Table ronde Puberté et maladies chroniques (SFEDP)

Puberté et maladie rénale chronique J. Bacchetta Centre de Référence des Maladies Rénales Rares ‘Néphrogones’, Service de Néphrologie, Rhumatologie et Dermatologie Pédiatriques, hôpital Femme Mère Enfant, Bron . INSERM 1033, Prévention des Maladies Osseuses. Faculté de Médecine Lyon Est, Université Claude Bernard Lyon 1, France

R

etard de croissance, diminution de la taille finale à l’âge adulte  et ostéodystrophie rénale sont autant de complications  de  la  maladie  rénale  chronique  (MRC)  pédiatrique, résultant d’une combinaison de facteurs multiples tels que résistance à l’hormone de croissance (GH), modifications de l’axe GH/IGF1, déficit en vitamine D, hyperparathyroïdie, hypogonadisme, malnutrition et iatrogénie (corticostéroïdes et inhibiteurs des calcineurines notamment) et induisant donc des conséquences majeures à la fois pour le bien-être physique et psychique de ces patients. Cependant, malgré la correction optimale de ces anomalies, la plupart des enfants avec MRC continuent à avoir une croissance anormale. Les anomalies du métabolisme de la GH et de l’IGF1 sont les contributeurs majoritaires du retard de croissance mais les anomalies des hormones pubertaires ont également un rôle dans la genèse du retard de croissance statural, enjeu majeur de la prise en charge de la MRC en pédiatrie.

1. L’insuffisance rénale induit un retard pubertaire Chez l’enfant atteint de MRC, les données sur la puberté sont très parcellaires, le problème majeur étant qu’il n’y pas de valeurs disponibles de biomarqueurs pubertaires. Par analogie avec d’autres biomarqueurs, on peut penser qu’il existe une diminution de la clairance rénale de ces biomarqueurs, et donc une augmentation des concentrations circulantes, mais il est toujours difficile de savoir si la portion active de la protéine d’intérêt est augmentée, diminuée ou non influencée par la MRC… Chez les filles atteintes de MRC, au niveau hypothalamique on observe une hyperprolactinémie. Au niveau hypophysaire, les concentrations de FSH et de LH sont en général normales ou élevées, avec une abolition des pics de LH et de FSH pré-ovulatoires, induisant une perte du cycle. Au niveau gonadique, les dysménorrhées sont fréquemment rapportées, l’œstradiolémie est souvent basse ou normale pendant la phase folliculaire, avec des concentrations très basses de progestérone, l’ensemble créant une ovulation de mauvaise qualité (ou des cycles anovulatoires).

Chez les garçons atteints de MRC, au niveau hypothalamique on observe une hyperprolactinémie. Au niveau hypophysaire, les concentrations de FSH et de LH sont en général normales ou élevées, avec une absence d’élévation des gonadotrophines après stimulation par LHRH. Au niveau gonadique, il existe des lésions testiculaires, une atrophie des cellules de Sertoli, une oligo-azoospermie, et une hypotestostéronémie. Chez les adolescents en situation de MRC, la perte de la sécrétion pulsatile de la Gn-RH explique également le retard et la diminution de l’intensité du pic pubertaire, contribuant ainsi à aggraver le retard de croissance. La récupération d’une fonction gonadotrope quasi normale après transplantation suggère que l’urémie freine directement la fonction gonadotrope. En clinique, ces anomalies biologiques se traduisent par un développement pubertaire survenant avec un retard moyen de 2 ans chez les enfants en insuffisance rénale terminale (IRT) ; 20 à 30 % des filles avec MRC préterminale et 50 % des filles en IRT présentent un retard pubertaire.

2. La puberté aggrave la fonction rénale Du fait de l’augmentation importante de la masse musculaire sur une fonction rénale déjà dégradée de manière chronique et insidieuse chez les enfants porteurs d’uropathie et d’hypodysplasie (correspondant au spectre des CAKUT, Congenital Abnormalities of the Kidney and Urinary Tract), la puberté correspond souvent à un moment critique dans la détérioration vers l’IRT. Dans une cohorte italienne de 935 enfants suivis pour hypoplasie rénale, la probabilité d’IRT passe de 9 % lors de la première décennie à 52 % lors de la deuxième décennie, l’âge critique dans la courbe de survie rénale étant de 11,6 ans chez les garçons (10,9 chez les filles). D’un point de vue plus fondamental, alors que les œstrogènes ont un effet protecteur en diminuant la glomérulosclérose, au contraire, les androgènes favorisent l’apoptose podocytaire et l’activation du système rénine/angiotensine (profibrosant). Les changements métaboliques induits par les stéroïdes sexuels jouent également un rôle dans le déclin de la fonction rénale péripubertaire.

Correspondance : [email protected]

169 © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Archives de Pédiatrie 2015;22(HS2):169-171

J. Bacchetta

Archives de Pédiatrie 2015;22(HS2):169-171

Tableau I Association anomalies rénales / anomalies pubertaires

Rokitansky Küster Hauser Denys Drash Frasier

Glomérulopathie

Syndrome rein/diabète (mutation TCF2)

CAKUT

Valves de l’urètre postérieur

DMK

Atteinte rénale

Anomalie génitale

Remarques

Gros rein kystique et parenchyme totalement remanié non fonctionnel, bon pronostic rénal.

