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Antibioprophylaxie chez les enfants immunodéprimés Prophylactic antibiotics for immunocompromised children Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

M. Poirée1,*, C. Picard2, C. Aguilar2, H. Haas3,4 1Service d’hémato-oncologie pédiatrique, CHU de Nice, hôpital Archet 2, 151 route de SainteAntoine, 06200 Nice, France 2Centre d’étude des déficits immunitaires, CHU Necker-Enfants malades, 149 rue de Sèvres, 75015 Paris, France 3Urgences pédiatriques-infectiologie, hôpitaux pédiatriques CHU Lenval, 57 avenue de la Californie, 06200 Nice, France 4Groupe de pathologie infectieuse pédiatrique (GPIP) de la Société française de pédiatrie

Résumé L’infection est la cause la plus fréquente de morbidité et de mortalité chez les enfants immunodéprimés. L’émergence des bactéries résistantes est particulièrement inquiétante pour cette population. Le risque infectieux peut être diminué par des règles d’éducation, une vaccination adaptée et parfois une antibioprophylaxie. Cependant, le risque infectieux réel est difficile à évaluer à l’échelon individuel, et l’utilisation prolongée et répétée d’antibiotiques peut être délétère : réactions allergiques, interactions médicamenteuses, surinfections, colite pseudomembraneuse et surtout développement de résistance bactérienne. Des recommandations émanant de sociétés savantes existent notamment en ce qui concerne les déficits immunitaires héréditaires et l’allogreffe de cellules souches hématopoïétiques. Dans d’autres cas, cela dépend des habitudes de chacun : l’évolution de la résistance aux antibiotiques doit conduire à réduire au maximum ces antibiothérapies non fondées sur des preuves ou des recommandations. Le développement de nouveaux vaccins notamment antipneumococciques et antiméningococciques pourrait changer les recommandations et les habitudes. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

*Auteur correspondant. e-mail : [email protected] (M. Poirée).

S94 © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Archives de Pédiatrie 2013;20: S94-S98

Summary Infections are the most common cause of morbidity and mortality in pediatric immunocompromised children. The emergence of pan-drug resistant bacteria is particularly concerning for these patients. The risk of infection can be reduced by educational rules, immunizing these patients and sometimes antibiotic prophylaxis. But the individual level of risk is very difficult to assess. Using antibiotics may lead to adverse effects such as allergic reactions, cross-reactions with other drugs, development of super-infections, pseudomembranous colitis and overall development of antibioticresistant bacterial strains. Recommendations for preventing infections in these patients exist for specific case such as inherited disorder or stem cell transplantation. In others cases it depends on physicians’ habits: the increase of bacterial resistance could lead to reduce the prescriptions non evidence based and not included in official guidelines. Pneumococcal and meningococcal vaccinations might change guidelines and habits. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Antibioprophylaxie chez les enfants immunodéprimés

1. Introduction

immunosuppression par des mécanismes multiples  : diminution de la phagocytose des PNN, de l’immunité cellulaire et des fonctions

Les déficits immunitaires héréditaires sont des pathologies rares et de

macrophagiques. Le risque infectieux augmente avec la dose et la

sévérité variable. Ce sont des pathologies génétiques qui s’opposent

durée, il est majoré par l’association à d’autres déficits.

aux déficits acquis (ou secondaires). Les déficits acquis, plus fréquents, sont secondaires à des étiologies multiples, souvent d’origine iatrogénique et en augmentation constante en raison de l’utilisation croissante de nouvelles thérapeutiques. L’infection est la complication la

3. Déficits héréditaires de la fonction phagocytaire

plus fréquente et la plus redoutée. Le profil et le risque infectieux sont variables selon le type de déficit. D’un point de vue immunologique, la

Le CEREDIH a élaboré, à partir d’une revue de la littérature et d’avis

tentation est grande de proposer à ces patients une prophylaxie anti-

d’experts, des recommandations.

bactérienne. Mais, outre le fait que le risque infectieux réel est difficile

La granulomatose septique chronique affecte le pouvoir microbicide

à évaluer, précisément au cas par cas, la protection de ces patients

des cellules phagocytaires. Aucune étude prospective randomisée

ne se résume pas aux antibiotiques  : environnement, éducation,

contrôlée n’a été réalisée, mais plusieurs études rétrospectives mon-

vaccinations, immunothérapie substitutive. Dans certaines situations,

trent une diminution de l’incidence des infections bactériennes sous

des recommandations existent, émanant le plus souvent de sociétés

cotrimoxazole [1,2]. Cette association d’antibiotiques couvre les bac-

savantes (Centre national de référence des déficits immunitaires

téries à Gram positif (Staphylococcus aureus, Nocardia spp.) qui sont

héréditaires CEREDIH, Société hématologie immunologie pédiatrique

les germes les plus fréquemment en cause. Une antibioprophylaxie

SHIP, etc.). Dans d’autres cas, plus complexes, les attitudes et les habi-

systématique par cotrimoxazole, à la dose quotidienne de 25 mg/kg/j

tudes diffèrent selon les équipes.

de sulfamethoxazole en une prise est recommandée (AII). Aucune autre antibioprophylaxie n’a été évaluée dans ce domaine, y compris en cas d’échec ou d’intolérance [3].

