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ScienceDirect www.sciencedirect.com Transfusion Clinique et Biologique 21 (2014) 210–215

Mise au point

Transfusion plaquettaire et iso-immunisation anti-Rh1 : intérêt de la séroprévention Platelet transfusion and immunization anti-Rh1: Implication for immunoprophylaxis H. Chambost a,∗,b a

Service d’hématologie oncologie pédiatrique, hôpital d’Enfants La Timone, assistance publique des hôpitaux de Marseille, 264, rue Saint-Pierre, 13385 Marseille cedex 5, France b Inserm, UMR S 1062, faculté de médecine Timone, Aix-Marseille université, 13005 Marseille, France Disponible sur Internet le 2 octobre 2014

Résumé En l’absence d’expression des antigènes Rhésus par les plaquettes, les globules rouges résiduels exposent les receveurs de transfusions de concentrés plaquettaires (CP) incompatibles au risque d’iso-immunisation anti-D. Le principal risque théorique lié à cette réponse immunitaire concerne les sujets de sexe féminin pour d’éventuelles situations obstétricales d’incompatibilité Rhésus materno-fœtale. La transfusion de CP isogroupes dans ce système est donc privilégiée. Cependant, les fréquentes transfusions Rhésus incompatibles qu’imposent des contraintes logistiques justifient dans cette situation la recommandation de séroprévention par immunoglobulines anti-D chez une fille en âge de procréer. Cette recommandation, déjà restreinte à un groupe de patients, mérite d’être remise en question plus de dix ans après avoir été émise. La littérature est d’interprétation difficile du fait du caractère hétérogène des rares séries (type de CP, statut immunitaire, recul). On retient cependant que les techniques actuelles de préparation et le recours plus fréquent à des CP d’aphérèse ont restreint le risque d’immunisation. De plus, les transfusions plaquettaires concernent tout particulièrement des populations immunodéprimées dont au moins une partie (receveurs de chimiothérapies lourdes et/ou de greffes de cellules souches hématopoïétiques) semble protégée de ce risque. Ceci interpelle d’autant plus que les conséquences cliniques envisagées à distance d’une telle immunisation ne sont pas rapportées. Même si certaines publications soulignent des taux d’iso-immunisation non négligeables (maximum de 19 %), les différences observées selon le terrain et l’absence d’évidence de conséquences cliniques suggèrent d’évaluer les recommandations, voire de les réviser en ciblant encore plus les indications de séroprévention. © 2014 Publi´e par Elsevier Masson SAS. Mots clés : Plaquettes ; Rhésus ; Incompatibilité transfusionnelle ; Immunoglobulines ; Anticorps

Abstract Rhesus (Rh) antigens are not expressed on platelets but residual red cells carry the risk of anti-D iso-immunization in transfusion recipients of platelet concentrates (PC). The main theoretical risk associated with this reaction relates to female subjects due to potential obstetrical situations of maternal-foetal Rh incompatibility. Isogroup PC transfusion in this system is therefore advised. However, logistical constraints impose frequent Rh-incompatible transfusions that require the recommendation of anti-Rh immunoglobulin in a girl of childbearing age in this situation. This recommendation, already restricted to a group of patients deserves to be questioned over a decade after being issued. Data from published reports are difficult to interpret because of the heterogeneity of the few series (CP type, immune status, timing of biological tests) but the current techniques for preparing products and most common use of CP apheresis limited the risk of immunization. Moreover, platelet transfusions are particularly relevant to immunocompromised populations which, to what extent (heavy chemotherapy and/or hematopoietic stem cells recipients) seems to be protected from this risk. It is noteworthy that the clinical consequences that may be expected from such immunization are not reported. Although



Correspondance. Adresse e-mail : [email protected]

http://dx.doi.org/10.1016/j.tracli.2014.08.137 1246-7820/© 2014 Publi´e par Elsevier Masson SAS.

