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Article de recherche

Être soi-même sur le Net : un facteur de risque à l’usage problématique d’Internet chez les personnes insécures Self-disclosure on the Net: A risk factor for problematic use of the Internet among insecure persons M. Danet a,∗ , R. Miljkovitch b a b

EA 4072, PSITEC – psychologie : interactions temps émotions cognition, université de Lille, 3, domaine du Pont-de-Bois, BP 60149, 59000 Lille, France Équipe CRAC, laboratoire Paragraphe, UFR de psychologie, université Paris 8, 2, rue de la Liberté, 93526 Saint-Denis cedex 02, France

i n f o

a r t i c l e

Historique de l’article : Rec¸u le 9 avril 2014 Accepté le 24 novembre 2014 Disponible sur Internet le xxx Mots clés : Attachement Internet Addiction Real-me

r é s u m é La question de l’usage problématique d’Internet occupe aujourd’hui une place grandissante dans les services de consultations psychiatriques. Le nouveau mode d’interaction offert par l’Internet facilite l’expression de soi, notamment pour les personnes anxieuses socialement qui ont un modèle de soi négatif. Les recherches font état d’un lien entre attachement insécure et usage problématique d’Internet. La présente étude préliminaire vise une meilleure compréhension de ce lien et notamment du rôle joué par l’expression de soi sur l’Internet. Deux cents adultes tout-venant ont rempli trois auto-questionnaires : le Relationship Scale Questionnaire, l’Internet Addiction Test, et le « Real-me » questionnaire. Les résultats indiquent un lien entre l’usage problématique d’Internet et, respectivement, l’attachement préoccupé et l’attachement craintif. Ces deux styles d’attachement sont caractérisés par un modèle de soi négatif. Des analyses complémentaires montrent que le lien entre modèle de soi et usage problématique d’Internet est médiatisé par l’expression de soi sur Internet. La recherche d’un milieu sécurisant pour échanger pourrait ainsi jouer un rôle dans le recours excessif à ce média. Une prise en charge thérapeutique visant la constitution d’un modèle de soi positif pourrait permettre de réduire le recours à l’Internet et limiter le risque d’un usage problématique. © L’Encéphale, Paris, 2015.

a b s t r a c t Keywords: Attachment Internet Addiction Real-me

Introduction. – Problematic use of the Internet (PUI) is more and more commonly seen among psychiatry patients. PUI is defined as an excessive preoccupation about and use of the Internet, which can be characterized by more time spent on-line than what was planned, with difficulties leading to distress or significant disorders. The new mode of interaction provided by the Internet facilitates self-disclosure, especially for socially anxious persons who feel safer and more comfortable in on-line compared with face-to-face interactions. Several studies point to the fact that insecure attachment, and particularly preoccupied attachment, is associated with problematic use of the Internet. Preoccupied attachment is characterized by a negative model of self and a positive model of others. Persons with a negative model of self feel anxious in interpersonal relationships. Because self-disclosure is easier on-line, it may play a role in problematic use of the Internet. Aims. – The aim of the study is to better understand the link between insecure attachment and problematic use of the Internet, by examining the mediating role of self-disclosure.

∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Danet). http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2015.12.019 0013-7006/© L’Encéphale, Paris, 2015.

Pour citer cet article : Danet M, Miljkovitch R. Être soi-même sur le Net : un facteur de risque à l’usage problématique d’Internet chez les personnes insécures. Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2015.12.019

