La Revue de médecine interne 34 (2013) 727–729

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Éditorial

Vaccination contre la grippe saisonnière : pour quelle efficacité chez l’adulte ? Seasonal influenza vaccination: What expected effect in the adult population? T. Hanslik a,∗,b , O. Launay c,d a

Service de médecine interne, hôpital Ambroise-Paré, 9, avenue Charles-de-Gaulle, 92100 Boulogne-Billancourt, France UFR des sciences de la santé Simone-Veil, université de Versailles - Saint-Quentin-en-Yvelines, 55, avenue de Paris, 78280 Versailles, France CIC de vaccinologie Cochin-Pasteur, hôpital Cochin, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris, France d Université Paris-Descartes, Sorbonne Paris-Cité, 12, rue de l’École-de-Médecine, 75006 Paris, France b c

i n f o

a r t i c l e

Historique de l’article : Disponible sur Internet le 20 novembre 2013 Mots clés : Vaccination antigrippale Adulte Efficacité vaccinale Keywords: Influenza vaccination Adult population Vaccination efficacy

Comme chaque année, au mois d’octobre, la campagne de vaccination contre la grippe saisonnière a été lancée en France. Pour quelle efficacité ? L’efficacité directe d’un vaccin peut-être évaluée de trois fac¸ons : • l’efficacité clinique (efficacy pour nos collègues anglophones) mesure la réduction de l’incidence de la maladie chez les sujets vaccinés comparativement aux non vaccinés dans les conditions expérimentales d’un essai clinique (phase 3, avant la commercialisation). Cette situation idéale de démonstration de l’efficacité vaccinale n’est malheureusement pas toujours disponible, pour des raisons de faisabilité ; • l’efficacité « de terrain » (effectiveness pour les anglophones) estime l’efficacité du vaccin en post-commercialisation, à l’aide de méthodes épidémiologiques. La mesure effectuée est alors sujette à des biais qui ne sont pas toujours maîtrisables ; • l’immunogénicité (immunological efficacy) mesure la réponse immunitaire induite par le vaccin (un titre d’anticorps le plus souvent) susceptible de conférer une protection contre l’infection. Il faut pour cela disposer d’un corrélat de protection établi au mieux

∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (T. Hanslik).

à partir des résultats sérologiques recueillis au cours des études d’efficacité vaccinale.

À l’efficacité directe du vaccin va s’ajouter l’efficacité indirecte, qui résulte de l’interruption de la chaîne de transmission de l’agent infectieux par les personnes vaccinées, conférant une protection aux sujets non vaccinés (on parle aussi d’immunité de groupe ou encore d’immunité grégaire). Le vaccin contre la grippe saisonnière actuellement utilisé en France est un vaccin trivalent sous unitaire inactivé fragmenté, dirigé contre deux virus de sous-type A (H1N1 et H3N2) et un virus de sous-type B. Il est recommandé chaque année en France pour les personnes exposées à un risque de grippe grave : les sujets âgés de 65 ans et plus, les femmes enceintes, les personnes obèses (indice de masse corporelle égal ou supérieur à 40) et les personnes atteintes d’une pathologie chronique (par exemple, les malades immunodéprimés, que prennent souvent en charge les internistes). Le vaccin est également recommandé pour l’entourage des sujets fragiles : l’entourage familial des nourrissons de moins de 6 mois présentant des facteurs de risque de grippe grave et ne pouvant être vaccinés, l’entourage des personnes immunodéprimées et les professionnels de santé. Quelle efficacité peut-on attendre de cette vaccination ?

0248-8663/$ – see front matter © 2013 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2013.10.335

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1. Efficacité clinique Une synthèse des données d’efficacité actuellement disponibles pour le vaccin contre la grippe a récemment été publiée [1]. Pour l’adulte de 18 à 65 ans en bonne santé, les essais cliniques permettent de démontrer une efficacité du vaccin de 59 % (intervalle de confiance à 95 % : 51–67) pour la prévention des épisodes de grippe non compliquées confirmées virologiquement par RT–PCR. Chez les personnes âgées de 65 ans et plus, les données d’efficacité basée sur des essais cliniques sont peu nombreuses. Ce manque de données s’explique en grande partie par l’existence, dans la majorité des pays développés, de recommandations de vaccination systématique des sujets âgés mises en œuvre il y a plusieurs décennies en l’absence de preuve d’efficacité de la vaccination dans ces populations : dès lors que ces recommandations existaient, il n’était éthiquement plus possible de proposer une étude contre placebo. . . Enfin, quelque soit la tranche d’âge, il n’existe que très peu de données concernant l’efficacité du vaccin pour prévenir les complications de la grippe (hospitalisations et décès). 2. Efficacité de terrain En l’absence de données du plus haut niveau de preuve, les données d’efficacité de la vaccination antigrippale proviennent essentiellement d’études épidémiologiques qui sont susceptibles de surestimer l’efficacité du vaccin. Cette surestimation pourrait résulter en particulier d’un biais lié à une meilleure couverture vaccinale des sujets âgés en bonne santé (la vaccination n’étant pas réalisée chez les personnes âgées malades) [2]. La non prise en compte de ce biais a pu conduire certains auteurs à la conclusion que la vaccination réduisait la mortalité hivernale toutes causes confondues de 50 %, alors que la grippe saisonnière touche habituellement moins de 10 % de la population et que la mortalité attribuée à la grippe chez les sujets âgés de 65 ans et plus est stable aux États-Unis depuis les années 1980 malgré une augmentation de la couverture vaccinale dans cette tranche d’âge de 15 % à 65 % durant la même période [2]. Une difficulté supplémentaire spécifique à la vaccination antigrippale est liée au changement de structure des virus survenant chaque année et au vaccin lui même dont l’activité est en grande partie dirigée contre l’hémagglutinine (antigène de surface cible des variations annuelles). Ces modifications virales mais également la faible persistance de la réponse immunitaire justifient aujourd’hui la recommandation d’une vaccination annuelle. Cependant, l’intérêt de la répétition annuelle de la vaccination reste encore insuffisamment documenté. Enfin, selon les années, l’adéquation entre la/les souches vaccinales et celles qui effectivement circuleront durant la saison épidémique n’est pas toujours satisfaisante, ce qui peut diminuer l’efficacité de la vaccination.

