Revue des Maladies Respiratoires (2015) 32, 166—172

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

SÉRIE « SOINS DE SUPPORT EN ONCOLOGIE PULMONAIRE » Coordonnée par C. Chouaid

Réflexions sur la limitation des soins spécifiques en oncologie thoracique Reflections on the limits of specific treatments in thoracic oncology E. Dansin a,∗, G. Lauridant a, M. Reich b, S. Villet c, P. Fournel d a

Département de cancérologie générale, CLCC Oscar-Lambret, 3, rue Fréderic-Combemale, 59020 Lille cedex, France b Onco-psychiatre, CLCC Oscar-Lambret, 59020 Lille, France c Unité de soins palliatifs, CLCC Oscar-Lambret, 59020 Lille, France d Département d’oncologie médicale, institut de cancérologie Lucien-Neuwirth, 42271 Saint-Priest en Jarez, France Rec ¸u le 8 avril 2014 ; accepté le 12 juin 2014 Disponible sur Internet le 26 septembre 2014

MOTS CLÉS Limitation des soins spécifiques ; Cancer bronchique ; Soins palliatifs ; Fin de vie ; Loi Léonetti

KEYWORDS Limiting care;



Résumé La limitation des soins spécifiques est une problématique majeure de l’oncologie et particulièrement pour le cancer bronchique au stade métastatique. Les avancées thérapeutiques liées à certaines thérapies ciblées ne concernent en effet qu’une faible proportion de patients. La majorité des patients se trouvent rapidement confronter à la limitation des soins spécifiques et à une prise en charge palliative exclusive. Cet article évoque les limites thérapeutiques dans le cancer bronchique métastatique, le contexte législatif encadrant la limitation des soins, les référentiels pouvant aider le praticien dans sa démarche d’annonce et ces conséquences psychologiques pour le patient. © 2014 SPLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Summary The modest impact of specific treatments is a major problem in oncology and particularly for metastatic lung cancer patients. Therapeutic progress achieved by some targeted therapies is, in fact, only relevant for a small proportion of patients. The vast majority of people

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (E. Dansin).

http://dx.doi.org/10.1016/j.rmr.2014.08.005 0761-8425/© 2014 SPLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Limitation des soins en oncologie thoracique

Lung cancer; Palliative care; End of life; Leonetti law

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with this condition are rapidly confronted by the limits of specific therapies and management is or becomes entirely palliative. This article addresses therapeutic limitations in the management of metastatic lung cancer, as well as legislative aspects and guidelines for practitioners when discussing these issues with patients, together with a discussion of the psychological consequences for patients. © 2014 SPLF. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction La prise en charge du cancer bronchique est en plein bouleversement. Ce constat s’applique à tous les niveaux de cette pathologie qui demeure un véritable fléau en termes de santé publique [1]. Sur le plan physiopathologique, la mise en évidence des altérations moléculaires a permis une compréhension plus fine des mécanismes de l’oncogenèse bronchique. Sur le plan diagnostique, de nouvelles modalités (séquenc ¸age de nouvelle génération, ADN tumoral circulant. . .) et organisations (plateformes, réseaux d’experts, dépistage. . .) se sont affirmées et/ou sont en cours de validation. Sur le plan thérapeutique également, les changements sont majeurs avec mise à disposition de nouveaux agents (thérapies ciblées, immunothérapie) et de nouvelles stratégies (maintenance, médecine personnalisée). Un niveau essentiel de l’oncologie thoracique n’échappe pas non plus aux bouleversements, aux réflexions et au questionnement. Il s’agit de la problématique fondamentale de la limitation des soins spécifiques, c’est-à-dire, directement liés au cancer, et de la fin de vie. En effet, en dépit des avancées évoquées précédemment, le pronostic du cancer bronchique métastatique reste mauvais pour la majorité des patients avec des médianes de survie sans progression variant selon les études entre 4 et 7 mois pour la première ligne et 2 et 4 mois pour la deuxième ligne de traitement et des taux de survie à 1 an compris entre 20 % et 60 %. Dans ce contexte péjoratif, le questionnement sur la limitation des soins spécifiques et la fin de vie demeure central en pratique quotidienne comme en réflexion éthique. Cette dimension de l’oncologie thoracique n’échappe pas non plus aux évolutions. À titre d’exemple, on peut citer les remises en cause du minimalisme thérapeutique chez les sujets âgés à l’heure des chimiothérapies mieux tolérées, de l’abstention thérapeutique chez les patients de performance status (PS) 3-4, candidats aux thérapies ciblées particulièrement efficaces en cas d’anomalie moléculaire ou du recours très tardif aux soins palliatifs. Les débats actuels sur la loi Léonetti, l’euthanasie et les conditions de fin de vie témoignent aussi de l’importance de cette problématique de la limitation de soins spécifiques en général et de son acuité dans l’oncologie thoracique. Dans cet article centré principalement sur le cancer bronchique métastatique, nous aborderons la question de la limitation des soins spécifiques sous l’angle du contexte thérapeutique, du cadre réglementaire et législatif et des conséquences pour le patient et le praticien de cette annonce difficile.