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Method. – Participants anonymously completed the following self-questionnaires on-line: the Internet Addiction Test (IAT), which assesses problematic use of the Internet, the Relationship Scale Questionnaire (RSQ), which evaluates attachment, and the “Real-me” questionnaire, which measures increased selfdisclosure on the Internet compared with face-to-face interactions. Sample. – Participants (n = 200, 73 % women) were recruited via e-mails, social networks, ads in local stores and leaflets in public places, directing them towards a link in which they could complete the on-line questionnaires. Data analysis. – Descriptive analyses were conducted to examine the main characteristics of participants. A t-test was used to explore gender differences. Main analyses consisted of correlational analyses between attachment, the “Real-me”, and problematic use of the Internet. A series of regression analyses were then used to test the mediating role of the “Real-me” in the link between insecure attachment and problematic use of the Internet. Results. – Results confirm the associations between problematic use of the Internet and, respectively, preoccupied and fearful attachment. Complete mediation of the “Real-me” in the association between negative model of self (attachment) and problematic use of the Internet was also confirmed. Discussion and conclusion. – Preoccupied and fearful attachments are both associated with problematic use of the Internet. These persons have a negative model of self which may hamper their ability to be at ease in face-to-face interactions. Being themselves on the Internet mediates the link between negative model of self and problematic use of the Internet. Resorting to a less threatening environment of exchange may thus explain these insecure individuals’ tendency to overuse the Internet. Future research investigating the different activities on the Internet would be useful to better determine whether certain specific activities are more closely linked to problematic use of the Internet among insecure individuals. © L’Encéphale, Paris, 2015.

1. Introduction La question de l’usage problématique d’Internet occupe aujourd’hui une place grandissante dans les services de consultations. Une étude menée auprès d’adolescents de différents pays européens fait état, en Europe, d’une prévalence d’usage inadapté de 13,5 % (France : 13,8 %) et d’usage pathologique d’Internet de 4,4 % (France : 2,6 %) [1]. Parmi les facteurs de vulnérabilité, l’attachement insécure apparaît jouer un rôle. La définition de l’usage problématique d’Internet retrouvée communément [2] fait état d’une préoccupation démesurée pour l’utilisation d’Internet, un usage excessif d’Internet pouvant se manifester par un temps passé sur Internet supérieur à celui envisagé, ces difficultés pouvant aboutir à une détresse ou des troubles significatifs. Il peut avoir un impact négatif sur les relations avec l’entourage, ainsi que sur l’environnement professionnel de la personne. L’usage d’Internet peut également être lié à des comportements d’intimidation et de harcèlement [3]. L’Internet offre un nouveau mode d’interaction. L’anonymat et l’absence de synchronie dans les échanges offrent la possibilité de mieux ajuster sa fac¸on de répondre, de se présenter [4]. Ces caractéristiques spécifiques facilitent l’expression de soi [5] et la création de liens forts [6]. Plus à l’aise et en confiance dans les interactions sur Internet qu’en face-à-face [7], les personnes qui ont un fort sentiment de solitude et qui sont socialement anxieuses se révèlent davantage sur Internet que dans la vie « réelle » [6]. L’Internet donne accès à des relations sans condition de disponibilité, ce qui, pour certaines personnes, contraste avec ce qu’elles ont pu connaître au cours de leur vie. Utiliser Internet peut alors donner le sentiment d’évoluer dans un milieu sécurisant et donner un sentiment de contrôle qui a pu faire défaut avec leurs proches. Parce qu’Internet vient modifier la communication et les interactions interindividuelles [8], l’une des principales motivations à son usage est la communication sociale [9]. Certaines personnes pourraient ainsi chercher sur Internet une fac¸on d’être en relation, Internet offrant la possibilité de rejouer des problématiques personnelles [10]. Les recherches menées jusqu’à présent font état d’un lien entre attachement insécure et usage problématique d’Internet [11,12]. En particulier, l’attachement préoccupé semble le plus prédictif d’un usage problématique d’Internet [13–15]. L’attachement préoccupé est caractérisé par une recherche de proximité parfois

