Rec¸u le : 3 avril 2014 Accepte´ le : 14 janvier 2015 Disponible en ligne 26 fe´vrier 2015

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com



Fait clinique

Pie`ges de la mesure de la saturation de l’he´moglobine en oxyge`ne : a` propos d’un cas de de´saturation chronique Pitfalls in hemoglobin oxygen saturation measurement: A case of chronic desaturation S. Eguientaa,*, L. Martigneb, S. Dulucqc, M. Fayona a

Service de pneumologie-pe´diatrique, CIC-0005, CHU de Bordeaux, 33076 Bordeaux, France Service de pe´diatrie, CS 55015 Saint-Michel, centre hospitalier d’Angouleˆme, 16959 Angouleˆme, France c Laboratoire de biochimie, hoˆpital Pellegrin, CHU de Bordeaux, 33000 Bordeaux, France b

Summary

Re´sume´

The measurement of oxygen saturation by pulse oximetry (SpO2) is simple and fast. This non-invasive and widespread technique gives an indication of the oxygen level in arterial blood. While the method is reliable, there are limitations that can compromise the diagnostic procedure. The objective of the present paper is to list these limitations and discuss the precautions to be taken to optimize the interpretation of the results. Based on the case of a 3-year-old patient who presented with chronic hemoglobin oxygen desaturation, we discuss a decision-making algorithm in order to avoid unnecessary, expensive, and stressful investigations. ß 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

La mesure de la saturation pulse´e en oxyge`ne (SpO2) est simple et rapide. Cette technique non invasive, tre`s re´pandue, est le reflet du contenu en oxyge`ne du sang. Bien que la me´thode soit fiable, il existe des pie`ges susceptibles d’e´garer la de´marche du clinicien. L’objectif de ce travail est de re´pertorier les principaux pie`ges de la mesure de SpO2 ainsi que les pre´cautions a` prendre lors de cette mesure afin d’optimiser l’interpre´tation des re´sultats. A` travers le cas d’une enfant de 3 ans ayant pre´sente´ un e´tat de de´saturation chronique de l’he´moglobine en oxyge`ne, nous reprenons un algorithme de´cisionnel permettant d’e´viter des examens comple´mentaires inutiles, couˆteux et stressants pour les enfants. ß 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

1. Introduction

l’interpre´tation des re´sultats. En effet certains parame`tres, modifiables ou non, peuvent interfe´rer avec le re´sultat. Afin de guider le clinicien dans sa de´marche diagnostique, nous reprenons un arbre de´cisionnel face a` une de´saturation de l’he´moglobine en oxyge`ne.

La mesure de la saturation pulse´e en oxyge`ne (SpO2), ou oxyme´trie de pouls, permet d’obtenir rapidement et de manie`re non invasive une estimation du contenu en oxyge`ne du sang. Elle fait partie des constantes mesure´es en routine. Alors que la me´thode est fiable, il existe cependant des pie`ges pouvant e´garer la de´marche diagnostique. L’objectif de ce travail e´tait de re´pertorier les principaux pie`ges de la mesure de SpO2 ainsi que les pre´cautions a` prendre afin d’optimiser

* Auteur correspondant. Service de me´decine interne-allergologie, CHU de Bordeaux, hoˆpital Pellegrin, place Ame´lie-Raba-Le´on, 33000 Bordeaux, France. e-mail : [email protected] (S. Eguienta). http://dx.doi.org/10.1016/j.arcped.2015.01.009 Archives de Pe´diatrie 2015;22:390-392 0929-693X/ß 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

390

2. Observation Cette enfant aˆge´e de 3 ans, mesurait 98 cm et pesait 13,5 kg au moment de son hospitalisation pour la prise en charge d’une fie`vre e´voluant depuis 4 jours associe´e a` des bru ˆ lures mictionnelles. A` l’examen clinique, elle pre´sentait une angine e´rythe´mateuse et le test streptococcique s’est ave´re´ positif. Elle e´tait apyre´tique lors de cet examen mais sa fre´quence