Limitation des soins spécifiques et contexte thérapeutique du cancer bronchique non à petites cellules métastatique L’oncologie thoracique a été marquée ces dernières années par l’identification de certaines anomalies moléculaires oncogéniques et l’évaluation de nouveaux agents thérapeutiques. Toutefois, il faut bien reconnaître que l’arsenal thérapeutique ne s’est pas étoffé en situation de 2e et 3e ligne de traitement [2]. Les perspectives thérapeutiques de 2e et 3e ligne restent faibles pour la majorité des patients dont la tumeur n’exprime pas d’anomalie moléculaire oncogénique relevant d’un traitement spécifique comme les inhibiteurs de tyrosine kinase de l’EGFR ou d’ALK. Pourtant de plus en plus de patients relèvent potentiellement, après leur première ligne, de traitements ultérieurs. En 2005, Hensing retrouvait 44 % de patients accédant à un traitement de 2e ligne [3]. Les facteurs prédictifs d’accès à ce traitement de seconde intention étaient le PS 0-1, le sexe féminin et le fait d’avoir rec ¸u au moins deux cures de la 1re ligne. Les publications postérieures de Breton, Park et Bylicki identifiaient, respectivement 69 %, 68 % et 78 % de patients candidats à une 2e ligne [4—6]. L’accès à une 3e ligne de traitement concerne nettement moins de patients. Dans une série rétrospective de 2009, Girard et al. retrouvaient 173 patients traités en 3e ligne sur un effectif initial de 613 patients (28 %) et rapportait comme facteurs prédictifs de survie l’âge inférieur à 70 ans, un PS 0-1, une absence de symptômes lors de l’initiation de la 3e ligne et une réponse aux traitements antérieurs [7]. Les limites thérapeutiques s’avèrent évidentes en pratique si on se réfère aux agents disposant d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) de 2e et/ou 3e ligne et aux recommandations thérapeutiques actuelles. Ces limites concernent non seulement le nombre d’agents (pemetrexed, erlotinib, docetaxel) mais aussi leurs résultats en termes de réponse objective (inférieure à 10 %), survie sans progression (5 à 8 mois) et de survie à 1 an (autour de 30 %). Les recommandations indiquent les conditions d’accès aux 2/3e lignes (progression sous traitement antérieur, PS, sélection histologique et/ou moléculaire), les agents disponibles (pemetrexed, erlotinib, docetaxel) et signalent clairement l’absence de chimiothérapie recommandable en 4e ligne (Tableau 1) [8,9]. Dans ces conditions, le praticien est rapidement limité dans ses propositions thérapeutiques. Chez un patient en bon état général, informé de sa situation carcinologique, demandeur de soins, une proposition de

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E. Dansin et al.