excessive, une peur de l’abandon, une estime de soi dépendante des autres, ainsi que des difficultés dans les interactions sociales [16]. Il est caractérisé par un modèle de soi négatif et un modèle d’autrui positif, qui amènent ces personnes à craindre le rejet. Une étude de Lin et ses collègues suggère que le lien entre attachement préoccupé et usage problématique est en partie médisé par les interactions personnelles [15]. Autrement dit, les difficultés relationnelles rencontrées par les personnes préoccupées entraîneraient un risque accru d’un usage excessif d’Internet. En examinant, au sein d’une population d’adolescents, les activités de loisirs, les relations aux pairs, les attitudes pro-sociales et la fréquence d’utilisation d’Internet, Mesch [17] a observé qu’un individu présentant de faibles compétences sociales, manifestant peu d’attachement à ses amis ou qui est socialement isolé tend davantage à utiliser Internet et est plus à risque d’en avoir un usage problématique. En dépit de leurs difficultés dans les interactions sociales, les personnes ayant un attachement préoccupé sont en recherche de proximité avec autrui. Ayant un modèle positif voire idéalisé d’autrui, ces personnes ont besoin de l’autre comme source de soutien et de support de l’estime de soi. La possibilité de tisser des liens avec les autres sans craindre pour son image pourrait les inciter à recourir à Internet, de manière parfois excessive. Nous l’avons évoqué, l’expression de soi est facilitée sur Internet [5], notamment pour les personnes ayant une certaine anxiété sociale, et permet de nouer des liens avec autrui [6]. Bien que l’on sache que les personnes socialement anxieuses arrivent mieux à se montrer telles qu’elles sont lorsqu’elles sont sur Internet, le rôle du dévoilement de soi dans l’usage problématique d’Internet de personnes insécures n’a pas été exploré. La présente étude vise une meilleure compréhension du lien entre l’attachement insécure et l’usage problématique d’Internet. En lien avec la revue de la littérature, nous nous attendons à retrouver un lien entre attachement préoccupé et usage problématique d’Internet. Par ailleurs, le sentiment d’être plus soi-même sur le Net pourrait inciter les personnes ayant un modèle de soi négatif d’elles-mêmes à rester dans cet environnement sécurisant. Nous faisons donc l’hypothèse d’une influence du dévoilement de soi sur l’usage problématique d’Internet dans un contexte d’insécurité d’attachement. Autrement dit, nous nous attendons à ce que le dévoilement de soi sur Internet joue un rôle médiateur entre un modèle de soi négatif et l’usage problématique d’Internet.

Pour citer cet article : Danet M, Miljkovitch R. Être soi-même sur le Net : un facteur de risque à l’usage problématique d’Internet chez les personnes insécures. Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2015.12.019

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2. Méthode

2.4. Expression de soi

2.1. Participants et procédure

Le « Real-me » questionnaire [6] permet d’examiner la facilité des participants à se montrer eux-mêmes, à révéler leur monde intérieur sur Internet en comparaison aux interactions en face-àface. La version utilisée dans cette étude préliminaire est la version modifiée par Tosun et Lajunen [25]. Ce questionnaire comprend 5 items qui sont cotés par le sujet selon une échelle de Likert en 5 points, en fonction de leur degré d’accord avec les propositions (de 1 = pas du tout d’accord à 5 = tout à fait d’accord). La somme des items permet d’obtenir un score total. Plus le score est élevé, plus le participant se révèle sur Internet par rapport aux interactions en face-à-face. L’alpha de Cronbach du « Real-me » questionnaire est de 0,86 dans cette étude.

L’étude a été menée auprès de 200 adultes tout-venant (146 femmes, 73 % ; 54 hommes, 27 %). Étant donné qu’une grande partie des études menées sur l’usage problématique d’Internet ont été menées sur des populations étudiantes [11–14], nous avons choisi d’étendre notre étude à un éventail d’âges plus large pour une meilleure généralisation des résultats à la population adulte. Les participants sont donc âgés de 18 à 61 ans (M = 30,31 ; ET = 9,95). Les données ont été récoltées à partir d’un questionnaire en ligne, dont le lien a été diffusé par mails, réseaux sociaux (Facebook, Twitter), annonces dans les commerces et tracts dans les lieux publics. La récolte des données s’est déroulée sur une période de deux mois. Avec un nombre de 830 clics sur le lien du questionnaire, le taux de participation au questionnaire est de 24,1 %. Ce taux de participation est conforme à ce qu’on pourrait attendre dans les questionnaires en ligne, habituellement compris entre 15 et 25 % [18]. Le recueil et la saisie des données ont respecté l’anonymat des participants. 2.2. Mesures : mesure de l’attachement Les représentations d’attachement des participants ont été évaluées à l’aide du Relationship Scale Questionnaire (RSQ) [19,20]. Le RSQ est un auto-questionnaire de 30 items portant sur les relations amicales et amoureuses actuelles selon quatre styles d’attachement : sécure, préoccupé, détaché et craintif. Les quatre styles d’attachement sont obtenus par la combinaison de deux dimensions : le modèle de soi et le modèle d’autrui. Les items sont cotés par le sujet selon une échelle de Likert en 5 points en fonction de leur degré d’accord avec les propositions (de 1 = « pas du tout comme moi » à 5 = « tout à fait comme moi »). La moyenne des items de chaque sous-échelle (sécure, préoccupé, détaché et craintif) permet d’obtenir un score continu pour chaque style d’attachement. Chaque dimension d’attachement présente une bonne validité convergente et prédictive [19]. La version franc¸aise du RSQ présente également de bonnes qualités psychométriques [20]. L’utilisation du RSQ dans des études similaires a participé au choix de cet outil [21]. 2.3. Usage problématique d’Internet L’usage problématique d’Internet a été mesuré par l’Internet Addiction Test (IAT) [22,23]. L’IAT est un questionnaire de 20 items permettant d’évaluer l’usage problématique d’Internet à travers : • • • •