De´saturation chronique

3. Discussion

(COHb). La carboxyhe´moglobine et la me´the´moglobine ne sont augmente´es qu’en situation pathologique. La SpO2 de´termine l’absorption de deux types de longueur d’onde de lumie`re, rouge a` 660 nm et infrarouge a` 940 nm, puis e´tablit un rapport de ces deux absorptions. Si ce rapport est e´gal a` 1, la SpO2 est d’environ 85 %. L’O2Hb et l’HbR ont des spectres d’absorption de la lumie`re diffe´rents [1]. L’HbR se caracte´rise par un spectre d’absorption de la lumie`re rouge (650–700 nm) plus important que celui de l’O2Hb, tandis que cette dernie`re a un spectre d’absorption plus important de la lumie`re infrarouge (850– 1000 nm). L’absorption de la lumie`re est constante dans les tissus (muscles, os, graisse sous-cutane´e, ongles, peau) et dans les veines et capillaires, mais est pulsatile dans les arte`res [2]. Ainsi le caracte`re pulsatile du sang arte´riel permet de de´terminer les valeurs minimales et maximales pour chaque longueur d’onde, donnant acce`s a` l’oxyge´nation du sang arte´riel. Afin d’optimiser l’interpre´tation de la SpO2, il est important de prendre en compte certains parame`tres, modifiables ou non. Par exemple, on observe une diminution de la SpO2 chez les patients de race noire [3] La pre´sence d’un vernis a` ongle alte`re le signal, en particulier s’il s’agit d’une couleur noire, verte et bleue [4]. L’hypoperfusion des doigts, les mouvements du patient, une arythmie cardiaque peuvent fortement fausser les re´sultats. Plusieurs situations pathologiques doivent eˆtre connues des praticiens, afin de de´celer pre´cocement une vraie hypoxe´mie ou, a` l’inverse, ne pas instaurer une oxyge´nothe´rapie inutile. Tout d’abord, une me´the´moglobine´mie peut eˆtre suspecte´e devant l’association discordante d’une SpO2 basse et d’une pression arte´rielle en oxyge`ne (PaO2) e´leve´e ou normale. La MethHb et l’O2Hb ont la meˆme capacite´ d’absorption de la lumie`re rouge alors que la capacite´ d’absorption de lumie`re infrarouge diffe`re (fig. 1). En 2013, en France 2538 personnes ont e´te´ expose´es au monoxyde de carbone (CO) dont 1802 ont e´te´ transfe´re´es dans un service d’urgences hospitalie`res (Institut de veille sanitaire 2014). La COHb et l’O2Hb ont des spectres d’absorption de la lumie`re rouge quasi-identiques tandis que ceux de Lumière infrarouge

