Tumeurs rares Rare tumours

Volume 101 • N◦ 4 • avril 2014 John Libbey Eurotext

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Le rétinoblastome : les avancées récentes Retinoblastoma: Recent advances Mathilde Jehanne1 , Hervé Brisse2 , Marion Gauthier-Villars3 , Livia Lumbroso-le Rouic4 , Paul Freneaux5 , Isabelle Aerts6 1

Article rec¸u le 24 octobre 2014, accepté le 26 janvier 2014 Tirés à part. : M. Jehanne

CHU Félix-Guyon, Service d’oncologie et hématologie pédiatrique, Saint-Denis, La Réunion 2 Institut Curie, Département d’imagerie médicale, 26, rue d’Ulm, 75248 Paris cedex 05, France 3 Institut Curie, Unité de génétique somatique, Département de biologie des tumeurs, 26, rue d’Ulm, 75248 Paris cedex 05, France 4 Institut Curie, Département d’oncologie oculaire, 26, rue d’Ulm, 75248 Paris cedex 05, France 5 Institut Curie, Département de biologie des tumeurs, Unité d’anatomie et cytologie pathologique, 26, rue d’Ulm, 75248 Paris cedex 05, France 6 Institut Curie, Département d’oncologie pédiatrique, adolescents et jeunes adultes, 26, rue d’Ulm, 75248 Paris cedex 05, France

Pour citer cet article : Jehanne M, Brisse H, Gauthier-Villars M, Lumbroso-le Rouic L, Freneaux P, Aerts I. Le rétinoblastome : les avancées récentes. Bull Cancer 2014 ; 101 : 380-7. doi : 10.1684/bdc.2014.1931.

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Abstract. Retinoblastoma is the most common intraocular malignancy of infancy with an incidence of 1/15,000 to 1/20,000 births. Sixty percent of retinoblastomas are unilateral, with a median age at diagnosis of two years, and in most cases are not hereditary. Retinoblastoma is bilateral in 40% of cases, with an earlier median age at diagnosis of one year. All bilateral and multifocal unilateral forms are hereditary and are part of a genetic cancer predisposition syndrome. All children with a bilateral or familial form, and 10 to 15% of children with an unilateral form, constitutionally carry an RB1 gene mutation. The two most frequent symptoms revealing retinoblastoma are leukocoria and strabismus. Diagnosis is made by fundoscopy, with ultrasound and magnetic resonance imaging (MRI) contributing both to diagnosis and assessment of the extension of the disease. Treatment of patients with retinoblastoma must take into account the various aspects of the disease (unilateral/bilateral, size, localization. . .), the risk to vision and the possible hereditary nature of the disease. The main prognostic aspects are still premature detection and adapted coverage by a multi-disciplinary specialized team. Enucleation is still often necessary in unilateral disease; the decision for adjuvant treatment is taken according to the histological risk factors. The most important recent therapeutic advances concern the conservative treatment which is proposed for at least one of the two eyes in most bilateral cases: laser alone or in combination with chemotherapy, cryotherapy or brachytherapy. Recently, the development of new conservative techniques of treatment, such as intra-arterial selective chemotherapy perfusion, aims at preserving visual function in these children and decreasing the number of enucleations and the need for external beam radiotherapy. The vital prognosis related to retinoblatoma Bull Cancer vol. 101 • N◦ 4 • avril 2014