son degré de préoccupation quant à l’Internet ; son incapacité à contrôler son usage ; sa propension à cacher ou à mentir sur son utilisation ; le fait de continuer à utiliser l’Internet malgré les conséquences négatives.

Les items sont évalués par le sujet selon une échelle de Likert en 5 points (de 1 = rarement à 5 = toujours). La somme des items permet d’obtenir un score dont le seuil est 50. Au-delà de ce score, l’usage d’Internet est considéré comme problématique, c’est-à-dire ayant un impact négatif sur la vie de l’individu. Un score compris entre 50 et 79 correspond à l’usage pouvant être problématique occasionnellement. Un score compris entre 80 et 100 correspond à un usage pathologique. L’IAT a montré une bonne validité concurrente et une bonne consistance interne [24]. La version franc¸aise de l’IAT présente également de bonnes qualités psychométriques [23]. L’alpha de Cronbach de l’IAT est de 0,89 dans cette étude.

3. Analyses statistiques Des analyses préliminaires ont été réalisées pour déterminer l’effet du sexe (test de Student) et du statut socioéconomique (analyses de corrélations) sur les variables d’intérêt et ainsi contrôler le cas échéant leur effet dans les analyses principales. Le modèle de Baron et Kenny [26] a été utilisé pour explorer le rôle médiateur du « Real-me » sur le lien entre attachement et usage problématique d’Internet. Si les trois variables du modèle sont toutes corrélées entre elles, quatre conditions sont ensuite requises pour établir une médiation : • la variable indépendante (attachement) influence la variable dépendante (usage problématique d’Internet) ; • la variable indépendante (attachement) influence la variable médiatrice (Real-me) ; • la variable médiatrice (Real-me) influence la variable dépendante (usage problématique d’Internet) après la prise en compte de l’effet de la variable indépendante sur la variable dépendante ; • l’effet de la variable indépendante sur la variable dépendante diminue quand l’effet de la variable médiatrice est pris en compte. 4. Résultats 4.1. Analyses préliminaires Le score moyen à l’IAT est de 32,90 (ET = 11,48). Ce score est assez proche du score moyen de 29,5 retrouvé par De Berardis et al. [27] au sein d’une population non clinique en Italie. Le score moyen des hommes est significativement plus élevé que celui des femmes (t(198) = −2,07, p < 05 ; M = 35,65 (ET = 10,80) vs M = 31,89 [ET = 11,60]). Cette différence de moyennes est conforme à ce qui est trouvé dans la littérature où la prévalence de l’usage problématique d’Internet est plus élevée chez les hommes [1,13]. Le score moyen au « Real-me » est de 7,63 (ET = 3,96) avec un score moyen significativement plus élevé pour les hommes que pour les femmes (t(198) = −2,51, p < 02 ; M = 8,78 [ET = 4,53] vs M = 7,21 [ET = 3,66]). Les analyses de corrélation entre l’âge, le niveau de revenu, le niveau d’éducation, et les dimensions du RSQ, les scores de l’IAT et du « Real-me » questionnaire montrent des corrélations avec certaines dimensions du RSQ. Plus précisément, l’âge est corrélé avec l’attachement préoccupé (r = −0,265, p < 0,01) et détaché (r = 0,185, p < 01), ainsi qu’avec le modèle de soi (r = 0,235, p < 0,01) et d’autrui (r = −0,195, p < 0,01). Le niveau de revenus est corrélé avec l’attachement préoccupé (r = −0,225, p < 0,01) et le modèle de soi (r = 0,140, p < 0,05). Le niveau d’éducation est corrélé avec l’attachement sécure (r = −0,143, p < 0,05) et détaché (r = 0,147, p < 0,05), ainsi qu’avec le modèle d’autrui (r = −0,181, p < 0,05). L’âge (codé en variable binaire), le niveau de revenus, le niveau d’éducation et le sexe ont donc été contrôlés dans l’analyse de médiation.