Lumière rouge

10

Coefficient d’exncon

cardiaque e´tait a` 126 bp/min. A` l’auscultation pulmonaire, il existait un foyer de raˆles cre´pitants a` la base droite et l’auscultation cardiaque e´tait normale, sans souffle audible ni signes de surcharge vasculaire. Tous les pouls ont e´te´ bien perc¸us. La palpation abdominale n’a pas releve´ d’organome´galie et l’examen de la sphe`re otorhinolaryngologique (ORL) e´tait normal. Cependant, de fac¸on inattendue, une SpO2 basse (86 % en air ambiant) mais tre`s bien tole´re´e a e´te´ observe´e. L’enfant n’e´tait pas cyanose´e mais pre´sentait une paˆleur cutane´o-muqueuse. Cet examen clinique initial e´tait donc rassurant. Les examens comple´mentaires ont re´ve´le´ une ane´mie microcytaire normochrome (taux d’he´moglobine = 9,8 g/dL) et une hyperleucocytose a` polynucle´aires neutrophiles (PNN = 14,3 G/ L). Les parame`tres he´patiques et re´naux, l’ionogramme et la concentration se´rique en albumine e´taient normaux, ainsi que le bilan martial dans ce contexte d’ane´mie microcytaire. Il existait un syndrome inflammatoire avec une prote´ine C re´active (CRP) a` 35 mg/L. Sur la radiographie thoracique il n’y avait pas de foyer infectieux et la silhouette cardio-me´diastinale e´tait normale. Le bilan immunologique (immunoglobulines (Ig) G, A, M, comple´ment, test de Coombs (direct et indirect), anticorps anticytoplasme des neutrophiles (ANCA), anticorps anti-nucle´aires, anticorps anti-ADN, immunophe´notypage lymphocytaire, se´rologies pour Mycoplasma pneumoniae et Chlamydiae pneumoniae) s’est ave´re´ ne´gatif. La mesure des gaz du sang arte´riel (GDS) en air ambiant n’a pas re´ve´le´ d’hypoxe´mie mais une alcalose respiratoire par hyperventilation : pH = 7,56, pO2 = 131 mmHg, pCO2 = 20 mm Hg, bicarbonates = 17,3 mmol/L, SaO2 = 94 %, carboxyhe´moglobine = 0,3 % (N = 0,5–1,5 %), me´the´moglobine = 1,2 % (0,2– 1,5 %). Le scanner thoracique et l’e´chographie cardiaque transthoracique e´taient normaux. La scintigraphie a` l’albumine marque´e n’a pas apporte´ d’arguments pour un shunt droit-gauche intra- ou extra-cardiaque. Face a` cette enqueˆte e´tiologique ne´gative, une he´moglobinopathie a e´te´ suspecte´e. Une SpO2 basse (89 %) a e´te´ retrouve´e chez la me`re et l’e´lectrophore`se de l’he´moglobine de l’enfant a re´ve´le´ la pre´sence d’une he´moglobine anormale repre´sentant 47 % de l’he´moglobine totale. L’he´moglobine anormale X e´tait une he´moglobine rare, une he´moglobine de type SaintMande´. L’enfant e´tait he´te´rozygote pour le ge`ne codant pour cette he´moglobine.

Méthémoglobine

1

Oxyhémoglobine Hémoglobine réduite

0,1

L’oxyme´trie de pouls utilise les proprie´te´s physiques de l’he´moglobine, selon qu’elle est lie´e ou non a` l’oxyge`ne, selon la loi de Beer-Lambert, qui permet de de´terminer la concentration d’un milieu en fonction de sa capacite´ a` transmettre de la lumie`re. De`s 6 mois de vie il existe 4 types d’he´moglobine : l’oxyhe´moglobine (O2Hb), l’he´moglobine re´duite (HbR), la me´the´moglobine (MethHb) et la carboxyhe´moglobine

Carboxyhémoglobine

600

680

760

840

920

Longueur d’onde (nm)

Figure 1. Spectre d’absorption de la lumie`re rouge et infrarouge en fonction du type d’he´moglobine. D’apre`s Barker et al.

391

Archives de Pe´diatrie 2015;22:390-392

S. Eguienta et al.

Dans notre observation, la pathologie mise en e´vidence e´tait une anomalie de l’he´moglobine de type Saint-Mande´ (HbSM). Il s’agit d’une he´moglobine rare, caracte´rise´e par une mutation de la chaıˆne alpha en position 102 avec remplacement d’un acide aspartique par une tyrosine. Cette mutation est a` l’origine de la disparition d’un pont hydroge`ne compromettant l’affinite´ de l’he´moglobine pour l’oxyge`ne. L’effet Bohr est diminue´ de 40 % par rapport a` l’he´moglobine A (HbA). Le rapport p50 HbSM/p50 HbA est e´gal a` 2 en pH neutre. Ce rapport est modifie´ en fonction des conditions environnementales : en effet si le pH est acide ce rapport diminue a` 1,2 et s’il est basique, il est augmente´ a` 3,1 [7]. On observe ainsi un de´calage vers la droite de la courbe de dissociation de l’he´moglobine en pre´sence d’une HbSM. Un algorithme de´cisionnel peut aider le clinicien dans sa de´marche diagnostique face a` une de´saturation de l’Hb en oxyge`ne (fig. 2).

