ARCPED-3816; No of Pages 3

Rec¸u le : 9 mars 2014 Accepte´ le : 7 octobre 2014

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Fait clinique

Le scorbut, une vieille maladie toujours d’actualite´ : a` propos de deux cas Scurvy, an old disease still in the news: Two case reports S. Pailhousa,b, S. Lamoureuxb, E. Caiettac, E. Bosdurea, H. Chambostd, B. Chabrolc, V. Bressona,* a

Unite´ de me´decine infantile, CHU de la Timone Enfants, AP–HM, 264, rue Saint-Pierre, 13385 Marseille cedex 5, France b Service de pe´diatrie ge´ne´rale, CHG Henri-Duffaut, 305, rue Raoul-Follereau 84902 Avignon cedex 9, France c Service de neurologie pe´diatrique, CHU de la Timone Enfants, AP–HM, 264, rue Saint-Pierre, 13385 Marseille cedex 5, France d Service d’he´matologie pe´diatrique, CHU de la Timone Enfants, AP–HM, 264, rue Saint-Pierre, 13385 Marseille cedex 5, France

Summary

Re´sume´

Scurvy is the clinical manifestation of a deficiency in vitamin C, which is present in fresh fruits and vegetables. It is historically linked to the era of great maritime expeditions. Manifestations are misleading in children, in contrast with adults: bone disease and hemorrhagic syndrome are the earliest and most frequent manifestations due to a collagen biosynthesis defect. Scurvy is an old, potentially fatal disease but is easily curable with ascorbic acid. It can be prevented with vitamin C treatment in pediatric populations with unusual eating habits. We describe two cases of pediatric scurvy in two 7-year-old boys who had dietary restrictions stemming from developmental disorders. ß 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Le scorbut est l’ensemble des manifestations cliniques secondaires a` une alimentation carence´e en vitamine C, pre´sente dans les fruits et le´gumes frais. Il est historiquement lie´ a` l’e`re des grandes expe´ditions maritimes. Les pre´sentations cliniques sont trompeuses et variables, avec au premier plan chez l’enfant des anomalies orthope´diques et un syndrome he´morragique diffus secondaires a` un de´faut de synthe`se des fibres de collage`ne. Il s’agit d’une maladie ancienne, mortelle en l’absence de traitement, d’e´volution rapidement favorable sous un traitement simple et peu couˆteux. Cette maladie peut eˆtre pre´venue par une supple´mentation vitaminique syste´matique dans les populations a` risque d’alimentation carence´e. Nous rapportons deux cas de scorbut pe´diatrique chez des garc¸ons aˆge´s de 7 ans qui pre´sentaient tous deux une pathologie sous-jacente entraıˆnant des difficulte´s alimentaires. ß 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

1. Introduction

plus tard, sa pre´vention reste indispensable pour les populations pe´diatriques a` risque.

Le scorbut est l’ensemble des manifestations lie´es a` une alimentation carence´e en acide ascorbique ou vitamine C, pre´sente dans les fruits et le´gumes frais. Avant l’e`re des grandes expe´ditions maritimes, les hommes ne s’e´loignaient jamais assez longtemps des coˆtes pour que s’expriment les symptoˆmes lie´s a` une carence en vitamine C [1,2]. Trois sie`cles * Auteur correspondant. e-mail : [email protected] (V. Bresson).

2. Observations 2.1. Observation no 1 Cet enfant aˆge´ de 7 ans suivi pour un syndrome de WilliamsBeuren a e´te´ hospitalise´ pour un syndrome he´morragique diffus (gingivorragies, e´pistaxis pluriquotidiens, purpura) (fig. 1) et des anomalies orthope´diques (refus de la marche,

http://dx.doi.org/10.1016/j.arcped.2014.10.003 Archives de Pe´diatrie 2014;xxx:1-3 0929-693X/ß 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

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ARCPED-3816; No of Pages 3 S. [(Figure_1)TD$IG] Pailhous et al.

