Journal français d’ophtalmologie (2015) 38, e59—e60

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LETTRE À L’ÉDITEUR Brûlure oculaire et verres scléraux Ocular burn and scleral lenses Les verres scléraux (VScl) ont pris leur essor début 1990, lorsque les premiers verres perméables au gaz sont apparus [1]. Depuis, leurs indications ne cessent de s’étendre : d’abord utilisés dans un but réfractif comme la gestion des fortes amétropies, ils font désormais partie de l’arsenal thérapeutique des pathologies de la surface oculaire [2]. Ils sont utilisés pour traiter des pathologies résistantes aux traitements telles que les réactions du greffon contre l’hôte, les syndromes de Stevens-Johnson ou les syndromes secs sévères [3,4]. Le principe repose sur un verre de large diamètre s’adaptant à la sclère, isolant la surface oculaire et réalisant un pansement biologique par l’intermédiaire d’un fluide pré-cornéen [5]. Les pathologies les moins représentées sont les troubles de la statique palpébrale : entropion avec trichiasis, ectropion avec exposition du globe, kératite d’exposition ou malposition palpébrale séquellaire de brûlure [6]. Nous rapportons le cas d’un patient victime d’une brûlure oculaire chimique bilatérale compliquée d’entropion avec endotrichiasis responsable d’un inconfort permanent. La résistance aux nombreux traitements médicaux et chirurgicaux nous a conduit à adapter un VScl préformé, perméable au gaz, de haut Dk, afin d’isoler la surface oculaire. Cas clinique Un homme de 58 ans, sans antécédents, se présentait initialement avec un ulcère de cornée étendu bilatéral associé à une ischémie limbique gauche suite à une brûlure basique. Le traitement initial avait permis la régression des lésions cornéennes mais l’évolution était marquée par l’apparition d’un entropion et d’un trichiasis supérieur bilatéral. De nombreux traitements avaient été tentés : cure chirurgicale de l’endotrichiasis bilatéral, suivie de plusieurs reprises n’ayant été un succès que du côté droit. De multiples séances d’électrolyses bilatérales, de laser Argon et d’électro-coagulation visant la destruction des follicules pileux avaient été inefficaces, à l’instar des différentes lentilles thérapeutiques. Depuis 2008, le patient avait consulté à de multiples reprises pour une ablation de cils. Il refusait toute nouvelle intervention chirurgicale, nous lui avions proposé d’adapter un VScl de diamètre 16,5 mm, le verre ICD du laboratoire LCS, perméable au gaz (Dk 100). Un premier

essai d’un verre d’une hauteur sagittale de 4200 n’était pas satisfaisant à cause d’une compression sclérale diffuse et d’un contact non tolérable au niveau d’une ptérygoïde inféro-nasal (Fig. 1). Le 2e essai avec hauteur sagittale de 4300 microns avait réglé ce problème. Le VScl était centré, immobile et recouvrait bien la cornée. Il n’y avait pas de contact en zone centrale ou limbique, ni de compressions des vaisseaux scléraux (Fig. 2). Après une période d’apprentissage de la manipulation, son port avait rapidement pu s’étendre à toute la période diurne. À 6 mois, on notait une nette amélioration des symptômes d’irritation et de larmoiement, une disparition de la kératite, et un VScl bien supporté. Discussion Les VScl de haut Dk sont indiqués dans de nombreuses pathologies oculaires. La physiologie cornéenne est respectée, les complications à type d’ischémie entraînant un œdème cornéen sont jugulées et permettent ainsi un port prolongé, voire permanent [1,7]. Les grandes séries d’adaptation retrouvent les indications suivantes par ordre de fréquence : ectasies cornéennes primaires, suites de kératoplasties transfixiantes, aphakies, myopies et enfin troubles de la surface oculaire [2,5,8]. Son utilisation pour les brûlures oculaires est décrite mais rare en proportion des autres indications [2,4—6], probablement dû au fait que cette alternative est peu connue des praticiens. La gestion, en particulier chirurgicale, des malpositions palpébrales séquellaires est bien codifiée, cependant, les VScl ne sont jamais mentionnés [9,10]. Ils sont utiles en tant que solution d’attente : lorsque l’indication opératoire est portée mais ne peux être réalisée rapidement, chez des patients non motivés par une chirurgie ou lorsque les interventions antérieures furent des échecs et que le patient refuse une nouvelle opération. Les complications infectieuses dans les grandes séries étaient faibles, et ceci bien que les surfaces adaptées étaient habituellement pathologiques et donc vulnérables [2—6,8]. La tolérance des VScl est habituellement bonne car l’appui est entièrement scléral, sans contact avec la cornée. Le diamètre important du verre évite tout contact entre le bord du verre et le bord palpébral supérieur, source d’inconfort à chaque clignement pour les lentilles cornéennes classiques [5,8]. Les VScl sont une nouvelle arme thérapeutique des pathologies de surface pour lesquelles ont échoué de multiples traitements. Ils peuvent être utilisés en première intention dans la gestion des malpositions palpébrales, en particulier dans les suites de brûlure oculaire, dans les cas où la chirurgie n’est pas souhaitée ou ne peut être réalisée que tardivement.