doi : 10.1684/bdc.2014.1931

Résumé. Le rétinoblastome est la tumeur maligne intraoculaire la plus fréquente de l’enfant avec une incidence de 1/15 000 à 1/20 000 naissances. Soixante pour cent de ces tumeurs sont unilatérales avec un âge médian au diagnostic de deux ans, la plupart étant des formes non héréditaires. Le rétinoblastome est bilatéral dans 40 % des cas, avec un âge médian de survenue au diagnostic plus précoce, autour de un an. Toutes les formes bilatérales et unilatérales multifocales sont héréditaires et constituent un syndrome de prédisposition génétique au cancer. L’ensemble des enfants atteints d’une forme bilatérale ou familiale ainsi que 10 à 15 % des enfants ayant une atteinte unilatérale sont porteurs d’une altération constitutionnelle du gène RB1. Les deux symptômes révélateurs les plus fréquents sont la leucocorie et le strabisme. L’examen du fond d’œil va permettre le diagnostic, aidé de l’échographie et l’IRM réalisant le bilan d’extension. La prise en charge des patients doit tenir compte du type de rétinoblastome (unilatéral/bilatéral, taille, localisation. . .), du risque visuel et de la possible nature héréditaire de la tumeur. Les aspects pronostiques essentiels restent la détection précoce et la prise en charge adaptée par une équipe spécialisée multidisciplinaire. Une énucléation est souvent encore nécessaire en cas de forme unilatérale, un traitement adjuvant étant indiqué en fonction des facteurs de risques histologiques. Les plus grandes avancées thérapeutiques concernent les traitements conservateurs maintenant proposés pour au moins un œil dans la plupart des formes bilatérales : chimiothérapie, thermo-chimiothérapie, cryothérapie, disque d’iode. Récemment, le développement de nouvelles techniques de traitement à visée conservatrice comme la perfusion sélective intra-artérielle de chimiothérapie a pour but de tenter de préserver la vision de ces enfants et de diminuer le recours à l’énucléation et l’irradiation externe. Le pronostic est actuellement excellent dans les pays industrialisés mais la survie à long terme des patients atteints de forme héréditaire de

Le rétinoblastome : les avancées récentes rétinoblastome reste menacée par le risque de survenue de tumeurs secondaires, principalement des sarcomes. Le rétinoblastome nécessite une prise en charge multidisciplinaire ainsi qu’un suivi spécialisé à long terme. L’information précoce des patients et de leur famille concernant les risques de transmission de la maladie et le risque de développement de tumeurs secondaires est nécessaire. 

Mots clés : rétinoblastome, enfant

L

e rétinoblastome est la tumeur maligne intra-oculaire la plus fréquente de l’enfant. Son incidence est de 1/15 000 à 1/20 000 naissances [1]. Soixante pour cent de ces tumeurs sont unilatérales avec un âge médian au diagnostic de deux ans, la plupart étant des formes non héréditaires. Le rétinoblastome est bilatéral dans 40 % des cas avec un âge médian de survenue au moment du diagnostic plus précoce, autour de un an. Toutes les formes bilatérales et unilatérales multifocales sont héréditaires [2].

Génétique Le gène RB1, premier gène suppresseur de tumeur pressenti [3] puis identifié [4] se situe au niveau du bras long du chromosome 13 (segment 13q14) et possède 27 exons, ce qui rend son étude exhaustive complexe et coûteuse [5]. Des progrès majeurs ont été réalisés dans la détection des anomalies constitutionnelles du gène RB1, permettant d’identifier une anomalie génétique dans près de 100 % des formes familiales et plus de 80 % des formes bilatérales de rétinoblastome [5] (les cas négatifs faisant surtout discuter des mutations introniques non détectées ou des mosaïques somatiques). Le développement d’un rétinoblastome est lié à l’inactivation nécessaire (mais probablement pas suffisante) des deux allèles du gène RB1. Chez les patients sans prédisposition, les deux anomalies successives surviennent au niveau de chacun des deux allèles du gène RB1 d’une cellule rétinienne : un rétinoblastome unilatéral unifocal se développe alors. Chez les enfants prédisposés, l’un des deux allèles est altéré de fac¸on constitutionnelle (toutes les cellules de l’organisme portant l’allèle muté) : la mutation responsable est mise en évidence par l’analyse de l’ADN extrait d’un prélèvement sanguin. La seconde altération est acquise et présente dans les seules cellules tumorales : les enfants sont à risque de développer plusieurs tumeurs intra-oculaires, souvent bilatérales. On appelle rétinoblastome « héréditaire » toute forme de rétinoblastome transmissible : tous les rétinoblastomes bilatéraux sont héréditaires ainsi que 10 à 15 % des unilatéraux. Parmi les formes héréditaires de rétinoblastome, on définit également les formes « familiales » par l’existence d’au moins deux patients atteints dans une même famille. La transmission du risque de développer un rétinoblastome se fait selon le mode autosomique dominant avec une pénéBull Cancer vol. 101 • N◦ 4 • avril 2014

is now excellent in industrialized countries, but long-term survival is still related to the development of secondary tumors, mainly secondary sarcoma. Retinoblastoma requires multi-disciplinary care as well as a long term specialized follow-up. Early counseling of patients and their family concerning the risk of transmission of the disease and the risk of development of secondary tumors is necessary.  Key words: retinoblastoma, children

trance élevée : 90 % des patients porteurs d’une anomalie constitutionnelle du gène RB1 développent un rétinoblastome.

