Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com Médecine et maladies infectieuses 45 (2015) 297–300

Cas clinique

Pneumopathie nécrosante à Staphylococcus aureus sécréteur de la leucocidine de Panton-Valentine à l’île de la Réunion Panton-Valentine leukocidin-positive methicillin susceptible Staphylococcus aureus necrotizing pneumonia at Reunion Island D. Vandroux a,∗,1,6 , C. Brulliard a,2,6 , N. Hoarau b,3,6 , N. Allou a,4,6 , N. Allou-Coolen c,5,6 , E. Antok b,3,6 , O. Martinet a,4,6 a

Service de réanimation polyvalente, CHU de la Réunion, site Félix-Guyon, allée des Topazes, CS11021, 97400 Saint-Denis, Réunion b Service de réanimation polyvalente, CHU de la Réunion, site Sud, BP 350, 97448 Saint-Pierre, Réunion c Service de pneumologie, CHU de la Réunion, site Félix-Guyon, allée des Topazes, CS11021, 97400 Saint-Denis, Réunion Rec¸u le 31 d´ecembre 2014 ; rec¸u sous la forme révisée le 3 avril 2015 ; accepté le 26 avril 2015 Disponible sur Internet le 27 mai 2015

Mots clés : Pneumopathie communautaire nécrosante ; Staphylococcus aureus ; Leucocidine de Panton-Valentine ; Virus A/H1N1 Keywords: Community acquired necrotizing pneumonia; Staphylococcus aureus; Panton-Valentine leukocidin; A/H1N1 virus

La pneumopathie nécrosante à Staphylococcus aureus méthicillino-sensible sécrétant la toxine de Panton-Valentine (SAMS PVL+) est une infection hautement létale affectant l’adulte jeune et en bonne santé. Son incidence augmente lors des saisons grippales. Nous présentons trois cas de survenue rapprochée à la Réunion, territoire ultramarin jusqu’alors peu touché par cette pathologie. 1. Observations 1.1. Cas 1 Une femme de 32 ans, d’origine mahoraise mais résidant à la Réunion depuis plusieurs années présentait un syndrome grippal avec toux, fièvre et alitement. En consultation de médecine générale pour dyspnée et hémoptysie, apparurent ∗

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (D. Vandroux). 1 David Vandroux a coordonné le recueil et la discussion de ce travail. 2 Caroline Brulliard a rédigé l’observation du troisième patient. 3 Nadia Hoarau et Emmanuel Antok ont participé à la rédaction de la deuxième observation. 4 Nicolas Allou et Olivier Martinet ont contribué à la rédaction de la première observation et à la discussion. 5 Nathalie Allou-Coolen a relu et interprété les images radiologiques. 6 Tous les auteurs ont participé à la relecture du manuscrit. http://dx.doi.org/10.1016/j.medmal.2015.04.004 0399-077X/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

troubles de conscience et détresse respiratoire. Devant une désaturation à 75 % sous masque à haute concentration, la patiente était placée sous ventilation mécanique puis perfusion de noradrénaline. À l’admission en réanimation, la pression artérielle était imprenable, la fréquence cardiaque à 140/min, la température à 34 ◦ C, les extrémités froides. La biologie objectivait une acidose mixte hyperlactémique (pH 7,04 ; PaCO2 67 mmHg ; base excess –12, lactates artériels 9 mmol/L), une hypoxémie (PaO2 61 mmHg sous FiO2 1), une défaillance rénale et une leucopénie à 680·106 /L. La radiographie thoracique montrait des condensations alvéolaires diffuses. En échocardiographie trans-œsophagienne, la fonction systolique était conservée, la précharge basse, il n’y avait ni thrombus artériel pulmonaire ni cœur pulmonaire aigu. La fibroscopie bronchique montrait un saignement diffus. La ventilation mécanique devenant inefficace dans un tableau d’hémoptysie massive, une oxygénation extracorporelle veino-veineuse était implantée à la deuxième heure. Une transfusion massive avec apport de plasma, fibrinogène, plaquettes, glypressine, facteur VII activé et Exacyl était effectuée pour coagulation intravasculaire disséminée et hémoptysies. Malgré une instabilité hémodynamique avec tableau de fuite capillaire et un arrêt cardiaque de courte durée, une tomodensitométrie était réalisée, montrait un comblement alvéolaire complet (Fig. 1) et des troubles de perfusion viscérale. La patiente décédait de choc septique réfractaire à la quinzième heure. La PCR grippe objectivait une grippe AH1N1 pdm2009.