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some authors emphasize significant isoimmunization rates (maximum 19%), the heterogeneous conditions and the lack of evidence of clinical consequence suggest evaluating the recommendations or revising them towards more targeted indications of seroprophylaxis. © 2014 Published by Elsevier Masson SAS. Keywords: Platelets; Rhesus; Immunization; Immunoglobulin; Antibody

1. Introduction La transfusion de concentrés plaquettaires (CP) est une thérapeutique indispensable dans des indications médicochirurgicales diverses le plus souvent en situation de thrombocytopénie profonde, plus ou moins prolongée. Les indications les plus fréquentes sont en rapport avec la prise en charge par chimiothérapie intensive de pathologies oncologiques, notamment hémopathies malignes. Les transfusions plaquettaires sont indispensables aussi pour le support hématologique des patients aplasiques et pour ceux qui bénéficient d’une greffe allogénique de cellules souches hématopoïétiques pour hémopathie maligne ou non maligne, déficit héréditaire de l’immunité ou pathologie innée du métabolisme. Ces situations peuvent nécessiter la transfusion de très grands nombres de CP, qu’il s’agisse de concentrés d’aphérèse (CPA) ou de concentrés issus de pools de donneurs (mélange de concentrés de plaquettes standards/MCPS), souvent sur des périodes limitées dans le temps. Pour d’autres patients, comme ceux atteints de pathologie plaquettaire constitutionnelle, avec ou sans thrombopénie, les indications transfusionnelles sont habituellement plus ponctuelles (traitement d’accidents hémorragiques, prévention d’un risque obstétrical ou chirurgical), mais elles sont susceptibles de se répéter pendant toute la vie. Du fait de ces transfusions massives ou plus espacées, mais répétées dans le temps, le risque d’immunisation chez ces patients, immunodéprimés ou non, justifie une sélection rigoureuse des CP. Bien que les antigènes Rh ne soient pas portés par les plaquettes, les transfusions incompatibles dans ce système exposent les receveurs Rh négatifs au risque de développer des anticorps contre l’antigène ou les antigènes Rh absents chez le receveur et portés par les hématies résiduelles contenues dans le CP [1]. Ceci justifie la qualification Rhésus des CP. Malgré les efforts de gestion d’approvisionnement, l’Établissement franc¸ais du sang (EFS) est contraint de manière non exceptionnelle de proposer des CP incompatibles dans le système Rhésus (Rh) [2]. Si les conséquences immédiates de ces transfusions incompatibles ne sont pas significatives, les enjeux de l’iso-immunisation qui en résultent sont assez mal précisés alors qu’un traitement par immunoglobulines anti-D (Ig anti-D) est disponible. Des recommandations ont été élaborées pour la séroprévention par Ig anti-D lors de l’exposition à l’antigène D (Rh1), mais les pratiques restent imparfaitement standardisées, vraisemblablement du fait du faible niveau de preuve sur lequel elles reposent [3]. Plus de dix ans après la diffusion de ces recommandations par l’agence de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSaPS), une mise au point sur ce sujet semble nécessaire.