Circonstances et modalités du diagnostic Les deux symptômes révélateurs majeurs et trop souvent méconnus sont la leucocorie (figure 1) (reflet blanc pupillaire) et le strabisme. Ces symptômes, mêmes intermittents, nécessitent une consultation urgente d’ophtalmologie avec un examen du fond d’œil. D’autres signes sont plus rares (buphtalmie, rubéose irienne, hypopion, hyphéma, baisse d’acuité visuelle). Le diagnostic peut aussi être fait lors d’un dépistage systématique dans le cadre d’une prédisposition familiale ou d’un syndrome malformatif avec délétion du chromosome 13 qui associe le plus souvent une hypotrophie, un syndrome dysmorphique (antéversion des lobes auriculaires, front haut et bombé, philtrum allongé), un retard mental et des troubles moteurs [6].

Figure 1. Exemple de leucocorie droite. Circonstance de découverte fréquente : la tumeur apparaît visible sous forme d’un reflet blanc dans la pupille.

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Confirmation du diagnostic et bilan d’extension Le diagnostic de rétinoblastome reste essentiellement clinique, fondé sur l’examen du fond d’œil sous anesthésie générale en milieu spécialisé avec visualisation de la lésion tumorale blanche, hypervascularisée (figure 2). Cet examen permet le bilan précis des lésions intra-oculaires pour lesquelles une classification internationale est établie et constitue une aide pour l’orientation thérapeutique initiale [7] (tableau 1). Une échographie oculaire est souvent réalisée dans le même temps d’anesthésie, permettant une mesure des dimensions tumorales et la mise en évidence de calcifications intratumorales dans 95 % des cas, argument diagnostique fort. Les différents diagnostics différentiels retrouvés dans plus de 20 % des cas de suspicion de rétinoblastome sont surtout la maladie de Coats (40 %) et la persistance du vitré primitif (28 %). D’autres diagnostics plus rares peuvent parfois faire évoquer un rétinoblastome tels les hémorragies vitréennes (5 %), la toxocarose oculaire (4 %), la vitréo-rétinopathie exsudative familiale (FEVR, 3 %), le décollement de rétine rhegmatogène (3 %), le colobome (3 %), l’hamartome astrocytaire (2 %). . . [8]. L’examen clinique du fond d’œil sous anesthésie générale en milieu spécialisé, au besoin couplé à l’échographie, permet le plus souvent de redresser le diagnostic. Une imagerie orbitaire et cérébrale est toujours nécessaire au diagnostic pour le bilan d’extension et la recherche d’anomalies intracrâniennes éventuellement associées. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) (figure 3) est actuellement l’examen de référence et doit être réalisée avec un protocole adapté (séquences en haute résolution pondérées T2, T1, T1 avec injection) et avec sédation ou idéalement sous anesthésie générale pour en garantir la qualité [9]. L’IRM permet, en complément du fond d’œil, d’évaluer l’extension intra-oculaire (nombre, localisation,

Figure 2. Fond d’œil au moment du diagnostic d’un volumineux rétinoblastome unilatéral.

