Annals of Burns and Fire Disasters - vol. XXVIII - n. 3 - September 2015

QUELLE PLACE POUR L’ANESTHÉSIE LOCORÉGIONALE CHEZ LES BRÛLÉS? WHAT USE IS THERE FOR REGIONAL ANESTHESIA IN BURN PATIENTS?

Chaibdraa A.,* medjelekh m.S., Saouli A., bentakouk m.C.

Service de réanimation et de traitement des brûlés. Centre hospitalo-universitaire, Annaba, Algérie

RÉSUMÉ. La pratique de l’anesthésie locorégionale chez les brûlés est limitée par de nombreux facteurs. Elle est considérée comme marginale dans l’approche multimodale du traitement de la douleur par excès de nociception. Ce travail rétrospectif, sur une période de 3 années, porte sur les anesthésies locorégionales (ALR) réalisées. Les résultats obtenus vont permettre, en regard de la rareté des données de la littérature, de formuler quelques suggestions sur la place de cette technique. Il a été recensé 634 ALR, dont 96% chez des adultes. Les membres inférieurs sont les plus concernés (76%). Des anesthésies rachidiennes ont été pratiquées chez 32 patients dont 4 enfants. Les incidents sont peu fréquents (3%) et sans gravité. L’ALR peut représenter une option utile dans la stratégie multimodale de prise en charge de la douleur, la réhabilitation passive précoce et la chirurgie de recouvrement par la greffe de peau. Elle mérite d’être explorée en ambulatoire, dans la mesure où 95% des brûlés ne sont pas hospitalisés. La place de l’anesthésie-locorégionale chez les brûlés devrait susciter plus d’intérêts, pour permettre d’établir des protocoles fondés sur une réflexion pluridisciplinaire. Mots clés : brûlure, douleur, anesthésie locorégionale

SUMMARY. Use of local/regional anesthesia in burn patients is limited by many factors. It is considered as marginal in the multimodal treatment of nociceptive pain. We conducted a retrospective study on regional anesthesia used for analgesia over a period of three years. Given the lack of available literature on this subject, the results obtained from this study will enable suggestions to be made for possible uses of this technique. We identified 634 uses of regional anesthesia of which 96% were in adults. Most cases involved the lower limbs (76%). Spinal anesthesia was performed on 32 patients, including four children. Incidents were infrequent (3%) and had no morbid consequence. Regional anesthesia may be a useful option in a multimodal strategy of analgesia, allowing early passive rehabilitation and recovery after surgical skin grafts. It should be assessed in outpatients, since 95% of burns patients are not hospitalized. Use of regional anesthesia in burn patients should generate more interest to allow the establishment of protocols in multidisciplinary reflection. Keywords: burns, local-regional anesthesia, pain

Introduction

Le premier bloc du plexus brachial, décrit par Halsted en 1884,1 inaugurait l’anesthésie locorégionale (ALR). Les progrès techniques et pharmacologiques se traduisent par une littérature abondante, intéressant toutes les spécialités médico-chirurgicales. Les indications analgésiques de l’ALR chez les brûlés sont considérées comme marginales, à l’inverse des autres traitements, dominés par les opiacés. La nécessité de ponction en zone saine, la contamination *

possible d’un cathéter (même posé en zone saine), l’étendue de la zone à traiter ou des zones disséminées (greffes, prises de greffes) rendent ces techniques peu utilisées chez les brulés. Des considérations pharmacologiques sont également évoquées, en particulier la réaction inflammatoire pouvant augmenter la réabsorption des anesthésiques locaux, source de réduction d’efficacité et d’augmentation de toxicité. A travers l’analyse rétrospective de la pratique de l’ALR dans le service de réanimation et de traitement des grands brulés du centre hospitalo-universitaire d’An-

Auteur correspondant : Dr Chaibdraa A., Service de réanimation et de traitement des brûlés. Centre hospitalo-universitaire Ibn Rochd, Route de Zaafrania, Annaba Amirouche, Algérie. E-mail : [email protected] Manuscrit : soumis le 19/02/2015, accepté le 01/04/2015.

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naba, nous essayerons de participer à la réflexion sur la place de cette technique chez les brûlés. Matériel et méthode