Tableau 1 Recommandations de l’European Society for Medical Oncology (ESMO) pour les traitements de 2e /3e ligne des carcinomes bronchiques non à petites cellules stade IV [8]. Agent

Indications e

Docetaxel Pemetrexed

2 ligne 2e ligne

Erlotinib Erlotinib

2e et 3e

Géfitinib

Crizotinib

2e ligne

Restrictions PS 0-1 PS 0-1 Histologie non épidermoïde PS 0-3 Lésion EGFR mutée non pré-traitée par ITK-EGFR Lésion EGFR mutée non pré-traitée par ITK-EGFR Lésion ALK+

EGFR : epidermal growth factor receptor ; ITK : inhibiteur de tyrosine kinases ; ITK-EGFR : inhibiteur de tyrosine kinases du récepteur de l’EGFR.

participation à un essai thérapeutique s’avère tout à fait légitime et adaptée (http://www.clinicaltrials.gov/gouv, http://www.e-cancer.fr/recherche/recherche-clinique/ registre-des-essais-cliniques/). Dans de nombreuses circonstances, l’accès aux essais thérapeutiques n’est cependant pas possible (information, aspects logistiques, critères d’inéligibilité. . .). Dans cette situation, sous réserve d’un dialogue ouvert avec le patient et de discussions collégiales (réunions de concertation pluri-disciplinaires locales ou de recours, avis d’experts, réseau régional de cancérologie, observatoire du médicament, des dispositifs médicaux et de l’innovation thérapeutique (OMEDIT). . .), le recours à un traitement hors AMM et/ou référentiel peut se justifier. Habib et al. ont rapporté les résultats de l’association paclitaxel-bevacizumab chez 20 patients lourdement prétraités avec une médiane de survie globale à 9,6 mois [10]. Ces résultats illustrent l’intérêt d’une démarche de recherche clinique dans cette situation difficile de limitation objective des soins spécifiques chez des patients encore éligibles à un traitement. Cette association de chimiothérapie est maintenant évaluée dans le cadre de l’essai prospectif de phase III ULTIMATE promu par l’intergroupe francophone de cancérologie thoracique (IFCT) (http://www.ifct.fr). Peu de données sont disponibles dans le cancer bronchique sur l’ensemble du parcours thérapeutique des patients, la qualité de vie au décours des différentes lignes de chimiothérapies et les conditions de décès. L’étude rétrospective de Sese et al. [11] analysaient le parcours de 94 patients décédés d’un CBNPC métastatique. Des chimiothérapies de 1re , 2e et 3e lignes et plus avaient pu être administrées chez respectivement 58 %, 25 % et 11 % des patients. Dans 20 % des cas, le traitement de dernière ligne correspondait à un essai thérapeutique. Au moment du décès, 54 % des patients avaient été considérés comme relevant de soins palliatifs exclusifs. Les intervalles entre le début de la dernière ligne, le dernier traitement et le décès étaient respectivement

de 2,8 et 0,9 mois. Dans le mois précédant le décès, 55 % des patients avaient rec ¸u un traitement et, dans 22 % des cas, le délai entre le traitement considéré comme actif et le décès était de 15 jours. Chez 15 % des patients, l’auteur retrouvait un séjour en réanimation dans le dernier mois de vie [11]. Dans une enquête internationale prospective menée auprès de 319 patients, Chouaid et al. démontraient l’impact délétère considérable du stade IV, de la ligne de traitement et de la progression de la maladie sur la qualité de vie des patients atteints de CBNPC avancés [12]. Wintner et al. parvenaient à une conclusion similaire dans une étude de qualité de vie au décours des lignes de chimiothérapie de 187 patients atteints de CBNPC. Cet auteur rapportait une dégradation significative de la qualité de vie des patients à partir de la 3e ligne et plus de chimiothérapie [13]. Ces données illustrent bien la gravité de la question de la limitation des soins spécifiques dans le cancer bronchique et l’exposition des patients comme des cliniciens à des situations extrêmement difficiles sur le plan humain et éthique. Par ailleurs, les aspects médico-économiques sur la limitation des soins spécifiques dans le cancer bronchique métastatique ne peuvent être occultés. Dans un contexte budgétaire contraint l’évaluation du rapport coût-utilité des traitements prolongés du CBNPC métastatique pourrait devenir prégnante et générer des interpellations éthiques, sociétales et de la part des autorités franc ¸aises de santé, à l’image des décisions des instances anglaises limitant le recours à certains traitements.

