoïdose non induite par anti-TNF [7]. Enfin l’atteinte splénique, très particulière dans cette observation, n’avait jamais été décrite auparavant dans les formes induites par anti-TNF. La physiopathologie des sarcoïdoses induites par antiTNF fait intervenir trois hypothèses. Les anti-TNF pourraient entraîner une plus forte production d’interféron gamma qui est très impliquée dans la formation des granulomes. Une seconde hypothèse impliquerait des agents infectieux favorisés par l’effet immunosuppresseur des anti-TNF, notamment à Propionibacterium acnes ou granulosum qui a été identifié comme possible agent étiologique de la sarcoïdose [8]. Cependant, P. acnes n’a été retrouvé que chez un seul des cas publiés dans la littérature. La dernière hypothèse sur la survenue d’une sarcoïdose sous anti-TNF reposerait sur la diminution de la corticothérapie à l’introduction des anti-TNF qui pourrait démasquer une sarcoïdose sous-jacente latente [4]. Cependant, l’amélioration systématique clinique et radiologique, même en l’absence de traitement par corticothérapie, uniquement par l’arrêt des anti-TNF, va peu dans ce sens. L’originalité de notre observation repose sur son mode de révélation sous la forme d’une hypercalcémie majeure. L’hypercalcémie n’est présente que dans 11 % des cas de sarcoïdoses non induites par ces traitements [7] et celle-ci n’est que très rarement symptomatique. Parmi les observations de sarcoïdoses induites par anti-TNF, seules deux rapportaient

258 une hypercalcémie modérée et non symptomatique. La pathogénie de cette hypercalcémie est la production non régulée par les macrophages des granulomes d’un alpha hydroxylase qui transforme la 25-hydroxyvitamine D3 (25-OH D3) en calcitriol (1-25-OH D3). L’augmentation du calcitriol aboutit à une augmentation de l’absorption intestinale du calcium [9]. En dehors des complications aiguës possibles, notamment la déshydratation, l’insuffisance cardiaque et les troubles cardiologiques, l’hypercalcémie ne semble pas être un facteur pronostique péjoratif dans l’évolution. La présence d’une splénomégalie n’a jamais été décrite dans la sarcoïdose induite par anti-TNF et est peu fréquente dans les formes non induites puisqu’elle est estimée à 10 % des cas, le plus souvent homogène [10]. Les données issues de séries autopsiques ou de ponctions spléniques chez les patients confirment la présence de granulomes épithélioïdes typiques de sarcoïdose. On retrouve également fréquemment la présence simultanée d’un taux élevé d’ECA qui serait un bon reflet de la masse granulomateuse totale [10]. Une hypertension portale liée à une atteinte simultanée hépatique avec obstruction granulomateuse présinusoïdale [10] pourrait expliquer certaines splénomégalies dans la sarcoïdose, ce qui est probablement le cas chez notre patiente. Certains auteurs attribuent une valeur pronostique défavorable à la splénomégalie dans la sarcoïdose avec un risque plus élevé d’évolution chronique [10]. Cependant, cette notion demeure débattue, et malgré la présence d’une très volumineuse splénomégalie hétérogène, nous avons noté une évolution favorable dans notre observation.

Conclusion Le risque de sarcoïdose induite doit être connu chez les patients sous anti-TNF et doit être évoqué en cas d’hypercalcémie majeure et/ou de splénomégalie.

A. Watrin et al.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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[Severe hypercalcemia revealing sarcoidosis precipitated by etanercept].

The principal secondary effects of anti-TNF alpha therapy are now well understood, particularly the risk of opportunistic infections. Other paradoxica...
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