2. Quelles recommandations en vigueur pour la prévention de l’immunisation anti-Rh1 par transfusion plaquettaire ? L’analyse extensive des bases bibliographiques montre, d’une part, qu’il existe peu de recommandations concernant la prévention de ce risque d’immunisation dans la littérature internationale et, d’autre part, que les recommandations principales qui dictent les pratiques actuelles ont été publiées, il y a un peu plus de 10 ans. Cid et al. insistent dans une revue sur les pratiques transfusionnelles sur le fait que celles-ci sont principalement basées sur des postulats et des habitudes en l’absence d’études permettant d’obtenir un niveau de preuve suffisant [4]. D’autres auteurs ont d’ailleurs signalé que les études qui s’attachent à rapporter les complications immunologiques liées à la transfusion plaquettaire collectent les données de manière insuffisante dans le domaine de l’immunisation anti-Rh et lorsque ces données sont rapportées, c’est avec des critères non homogènes, ne permettant de conclure de manière pertinente [5]. La recommandation principale qui figure dans les guidelines britanniques publiées en 2003, consiste à éviter les transfusions de CP D+ chez les sujets D– en ciblant tout particulièrement les femmes d’âge préménopausique, de manière à préserver le pronostic d’une future grossesse pour un éventuel fœtus Rh+ (grade B, niveau III). Les mêmes guidelines proposent de traiter par Ig anti-D les femmes D– d’âge préménopausique qui auraient rec¸u un CP D+ (grade B, niveau III). Il est enfin clairement mentionné que la séroprévention n’est pas nécessaire pour les autres receveurs (sexe masculin, ou féminin sans potentiel de maternité future) [6]. En ce qui concerne les doses et modalités d’administration, ces recommandations comportent les éléments suivants : une dose de 250 UI d’anti-D devrait suffire pour la transfusion de cinq CP adultes sur une période de six semaines et la voie d’administration sous-cutanée est préconisée chez les sujets thrombopéniques. Les éléments à disposition des prescripteurs pour guider les pratiques transfusionnelles dans notre pays comportent aussi les recommandations sur la transfusion plaquettaire publiées en 2003 par l’AFSSaPS et les mentions liées aux autorisations d’utilisation des médicaments disponibles sur le marché pour la séroprévention de l’immunisation Rh1. Les recommandations AFSSaPS abordent le respect de la compatibilité Rh1 et les mesures préventives à mettre en œuvre en cas de transfusion Rh1 incompatible, en citant les niveaux de preuves selon l’evidence-based medicine, dans les termes suivants [3] :

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• « il est recommandé, autant que faire se peut, de transfuser des CP » . . . « RH1 isogroupes (Grade B) » ; • « chez un receveur RH1 (Rh D) négatif de sexe féminin en âge de procréer, et sans immunosuppression profonde, lorsque la transfusion de plaquettes RH1 positif est inévitable, la prévention de l’immunisation anti-D par injection dans les 72 heures de 100 ␮g d’immunoglobulines anti-D doit être effectuée (accord professionnel). On admet aujourd’hui qu’une dose d’Ig anti-D peut protéger le receveur pour 10 CPA sur une période maximale de 3 semaines (accord professionnel). » Par ailleurs, les mentions inscrites dans le résumé caracteristiques produit et les avis émis par la commission de transparence de la Haute Autorité de santé pour les préparations d’Ig anti-D humaines adaptées à l’administration intraveineuse commercialisées en France dans la période des dix dernières années ont comporté de manière totalement concordante les éléments suivants en ce qui concerne indication, posologie et modalités d’administration : • « traitement des sujets Rh(D) négatif après transfusions incompatibles de sang Rh(D) positif ou d’autres produits contenant des globules rouges, par exemple des concentrés plaquettaires » ; • « la dose recommandée est de 20 microgrammes (100 UI) d’immunoglobuline anti-D » . . . « par 1 mL de concentré de GR. La dose appropriée doit être déterminée en concertation avec un spécialiste de la transfusion sanguine » ; • « le médicament doit être administré dans les 72 heures suivant » . . . « la transfusion incompatible » ; • « la voie intraveineuse est recommandée pour obtenir immédiatement les niveaux plasmatiques adéquats ». 3. Quels éléments d’appréciation du risque immunologique des transfusions de CP Rh1 incompatibles ? Sur le plan pratique, dans l’impossibilité d’épargner la transfusion de CP D+ aux sujets D– du fait de contraintes logistiques liées à l’insuffisance de disponibilité des produits D–, il convient d’envisager les conséquences de ces transfusions incompatibles et la prévention des complications qui peuvent en résulter. Un certain nombre d’études ont quantifié les hématies résiduelles dans les CP, montrant un volume plus important dans les concentrés issus de dons de sang totaux par rapport aux produits prélevés par aphérèse et aussi une diminution de la quantité de globules rouges contenus dans les CPA dans le temps du fait de l’amélioration des techniques de préparation [4,7]. Toutefois les procédures de préparation et de validation des CP ne comportent pas l’obligation d’une quantification précise des hématies résiduelles. Le produit final subit un simple contrôle visuel, mais la quantité d’hématies présentes dans les CP validés semble réellement très faible. Des études ont montré la possibilité d’immunisation avec de très faibles quantités d’hématies après des administrations répétées sans toutefois préciser quel est le schéma le plus immunogène [8,9]. Malgré des quantités de globules rouges plus