Des anomalies des organes génitaux internes ipsilatéraux doivent être systématiquement recherchées en particulier chez le garçon, par une échographie pelvienne et scrotale avant la puberté.

1/4 300 naissances

MRC, risque non négligeable d’évolution vers l’IRT.

Les troubles mictionnels et le dysfonctionnement vésical sont en première ligne sur la qualité de vie des patients, avec des plaintes fréquentes d’incontinence urinaire. S’il ne semble pas y avoir de dysfonction érectile, en revanche, l’infertilité est plus fréquente : conséquence directe de la MRC, association fréquente entre VUP et cryptorchidie, et propension des patients avec VUP à présenter des orchi-épipidymites récidivantes.

Cause la plus fréquente d’obstruction sous-vésicale de l’enfant (1/5 000 à 1/8 000 garçons). Recommandations spécifiques de la Société internationale d’urologie pédiatrique en 2013 pour la prise en charge de l’adolescent et du jeune adulte.

Rein ectopique, agénésie du rein ou anomalies du tractus urinaire.

Aplasie mullérienne (aplasie de l'utérus et de la partie supérieure du vagin). Le premier signe est une aménorrhée primaire survenant chez des femmes jeunes ayant des caractères sexuels secondaires normalement développés, des organes génitaux externes normaux, un fonctionnement ovarien normal et un caryotype 46 XX.

Une femme sur 4 500 environ. Le syndrome de MRKH peut être isolé mais il est le plus souvent associé à des anomalies rénales, vertébrales, auditives et cardiaques (association MURCS).

La néphropathie peut être identifiée dès la période anténatale, mais également parfois chez l’adulte. Hétérogénéité de l’atteinte rénale. Anomalies parenchymateuses volontiers bilatérales (kystes, hypodysplasie, rein en fer à cheval, agénésie rénale). Anomalies des voies excrétrices.

Malformation génitale fréquente. Atteinte des résidus du canal de Wolff chez l’homme et atteinte des résidus du canal de Müller chez la femme.

Antécédents familiaux de diabète de survenue précoce, d’anomalies fluctuantes du bilan hépatique, ou d’hypoplasie du pancréas.

Sclérose mésangiale diffuse, syndrome néphrotique précoce, IRT avant 5 ans. Risque de néphroblastome.

Pseudohermaphrodisme masculin (organes génitaux externes de type féminin avec un caryotype 46 XY, testicules dysgénétiques). Risque de ­gonadoblastome. Différents degrés d’ambiguïté sexuelle peuvent être associés aux anomalies ­gonadiques. L’atteinte génitale n’est quasiment jamais observée chez les patientes XX, qui ­développent en général une puberté normale et peuvent donc transmettre la mutation.

Mutation WT1

Hyalinose segmentaire et focale, syndrome néphrotique apparaissant dans l'enfance, IRT à l'adolescence ou à l'âge adulte.

Pseudohermaphrodisme masculin. Risque de gonadoblastome. Stries gonadiques. Chez les patientes, le diagnostic peut être porté lors du bilan d'une aménorrhée primaire. Dans ce cas, en sus de la prise en charge de la MRC, un suivi endocrinien et psychologique est fondamental.

Mutation WT1

CAKUT : Congenital Abnormalities of the Kidney and Urinary Tract ; MRC : maladie rénale chronique ; IRT : insuffisance rénale terminale ; VUP : valves de l’urètre postérieur ; MRKH : Syndrome de Rokitansky Küster Hauser.

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Puberté et maladie rénale chronique

3. Certaines pathologies induisent à la fois des anomalies rénales et génitales Certains syndromes associent des anomalies rénales et génitales, que les anomalies génitales soient primitives ou secondaires. Même si elles sont souvent présentes dès la naissance, elles posent en général problème lors de la puberté, lorsqu’à la prise en charge néphrologique il faut rajouter aussi la prise en charge des anomalies génitales, avec tout le retentissement psychologique associé. Ces anomalies sont résumées dans le tableau I.

4. Anomalies de la fertilité et de la reproduction chez l’adulte insuffisant rénal Chez l’adulte, la MRC induit des anomalies clinico-biologiques ayant un impact direct sur les fonctions reproductives : chez l’homme, sont en effet fréquemment observés hypogonadisme, hyperprolactinémie, altérations des spermatozoïdes, diminution de la libido et dysfonction érectile. Chez les femmes, la dysfonction de l’axe hypothalamus/hypophyse/ovaires induit des anomalies menstruelles, avec des anovulations et une

infertilité. La transplantation corrige partiellement ces anomalies, mais les immunosuppresseurs ont un effet négatif sur la spermatogénèse d’une part, et les femmes après transplantation sont à plus haut risque que dans la population générale de ménopause précoce d’autre part. Cela sans compter les effets gonadotoxiques potentiels de certains médicaments reçus dans l’enfance (et notamment le cyclophosphamide). Enfin, des testostéronémies basses chez l’homme MRC sont un facteur de risque de mortalité.

5. Conclusion De nombreuses inconnues restent à élucider chez l’adolescent MRC qui fait sa puberté, même si classiquement on peut retenir que ces patients présentent un retard et une diminution de l’intensité du pic pubertaire. Dans le futur, il faudrait des études permettant d’étudier l’impact différentiel du sexe sur la croissance et la fonction rénale pendant la puberté chez l’adolescent MRC.

Rérérences Une bibliographie complète peut être obtenue sur demande auprès de l’auteur.

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[Puberty and chronic kidney disease].

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