Pour citer cet article : Danet M, Miljkovitch R. Être soi-même sur le Net : un facteur de risque à l’usage problématique d’Internet chez les personnes insécures. Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2015.12.019

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4.2. Analyses principales Après contrôle du sexe, de l’âge et des niveaux de revenus et d’éducation, les dimensions du RSQ qui sont corrélées à la fois avec l’IAT, à la fois avec le « Real-me » (condition nécessaire dans une médiation) concernent l’attachement préoccupé et l’attachement craintif (Tableau 1). On observe aussi une corrélation significative entre le score à l’IAT et le score au « Real-me » questionnaire (r = 0,312, p < 0,001), ce qui rend possible l’analyse de médiation entre l’attachement (préoccupé ou craintif), le « Real-me » et l’usage problématique d’Internet. Ces deux styles d’attachement correspondant au modèle de soi négatif (contrairement aux autres styles d’attachement), il a été décidé de poursuivre les analyses avec cette seule dimension, qui englobe donc les styles préoccupé et craintif. Afin de contrôler l’effet de l’âge, du sexe, des niveaux de revenus et d’éducation dans l’analyse de médiation, ces variables de contrôle ont été introduites dans un premier bloc, avant les variables indépendantes, pour chaque analyse de régression. Le Tableau 2 présente les analyses de régressions, réalisées avec l’attachement et/ou le « Real-me » comme variables prédictives de l’usage problématique d’Internet et permettant de tester le modèle de médiation. On observe une médiation totale du lien entre le modèle de soi et l’usage problématique d’Internet par le « Real-me ». Le modèle de soi prédit significativement l’usage problématique d’Internet (4,3 %, ˇ = −0,411 ; p < 0,01) (condition 1) ainsi que le « Real-me » (9,7 %, ˇ = −0,213 ; p < 0,001) (condition 2). On constate que le « Real-me » permet de prédire l’usage problématique d’Internet (ˇ = 0,894 ; p < 0,001), quand le modèle de soi est pris en compte dans l’analyse de régression (condition 3). En revanche, quand le « Real-me » est pris en compte, le modèle de soi n’est plus lié de fac¸on significative à l’usage problématique d’Internet (ˇ = −0,128) (condition 4). Le « Real-me » médiatise donc totalement le lien entre le modèle de soi et l’usage problématique d’Internet. 5. Discussion L’objectif principal de cette étude préliminaire était de mieux comprendre le lien entre l’attachement insécure et l’usage Tableau 1 Corrélations partielles entre les styles d’attachement et les scores de l’IAT et du « Real-me ».

RSQ Sécure Détaché Préoccupé Craintif *

IAT

« Real-me »

−0,096 0,064 0,252*** 0,174*

−0,236** 0,067 0,210** 0,301***

p < 0,05 ; ** p < 0,01 ; *** p < 0,001.

Tableau 2 Analyses de régression testant le rôle médiateur du dévoilement de soi en ligne sur le lien entre modèle de soi et usage problématique d’Internet avec contrôle du sexe, de l’âge, du niveau de revenu et d’éducation. ˇ

Variables prédictives

Usage problématique d’Internet « Real-me » Usage problématique d’Internet

Modèle de soi

4,3

−0,411*

Modèle de soi Modèle de soi et « Real-me »

9,7 9,2

−0,213**

Modèle de soi « Real-me » *

R2 total (%)

Variables prédites

p < 0,01 ; ** p < 0,001.