Archives de Pe´diatrie 2014;xxx:1-3

Figure 1. Observation no 1 : scorbut-purpura et gingivorragies.

douleur a` la mobilisation du membre infe´rieur droit, attitude en flessum des hanches et des genoux). Deux e´pisodes he´morragiques s’e´taient de´ja` produits a` l’aˆge de 4 et 5 ans, un he´matome pe´ri-orbitaire droit et un he´matome frontal droit sans notion de traumatisme, pour lesquels le bilan biologique complet avait mis en e´vidence une ane´mie (he´moglobine = 6,7 g/dL). Le bilan d’he´mostase exhaustif (recherche d’une maladie de Willebrand, dosage des facteurs de coagulation, tests de fonctionnalite´ plaquettaire et bilan martial) et le mye´logramme s’e´taient ave´re´s normaux. Le scanner ce´re´bral avait re´ve´le´ un he´matome sous-dural frontal droit d’allure chronique spontane´ment re´solutif. L’imagerie des membres infe´rieurs (scanner, imagerie par re´sonance magne´tique (IRM), scintigraphie osseuse) avait e´te´ normale. Ces deux e´pisodes avaient re´gresse´ spontane´ment. Le bilan re´alise´ lors de cette nouvelle hospitalisation a montre´ une ane´mie (he´moglobine = 8,7 g/dL) et une absence de troubles de l’he´mostase primaire et de la coagulation. Au cours de cette hospitalisation, les tableaux douloureux et he´morragiques se sont aggrave´s ainsi que l’e´tat bucco-dentaire, ne´cessitant l’avulsion d’une dent de´finitive. Devant le tableau clinique, l’absence de troubles de l’he´mostase primaire et de la coagulation, et les troubles du comportement alimentaire, un scorbut a e´te´ e´voque´ apre`s avoir e´carte´ une pathologie maligne. Le dosage sanguin de la vitamine C a montre´ un taux < 3 mmol/L (normale = 17–94 mmol/L). Le diagnostic de scorbut e´tait donc confirme´ et une supple´mentation en vitamine C a e´te´ instaure´e a` raison de 500 mg/j pendant 5 jours puis 200 mg/j. Sept jours plus tard, le syndrome he´morragique avait disparu et les manipulations e´taient moins douloureuses. L’interrogatoire a confirme´ que l’alimentation e´tait tre`s de´se´quilibre´e avec absence de fruits et de le´gumes frais, sans supple´mentation du fait du risque d’hypercalce´mie lie´ a` sa pathologie.

2.2. Observation no 2 Cet enfant e´galement aˆge´ de 7 ans, porteur d’un de´ficit en complexe II de la chaine respiratoire mitochondriale, a e´te´ hospitalise´ pour une fie`vre intermittente depuis deux mois, des douleurs diffuses, une alte´ration de l’e´tat ge´ne´ral, une

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re´gression motrice sans notion de traumatisme et un syndrome he´morragique (gingivorragies et e´pistaxis). A` l’examen, il e´tait douloureux a` la mobilisation, refusait la marche alors qu’il faisait auparavant quelques pas avec aide, pre´sentait des le´sions purpuriques, une folliculite et un mauvais e´tat bucco-dentaire. Les bilans sanguins e´taient sans particularite´s : les bilans d’he´mostase et de coagulation e´taient normaux et le bilan infectieux e´tait ne´gatif. Sur le plan orthope´dique, la scintigraphie du corps entier, la radiographie et l’e´chographie de la cheville gauche e´taient normales. L’e´valuation die´te´tique a estime´ ses apports alimentaires a` 800 kcal/jour (apports conseille´s 1900 kcal/jour pour l’aˆge), sans supple´mentation vitaminique. Le diagnostic de scorbut e´voque´ a e´te´ confirme´ par le taux se´rique de vitamine C < 0,5 mg/L (normale = 5–15 mg/L) et une supple´mentation en vitamine C a e´te´ instaure´e, a` raison de 500 mg/j pendant 5 jours puis 200 mg/j pendant 3 mois. Les gingivorragies ont disparu au 6e jour, permettant la reprise d’une alimentation normale, et les douleurs des membres infe´rieurs au 12e jour. L’interrogatoire a re´ve´le´ que cet enfant be´ne´ficiait d’un re´gime alimentaire pauvre en fruits et le´gumes frais, que ses apports caloriques e´taient insuffisants et qu’il ne recevait pas de supple´mentation vitaminique.