antigrippale ? Pour disposer d’une évaluation fiable de ces paramètres, il faudrait disposer d’une part des données de vaccination qui sont malheureusement inaccessibles et d’autre part de données épidémiologiques précises. Or, personnes ne sait dire aujourd’hui combien d’hospitalisations ou de décès consécutifs à la grippe sont dénombrés chaque année en France, en raison du manque de spécificité des manifestations de l’infection. Dès lors, il est impossible d’obtenir une estimation fiable du nombre de cas, d’hospitalisation ou de décès liés à la grippe évités chaque année par la vaccination grippale (ni même d’affirmer que la vaccination est en mesure de réduire véritablement le fardeau de l’épidémie de grippe saisonnière).

5. Efficacité indirecte L’efficacité indirecte justifie la recommandation de vaccination des professionnels de santé, pour éviter qu’ils infectent les malades dont ils ont la charge. Hors des structures de soins, la preuve de l’efficacité indirecte de la vaccination antigrippale a été faite dans une étude en cluster menée au sein d’une communauté Huttérite au Canada, où la vaccination des enfants et adolescents (principaux vecteurs de la grippe) a eu une efficacité de l’ordre de 60 % auprès des personnes non vaccinées de la communauté [3]. Ces conclusions peuvent-elles être extrapolées aux professionnels de santé ? Les données disponibles sur l’efficacité de la vaccination des professionnels de santé concernent essentiellement les personnels travaillant dans des structures de prise en charge de personnes âgées et sont contradictoires. Ainsi, deux méta-analyses récentes soulignent la fragilité des preuves de l’efficacité de la vaccination des personnels de santé [4,5]. Il faut cependant souligner les difficultés méthodologiques que comportent les études susceptibles d’apporter de telles preuves. 6. Au total. . . Aujourd’hui la vaccination antigrippale a montré son efficacité dans la prévention de la grippe chez l’adulte jeune immunocompétent. En revanche des données complémentaires sont indispensables pour assurer de fac¸on plus convaincante la promotion de cette vaccination chez les personnes âgées de 65 ans et plus ou immunodéprimées, ainsi que chez les professionnels de santé. Pour ce faire, le développement et l’utilisation d’outils de surveillance performants sont nécessaires. En attendant d’y voir plus clair, la vaccination des sujets fragiles et des personnes qui les entourent (y compris les soignants !) reste recommandée pour réduire (un peu ?) le fardeau de la grippe saisonnière. Enfin, la mise au point d’un vaccin plus efficace constitue un enjeu important.

3. Immunogénicité Le titrage des anticorps anti-hémagglutinine est actuellement considéré comme la mesure la plus appropriée pour évaluer l’immunogénicité du vaccin antigrippal, l’obtention d’un titre supérieur ou égal au 1/40e étant considéré comme protecteur. Cependant, force est de constater que le corrélat de protection n’a pas été clairement établi. Malgré cela, l’immunogénicité est le seul critère sur lequel s’appuie la commercialisation du vaccin saisonnier chaque année, aucune étude d’efficacité n’étant faisable avant l’épidémie saisonnière.

Déclaration d’intérêts O Launay est investigateur coordonnateur pour plusieurs essais vaccinaux à promotion académique ou industrielle dont certains évaluant la vaccination anti-grippale. T Hanslik et O Launay sont membres du Comité Technique des Vaccinations (Groupe de travail du Haut Conseil de la Santé Publique).

Références 4. Efficacité des programmes de vaccination Sait-on combien de cas de grippe, d’hospitalisation ou de décès causés par la grippe sont évités chaque année par la vaccination

[1] Osterholm MT, Kelley NS, Manske JM, Ballering KS, Leighton TR, Moore KA. The compelling need for game-changing influenza vaccines: an analysis of the influenza vaccine entreprise and recommendations for the future. Center for Infectious Disease Research and Policy (CIDRAP).

T. Hanslik, O. Launay / La Revue de médecine interne 34 (2013) 727–729 University of Minnesota; 2012. Accessible sur : http://www.cidrap.umn.edu/ ongoing-programs/cidrap-comprehensive-influenza-vaccine-initiative-ccivi [2] Simonsen L, Taylor RJ, Viboud C, Miller MA, Jackson LA. Mortality benefits of influenza vaccination in elderly people: an ongoing controversy. Lancet Infect Dis 2007;7:658–66. [3] Loeb M, Russell ML, Moss L, Fonseca K, Fox J, Earn DJ, et al. Effect of influenza vaccination of children on infection rates in Hutterite communities: a randomized trial. JAMA 2010;303:943–50.

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[4] Dolan GP, Harris RC, Clarkson M, Sokal R, Morgan G, Mukaigawara M, et al. Vaccination of healthcare workers to protect patients at increased risk of acute respiratory disease: summary of a systematic review. Influenza Other Resp Viruses 2013;2(7 Suppl):93–6. [5] Thomas RE, Jefferson T, Lasserson TJ. Influenza vaccination for healthcare workers who care for people aged 60 or older living in long-term care institutions. Cochrane Database Syst Rev 2013;7:CD005187.

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