−0,128 0,894**

problématique d’Internet. Les analyses semblent confirmer l’existence d’un lien entre l’attachement préoccupé et l’usage problématique d’Internet. L’attachement préoccupé avait déjà été identifié comme étant le plus lié à l’usage problématique d’Internet [13–15]. Les personnes ayant un attachement préoccupé éprouvent une certaine anxiété dans la relation à l’autre, tout en recherchant la proximité. L’Internet peut alors leur servir de palliatif. En effet, l’Internet constitue un environnement rassurant où il est possible d’échanger avec l’autre en ayant le sentiment d’avoir une certaine maîtrise de l’interaction. L’anonymat et l’asynchronie des échanges permettent aux personnes ressentant une certaine anxiété dans la relation de se sentir plus à l’aise avec l’autre [7] et pourraient ainsi permettre la satisfaction des besoins d’attachement. Les résultats de cette étude semblent également indiquer un lien entre l’attachement craintif et l’usage problématique d’Internet. Les personnes préoccupées et craintives ont un modèle de soi négatif. Le modèle de soi négatif est marqué par une anxiété dans les relations interpersonnelles, un éprouvé de solitude, un manque de confiance en soi et une dépendance au regard des autres pour maintenir une bonne image de soi [16]. Les personnes ayant un modèle de soi négatif auraient tendance à se conformer aux attentes des autres plutôt qu’à se montrer elles-mêmes. La spécificité des échanges sur Internet peut compenser les difficultés qu’elles rencontrent. Les résultats montrent que les personnes préoccupées et craintives ont le sentiment de se montrer plus elles-mêmes en interagissant sur Internet qu’en face-à-face. On sait par ailleurs que l’expression de soi permet à une personne de se sentir davantage reconnue pour ce qu’elle est et favorise la création de liens sociaux [6], et qu’utiliser l’Internet permet la réduction du sentiment solitude [28] et la constitution de relations amicales ou amoureuses [6,29]. Ainsi, les personnes ayant un modèle de soi négatif peuvent trouver en Internet un lieu où elles s’autorisent à être elles-mêmes, ce qu’elles ne parviendraient pas à faire dans les interactions en face-à-face. Les résultats montrent en effet qu’exprimer son « Realme » sur le Net médiatise le lien entre modèle de soi négatif et utilisation problématique d’Internet. Il semblerait donc que le fait d’utiliser un média plus rassurant pour exprimer les différentes facettes de sa personnalité incite les personnes ayant un modèle de soi négatif à rester dans le monde virtuel, jusqu’à en avoir un usage problématique. L’absence de lien entre la sécurité d’attachement et l’usage problématique d’Internet suggère en outre que ce n’est pas tant l’insécurité d’attachement dans sa globalité qui pousse à se réfugier sur Internet, mais plus spécifiquement l’insécurité découlant d’un modèle de soi négatif. En l’occurrence, on trouve une absence de lien entre l’attachement détaché et l’usage problématique d’Internet. Ceci pourrait s’expliquer par le fait que ces personnes ont un modèle de soi positif et ne trouvent donc pas sur Internet le même bénéfice que les personnes préoccupées ou craintives. En effet, les résultats montrent que ce style d’attachement n’est aucunement lié à une expression de soi facilitée sur Internet (score au « Real-me »). La présente étude préliminaire comporte toutefois quelques limites. Tout d’abord, les différentes mesures ont été réalisées en ligne, ce qui interroge quant à la validité des données par rapport à une récolte de données par des expérimentateurs (méthode « papier-crayon »). Il paraît cependant raisonnable de supposer que la participation en ligne se faisant anonymement et en l’absence d’un expérimentateur, les réponses soient en fait moins biaisées, notamment par la désirabilité sociale, qu’en face-à-face. Une étude menée auprès de sujets ayant rempli les mêmes questionnaires en ligne ou selon la méthode « papier-crayon » confirme que l’utilisation en ligne des questionnaires constitue une mesure d’évaluation valide [30]. Par ailleurs, si Internet avait pu laisser craindre un biais de recrutement, pour le sujet étudié ici, le ciblage de la population induit par ce mode de recrutement est pleinement