• Dans le cancer non à petite cellule métastatique, les perspectives thérapeutiques de 2e et 3e ligne restent faibles quand la tumeur n’exprime pas d’anomalie moléculaire oncogénique relevant d’un traitement spécifique comme les inhibiteurs de tyrosine kinase de l’EGFR ou d’ALK. • Accèdent préférentiellement à un traitement de 2e ligne, les patients PS 0-1, de sexe féminin et ayant rec ¸u au moins deux cures de la 1ère ligne, soit de 68 à 78 % des patients. • Les patients accédant à un traitement de 3e ligne sont beaucoup moins nombreux (environ 30 %). • Les recommandations actuelles précisent les conditions d’accès aux 2/3e lignes, les agents de chimiothérapie disponibles et signalent clairement l’absence de chimiothérapie existante en 4e ligne. • Dans ce cadre de faibles possibilités thérapeutiques, chez le patient en bon état général, informé de sa situation carcinologique, demandeur de soins, une proposition de participation à un essai thérapeutique est tout à fait légitime mais elle est malheureusement souvent impossible ; dans certaines circonstances, le recours à un traitement hors AMM et/ou référentiel peut se justifier. • Dans la littérature est rapportée une dégradation significative de la qualité de vie des patients à partir de la 3e ligne et plus de chimiothérapie, ce qui illustre bien la gravité de la question de la limitation des soins spécifiques dans le cancer bronchique. • Se posent alors des problèmes extrêmement difficiles sur le plan humain et éthique.

Limitation des soins en oncologie thoracique • En outre, les aspects médico-économiques ne peuvent pas être négligés, ce qui accentue les difficultés éthiques.

Limitation des soins spécifiques, référentiels et contexte législatif À côté des recommandations sur la prise en charge du cancer bronchique métastatique au-delà de la première ligne, le clinicien pourra s’aider des référentiels sur la prise en charge palliative et l’annonce de la limitation des soins spécifiques. Le référentiel de l’association franc ¸aise de soins oncologiques de support (AFSOS) aborde les critères médicaux, un score pronostique et les repères éthiques pour la démarche décisionnelle de limitation ou d’arrêt de la chimiothérapie palliative. Ce référentiel définit le caractère palliatif d’une chimiothérapie quand son impact sur la survie est très faible voire nul et que son objectif est d’améliorer ou de maintenir la qualité de vie (http://www.afsos.org/) [14]. L’American College of Chest Physicians (ACCP) a élaboré des recommandations sur la gestion des symptômes liés au cancer bronchique, l’importance de la mise en place précoce de soins palliatifs et de la communication avec le patient et sa famille. Cette approche formalisée à l’aide de techniques de communication s’inspirant du protocole SPIKES vise à préserver la qualité de vie des patients en abordant systématiquement et précocement, dans les stades avancés, les questions de la limitation des soins spécifiques et de la fin de vie [15,16]. La problématique de limitation des soins s’inscrit également dans un cadre législatif. Cet aspect est particulièrement abordé par le code de déontologie, la loi 2002-303 du 4 mars 2002 (dite « loi Kouchner ») relative aux droits des malades et à la qualité des soins et la loi 2005370 du 22 avril 2005 (dite « loi Léonetti ») relative aux droits des malades et à la fin de vie. La « loi Léonetti » a introduit plusieurs dispositions telles que la personne de confiance, les directives anticipées, le refus de l’obstination déraisonnable, la procédure collégiale et les conditions de mise en œuvre des décisions de limitation ou d’arrêt des traitements (Tableau 2). La sensibilisation à la problématique de la limitation des soins spécifiques en oncologie thoracique s’est trouvée renforcée par ce cadre législatif innovant, même s’il reste peu connu du grand public et des médecins, et par les résultats convergents de plusieurs travaux prospectifs sur la place d’une prise en charge palliative précoce. En 2010, l’essai randomisé de Temel et al. incluant 151 patients atteints de CBNPC métastatiques démontraient une amélioration significative de la qualité de vie et de la survie globale (11,6 versus 8,9 mois p = 0,02) dans le groupe soins palliatifs précoces par rapport au groupe soins palliatifs à la demande [17]. Dans cet essai, la prise en charge palliative consistait en contacts (précoces et répétés mensuellement ou uniquement sur demande selon le bras de randomisation) avec un membre de l’équipe des soins palliatifs avec évaluation systématique de l’état physique et psychique, des attentes et besoins des patients. Plusieurs analyses complémentaires ont été réalisées à partir de cette étude. Greer et al. démontraient un recours à la chimiothérapie dans les deux mois précédant le décès moins important dans le bras expérimental intégrant des soins palliatifs précoces que dans le