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Tableau 1. Classification IRC. Classification internationale du rétinoblastome intra-oculaire. A. Petites tumeurs rétiniennes à distance de la fovéa et du disque optique Tumeur < 3 mm de diamètre Située à plus de 3 mm de la fovéa et plus de 1,5 mm du disque optique Sans envahissement vitréen Sans décollement de rétine associé B. Toutes les autres tumeurs limitées à la rétine ; décollement séreux rétinien minime Tumeurs rétiniennes limitées à la rétine mais non incluables dans le groupe A et/ou Décollement séreux rétinien de moins de 3 mm autour de la base tumorale, sans fragment visible sous-rétinien C. Décollement séreux rétinien localisé modéré ; fragments sous-rétiniens ou intravitréens localisés Décollement séreux isolé (sans fragment sous-rétinien) entre 3 et 6 mm autour de la base tumorale Fragments tumoraux intravitréens ou sous-rétiniens à moins de 3 mm de la tumeur D. Décollement séreux rétinien étendu ou essaimage sous-rétinien ou intravitréen diffus Décollement séreux isolé à plus de 6 mm de la base tumorale Fragments tumoraux intravitréens ou sous-rétiniens à plus de 3 mm de la base tumorale E. Présence de l’un au moins de ces facteurs pronostiques péjoratifs pour la conservation oculaire Masses tumorales prenant plus des 2/3 du globe Atteinte du segment antérieur Atteinte du corps ciliaire Néo-vascularisation irienne Glaucome néo-vasculaire Hémorragie intra-vitréenne Nécrose tumorale avec cellulite orbitaire aseptique Phtise du globe

taille des lésions, décollement de rétine associé, dissémination sous-rétinienne et intra-vitréenne, extension au segment antérieur). Des signes indirects d’hypertonie intraoculaire (augmentation de la taille et déformation du globe, réduction de la profondeur de la chambre antérieure) seront à rechercher sur l’IRM, en complément de l’examen clinique et de la mesure du tonus oculaire, car ils contreindiquent l’énucléation première (risque de rupture tumorale peropératoire). Cet examen n’est actuellement pas considéré comme suffisamment performant pour l’analyse de l’extension choroïdienne superficielle, mais peut montrer des signes d’extension choroïdienne profonde [10]. L’IRM contribue surtout à la recherche d’une extension extra-oculaire. Les extensions trans-sclérales avec envahissement de la graisse orbitaire sont rares mais identifiables. L’apport de l’IRM est capital pour l’analyse du nerf optique. Lorsque le nerf est élargi ou rehaussé de fac¸on marquée par l’injection Bull Cancer vol. 101 • N◦ 4 • avril 2014

Le rétinoblastome : les avancées récentes de risque de récidive extra-oculaire. Une IRM spinale et une scintigraphie osseuse ne sont pas nécessaires qu’en cas d’atteinte avérée extra-oculaire loco-régionale ou à distance.

Les aspects thérapeutiques Les indications thérapeutiques sont fonction de l’âge du patient, du caractère uni- ou bilatéral du rétinoblastome, de l’existence d’une atteinte vitréenne ou pré-rétinienne, du nombre, de la localisation, en particulier par rapport à la papille et la macula, et de la taille des tumeurs. Des aspects pronostiques restent essentiels : la détection précoce [14] et la prise en charge adaptée par une équipe spécialisée multidisciplinaire. La collaboration entre ophtalmologiste et pédiatre oncologue se doit d’être étroite.

Les traitements conservateurs

Figure 3. IRM : masse intra-orbitaire hétérogène en coupe sagittale oblique sur l’axe du nerf optique en pondération T2. (sur une longueur de plus de 3 mm), la probabilité d’une infiltration rétro-laminaire est élevée et contre-indique une énucléation première (risque de section du nerf optique en zone tumorale). La précision de l’IRM est cependant encore imparfaite pour le diagnostic d’infiltration débutante du nerf optique (pré-, intra- ou rétro-laminaire minime). L’exploration conjointe de l’encéphale permet de détecter une éventuelle extension métastatique leptoméningée (notamment dans les formes avec importante extension au nerf optique). Il faut dans ce cas compléter l’IRM par une étude de l’axe spinal. L’IRM permet de détecter une éventuelle tumeur neuroectodermique primitive associée (située sur la glande pinéale ou, plus rarement, dans la région supra-sellaire) retrouvée chez 5 à 15 % des enfants ayant une forme héréditaire de rétinoblastome (rétinoblastome « trilatéral ») [11], qu’il faut savoir différencier d’un kyste pinéal bénin [12]. Des malformations cérébrales peuvent être également détectées chez les patients porteurs d’une délétion constitutionnelle du chromosome 13 [13]. Les extensions tumorales ganglionnaires sont rares ; le premier relai ganglionnaire étant pré-tragien, accessible à un examen clinique. La tomodensitométrie (TDM) n’est plus recommandée lorsque l’IRM est accessible [9] car cette technique est beaucoup moins précise que l’IRM et expose ces patients aux radiations ionisantes, ce qui doit être évité au maximum pour les formes héréditaires (risque accru de sarcome secondaire). Une analyse du liquide céphalo-rachidien et de la moelle osseuse est nécessaire en cas de signes cliniques ou radiologiques faisant suspecter une extension métastatique (exceptionnelle dans les pays industrialisés) ou lorsque, en cas d’énucléation, l’analyse histologique montre des facteurs Bull Cancer vol. 101 • N◦ 4 • avril 2014