298

D. Vandroux et al. / Médecine et maladies infectieuses 45 (2015) 297–300

Fig. 1. Aspects tomodensitométriques de pneumopathies à SAMS PVL+. A. SDRA avec comblement alvéolaire complet bilatéral et choc septique à SAMS PVL+ (patiente 1). B. Lésion cavitaire d’un foyer de condensation lobaire inférieur gauche et micronodules bronchiolaires avec plages en verre dépoli (patient 2). C. Opacités alvéolaires polygonales et nodulaires bilatérales avec excavations évocatrices d’emboles septiques intrapulmonaires (patient 3). CT of patients presenting with pneumonia caused by methicillin-susceptible Staphylococcus aureus producing Panton-Valentine leukocidin. A. ARDS with a bilateral alveolar filling and septic shock (patient 1). B. Cavitary lesion in the lower left lobe condensation and bronchiolar micro-nodules (patient 2). C. Polygonal and nodular alveolar opacities with evocating excavations of intra-pulmonary septic emboli (patient 3).

Le lavage broncho-alvéolaire et deux hémocultures identifiaient une souche de SAMS PVL+. 1.2. Cas 2 Un homme de 46 ans, asthmatique non suivi, présentait un syndrome grippal avec condensation du lobe inférieur gauche. Son état se dégradait avec hyperthermie à 40,5 ◦ C, hyperlactatémie à 3,5 mmol/L, tirage, balancement thoracoabdominal. Le patient était admis en réanimation au deuxième jour d’hospitalisation après échec d’une ventilation non invasive et ventilation mécanique. La PCR grippe AH1N1 sur écouvillon nasopharyngé était positive. L’examen cytobactériologique des crachats puis le prélèvement protégé distal (PDP) objectivaient un SAMS PVL+. Pseudomonas aeruginosa de phénotype sauvage était identifié sur PDP et hémocultures. Le scanner thoracique montrait des plages de condensation parenchymateuse pulmonaire non systématisées excavées dans le lobe supérieur gauche et le lobe inférieur gauche avec épanchement pleural. Son état respiratoire se détériorait au neuvième jour et la tomodensitométrie révélait un abcès sur pneumopathie nécrosante du poumon gauche et condensation du lobe inférieur droit. Après échec de la curarisation et du décubitus ventral, une assistance respiratoire (ECMO) veino-veineuse était implantée par l’unité mobile d’assistance circulatoire et le patient évacué vers le centre référent. Les lavements broncho-alvéolaires (LBA) ne mettaient plus en évidence le SAMS PVL+ mais la persistance du pyocyanique. L’ECMO veino-veineuse était retirée au douzième jour d’assistance. Une nouvelle dégradation respiratoire avec hypercapnie réfractaire et mise en évidence lors d’un nouveau LBA d’une résistance du pyocyanique aux carbapénèmes imposait une seconde assistance respiratoire de huit jours sur canule Avalon. Une trachéotomie facilitait le sevrage respiratoire et le transfert du patient vers son centre hospitalier initial. Le patient sortait à domicile au 85e jour. Plusieurs lignes d’antibiothérapie avaient été utilisées : amoxicilline-acide clavulanique, puis ceftriaxone,

spiramycine et oseltamivir à l’admission en réanimation, modifiée par pipéracilline-tazobactam, amikacine et clindamycine sur documentation bactériologique, imipénème et ciprofloxacine lors de la dégradation respiratoire et enfin colymicine. 1.3. Cas 3 Un homme de 63 ans présentait une dyspnée avec douleur thoracique, fièvre à 38,8 ◦ C et frissons. Un sepsis sévère avec hypoxémie (PaO2 93 mmHg sous masque à haute concentration), hyperlactatémie à 6,6 mmol/L et insuffisance rénale aiguë répondait initialement au remplissage vasculaire et à une antibiothérapie. Un scanner thoracique (Fig. 1) montrait une opacité alvéolaire polygonale et nodulaire avec excavation de la lingula, des lobes supérieurs et moyens et un épanchement pleural gauche. Devant la détresse respiratoire, les troubles de conscience et l’état de choc, il était placé sous ventilation mécanique et support hémodynamique. Les hémocultures et le liquide pleural identifiaient un SAMS PVL+. Des foyers infectieux profonds ou une spondylodiscite étaient éliminés par tomodensitométrie et une endocardite infectieuse par échocardiographie trans-œsophagienne. L’évolution respiratoire et hémodynamique ayant permis la levée des sédations, on constatait des fonctions supérieures préservées mais une tétraplégie flasque. Une imagerie par résonance magnétique cérébro-médullaire retrouvait une myélite du cordon médullaire à l’étage cervical, avec plages collectées intracordonales, abcès épiduraux antérieurs et postérieurs, fusées purulentes au niveau de l’espace cervical postérieur en regard de C1-C2 et abcès centimétrique à la partie postérieure et latérale gauche du bulbe (Fig. 2). Une ponction lombaire montrait une méningite d’allure bactérienne (leucocytes 740/mm3 , protéines 11,5 g/L, lactate 5,3 mmol/L) à examen direct négatif et culture stérile. Une ponction-biopsie paravertébrale sous scanner au niveau de C2C3 permettait de retrouver le SAMS PVL+. L’IRM de contrôle à 15 jours montrait une non-régression des lésions de myélite et de l’abcès du bulbe. La tétraplégie restait définitivement