169 groupe soins palliatifs à la demande (52,5 % versus 70,1 % ; odds-ratio = 0,47 [IC95 %: 0,23—0,99] ; p = 0,05). Cet auteur retrouvait également un recours à la chimiothérapie intraveineuse dans les deux mois précédant le décès moins important et un délai entre la fin de la chimiothérapie et le décès plus long chez les patients bénéficiant précocement et systématiquement de soins palliatifs et d’une prise en charge psychologique [18]. Suite à l’étude de 1231 patients atteints d’un cancer incurable (dont 1009 CBNPC de stade IV), Mack et al. concluaient qu’une discussion sur la fin de vie entre le clinicien et le patient menée au minimum 30 jours avant le décès permettait d’obtenir une réduction significative des recours aux traitements agressifs et aux admissions en service de réanimation [19]. L’étude canadienne de Zimmermann et al., portant sur 461 patients atteints de différents types de cancers, retrouvaient également le bénéfice d’une prise en charge intégrant précocement une équipe spécialisée en soins palliatifs. Cette stratégie améliorait de fac ¸on significative les indicateurs de qualité de vie à 4 mois [20]. La cohérence des études en faveur de l’intégration précoce des soins palliatifs ou de supports, d’une prise en charge psychologique adaptée et d’échanges anticipés sur la limitation des soins spécifiques et la fin de vie n’empêche pas pour autant les difficultés pratiques et les blocages structurels et/ou culturels. Les différences législatives entre pays européens sur la fin de vie et les débats traversant la société franc ¸aise (euthanasie passive ou active, suicide assisté, sédation terminale, rapport Sicard) témoignent de l’importance du sujet et du chemin à parcourir avant l’obtention d’un consensus sociétal et d’une adhésion des patients et des acteurs de santé. • Il existe des référentiels utiles en clinique sur la prise en charge palliative et l’annonce de la limitation des soins spécifiques. • Le référentiel de l’Association franc ¸aise de soins oncologiques de support (AFSOS) aborde les critères médicaux, un score pronostique et les repères éthiques pour la démarche décisionnelle de limitation ou d’arrêt de la chimiothérapie palliative. • L’American College of Chest Physicians (ACCP) a élaboré des recommandations sur la gestion des symptômes liés au cancer bronchique, l’importance de la mise en place précoce de soins palliatifs et de la communication avec le patient et sa famille. • Il existe également un cadre législatif, précisé dans le code de déontologie, avec notamment la loi 2002303 du 4 mars 2002 (dite « loi Kouchner ») relative aux droits des malades et à la qualité des soins, et la loi 2005-370 du 22 avril 2005 (dite « loi Léonetti ») relative aux droits des malades et à la fin de vie. • Des soins palliatifs précoces améliorent la qualité de vie et la survie globale.

Limitation des soins spécifiques et conséquences psychologiques Dans cette problématique de limitation des soins spécifiques et de fin de vie, il faut intégrer la multiplicité des

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E. Dansin et al.

Tableau 2 Principales caractéristiques de la loi du 22 avril 2005 dite loi Léonetti, relative aux droits des malades et à la fin de vie. Soulager la souffrance

Personne de confiance

Directives anticipées

Refus de l’obstination déraisonnable Procédures collégiale d’arrêt de traitement en fin de vie