Notre structure est un centre pour adultes, prenant occasionnellement en charge les enfants, pour greffe de peau. La technique est réalisée chez des patients dont le siège des lésions est accessible à l’ALR, c’est-à-dire au plus 2 membres. La technique répond scrupuleusement aux recommandations du Club de l’Anesthésie Locorégionale en langue française (http://www.i-alr.com). Les ponctions sont réalisées en zone saine. Les anesthésiques locaux à notre disposition sont la lidocaïne (1% et 2%) et la bupivacaïne (0,25 et 0,5%). Les doses maximales sont de 600 mg de lidocaϊne et de 150 mg de bupivacaϊne. Chez l’enfant jusqu’à 20 kg la bupivacaϊne à 0,25% est utilisée seule à la posologie de 1ml/kg. Les ALR périphériques (tronculaires et plexiques) sont réalisées sous neurostimulation. Leurs indications sont variées : changement de pansement, détersion, incisions de décharge, ablation d’agrafes (Fig. 1), mise en place d’orthèse, réhabilitation fonctionnelle. L’ALR médullaire est pratiquée au bloc opératoire lorsque la greffe de peau et le site de prélèvement siègent sur les membres inférieurs. Les doses utilisées sont : en cas de rachianesthésie 10 mg de bupivacaϊne isobare + 25µg fentanyl , en cas d’anesthésie péridurale lombaire (APD), après injection de la dose test par le cathéter, 15 ml d’un mélange bupivacaïne + xylocaïne suivi de bolus d’entretien de 5 ml au-delà de 45 mn. Chez l’enfant on peut associer une anesthésie générale à une anesthésie caudale réalisée au moyen d’un cathéter court de 22Ga.

A

b

Fig. 1 - Actes pratiqués sous bloc huméral. A) Réalisation du bloc. B) Retrait d’agrafes.

Résultats

Nous avons recensé 634 actes d’ALR (Tableau I) dont 612 (96%) pratiqués chez des adultes et quatre cent soixante six (74%) sur les membres inférieurs. Prés de la moitié étaient des blocs fémoraux, suivis des blocs parasacré (BPS) et iliofacial (BIF). Les blocs sciatiques poplités la-

Tableau I - Types de blocs réalisés Type de bloc

Membre supérieur, n=168 (26%) Infraclaviculaire (Raj modifié) Huméral Interscalénique postérieur Axillaire Interscalénique latéral Tronculaire au coude Membre inférieur, n = 434 (74%) Fémoral (dont 4 enfants) Iliofascial (dont 10 enfants) Sciatique parasacré Sciatique poplité (postérieur) Lombaire Sciatique latéral Sciatique poplité (latéral) Obturateur (enfants) Anesthésies périmédullaires (n = 32) Rachianesthésie Anesthésie péridurale Caudale (enfants)

Effectif 78 42 18 16 8 6 219 66 58 37 28 18 4 4 24 4 4

Fig. 2 - Bi-bloc fémoral et sciatique poplité latéral.

téral (BPL) et postérieur, toujours combinés (Fig. 2), sont moins fréquemment réalisés. Nous n’avons pas mis en place de cathéter chez les enfants, ni en cas de BPS ou de bloc lombaire postérieur. L’anesthésie périmédullaire est peu pratiquée (32 actes dont 4 anesthésies caudales). Il s’agit essentiellement de rachianesthésies. Chez l’enfant, l’ALR concerne le plus souvent la zone brulée, le site donneur de greffes étant fréquemment le cuir chevelu. Les blocs des membres supérieurs représentent 168 ALR soit 26% de la série. Le plus pratiqué (78 actes) est le bloc infraclaviculaire (BIC), uni ou bilatéral, selon la technique

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Tableau II - Répartition des Complications selon le bloc

Type de bloc Nombre Incidents Fréquence Interscalénique postérieur 18 1 ptosis - myosis 5% Interscalénique latéral 8 3 déplacements de cathéter 37% Axillaire 16 1 déplacement de cathéter 19% 2 ponctions artérielles Huméral 42 3 échecs 7% Lombaire 28 1 ponction vasculaire 7% postérieur 1 aspiration hémorragique Iliofacial 56 1 infection 2%

Fig. 3 - Bloc infraclaviculaire.

Fig. 4 - Bloc axillaire bilatéral.

Fig. 5 - Bloc interscalénique postérieur de Pippo.

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de Raj modifiée (Fig. 3) suivi du bloc huméral (42 actes).2 Pour l’accès au plexus brachial, le bloc interscalénique postérieur (BISP) est le plus pratiqué. On retrouve 16 blocs axillaires, uni ou bilatéraux (Fig. 4). Les complications sont peu nombreuses (Tableau II). Les effractions vasculaires, étant détectées avant toute injection d’anesthésique local, relèvent simplement d’une reprise de la ponction. Elles sont rencontrées dans les blocs axillaire et lombaire postérieur. Les déplacements de cathéter intéressent les blocs axillaires et le BIS latéral. Le caractère inflammatoire du point d’insertion, à J12 de la pose d’un cathéter de BIF, a nécessité son retrait. Sa culture a été tardivement positive à E.coli et C.albicans, mais il n’a pas été nécessaire de traiter le patient. Une durée supérieure à 15 mn pour la réalisation d’un bloc huméral est considérée comme un échec. L’ensemble de ces incidents n’ont été suivi d’aucune conséquence délétère pour nos malades. Discussion