faibles dans les CP prélevés par aphérèse, il a été possible de montrer récemment la capacité de ce type de produit à déclencher la production d’anticorps anti-D, sans que soit toutefois précisé si cette immunisation était déclenchée par les hématies elles-mêmes ou par la présence de microparticules [10]. Si la quantité d’hématies nécessaire à déclencher l’immunisation anti-Rh1 est un facteur de risque à prendre en compte, l’interprétation du risque d’immunisation en cas de transfusion incompatible est en fait délicate car elle met en jeu d’autres variables critiques. En effet, le délai d’observation au bout duquel le taux d’immunisation est rapporté varie selon les études. De plus, le résultat est aussi impacté par le statut immunitaire qui peut être très différent selon les patients, et aussi pour un même patient selon les phases de son traitement. Le risque différentiel d’immunisation en fonction du degré d’immunosuppression a été bien montré lors de transfusions incompatibles chez des sujets D– en dehors de toute injection préventive d’Ig anti-D. En effet, alors qu’un taux d’alloimmunisation de plus de 80 % avait été rapporté historiquement chez des volontaires sains, des fréquences de l’ordre de 0 à 16 % ont été rapportées en situation d’immunosuppression médicamenteuse chez des receveurs de greffe d’organe après transfusion Rh1 incompatible [8,11,12]. Ces variables qui apparaissent de manière non homogène dans les différentes études rendent donc les conclusions difficiles. Au-delà de ces difficultés, la gravité du pronostic des patients concernés peut aussi biaiser certaines analyses du fait des décès survenant avant le délai médian d’immunisation, ce qui conduit à exclure un nombre non négligeable de patients à l’analyse de risque. L’étude de Chamouni et al. montre au niveau d’un centre hospitalier universitaire la fréquence de la situation d’incompatibilité Rhésus lors de la transfusion plaquettaire (280 transfusions chez 67 patients en un an), en soulignant le caractère non systématique de la séroprévention [13]. Cette étude rapporte la mise en évidence biologique d’une immunisation anti-Rh1 chez deux jeunes patientes immunodéprimées, sans en préciser les éventuelles conséquences cliniques. 4. Quelle fréquence d’immunisation après transfusion de CP Rh1 incompatibles ? Les fréquences d’immunisation rapportées doivent être interprétées avec les limites qu’imposent les effectifs souvent faibles dans les études mais aussi avec les réserves mentionnées précédemment du fait de la diversité des populations et des méthodes. C’est la raison pour laquelle les résultats cités dans le Tableau 1 sont mis en parallèle non seulement avec les effectifs mais aussi avec le statut immunitaire des patients et les délais médians de réalisation des tests sérologiques lorsque ces informations sont disponibles, tout en sachant qu’il existe souvent une grande hétérogénéité au sein des études elles-mêmes. Les délais rapportés pour la mise en évidence sérologique des anticorps anti-D dans le cadre d’une réponse primaire s’étalent approximativement entre un et cinq mois chez des sujets immunocompétents, alors que le délai moyen pour une immunisation secondaire dans le cadre d’une nouvelle exposition à l’antigène

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Tableau 1 Risque d’allo-immunisation plaquettaire anti-D en l’absence de séroprévention selon le terrain et la durée de suivi. La durée de suivi correspond au temps écoulé entre la première exposition transfusionnelle à des plaquettes Rh1 et le dernier dépistage sérologique à la recherche d’anticorps anti-Rhésus. Référence

Taux d’anti-D Cas/patients (%)

Terrain, contexte

n semaines de suivi Médiane (extrêmes)

Goldfinger et al., 1971 [23] Baldwin et al., 1988 [24] McLeod et al., 1990 [16] Heim et al., 1992 [30]a Atoyebi et al., 2000 [15]

8/102 (7,8) 9/49 (18,4) 3/16 (18,7) 0/37 (0) 0/24 (0) 8/59 (13,6) 0/35 (0) (490 transfusions) 0/7 (0) (255 transfusions) 0/22 (0) 6/177 (3,4) 4/31 (12,9) 2/107 (1,9) 0/62 (0) 0/68 (0)