Si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie, il doit en informer le malade. . ./. . . La procédure suivie est inscrite dans le dossier médical L’avis de la personne de confiance, sauf urgence ou impossibilité, prévaut sur tout autre avis non médical, à l’exclusion des directives anticipées, dans les décisions d’investigation, d’intervention ou de traitement prises par le médecin. Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées indiquent les souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie concernant les conditions de la limitation ou l’arrêt de traitement. Elles sont révocables à tout moment Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible de mettre sa vie en danger ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale. . ./. . . sans que la personne de confiance ou la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d’arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical

intervenants et des interactions qui vont surgir de ces conditions difficiles pour tous sur le plan psychologique, affectif, matériel, social et spirituel. Le patient est à l’évidence au cœur de la question. La prise en compte de son état psychologique est essentielle avec respect de ses mécanismes de défense (déni, projection agressive, rationalisation. . .) et approche empathique de ses interrogations, désarroi, attitudes. L’entourage familial et amical peut-être difficile à gérer pour le clinicien soumis aux demandes, voire aux pressions, contradictoires et lié aux obligations déontologiques sur le secret médical notamment. La personne de confiance désignée par le patient doit représenter un interlocuteur privilégié. L’annonce de la limitation des soins spécifiques prend toujours une valeur symbolique et cette prise en compte doit être une préoccupation du praticien. À cet effet, il est recommandé de porter attention aux conditions matérielles de la discussion (lieu calme, confidentialité préservée, attention réelle, interventions extérieures— comme le téléphone —proscrites). Il faut prendre garde à ce que l’échange verbal ne soit pas parasité par la communication non verbale. Le patient pourra être très sensible à cette dimension non verbale comme une attitude ou des conditions inadaptées altérant la qualité de la discussion (ex : visage très fermé du praticien, interventions extérieures interrompant l’échange. . .). Pour le patient, cette annonce de la limitation des soins spécifiques représentera sur le plan symbolique une rupture dans sa prise en charge, la disparition de l’espoir et une confrontation brutale à la mort. Côté médecin, cette discussion peut s’avérer aussi très délicate tant elle pourra évoquer sa propre mort (identification projective), susciter un sentiment de culpabilité (se sentir responsable d’une projection de son patient vers la souffrance), d’impuissance (remise en cause de l’action médicale). À l’annonce de la limitation des soins spécifiques, le patient va devoir se réorganiser sur le plan psychique et assimiler cette nouvelle réalité de la fin des soins qu’il considérait, jusqu’à

cette annonce, comme actifs. L’élaboration de nouveaux mécanismes de défense permettra au patient confronté à la limitation des soins spécifiques d’atténuer le traumatisme et la violence de la pensée de sa mort prochaine. Cette étape de reconstruction psychique peut-être difficile. Aussi, le praticien se doit de savoir qu’une chose dite (en l’occurrence la limitation des soins) n’en est pas pour autant intégrée psychiquement par le patient ou le conjoint et l’entourage familial. Les similitudes sont grandes avec les conditions et enjeux de la consultation d’annonce même si dans le cas de la limitation des soins spécifiques, le traumatisme de la projection mortifère est encore plus fort (Tableau 3). Les évolutions législatives vont très certainement impacter profondément sur cette question car les attentes de la société, des familles et des patients évoluent. L’interruption des traitements est légale ou tolérée en Suède, Norvège, Allemagne, Autriche, Espagne, Hongrie et en France. L’euthanasie est autorisée en Belgique (avec extension aux mineurs depuis février 2014) aux Pays-Bas et au Luxembourg et le suicide assisté est légal en Suisse. Dans ce contexte évolutif, l’étude belge de Pardon apportait des informations sur la demande d’euthanasie dans une cohorte de 109 patients atteints de cancers bronchiques avancés et décédés dans les 18 mois suivant le diagnostic. Les médecins référents étaient interrogés sur l’existence ou non d’une demande d’euthanasie par leurs patients. Cette expression avait été répétée et formalisée par 14 % des patients avec mise en œuvre effective autorisée par la législation belge dans 8 % des cas [21].

• La prise en charge de la fin de vie et la limitation des soins spécifiques pose toujours des problèmes difficiles sur les plans psychologique, affectif, matériel, social et spirituel.