L’effectif de cette série est limité. Les actes d’ALR et chirurgicaux sont réalisés par le même operateur, utilisant souvent des aiguilles de longueur inadaptées. Mais il est admis que les méta-analyses dans ce domaine sont rendues difficiles par le nombre restreint de lits et les séjours prolongés des malades. La prise en charge de cette pathologie accidentelle, selon les habitudes de chaque service, ne participe pas à faire avancer la réflexion sur la place de cette technique chez ces brûlés. Les incidents vasculaires montrent que l’échoguidage,3,4 couplé ou non à la neurostimulation, permettrait de les éviter. Il autorise aussi un gain de temps significatif dans la réalisation du geste, l’installation du bloc et au final une meilleure efficacité. La diminution de la quantité d’anesthésique locaux ne serait pas négligeable. Il est à souligner que la neurostimulation seule devient imprécise lorsqu’elle est réalisée sur des membres recouverts de pansements épais. On admet un taux de réussite de 90% sous neurostimulation, qui passe à 95% si la procédure est fai-

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te sous échoguidage. Les cathéters sont difficiles à maintenir en place chez les brûlés, les mobilisations étant fréquentes et répétitives. Pour le BIS latéral, on reconnait un taux de déplacement de 30% quelque soit la méthode de 5 fixation. Les avantages du BIS postérieur de Pippo sont un trajet musculaire suffisamment long pour assurer une bonne auto fixation,6 une morbidité moindre, une liberté d’accès aux abords vasculaire jugulaire et sous clavier, ainsi qu’à la trachée (Fig. 5). Une surveillance adaptée n’étant pas possible dans notre structure, nous ne réalisons pas d’infiltration continue d’anesthésiques locaux. La douleur du brûlé, avec ses paramètres de douleur continue, liée aux soins et post opératoire, expose ces malades à un cercle vicieux induit par la notion de « mémoire de la douleur ». Mal contrôlée, elle devient délétère tant d’un point de vue physiologique que psychologique.7,8 L’exacerbation hyperalgique qui en découle nécessite le recours rapide aux opiacés, associés ou non aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), dans le cadre d’une analgésie multimodale. Le cas du patient pour ablation d’agrafes, se plaignait d’une douleur insupportable, avant même tout contact le jour des soins. Pour éviter l’anesthésie générale (AG), la situation est gérée par la prescription de tramadol et ibuprofène, une heure avant la réalisation du bloc huméral. Les soins des brûlures nécessitent fréquemment des anesthésies de type sédation ou sédation-analgésie itératives et rapprochées. Des progrès ont vu le jour avec le recours préférentiel au propofol, permettant une reprise alimentaire précoce. Mais la durée des séjours et la nécessité de soins réguliers font que les conséquences métaboliques persistent. La solution prometteuse, lorsqu’elle est réalisable est représentée par l’excision – greffe précoce, où l’analgésie secondaire par des techniques d’ALR, dans le cas de lésions des membres, peut être nettement avantageuse. Une seule injection plexique ne suffit pas à induire un bloc anesthésie de tout

le membre, mais en respectant un temps d’installation plus long l’analgésie locorégionale assure un confort appréciable. L’ALR rachidienne permet de pratiquer les actes chirurgicaux des membres inferieurs, seule ou en association à une anesthésie générale. Chez l’enfant, le site de prélèvement préférentiel est le cuir chevelu impliquant l’association à une AG. En pédiatrie, les blocs périphé9 riques sont à privilégier par rapport aux blocs rachidiens. L’ALR permet de commencer précocement, une rééducation ou réhabilitation passive,10 limitant les complications rétractiles, les raideurs articulaires en position vicieuse conduisant à des séquelles relevant de réparations chirurgicales complexes et itératives.11 L’ALR, utilisée seule, peut participer à soulager les efforts physiques d’un personnel soignant, en insuffisance d’effectif et en surcharge d’activité, à la différence de l’AG. Il est reconnu que 95% des brûlés sont pris en charge en ambulatoire. L’ALR tronculaire pourrait tenir une place importante, en facilitant le retour rapide à domicile.

BIBLIOGRAPHIE

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Conclusion

Différentes options thérapeutiques, sont largement explicitées dans la littérature dans la prise en charge des différentes caractéristiques de la douleur multimodale des brûlés, excepté l’ALR. Il ressort de ce travail, certes limité et insuffisamment évalué, que les blocs anesthésiques trouvent leur place dans la chirurgie des membres. Les blocs analgésiques, associés ou non à des antalgiques par voie orale, sont à prendre en considération dans la prise en charge des brulés et chez les malades traités en ambulatoire, sous réserve des limites au recours à cette technique. L’ALR mérite d’avantage d’intérêt, en particulier pour en définir les indications précises, et éventuellement aboutir à des protocoles consensuels fondés sur une réflexion multidisciplinaire.

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Quelle place pour l'anesthésie locorégionale chez les brûlés?

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