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E´ditorial

Place de la psychiatrie dans le suicide me´dicalement assiste´ Psychiatry’s place in physician-assisted suicide B. Pignon a,*, B. Rolland b,c, C. Jonas d, G. Vaiva a,c a

Service de psychiatrie de l’adulte, hoˆpital Fontan, CHRU de Lille, rue Andre´-Verhaeghe, 59037 Lille cedex, France b Service d’addictologie, hoˆpital Fontan 2, CHRU de Lille, 59037 Lille cedex, France c Universite´ Lille Nord de France, 59000 Lille, France d Service de psychiatrie A, CHU de Tours, 37044 Tours, France

Dans un contexte ou` la possibilite´ de le´galiser une proce´dure d’euthanasie ou de suicide me´dicalement assiste´ – qui de´signe l’acte de fournir des moyens ne´cessaires a` une personne pour qu’elle se suicide – dans les situations de fin de vie est discute´e par des assemble´es de citoyens au Comite´ consultatif national d’e´thique [1], la relation entre suicide et trouble psychiatrique se pose a` nouveau. En effet, selon les partisans de cette le´gislation, nombreux parmi les citoyens franc¸ais [1], un droit au suicide de´coulerait logiquement de l’autonomie de chacun. Encore faut-il que le jugement ne soit pas alte´re´ par un trouble psychiatrique [2,3]. Ce de´bat nous donne ici l’occasion de revenir sur les rapports entre suicide et trouble psychiatrique ; avant d’envisager spe´cifiquement les situations de fin de vie a` la lumie`re de ces rapports. Emile Durkheim, le pe`re de la sociologie, avait pour la premie`re fois e´tudie´ scientifiquement la question dans sa grande e´tude statistique et de´mographique sur le suicide de 1897. Contre les alie´nistes de l’e´poque, il avait conclu que le « suicide ve´sanique », comprendre le suicide cause´ par une maladie mentale, « de´nue´ de motif », repre´sentait une minorite´ de cas [4]. Les travaux plus re´cents de recherche clinique en psychiatrie apportent une vision diffe´rente. La relation entre suicide et maladie mentale est e´tudie´e, notamment graˆce a` des « autopsies psychologiques » de sujets suicide´s. Une autopsie psychologique consiste en une e´valuation psychiatrique re´trospective par contact avec des proches et analyse du dossier me´dical quand il existe. C’est la me´thode de re´fe´rence pour recueillir des informations psychiatriques post-mortem [5]. Une me´taanalyse canadienne de 2004 montre ainsi une association

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (B. Pignon).

statistique certaine entre trouble psychiatrique et suicide. En effet, sur plus de 3000 patients suicide´s, il est retrouve´ un trouble psychiatrique chez pre`s de 90 % des sujets, contre 25 a` 35 % chez des sujets te´moins de´ce´de´s d’une autre cause [5]. Les troubles psychiatriques retrouve´s sont repre´sente´s de manie`re diffe´rente dans les deux sexes. Les hommes suicide´s souffrent plus souvent de troubles lie´s a` l’usage de l’alcool ou a` d’autres substances, de trouble de personnalite´ ou d’ante´ce´dent de trouble psychiatrique dans l’enfance que les femmes. Les femmes suicide´es ont plus de de´pressions et de troubles de l’humeur en ge´ne´ral [5]. Par ailleurs, il est e´taye´ qu’entre deux tiers et trois quarts des sujets suicide´s n’avaient pas consulte´ en psychiatrie [6,7]. La de´pression est naturellement tre`s repre´sente´e parmi ces troubles [6,8]. Les distorsions cognitives qui la caracte´risent ame`nent souvent le sujet de´prime´ a` la conclusion que le suicide constitue la seule solution acceptable [2]. Les injonctions suicidaires hallucinatoires ou le de´lire de perse´cution, qui e´maillent l’e´volution de la schizophre´nie, peuvent e´galement ` l’image de ces conduire le sujet a` attenter a` ses jours [9]. A patients de´prime´s ou schizophre`nes, le jugement de nombre de sujets en situation de crise suicidaire (ide´es suicidaires, tentative(s) de suicide, conduites parasuicidaires) est alte´re´ [3]. Nombre de suicides ou de tentatives de suicide sont en outre le re´sultat d’un comportement impulsif et instable, notamment chez les patients atteints de trouble de la personnalite´ borderline ou antisociale [10]. Une e´tude a montre´ que 85 a` 95 % des patients ayant fait une tentative de suicide sont toujours vivants 15 ans apre`s [11], ce qui indique que pour une majorite´ de ces sujets, le de´sir de mort n’e´tait pas durablement ancre´. Ces e´le´ments d’appre´ciation robustes permettent d’affirmer qu’une proce´dure le´gale ne devrait pas venir valider un de´sir de mort dans des situations impulsives ou d’alte´ration du jugement, meˆme pour des patients en fin de vie, si la certitude de l’absence

http://dx.doi.org/10.1016/j.respe.2014.09.003 0398-7620/# 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

Pour citer cet article : Pignon B, et al. Place de la psychiatrie dans le suicide me´dicalement assiste´. Rev Epidemiol Sante Publique (2014), http:// dx.doi.org/10.1016/j.respe.2014.09.003