D. Vandroux et al. / Médecine et maladies infectieuses 45 (2015) 297–300

Fig. 2. Myélite à SAMS PVL+ (patient 3). La persistance du germe sous antibiothérapie en l’absence d’endocardite infectieuse ou de spondylodiscite, et la mise en évidence d’une tétraplégie amenaient à réaliser une IRM montrant un aspect de myélite bactérienne (ici séquence T1 avec injection de gadolinium) et d’abcès épiduraux antérieurs et postérieurs avec fusée purulente en regard de C1-C2. Myelitis caused by PVL+MSSA (patient 3). Because of the quadriplegia and the bacterial persistence under antibiotics, without endocarditis or spondylodiscitis, a MRI (T1 sequence with gadolinium injection) was performed and revealed bacterial myelitis with anterior and posterior epidural abscess.

fixée. L’antibiothérapie initiale par ceftriaxone-gentamicinespiramycine avait été modifiée par rifampicine-oxacilline lors de l’identification du SAMS PVL+, une tri-antibiothérapie transitoire par oxacilline-fosfomycine-colimycine était réalisée pour une bactériémie à Klebsiella pneumoniae porteuse d’une carbapénémase. 2. Discussion Le staphylocoque doré peut produire différentes toxines modifiant sa virulence : entérotoxines, exfoliantines, toxines super-antigéniques et enfin la PVL. Celle-ci est associée à trois tableaux cliniques : infections cutanées, ostéo-articulaires et pneumopathie nécrosante. Ses gènes (lukS-PV et lukF-PV) sont portés par un bactériophage. La PVL, toxine synergohyménotrope, détruit la membrane cellulaire des leucocytes, libérant enzymes et médiateurs de l’inflammation contribuant à la nécrose tissulaire et attirant par chimiotactisme de nouveaux polynucléaires. Les souches productrices de PVL auraient une affinité particulière pour la membrane basale des cellules ciliées mise à nu par l’infection grippale [1]. Cette association grippe-pneumopathie à SAPVL+ est rapportée régulièrement au siècle dernier parallèlement à une évolution des caractéristiques de résistance et de virulence du staphylocoque doré : épidémie de pneumopathies staphylococciques à Camps Jackson lors de la pandémie de grippe espagnole [2], co-infections par SARM USA 300 sous-types 0114 [3] porteurs dans 85 % des cas de PVL lors de la saison grippale nord-américaine 2003–2004.

299

L’identification d’un SAMS PVL+ en réanimation était rare à la Réunion. Pourtant, le portage de la leucocidine de PantonValentine (PVL) semble en augmentation tant sur les populations de SARM américains que sur les populations de SAMS européens. Le contexte insulaire n’est pas épargné par la présence de PVL dans les populations de staphylocoque. Ainsi l’incidence des infections staphylococciques est élevée dans les îles Fidji surtout dans les populations natives iTankei. Parmi les staphylocoques isolés, 7 % étaient résistants à la méthicilline mais 59 % portaient la PVL [4]. En Nouvelle Zélande (Auckland), 37 % des staphylocoques isolés sur des infections et 31 % des portages de staphylocoques objectivaient les gènes lukSF-PV [5]. Parmi les facteurs de risque indépendants en analyse multivariée apparaissaient les ethnies natives et le jeune âge. À la Réunion, la résistance à la méthicilline est exceptionnelle en réanimation. Durant la saison grippale 2013, étaient notés trois cas de co-infection pulmonaire à SAMS et virus grippal [6] sans mise en évidence de PVL. Aucun de nos cas n’était relié : l’absence de liens géographiques, sociaux ou sportifs laisse conjecturer une prévalence des SAMS PVL+ à quantifier. Dès qu’un SAMS PVL+ est suspecté dans le cadre d’une pneumopathie communautaire, l’antibiothérapie doit intégrer une ␤-lactamine antistaphylococcique (ou un glycopeptide selon le risque local de résistance), un aminoside et un antibiotique « antitoxinique » (clindamycine ou linézolide). Les ␤-lactamines restent peu efficaces en phase de croissance stationnaire où sont produites les exotoxines, se diffusent mal dans les tissus nécrotiques et peu vascularisés et surtout augmentent la sécrétion de PVL en cas de concentration inefficace [7]. Elles doivent toutefois être utilisées en cas de pneumopathie communautaire nécrosante en l’absence d’identification du germe et de ses facteurs de virulence. La prévalence basse de cette pathologie, la mauvaise spécificité clinique et l’adhésion aux recommandations de prise en charge des pneumopathies communautaires font que les antibiotiques antitoxiniques sont rarement utilisés initialement. Une revue de trente-deux cas [8] montrait qu’aucun n’en avait bénéficié. Les immunoglobulines polyvalentes ont été utilisées. La corticothérapie pourrait avoir un rôle immunomodulateur et ralentir la réaction immunitaire responsable de nécrose tissulaire. Les corticostéroïdes pourraient réduire la durée des pneumopathies communautaires [9] mais majorer le risque de surinfection lors des pneumopathies grippales graves [10]. Des transmissions intrafamiliales ou au personnel soignant sont décrites. La conduite à tenir vis-à-vis des cas contacts reste incertaine : dépistage ou décontamination systématique de tous les cas contacts. La vaccination antigrippale, peu suivie à la Réunion, est une stratégie majeure de prévention chez les sujets avec facteurs de risque.