2. Acteurs de la défense anti-infectieuse

Les neutropénies chroniques, d’étiologies multiples, sont définies par

La protection anti-infectieuse est médiée par une réaction précoce de

est majeur lorsque la neutropénie est profonde et dure plus de

l’immunité innée relayée par une réaction immune spécifique dite

7  jours. Les germes documentés dans les infections bactériennes

« adaptative ». Le système immunitaire inné comprend les barrières

sont des bactéries à Gram positif (S. aureus, Streptococcus sp., Strep-

anatomiques (peau, muqueuses et sécrétions), le complément, les

tococcus pneumoniae, Staphylococcus epidermidis) et des bactéries à

cytokines, les cellules phagocytaires (polynucléaires neutrophiles

Gram négatif (BGN) dont Escherichia coli, Pseudomonas aeruginosa,

[PNN], le système macrophagique, les cellules présentatrices d’anti-

Klebsiella spp., Salmonelles mineures, Haemophilus influenzae, Pro-

gènes et les lymphocytes natural killers (NK). Le système immunitaire

teus spp. Les sites infectieux sont souvent la peau et les muqueuses.

acquis (adaptatif) est constitué des lymphocytes B et T (CD4 et

Aucune antibioprophylaxie n’a été évaluée prospectivement chez ces

CD8) qui expriment à leur surface des récepteurs spécifiques aux

patients, et aucune étude rétrospective n’a prouvé la diminution de

antigènes (immunoglobulines et récepteurs des lymphocytes  T).

l’incidence des infections. Compte tenu de la variabilité du risque

On distingue l’immunité humorale non spécifique (complément,

infectieux, la prophylaxie antibactérienne n’est pas systématique.

cytokines) et spécifique (anticorps), et l’immunité cellulaire non

Elle doit se discuter au cas par cas en fonction de la profondeur de la

spécifique (polynucléaires, phagocytes, cellules NK, cellules dendri-

neutropénie, de sa cause et du risque infectieux propre au patient.

tiques) et spécifique (lymphocytes B et T). La rate, quant à elle, joue

Elle est généralement prescrite en première intention lorsque les

un rôle dans la clairance des bactéries circulantes. Elle est riche en

polynucléaires sont >  100/mm3 (en deçà de ce taux, en l’absence

lymphocytes B spécialisés dans la réponse anticorps aux antigènes

d’action conjointe des PNN, l’antibiotique ne peut seul être actif) et

polysaccharidiques, abondants sur les bactéries encapsulées. C’est

en cas d’infections modérées récidivantes. Le cotrimoxazole, malgré

un réservoir de lymphocytes CD4. La compréhension du rôle et des

le fait que l’un de ses effets secondaires soit une myélotoxicité, est

interactions des différents acteurs de la réponse anti-infectieuse

le plus souvent utilisé (AIII) [3]. En cas de neutropénie   200/μl (AI)  [10]. En cas d’intolérance, la dapsone par

d’infections fulminantes conduisant au décès est estimée à 5  %  [15].

voie orale (2  mg/kg/j), la pentamidine en aérosol (300  mg) ou IV

Ce risque dure toute leur vie mais il est au maximum en post-splénec-

(4  mg/kg sur 2  heures) toutes les 3 à 4 semaines et l’atovaquone

tomie immédiat. Il est donc admis que ces patients doivent bénéficier

orale (1 500 mg/j) peuvent être utilisés. Ces molécules alternatives

d’une antibioprophylaxie adaptée en association avec une couverture

semblent être moins efficaces [20]. S97

M. Poirée et al.

9. Conclusion Prévenir les infections sévères chez le patient immunodéprimé est toujours un challenge. L’efficacité de la prophylaxie antibactérienne au long cours doit être confrontée d’une part à la compliance du patient et d’autre part à l’émergence d’une résistance bactérienne de plus en plus préoccupante. Chaque prescription doit donc être justifiée et réévaluée en tenant compte des modifications de l’écologie bactérienne et des nouveautés vaccinales.

Liens d’intérêts Les auteurs ont déclaré n’avoir aucun conflit d’intérêts relatif à cet article.

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[Prophylactic antibiotics for immunocompromised children].

Infections are the most common cause of morbidity and mortality in pediatric immunocompromised children. The emergence of pan-drug resistant bacteria ...
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