3. Discussion Ces deux cas cliniques illustrent les caracte´ristiques du scorbut et permettent de rediscuter des circonstances de survenue d’une carence en vitamine C. Le diagnostic est essentiellement clinique et repose sur la triade : re´gime carence´, apparition des symptoˆmes et re´solution des symptoˆmes apre`s traitement. L’acide ascorbique est un co-facteur permettant l’assemblage de la triple he´lice de collage`ne. Sa carence touche ainsi les tissus qui doivent leur cohe´sion tridimensionnelle aux fibres de collage`ne fonctionnelles (paroi des vaisseaux, cicatrisation, graˆce a` la ke´ratine, dentine. . .) [3]. Les re´serves en vitamine C sont faibles, de l’ordre de 1500 mg. Au-dela`, l’acide ascorbique est e´limine´ par

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Le scorbut

Tableau I Principaux signes cliniques du scorbut selon Khonsari et al. En gras les symptoˆmes pre´sents dans les cas de nos observations. Atteintes

Asthe´nie

Cutane´e

Xe´rose, hyperke´ratose fesses et membres Paˆleur et œde`me de la face E´rythe`me pe´rifolliculaire Pe´te´chies, purpura vasculaire, ecchymoses Poils en « tire-bouchon », alope´cie Œde`mes des membres infe´rieurs He´morragies sous-ungue´ales line´aires Troubles de la cicatrisation, nodules hypodermiques Gingivite, pertes dentaires Gingivorragies au niveau des papilles inter-dentaires He´morragies musculaires et sous-pe´rioste´es, he´marthroses Oste´oporose, fractures pathologiques Anorexie Saignements digestifs Souffle systolique aortique ane´mique Sus ou sous-de´calage du segment ST, ondes T ne´gatives He´morragie myocardique, he´mope´ricarde Dyspne´e, insuffisance cardiaque a` haut de´bit He´morragies en flamme`ches au fond d’œil He´morragies pe´riorbitaires, palpe´brales, conjonctivales Syndrome sec oculaire Neuropathie pe´riphe´rique Ane´mie, he´molyse extra-corpusculaire, Leucope´nie

Buccale

Oste´o-articulaire

Digestive Cardio-respiratoire

Oculaire

Nerveuse He´matologique

exclusive non supple´mente´e. Nos deux patients n’avaient aucune source alimentaire en vitamine C ni aucun apport me´dicamenteux. Leurs cas illustrent bien la carence en vitamine C mais nous interrogent sur d’autres carences vitaminiques possibles. L’ane´mie de ces deux patients e´tait de causes multiples : saignements prolonge´s, carence d’apport, he´molyse extra-corpusculaire. Il est important de rappeler qu’une supple´mentation martiale est d’autant plus efficace qu’elle est associe´e a` un apport en vitamine C. Le diagnostic de scorbut est confirme´ par le dosage de l’ascorbe´mie qui est infe´rieure a` 2 mg/L (5–15 mg/L ou 17–94 mmol/L) [6]. Les doses de vitamine C a` administrer pour traiter un scorbut ne sont pas consensuelles. Certains auteurs pre´conisent 100 a` 300 mg/j pour les enfants et 500 mg a` 1000 mg/j pour les adultes jusqu’a` gue´rison comple`te [4,7]. La gue´rison sans se´quelles ne´cessite plusieurs semaines.

4. Conclusion Le scorbut est une maladie qui n’a pas disparu mais que nous avons progressivement oublie´e. Il existe en pe´diatrie une population a` risque (re´gime alimentaire aberrant et de´se´quilibre´) qu’il faut savoir de´pister. Une supple´mentation en vitamine C des enfants les plus fragiles doit eˆtre largement prescrite.

De´claration d’inte´reˆts Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article.

Re´fe´rences voie urinaire [4]. L’eˆtre humain e´tant incapable de synthe´tiser la vitamine C a` partir du glucose, des apports journaliers, a` partir de fruits et le´gumes frais, sont ne´cessaires. Il s’agit d’une vitamine hydrosoluble dont l’absorption se fait en majorite´ au niveau de l’ile´on. Les mode`les expe´rimentaux ont montre´ qu’en cas de re´gime restrictif, l’ascorbe´mie devenait nulle apre`s 41 jours et les premiers signes cutane´s apparaissaient a` 132 jours. Les anomalies dentaires n’apparaissent qu’apre`s six mois [3,5]. Dans la maladie de Barlow ou scorbut infantile, les manifestations rhumatologiques (lie´es aux he´matomes sous-pe´rioste´s) sont tre`s souvent au premier plan et sont pre´coces comme le montrent nos cas [4]. H. Khonsari et al. ont re´alise´ en 2005 une revue de la litte´rature re´pertoriant les symptoˆmes de´crits depuis une cinquantaine d’anne´es (tableau I) [4]. Le scorbut touche les enfants de 6 a` 18 mois recevant une alimentation artificielle

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[Scurvy, an old disease still in the news: two case reports].

Scurvy is the clinical manifestation of a deficiency in vitamin C, which is present in fresh fruits and vegetables. It is historically linked to the e...
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