DESATURATION

Eliminer les artéfacts

Evaluation clinique -

Symptômes d’hypoxémie Atteintes respiratoires ou cardiaques Hémoglobinopathie familiale Réponse à l’oxygénothérapie

GdS et SpO2

Concordants

Discordants > 5%

4. Conclusion Investigations cardiopulmonaires

Recherche d’hémoglobinopathie familiale

Recherche d’hémoglobinopathie congénitale

Méthémoglobinémie congénitale

Autre variant de l’hémoglobine

Figure 2. Algorithme de´cisionnel face a` une de´saturation de l’he´moglobine (Hb) en oxyge`ne. GdS : gaz du sang ; SpO2 : saturation pulse´e en oxyge`ne. D’apre`s Verhovsek et al.

la lumie`re infrarouge diffe`rent (fig. 1). Ainsi, en cas d’intoxication par le CO on observe une majoration de la SpO2 puisque le CO mime l’oxyhe´moglobine qui leurre le saturome`tre. Pour 1 % de COHb, on note une augmentation de 1 % la SpO2. Il y a alors surestimation de la saturation. Une me´thode de COoxyme´trie pulse´e existe depuis 2005 permettant une mesure non invasive du taux de COHb (RAD-57, Masimo Corp, Irvine, Californie). Cette me´thode rapide permet une prise en charge plus rapide des patients intoxique´s au CO par oxyge´nothe´rapie hyperbare [5]. Dans le cas de la crise dre´panocytaire vaso-occlusive, la diffe´rence moyenne entre la valeur de la SpO2 et celle obtenue par la mesure des gaz du sang (SaO2) diffe`re d’environ 5 a` 6 %. La SpO2 surestime le plus souvent la PaO2. Il y a alors un risque de me´connaıˆtre une hypoxe´mie si l’on se fie uniquement a` une SpO2 normale. Dans quelques cas, la SpO2 sous-estime la PaO2 et il y a alors un risque d’instaurer une oxyge´nothe´rapie inutile avec son effet de´le´te`re d’inhibition de l’e´rythropoı¨e`se, surtout chez des patients qui pre´sentent de surcroıˆt une anomalie des he´maties. Ainsi, la mesure de la SpO2 seule semble inapproprie´e chez ces patients, la mesure de la PaO2 paraissant ne´cessaire chaque fois que possible [6].

392

Environ 25 publications ont e´te´ re´pertorie´es incluant 41 patients avec une SpO2 basse associe´e a` une he´moglobine anormale chez des patients aˆge´s de quelques jours de vie a` 63 ans. Bien que la cause soit cardio-pulmonaire dans la plupart des cas, l’hypothe`se d’une he´moglobinopathie doit toujours eˆtre e´voque´e en pre´sence d’une SpO2 basse, surtout s’il existe une discordance de plus de 5 % entre la SpO2 et la PaO2 notamment si l’examen clinique est rassurant, afin d’e´viter des examens comple´mentaires inutiles, couˆteux et stressants pour l’enfant.

De´claration d’inte´reˆts Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article.

Re´fe´rences [1] [2] [3] [4] [5]

[6]

[7]

Carbajal R. Oxyme´trie de pouls en pe´diatrie. Arch Pediatr 1996;3:1129–35. Fouzas S, Priftis KN, Anthracopoulos MB. Pulse oximetry in pediatric practice. Pediatrics 2011;128:740–52. Ries AL, Prewitt LM, Johnson JJ. Skin color and ear oximetry. Chest 1989;96:287–90. Cote CJ, Goldstein EA, Fuchsman WH, et al. The effect of nail polish on pulse oximetry. Anesth Analg 1988;67:683–6. Hampson NB. Noninvasive pulse CO-oximetry expedites evaluation and management of patients with carbon monoxide poisoning. Am J Emerg Med 2012;30:2021–4. Blaisdell CJ, Goodman S, Clark K, et al. Pulse oximetry is a poor predictor of hypoxemia in stable children with sickle cell disease. Arch Pediatr Adolesc Med 2000;154:900–3. Poyart C, Schaad O, Kister J, et al. Hemoglobin Saint Mande [beta 102 (G4) Asn——Tyr]. Functional studies and structural modeling reveal an altered T state. Eur J Biochem 1990;194:343–8.

[Pitfalls in hemoglobin oxygen saturation measurement: a case of chronic desaturation].

The measurement of oxygen saturation by pulse oximetry (SpO2) is simple and fast. This non-invasive and widespread technique gives an indication of th...
309KB Sizes 0 Downloads 6 Views