3. Conclusion Le portage de PVL par un SAMS est présent à la Réunion et à rechercher dans tout cas de pneumopathie staphylococcique. Son incidence est à quantifier.

300

D. Vandroux et al. / Médecine et maladies infectieuses 45 (2015) 297–300

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

[6]

[7]

Références [1] De Bentzmann S, Tristan A, Etienne J, Brousse N, Vandenesch F, Lina G. Staphylococcus aureus isolates associated with necrotizing pneumonia bind to basement membrane type I and IV collagens and laminin. J Infect Dis 2004;190:1506–15. [2] Chickering HT, Park JH. Staphylococcus aureus pneumonia. JAMA 1919;72(9):617–26. [3] Hageman JC, Uyeki TM, Francis JS, Jernigan DB, Wheeler JG, Bridges CB, et al. Severe community-acquired pneumonia due to staphylococcus aureus, 2003-04 influenza season. Emerg Infect Dis 2006;12(6):894–9. [4] Jenney A, Holt D, Ritika R, Southwell P, Pravin S, Buadromo E, et al. The clinical and molecular epidemiology of Staphylococcus aureus infections in Fidji. BMC Infect Dis 2014;14:160. [5] Muttaiyah S, Coombs G, Pandey S, Reed P, Ritchie S, Lennon D, et al. Incidence, risk factors, and outcomes of Panton-Valentine leucocidin-positive

[8]

[9]

[10]

methicillin susceptible Staphylococcus aureus infections in Aucland, New Zealand. J Clin Microbiol 2010;48(10):3470–4. Vandroux D, Brottet E, Ursulet L, Angue M, Jabot J, Filleul L, et al. New patterns of A(H1N1)pdm09 influenza in the Southern Hemisphere. Intensive Care Med 2014;40(1):131–2. Libert N, Batjom E, Cirodde A, de Rudnicki S, Grasser L, Borne M, et al. Traitements antitoxiniques et pneumopathies nécrosantes à Staphylococcus aureus sécréteurs de leucocidine de Panton-Valentine. Med Mal Infect 2008;39(1):14–20. Kreienbuehl L, Charbonney E, Eggimann P. Community-acquired necriziting pneumonia due to methicillinsensitive Staphylococcus aureus secreting Panton-Valentine leucocidin: a review of case reports. Ann Intensive Care 2011;1(1):52. Blum C, Nigro N, Briel M, Schuetz P, Ullmer E, Suter-Widmer I, et al. Adjunct prednisone therapy for patients with community-acquired pneumonia: a multicentre, double-blind, randomised, placebo-controlled trial. Lancet 2015, http://dx.doi.org/10.1016/S0140-6736(14)62447-8 [pii: S0140-6736(14)62447-8]. Martin-Loeches I, Lisboa T, Rhodes A. Use of early corticosteroid therapy on ICU admission in patients affected by severe pandemic (H1N1)v Influenza A infection. Crit Care Med 2011;37(2):272–83.

[Panton-Valentine leukocidin-positive methicillin susceptible Staphylococcus aureus necrotizing pneumonia at Reunion Island].

[Panton-Valentine leukocidin-positive methicillin susceptible Staphylococcus aureus necrotizing pneumonia at Reunion Island]. - PDF Download Free
1MB Sizes 10 Downloads 13 Views