Les plus grandes avancées thérapeutiques dans le domaine du rétinoblastome concernent les traitements conservateurs. Ceux-ci sont indiqués aujourd’hui chez environ 20 % des patients présentant un rétinoblastome unilatéral et chez la grande majorité des patients présentant une forme bilatérale, au moins pour l’un des deux yeux. Le développement de nouvelles techniques de traitement à visée conservatrice a pour but de préserver la vision de ces enfants [15] et de diminuer le recours à l’irradiation externe en raison de ses risques (retentissement sur la croissance orbitofaciale, cataracte, rétinopathie radique, risque devenu rare aujourd’hui d’irradiation de l’axe hypothalamo-hypophysaire et de retentissement endocrinien et surtout majoration significative du risque de second cancer dans le territoire irradié) [16, 17]. Le traitement conservateur du rétinoblastome comprend un éventail de différentes techniques utilisées seules ou en association. Leurs indications dépendent de l’évaluation de chaque tumeur et doivent être posées en milieu oncoophtalmologique spécialisé en raison de leur complexité. Une phase initiale de chimiothérapie néo-adjuvante peut être utile lorsque le volume tumoral initial ne permet pas l’accessibilité directe aux différentes techniques de traitements locaux conservateurs. La réponse à cette chimiothérapie néo-adjuvante s’évalue sur la largeur et l’épaisseur de chaque tumeur mais aussi sur leur aspect devenant « fragmenté », calcifié sous traitement : la régression tumorale est observée dans l’immense majorité des cas au niveau des tumeurs rétiniennes alors que les localisations intra-vitréennes et sous- ou pré-rétiniennes répondent nettement moins bien à la chimiothérapie systémique [18]. Les combinaisons de chimiothérapies utilisées sont basées sur celles ayant apporté les meilleurs taux de réponse dans les rétinoblastomes extra-oculaires [19] avec des associations comprenant selon les équipes du carboplatine ± étoposide ± vincristine. Les agents cytotoxiques actuellement utilisés par les équipes franc¸aises sont l’association de carboplatine/étoposide avec deux cycles espacés de 21 jours [20] (étude phase 2 randomisée Curie 03-A1 en cours de soumission). En avant de l’équateur de l’œil, les tumeurs peuvent