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d’un trouble psychiatrique alte´rant le discernement n’est pas de´montre´e. Cette situation s’applique aux patients exprimant un de´sir de mort [2], notamment en fin de vie. Certaines le´gislations europe´ennes (Suisse, pays du Be´ne´lux) ont de´cide´ d’autoriser, dans certains cas, des proce´dures de suicides assiste´s. Pourtant, aucun de ces pays n’encadre ces proce´dures par une e´valuation psychiatrique syste´matique, bien qu’ils exigent tous que le patient soit intellectuellement en capacite´ de faire ce choix [13]. Par rapport aux crises suicidaires en ge´ne´ral, les situations de fin de vie comportent toutefois un certain nombre de particularite´s. Les troubles de l’humeur tels que la de´pression ou les troubles de l’adaptation avec humeur de´pressive sont tre`s fre´quents dans les situations de maladies somatiques graves, en phase terminale notamment, et sont associe´s significativement au de´sir de mort [14,15]. Ils sont a` diffe´rencier de la souffrance inhe´rente a` ces conditions me´dicales. Une grande partie des symptoˆmes de´pressifs jouent un roˆle dans les demandes de mort [13–15]. Les donne´es cliniques disponibles sur ce sujet, bien que de niveau de preuve faible, sugge`rent qu’un traitement bien conduit de ces de´pressions re´duit les demandes de mort [13]. Il est donc primordial dans ces situations d’e´valuer ces patients, de comprendre l’impact des processus psychopathologiques, de de´pister les troubles psychiatriques, y compris lorsqu’ils sont mode´re´s voire mineurs, et de les prendre en charge afin qu’ils n’influencent pas les demandes de mort. Des auteurs ont mis au point en ce sens un test e´valuant l’influence d’un potentiel trouble psychiatrique sur le jugement des patients en fin de vie [16]. En pre´sence d’un trouble psychiatrique, le jugement peut eˆtre profonde´ment alte´re´, mais cela n’est pas syste´matique [12]. De`s lors, l’expertise du psychiatre est indispensable pour faire la part, dans des situations suicidaires ou non, entre une de´cision valide et profonde et un jugement obe´re´ provisoirement par une pathologie e´volutive susceptible d’eˆtre ame´liore´e voire de disparaıˆtre sous l’effet d’un traitement [3]. Les situations de fin de vie, avec leurs particularite´s, ne de´rogent pas a` la re`gle. Nous sugge´rons donc que l’e´valuation par un psychiatre soit syste´matique (et parfois d’ailleurs re´pe´te´e) dans le processus d’assistance a` une mort voulue si la loi franc¸aise e´volue vers un texte encadrant pre´cise´ment cette situation. Une re´flexion pluridisciplinaire sur le sujet est indispensable.

De´claration d’inte´reˆts Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article. Remerciements Les auteurs remercient Sarah Tebeka et Vincent Jardon. Re´fe´rences [1] Clavreul L. « L’aide au suicide constitue un droit le´gitime ». Le Monde; 17/12/2013. [2] Bonn CE. Suicide and the state: the ethics of involuntary hospitalization for suicidal patients. Intersect Stanf J Sci Technol Soc 2010;3(1):40–9. [3] Pignon B, Rolland B, Tebeka S, Zouitina-Lietaert N, Cottencin O, Vaiva G. Crite`res de soins psychiatriques sans consentement : revue de litte´rature et synthe`se des diffe´rentes recommandations. Presse Med 2014 [sous presse. E´preuves corrige´es par l’auteur]. [4] Durkheim E. Le suicide. 14e e´dition, Paris: PUF; 2013: 463. [5] Arsenault-Lapierre G, Kim C, Turecki G. Psychiatric diagnoses in 3275 suicides: a meta-analysis. BMC Psychiatry 2004;4:37. [6] Hawton K, Casan˜as i Comabella C, Haw C, Saunders K. Risk factors for suicide in individuals with depression: a systematic review. J Affect Disord 2013;147(1–3):17–28. [7] Hamdi E, Price S, Qassem T, Amin Y, Jones D. Suicides not in contact with mental health services: risk indicators and determinants of referral. J Ment Health 2008;17(4):398–409. [8] Youne`s N, Vaiva G, Passerieux C. Examen clinique d’un patient suicidaire. EMC Psychiatrie 2013;10(3):1–7 [Article 37-500-A-30]. [9] Vandevoorde J. Mise en e´vidence de trois e´tats psychologiques pre´passage a` l’acte chez 32 patients hospitalise´s pour tentative de suicide. Encephale 2013;39(4):265–70. [10] Jonas C, Legay E, Chavignier V. Aspects juridiques et me´dicole´gaux des troubles de la personnalite´. EMC Psychiatrie 2012;9(4):1–11. [11] Greenberg DF. Involuntary psychiatric commitments to prevent suicide. N Y Univ Law Rev 1950 1974;49(2–3):227–69. [12] Descarpentries F. Le consentement aux soins en psychiatrie. Paris: Harmattan; 2007: 174. [13] McCormack R, Fle´chais R. The role of psychiatrists and mental disorder in assisted dying practices around the world: a review of the legislation and official reports. Psychosomatics 2012;53(4):319–26. [14] Mystakidou K, Rosenfeld B, Parpa E, Katsouda E, Tsilika E, Galanos A, et al. Desire for death near the end of life: the role of depression, anxiety and pain. Gen Hosp Psychiatry 2005;27(4):258–62. [15] Tremblay A, Breitbart W. Psychiatric dimensions of palliative care. Neurol Clin 2001;19(4):949–67. [16] Stewart C, Peisah C, Draper B. A test for mental capacity to request assisted suicide. J Med Ethics 2011;37(1):34–9.

Pour citer cet article : Pignon B, et al. Place de la psychiatrie dans le suicide me´dicalement assiste´. Rev Epidemiol Sante Publique (2014), http:// dx.doi.org/10.1016/j.respe.2014.09.003

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