Pour citer cet article : Danet M, Miljkovitch R. Être soi-même sur le Net : un facteur de risque à l’usage problématique d’Internet chez les personnes insécures. Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2015.12.019

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justifié. Signalons en outre que les résultats de la présente étude peuvent être généralisés à une population plus étendue que les précédentes [11–14], qui se sont davantage centrées sur une population strictement étudiante. Néanmoins, le questionnaire étant anonyme, il se pourrait que certains participants aient indiqué des données personnelles (âge, sexe. . .) différentes de la réalité. D’autre part, la population franc¸aise comptant 50 % de femmes [31], la part plus importante de femmes dans notre échantillon invite à la prudence quant à la généralisation des résultats. Pour finir, les outils utilisés ne permettent pas de définir les différentes activités réalisées sur l’Internet, ni la nature des sites consultés par les participants. Ils ne permettent donc pas de déterminer si le lien entre un modèle de soi négatif et l’usage problématique d’Internet est lié à un type d’activité particulier tel que les jeux en ligne (jeux d’argent, de hasard ou jeux vidéo), les réseaux sociaux, les sites de rencontres, les blogs. . . L’utilisation d’Internet pouvant correspondre à un grand nombre d’activités, il serait intéressant, pour les recherches futures, d’inclure une mesure des activités réalisées en ligne, afin de déterminer si certaines d’entre elles (par exemple, les réseaux sociaux) sont associées à un risque d’usage problématique (c.-à-d. comportements addictifs) plus élevé chez les personnes insécures. Néanmoins, malgré les limites évoquées, cette étude préliminaire peut avoir des retombées cliniques dans la prise en charge comme dans la prévention de l’usage problématique d’Internet. En effet, les motivations induites par l’attachement, et en l’occurrence par un modèle de soi négatif, semblent utiles à prendre en compte en vue d’une réduction du recours au monde virtuel. Ainsi, une thérapie axée sur l’acceptation/affirmation de soi pourrait permettre de réduire le besoin d’utiliser Internet pour avoir des interactions satisfaisantes. L’acquisition d’un mode de relation plus optimal par le biais d’une relation thérapeutique sécurisante pourrait également être un objectif de prise en charge. 6. Conclusion Au vu des résultats présentés, la préoccupation d’attachement et l’attachement craintif sont des facteurs liés à l’usage problématique d’Internet. Un modèle de soi négatif entrave la capacité à être en relation avec les autres en face-à-face. Être plus soi-même sur Internet médiatise le lien entre modèle de soi et usage problématique (c.-à-d. excessif) d’Internet. La recherche d’un milieu sécurisant pour échanger semble donc jouer, pour ces personnes, un rôle dans leur recours excessif à ce média. Au vu de ce résultat, des recherches futures incluant l’évaluation de l’anxiété sociale et de l’estime de soi, voire même de la dépression et du sentiment de solitude, permettraient d’évaluer leur rôle dans l’usage problématique d’Internet par les personnes insécures. Des recherches futures explorant les différents types d’activités réalisées sur Internet permettraient de déterminer si certaines activités sont davantage liées à un usage problématique chez les personnes insécures. Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Références [1] Durkee T, Kaess M, Carli V, et al. Prevalence of pathological internet use among adolescents in Europe: demographic and social factors. Addict Abingdon Engl 2012;107:2210–22, http://dx.doi.org/10.1111/j.1360-0443.2012.03946.x. [2] Aboujaoude E. Problematic Internet use: an overview. World Psychiatry 2010;9:85–90. [3] Rémond J-J, Kern L, Romo L. Étude sur la « cyber-intimidation » : cyberbullying, comorbidités et mécanismes d’adaptations. Encéphale 2015;41(4):287–94, http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2014.08.003.

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Pour citer cet article : Danet M, Miljkovitch R. Être soi-même sur le Net : un facteur de risque à l’usage problématique d’Internet chez les personnes insécures. Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2015.12.019

[Self-disclosure on the Net: A risk factor for problematic use of the Internet among insecure persons].

Problematic use of the Internet (PUI) is more and more commonly seen among psychiatry patients. PUI is defined as an excessive preoccupation about and...
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