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M. Jehanne, et al. être accessibles aux traitements par cryothérapie pour les plus petites d’entre elles ou curiethérapie interstitielle (par disque d’iode ou de ruthénium radioactif), en cas de tumeur plus volumineuse ou avec un envahissement vitréen localisé [21]. En arrière de l’équateur de l’œil, une technique de traitement par laser seul ou en combinaison avec de la chimiothérapie par carboplatine a entraîné un changement radical dans la prise en charge du rétinoblastome permettant le traitement de tumeurs du pôle postérieur sans recours à l’irradiation externe [22]. Cette technique de thermo-chimiothérapie associe une administration de carboplatine avant réalisation d’une hyperthermie tumorale par laser diode à j1 afin d’en potentialiser les effets [20]. Dans le cas des atteintes très étendues de la rétine ou du vitré, le seul traitement conservateur possible restait l’irradiation externe. Récemment, le développement de la perfusion sélective intra-artérielle de chimiothérapie est devenu une option thérapeutique notamment dans les formes localement avancées de rétinoblastome [23] pour lesquelles les traitements conservateurs par chimiothérapie étaient à ce jour souvent des échecs avec nécessité de recours à l’énucléation et/ou à l’irradiation externe. Cette technique est actuellement réalisée sous anesthésie générale par l’intermédiaire d’un cathétérisme fémoral avec mise en place d’un micro-cathéter au niveau de l’ostium de l’artère ophtalmique permettant l’injection sélective de chimiothérapie au niveau du réseau vasculaire oculaire. Au niveau franc¸ais, cette technique fait actuellement l’objet d’une étude clinique de phase 2 visant à évaluer son efficacité avec l’utilisation de melphalan intra-artériel pour certaines formes intra-oculaires de rétinoblastome unilatéral (groupe C et D de la classification IRC) ou en cas de rétinoblastome bilatéral très asymétrique ne nécessitant pas de traitement par chimiothérapie intraveineuse (IC 2011-05 RETINO 2011). Des complications secondaires à cette technique sont décrites à type d’œdème de la paupière, blépharoptose, perte des cils et congestion orbitaire mais aussi des atteintes vasculaires à type de sténose de l’artère ophtalmique avec ischémie rétinienne et risque de perte visuelle [24]. L’exposition aux rayonnements ionisants, que cette technique entraîne, doit aussi être prise en compte notamment chez les enfants avec une forme héréditaire de rétinoblastome, à risque de tumeurs secondaires [25]. De nouvelles modalités d’administration de chimiothérapie font actuellement partie de l’arsenal thérapeutique du rétinoblastome en particulier en cas de récidive intra-vitréenne mais actuellement doivent faire l’objet d’évaluation prospective de leur efficacité : injections intra-vitréennes réalisées notamment dans les cas d’atteinte localisée du vitrée [26], injections péri-oculaires de chimiothérapie (principalement topotécan et carboplatine) [27].

Le traitement non conservateur Dans le cas du rétinoblastome unilatéral étendu, forme la plus fréquente de rétinoblastome, 80 % des patients doivent encore être traités par énucléation première, l’extension

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intra-oculaire ne permettant pas d’envisager un traitement conservateur [28]. L’indication d’un traitement adjuvant, dont l’objectif est de limiter les risques de rechute extra-oculaire reste débattue, fondée sur les résultats de l’analyse histopathologique de la pièce d’énucléation [29]. L’examen histologique de la pièce d’énucléation doit donc être réalisé par un pathologiste expérimenté, car il conditionne les indications thérapeutiques postopératoires. La définition des critères de risque histopathologiques ne sont pas consensuels entre les équipes [29-31] : l’invasion microscopique extrasclérale et l’atteinte de la tranche de section du nerf optique sont de fac¸on générale considérées comme étant des facteurs de haut risque et l’atteinte pré-laminaire comme un facteur de bas risque. Les autres facteurs restent cependant controversés : au niveau oculaire, l’atteinte de la choroïde (notamment son degré d’atteinte) et l’invasion de la chambre antérieure ; au niveau du nerf optique, l’atteinte intra- et rétro-laminaire. Ainsi une conférence de consensus internationale publiée en 2009 a proposé des recommandations pour l’examen des pièces d’énucléation et des définitions précises histopathologiques [30]. L’envahissement choroïdien massif a été défini par une atteinte d’au moins 3 mm pouvant atteindre la sclère en profondeur. Une meilleure définition de ces critères devrait ainsi permettre une comparaison entre les différentes études en termes de traitement postopératoire, adapté aux facteurs de risque histologiques. Au niveau thérapeutique, les prises en charge sont aussi différentes entre les équipes. Pour les formes de haut risque, il existe tout de même un certain consensus pour la réalisation d’une chimiothérapie adjuvante associée à de la radiothérapie [29, 31]. Une chimiothérapie intensive avec réinjection de cellules souches hématopoïétiques est dans certains cas aussi proposée [32]. La prise en charge des formes de bas risque et de risque intermédiaire sont plus débattues [29, 31, 33]. Au sein de la Société franc¸aise de lutte contre les cancers de l’enfant et de l’adolescent (SFCE), cette question a donné lieu à une étude prospective standardisant les indications de traitement adjuvant post-énucléation (protocole RBSFOP 2001) [33]. Les résultats anatomopathologiques ont amené à considérer trois groupes d’enfants : – le groupe 1 (bas risque), n’ayant pas d’atteinte ou seulement une atteinte superficielle de la choroïde et une absence ou atteinte seulement pré-laminaire du nerf optique, ne rec¸oit pas de chimiothérapie adjuvante ; – le groupe 2 (risque intermédiaire), défini par une atteinte massive de la choroïde et/ou une atteinte intra- ou retrolaminaire du nerf optique et/ou une atteinte du segment antérieur de l’œil, rec¸oit quatre cures de chimiothérapie adjuvante ; – le groupe 3 (haut risque), défini par l’atteinte de la tranche de section du nerf optique et/ou des gaines méningées du nerf optique et/ou une atteinte microscopique extra-sclérale, rec¸oit six cures de chimiothérapie adjuvante avec une intensification et réinjection de cellules souches autologues. Cette prise en charge a permis d’obtenir d’excellents résultats tout en évitant à près de 60 % des enfants de recevoir Bull Cancer vol. 101 • N◦ 4 • avril 2014