Traitement immunosuppresseur Immunodépression, oncologie Immunodépression Immunodépression Hématologie Maladies non hématologiques Onco-hématologie pédiatrique hors greffe

36 (2–174) 27 (2–182) 3 (2–12) 27 (4–104) 8 (2–76) 38 (2–133) 27 (2–223)

Greffes de CSH pédiatriques

8 (6–11)

Hématologie (chimiothérapie +++) Hématologie Oncologie Pas d’immunodépression Immunodépression Pas d’immunodépression

8 (1–37) 24 (4–351) 54 (5–375) 59 (4–718) ? (4–?)

Molnar et al., 2002 [19]

Cid et al., 2002 [21] Cid et al., 2011 [17]

O’Brian et al., 2014 [25]

CSH : cellules souches hématopoïétiques. a Dans cette étude, les patients ont rec ¸ u des immunoglobulines anti-Rhésus.

est de quatre semaines [7,14]. L’absence d’iso-immunisation rapportée par certains auteurs chez des patients immunodéprimés après un suivi court de 3 mois, voire parfois moins doit ainsi être interprétée avec prudence. Ceci doit être considéré de manière d’autant plus critique que la mise en évidence de l’iso-immunisation anti-D après transfusions de plaquettes incompatibles a été rapportée dans d’autres séries avec des fréquences non négligeables [14,15]. Les différentes publications rapportant la mise en évidence d’anticorps anti-D dans des populations de patients immunodéprimés fournissent finalement des taux assez hétérogènes, certains auteurs ne rapportant aucun cas d’iso-immunisation dans leur série alors que d’autres rapportent une incidence entre 2,7 et 18,7 % [15–25]. Avec toutes les réserves précédemment citées et même si les fréquences d’iso-immunisation anti-D les plus élevées rapportées sont voisines de 19 %, pour des séries d’effectif relativement limité, Cid et al. retiennent comme les chiffres de 0 à 6,8 % comme fréquence moyenne raisonnable d’immunisation en situation d’immunodépression [4,16,24]. La situation d’incompatibilité HLA ne semble pas devoir interférer parmi les autres facteurs à prendre en compte dans l’analyse du risque d’immunisation anti-Rhésus. En effet, la fréquence des anticorps anti-D n’a pas été corrélée au développement d’anticorps lymphocytotoxiques en contexte de double incompatibilité HLA et Rhésus [24]. En ce qui concerne le terrain, on peut retenir que le risque d’immunisation Rhésus, même s’il a été peu rapporté chez les très jeunes enfants, existe vraisemblablement quel que soit l’âge sans qu’il soit possible d’en évaluer réellement la fréquence. Un cas très précoce a été rapporté consécutivement à une transfusion de CP issu de don de sang total à l’âge de 17 semaines en contexte de chirurgie cardiaque. La séroprévention habituellement réalisée chez les jeunes enfants et l’utilisation habituelle de CPA, extrêmement appauvris en hématies n’ont pas permis