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Lettre à l’éditeur Références

Figure 1. Verre avec une zone d’appui sclérale comprimant les vaisseaux d’une ptérygoïde inféro-nasale.

[1] Ezekiel D. Gas-permeable haptic lenses. J Br Cont Lens Assoc 1983;6:158—61. [2] Tan DTH, Pullum KW, Buckley RJ. Medical applications of scleral contact lenses: 1. A retrospective analysis of 343 cases. Cornea 1995;14:130—7. [3] Tougeron-Brousseau B, Delcampe A, Murène M. Vision-related function after scleral lens fitting in ocular complications of Stevens-Johnson syndrome and toxic epidermal necrolysis. Am J Ophthalmol 1999;6:852—9. [4] Kok JH, Visser R. Treatment of ocular surface disorders and dry eyes with high gas-permeable scleral lenses. Cornea 1992;11:518—22. [5] Pullum KW, Whiting MA, Buckley RJ. Scleral contact lenses: the expanding role. Cornea 2005;24:269—77. [6] Pullum K, Buckley R. Therapeutic and ocular surface indications for scleral contact lenses. Ocul Surf 2007;5:40—8. [7] Rosenthal P, Cotter JM, Baum J. Treatment of persistent corneal epithelial defect with extended wear of a fluid-ventilated gas-permeable scleral contact lens. Am J Ophthalmol 2000;130:33—41. [8] Romero-Rangel T, Stavrou P, Cotter J, et al. Gas-permeable scleral contact lens therapy in ocular surface disease. Am J Ophthalmol 2000;130:25—32. [9] Achauer BM, Adair SR. Acute and reconstructive management of the burned eyelids. Clin Plast Surg 2000;27:87—96. [10] Merle H, Gérard M, Schrage N. Brûlures oculaires. J Fr Ophtalmol 2008;31:723—34.

R. Laballe a,∗ , H. Merle b a

CHU de Caen, avenue Côte-de-Nacre, 14000 Caen, France b Hôpital Pierre-Zobda-Quitman, CHU de Martinique, route de Chateauboeuf, BP 632, 97261 Fort-de-France, Martinique ∗ Auteur

Figure 2. Verre scléral bien adapté : la hauteur sagittale évite tout contact cornéen, les zones d’appuis limbiques et sclérales ne sont pas comprimées.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt en relation avec cet article.

correspondant. 11, rue Pasteur, 41310 Villechauve, France.

Adresse e-mail : [email protected] (R. Laballe) Disponible sur Internet le 16 mars 2015 http://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2014.07.012 0181-5512/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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