Limitation des soins en oncologie thoracique

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Tableau 3 Principales conséquences psychologiques de l’annonce de la limitation des soins spécifiques et mesures d’accompagnements possibles. Étapes psychiques

Conséquences

Propositions d’accompagnement

Temps de la sidération lors de l’annonce

Sidération de l’esprit qui suit la révélation de la limitation des soins

Setting up Optimiser le cadre de l’entretien, Etre disponible

Temps d’assimilation et d’intégration du discours médical

Nécessité de pouvoir se représenter ce qui vient d’être dit et d’en prendre la pleine mesure

Perception Déterminer ce que le patient sait déjà sur sa maladie Invitation Déterminer ce que le patient souhaite vraiment connaître de sa maladie et ce qu’il peut entendre

Temps de l’adaptation

Nécessité de s’adapter à cette annonce et aux prochaines échéances thérapeutiques palliatives et non plus curatives

Knowledge Donner des informations simples,annoncer progressivement S’assurer que leur compréhension Empathy Avoir une attitude empathique, écouter et noter les réactions non verbales du patient

Temps du deuil

Travail de deuil par rapport à l’état antérieur, à la guérison qui ne sera plus possible et aux projets au niveau personnel, familial voire professionnel

Strategy and summary Préciser que le traitement palliatif n’est pas seulement le traitement de fin de vie mais la mise en place de soins de confort Proposer une autre consultation

Adapté du protocole SPIKES [15,16].

• Le patient est au centre de l’attention, mais l’entourage familial et amical peut-être difficile à gérer, d’où l’intérêt de consulter une personne de confiance désignée par le patient. • L’annonce de la limitation des soins spécifiques doit se faire dans de bonnes conditions, au calme, dans une ambiance sereine et par une relation patient—soignants directe et empathique. • L’annonce de la limitation des soins spécifiques représente une rupture dans le processus de soins, tant pour le patient que les soignants. • Le patient doit se réorganiser sur le plan psychique. Il faut tenir compte du fait que les choses dites, comme la limitation des soins par exemple, ne sont pas toujours intégrées par le patient et ses proches.

des traitements) est difficile pour les patients (perte d’espoir, sensation d’abandon, projection mortifère) et pour les soignants (aspects psychologiques, cadre législatif). Les données récentes et convergentes de la littérature démontrent que l’intégration précoce des soins palliatifs ou des soins de supports, la prise en charge psychologique adaptée et l’anticipation de la fin de vie préservent la qualité de vie des patients, diminue le recours à des traitements agressifs inappropriés et impacte favorablement sur la durée de vie. La mise en œuvre individualisée et empathique de ces stratégies peut aider à aborder la limitation des soins spécifiques en oncologie thoracique. Dans ce domaine particulièrement, les enjeux individuels (relation soignantpatient, souffrance du patient), collectifs (conséquences sur l’entourage, organisation des soins, impacts médicoéconomiques, législation) et éthique apparaissent majeurs.

Conclusion

Déclaration d’intérêts

La limitation des soins oncologiques spécifiques est une réalité fréquente en oncologie thoracique. Cette problématique émerge souvent dès les premiers mois de la prise en charge des CBNPC métastatiques sans altération moléculaire oncogénique relevant d’une thérapie ciblée. Il en est de même pour les cancers bronchiques à petites cellules métastatiques et les mésothéliomes pleuraux. Cette situation multifactorielle (agressivité de la pathologie, options thérapeutiques limitées, faible rapport bénéfice/risque

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

POINTS ESSENTIELS • L’oncologie, et par conséquent, la prise en charge du malade souffrant de cancer bronchique, est en plein bouleversement.

172 • Malgré cela, le pronostic du cancer bronchique reste sombre, notamment dans les formes agressives, quand les options thérapeutiques sont limitées, et que le rapport bénéfice/risque des traitements est faible. • Le problème des soins de fin de vie se pose avec une particulière acuité dans ces circonstances. • La limitation des soins spécifiques et son impact dans l’oncologie thoracique est actuellement un sujet de débat majeur. • Il est établi qu’une prise en charge palliative précoce (et non à la demande) améliore la qualité de vie et la survie globale. • Face à l’annonce de la limitation des soins, le patient et ses proches devront se réorganiser psychiquement pour se préparer et atténuer le traumatisme et la violence de la pensée de la mort prochaine, et l’accompagnement des soignants est ici essentiel.

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[Reflections on the limits of specific treatments in thoracic oncology].

The modest impact of specific treatments is a major problem in oncology and particularly for metastatic lung cancer patients. Therapeutic progress ach...
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