Le rétinoblastome : les avancées récentes de la chimiothérapie après l’énucléation. En raison des très bons résultats obtenus dans cette étude RB SFOP 2001 et des données de la littérature, une désescalade thérapeutique concernant certains patients de risque moyen (envahissement choroïdien massif isolé, atteinte intra-laminaire du nerf optique) est envisagée dans l’étude RB SFCE 2009 actuellement en cours. Les rares indications de chimiothérapie néo-adjuvante avant énucléation pour rétinoblastome unilatéral étendu concernent les cas avec buphtalmie (afin de limiter les risques de rupture oculaire peropératoire) et/ou atteinte du nerf optique détectable en imagerie (afin de permettre une section du nerf optique en zone saine après régression tumorale et intervention à double équipe, ophtalmologique et neurochirurgicale) [34].

Surveillance, pronostic Une surveillance régulière ophtalmologique et pédiatrique doit se poursuivre dans les années qui suivent la fin du traitement La surveillance comprendra une surveillance ophtalmologique avec un suivi par fond d’œil sous anesthésie générale initialement puis sans anesthésie générale secondairement lorsque la coopération de l’enfant sera suffisante. Ce suivi initialement mensuel sera progressivement espacé à un suivi trimestriel jusqu’à l’adolescence puis semestriel. Le suivi optalmologique restera ensuite annuel à vie. L’objectif du suivi ophtalmologique est la recherche d’une récidive tumorale, d’une atteinte controlatérale métachrone dans les formes unilatérales, le suivi de l’appareillage en cas d’énucléation et la recherche de complications oculaires post-traitements locaux (cataracte, hémorragie. . .). La surveillance sera aussi pédiatrique permettant la prise en charge du handicap visuel, la recherche de toxicité secondaire aux traitements (exceptionnel retentissement auditif de la chimiothérapie par carboplatine [35]. . .), ainsi que la détection de tumeurs secondaires [16, 36-38]. Les résultats fonctionnels visuels après traitements conservateurs sont satisfaisants avec une acuité visuelle chez 60 % des enfants supérieure ou égale à 5/10e . La préservation de la fonction visuelle va dépendre principalement du volume tumoral initial et de sa distance par rapport à la macula [39]. Le rétinoblastome est une tumeur dont le pronostic est excellent dans les pays industrialisés avec un pourcentage de survie des patients atteints de rétinoblastome uni- ou bilatéral actuellement de plus de 95 %. Le pronostic vital reste malheureusement engagé dans les pays en voie de développement, les régions ayant la plus grande prévalence de rétinoblastome restant les régions ayant le taux de mortalité le plus élevé (40-70 %) [14]. La survie à long terme des patients atteints de formes héréditaires de rétinoblastome reste aussi menacée par le risque de survenue de tumeur secondaire [16, 36-38]. Leur incidence est variable d’une étude à l’autre mais reste dans son ensemble élevée (5,8 %-17,3 %). L’incidence cumulative de tumeurs secondaires 50 ans après le diagnostic de rétinoblastome est rapportée dans une étude à 36 % pour les formes Bull Cancer vol. 101 • N◦ 4 • avril 2014