d’établir une fréquence d’immunisation spécifiquement dans cette population [7,26]. Il faut enfin signaler l’imprécision de données essentielles dans l’interprétation du risque, à savoir exposition préalable à l’antigène D, par exemple à l’occasion d’une grossesse et réalisation d’une séroprévention lors des expositions transfusionnelles de risque. Certaines études ne permettent pas non plus de distinguer très précisément les patients exposés à la situation d’incompatibilité transfusionnelle avec ou sans séroprévention. 5. Quelle prévention en cas de transfusion plaquettaire Rh1 incompatible ? La mise en évidence de la perte de la capacité d’hématies D+ à induire une iso-immunisation par leur incubation préalable in vitro avec des Ig anti-D est ancienne puisqu’elle a été publiée par Stern et al. dès 1961 [27]. Pollack et al. ont ensuite rapporté l’approche expérimentale qui leur a permis de définir la dose d’Ig anti-D nécessaire pour prévenir l’immunisation, détectée par la production d’anticorps anti-D [28]. Ces travaux et les études cliniques qui ont suivi ont contribué à la conclusion qui fonde les recommandations actuelles, à savoir qu’une dose voisine de 20 ␮g d’anti-D par millilitre d’hématies D+ est suffisante pour supprimer l’immunisation primaire [14,9]. Dans une série de 37 patients RH D–, l’administration d’Ig anti-D contemporaine de la transfusion de plaquettes incompatibles Rh D avait montré une excellente efficacité avec absence de cas d’allo-immunisation [29]. L’efficacité de la dose de 20 ␮g (100 UI) a été confirmée en clinique pour la prévention de l’allo-immunisation anti-D de receveurs de transfusions plaquettaires incompatibles [30]. Lors de transfusions incompatibles répétées, l’intervalle de réalisation des tests biologiques destinés à vérifier la persistance d’un titre protecteur d’anticorps et les conditions de réalisation d’une nouvelle administration d’Ig anti-D sont moins bien codifiées [31]. En ce qui concerne la tolérance qui est globalement

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bonne, la survenue de fièvre et d’hémoglobinurie ont été rapportées. Ces réactions sont attendues du fait de l’hémolyse des hématies Rh1+ résiduelles transfusées par les Ig anti-D. Lorsque cette hémolyse est symptomatique, il s’agit habituellement de manifestations de faible intensité sans conséquences délétères à la posologie préconisée dans cette indication prophylactique liée aux transfusions plaquettaires incompatibles [8,32]. 6. Vers une évolution des recommandations et des pratiques ? Du fait de la quantité résiduelle de globules rouges toujours significative dans les CP issus de dons de sang totaux, l’indication d’une prévention en cas d’incompatibilité semble faire consensus, tout du moins pour les femmes d’âge préménopausique. En revanche, la grande pureté des CP d’aphérèse en ce qui concerne leur contamination résiduelle en hématies a pu soulever des discussions sur l’indication de la prévention par Ig anti-D. Il apparaît aussi que le risque d’immunisation anti-D chez les patients atteints d’hémopathie traités par chimiothérapie est probablement très réduit, ce qui permet d’envisager l’absence de prévention par des immunoglobulines anti-D en cas d’immunosuppression profonde [33]. L’équipe espagnole de Cid et Lozano qui a largement contribué aux travaux dans le domaine a d’ailleurs préconisé l’abandon de cette séroprophylaxie chez les sujets D- receveurs de CPA D+ [7]. Même si la littérature rapporte finalement un nombre non négligeable de séries de patients qui ont rec¸u des transfusions plaquettaires Rhésus incompatibles, avec parfois observation de taux significatifs d’iso-immunisation, on est frappé par l’absence totale de rapport de conséquences cliniques délétères de cette immunisation. De ce fait, il serait intéressant de rapporter le devenir immunitaire et obstétrical des patientes exposées au risque d’immunisation Rhésus par transfusion plaquettaire et qui n’ont pas bénéficié de prophylaxie. Dans l’attente de données plus complètes dans ce domaine et du fait des progrès qui ont diminué la quantité de globules rouges transfusés avec les concentrés plaquettaires actuels, il semble important de concentrer les indications de séroprévention sur les receveurs les plus à risque, à savoir les sujets de sexe féminin, en âge de procréer et non immunodéprimés. L’abstention vis-à-vis de la séroprévention par Ig anti-D pour toutes les autres situations semble raisonnable sur le plan médical et non dénuée d’intérêt médico-économique en visant non seulement l’évitement d’un surcoût mais aussi l’épargne d’un médicament dérivé du sang. Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Dunstan RA, Simpson MB, Rosse WF. Erythrocyte antigens on human platelets. Absence of Rh, Duffy, Kell, Kidd, and Lutheran antigens. Transfusion 1984;24:243–6.

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[Platelet transfusion and immunization anti-Rh1: implication for immunoprophylaxis].

Rhesus (Rh) antigens are not expressed on platelets but residual red cells carry the risk of anti-D iso-immunization in transfusion recipients of plat...
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