héréditaires et à 5,7 % pour les formes non héréditaires [17]. Ce risque est fortement potentialisé par l’utilisation de la radiothérapie externe [37, 40] mais aussi de la chimiothérapie [41]. Les cancers secondaires sont surtout des sarcomes se développant majoritairement en bordure des champs d’irradiation du rétinoblastome (sarcomes ostéogènes, sarcomes indifférenciés, rhabdomyosarcomes), plus rarement des carcinomes (sinus), des méningiomes ou des tumeurs gliales du système nerveux central et des mélanomes. L’intervalle médian de développement de ces tumeurs secondaires après le diagnostic de rétinoblastome est très variable rapporté dans l’étude de Aerts et al. à 11,2 ans (3,8-20,6 ans) [16]. Une information aux familles et au patient lui-même doit être délivrée afin d’apporter une attention particulière aux symptômes possibles de ces secondes tumeurs et de diminuer les facteurs de risque de certaines d’entre elles (tabac, exposition solaire excessive). Le dépistage précoce des tumeurs secondaires du massif facial en territoire irradié chez les patients préalablement traités pour rétinoblastome héréditaire par radiothérapie externe est important, car le pronostic de ces tumeurs secondaires dépend étroitement de leur opérabilité. En outre, ils menacent la fonction visuelle résiduelle des patients. Le bénéfice d’un dépistage systématique annuel par IRM du massif facial est actuellement à l’étude.

Information génétique Le dépistage des sujets à risque est aujourd’hui de plus en plus fréquent ce qui permet de leur faire bénéficier d’une surveillance du fond d’œil sous anesthésie générale afin de poser un diagnostic précoce [42]. Une consultation d’information génétique doit être proposée aux parents d’enfants atteints de rétinoblastome et pour tout patient ayant une histoire familiale ou un antécédent de rétinoblastome même unilatéral [2]. Cette consultation va permettre d’aborder les problématiques suivantes : le risque d’avoir un second enfant atteint et le risque de second cancer. Cette consultation d’information génétique doit être répétée pour l’enfant ayant été traité pour un rétinoblastome notamment à l’adolescence pour s’assurer de sa bonne compréhension de la maladie et du risque de transmission. Le jeune âge au diagnostic, le caractère bilatéral ou multifocal de la tumeur, des antécédents familiaux de rétinoblastome chez un des parents et rarement la présence d’un retard psycho-moteur ou d’un syndrome malformatif associé sont des arguments en faveur d’une prédisposition génétique au rétinoblastome. Avant toute étude génétique, on retient dans les formes familiales et bilatérales un risque de transmission à la descendance de 50 % et dans les formes unilatérales, de 5 % (10 % à 15 % des patients ayant une forme unilatérale étant porteur d’une mutation du gène RB1). Un rythme de surveillance du fond d’œil des apparentés est recommandé en fonction de la probabilité de prédisposition (figure 4). L’identification d’une altération constitutionnelle du gène RB1 chez un patient va permettre de proposer des tests

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(1) Patient atteint d’un rétinoblastome unilatéral ou bilatéral Probabilité de prédisposition comprise entre 50 % et 100 % (2) Enfant indemne porteur d’une mutation du gène RB1 (3) Descendance d’un patient a priori porteur d’une mutation du gène RB1 (patient ayant un rétinoblastome bilatéral ou unilatéral multifocal ou familial) sans mutation du gène RB1 identifiée

(1) (2) 100 %

Première semaine de vie (enfant indemne) Tous les mois jusqu’à 18 mois Espacer progressivement à tous les 3 mois jusqu’ à 4 ans Tous les 4 à 6 mois jusqu’ à 20 ans Tous les ansà vie

(3) ? 50 %

Probabilité de prédisposition de 5 % (1/20) (4) Descendance d’un patient ayant un rétinoblastome unilatéral, unifocal, non familial (5) Fratrie d’un patient ayant un rétinoblastome bilatéral ou unilatéral multifocal, non familial Premier mois de vie Tous les 2 mois jusqu’à 2 ans Tous les 6 mois jusqu’à 4 ans Tous les ans jusqu’à 20 ans

10 %

5%

(4)

5%

5%

100 % 5 % (5)

0,5 % 0,5 % 0,25 %

(6)

0,25 %

10 % 0,5 % pour un enfant

[Retinoblastoma: recent advances].

Retinoblastoma is the most common intraocular malignancy of infancy with an incidence of 1/15,000 to 1/20,000 births. Sixty percent of retinoblastomas...
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