Orthod Fr 2013;84:343–346 c EDP Sciences, SFODF, 2013  DOI: 10.1051/orthodfr/2013064

Disponible en ligne sur : www.orthodfr.org

Article original

Du nouveau en céphalométrie Julien PHILIPPE* 6, rue Chanzy, 28000 Chartres, France (Reçu le 20 mai 2013, accepté le 27 mai 2013)

MOTS CLÉS : Analyse céphalométrique / Orientation naturelle de la tête

RÉSUMÉ – Nous avons récemment rappelé l’erreur de principe qui rend les analyses céphalométriques conventionnelles impropres au diagnostic orthodontique [6]. Or trois méthodes d’analyse viennent de paraître, précisément conçues pour ne pas comporter cette erreur. L’analyse céphalométrique parviendrait-elle à dire la vérité ?

KEYWORDS: Cephalometric analysis / Natural head position

ABSTRACT – New developments in cephalometrics. Recently l recalled the error in the principle which makes cephalometric analysis unsuitable for orthodontic diagnosis. Now, three methods of analysis have been published precisely conceived in order to avoid this error. Will cephalometric analysis succeed in its search for the truth?

1. Introduction

L’analyse céphalométrique parviendrait-elle à dire la vérité ?

* Auteur pour correspondance : [email protected]

2. La correction de l’angle ANB Cette étude émane d’une équipe londonienne, dirigée par Kamaluddin [4]. Supposant que les variations de position du point N modifient la valeur de l’angle ANB pour un même décalage antéro-postérieur des points A et B (ce qui remet en question la signification de cet angle), les auteurs veulent vérifier si un procédé de correction appelé « la correction Eastman » proposé par Mills en 1982 et très utilisé en Grande-Bretagne compense les effets des variations de position du point N sur l’angle ANB. Ce procédé veut que, quand SNA est inférieur à 81 degrés, on ajoute 1/2 degré à ANB et vice versa. Les calculs ont d’abord confirmé que les variations de N influencent bien la valeur de SNA, SNB, et ANB, puis les auteurs ont testé la correction de Eastman. Ils ont alors découvert que cette correction avait pour effet de diminuer la tendance classe II et d’accentuer la tendance classe III. Commentaire : L’angle ANB n’exprime pas le décalage antéropostérieur des point A et B et il ne peut être corrigé.

Article publié par EDP Sciences

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Dans le numéro de septembre 2012 de l’Orthodontie Française [6], nous avons renouvelé nos critiques des analyses céphalométriques classiques, américaines, en montrant que les lignes de référence de ces analyses variaient autant que les structures mesurées et donc qu’on ne pouvait savoir si l’écart d’une mesure à la moyenne provenait des lignes de référence ou des structures qui intéressent le praticien. Cela n’est pas nouveau. Le même article [6] exposait une méthode d’analyse présentée par Cooke et Wei [2], qui repose sur l’orientation naturelle de la tête, ce qui la met à l’abri des critiques formulées précédemment. Un heureux hasard fait qu’après notre publication, trois articles paraissent dans la presse étrangère, proposant des évaluations céphalométriques du décalage des bases maxillaire et mandibulaire. Le premier cherche à corriger les défauts de l’angle ANB, les deux autres, plus radicaux, établissent des méthodes qui évitent, partiellement ou totalement, le recours aux lignes de référence et donc les erreurs qui en découlent.

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points polluent les mesures observées [6]. Dans cette analyse, il ne reste qu’un point de référence (S). C’est un gros progrès, mais... Pour les auteurs, l’angle W est peu influencé par les rotations mandibulaires. C’est peut-être autant un défaut qu’une qualité.

4. L’analyse « Pi » du décalage des bases

Figure 1 D’après Bhad, et al. [1]. Construction et mesure de l’angle W.

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3. L’angle W et le décalage des bases squelettiques La seconde étude est présentée par une équipe indienne animée par Bhad [1]. Elle commence par un exposé critique des différents procédés d’évaluation du décalage des bases (Wylie, angle ANB, Witts appraisal, angle beta). Les auteurs estiment que les points A et B ne représentent pas bien les bases maxillaire et mandibulaire, car ils peuvent être affectés par des remodelages osseux consécutifs au déplacement des incisives. Les auteurs utilisent le point S, classiquement déterminé ; le point M, au milieu du prémaxillaire et le point G, centre du cercle tangent aux bords internes de la symphyse mandibulaire (Fig. 1). Une perpendiculaire à la ligne SG est abaissée du point M, formant ainsi, avec MG, un angle dit : « angle W ». Si cet angle est inférieur à 51◦ , on est en présence d’une classe II squelettique et devant une classe III si l’angle est supérieur à 56◦ . Une grande quantité d’informations statistiques sont données, mais elles concernent une population indienne. Commentaires : Le choix des points M et G pour représenter les bases osseuses semble judicieux. Il faut saluer l’effort fait pour diminuer le nombre des points de référence puisque les variations de ces

Cette méthode née, elle aussi, aux Indes est présentée par Kumar [5]. Elle est conçue pour « l’évaluation des relations antéropostérieures des mâchoires ». Les procédés céphalométriques classiquement employés dans ce but sont d’abord rappelés. Les auteurs estiment que si ces procédés sont décevants, c’est parce qu’ils dépendent de repères intracrâniens qui interfèrent avec la mesure de ce décalage et n’en permettent pas une appréciation véritable. Pour éviter cette cause d’erreur, ils proposent de prendre pour base une ligne de référence extracrânienne, la ligne horizontale vraie, perpendiculaire au fil à plomb. La tête du sujet est placée dans son orientation naturelle (ses yeux se regardant dans un miroir [3]). On retient la ligne horizontale qui passe par le point N, mais les variations de celui-ci n’ont guère d’incidence sur les mesures. Les autres points utilisés sont : – M, centre du cercle tangent aux faces supérieure, antérieure et palatine du prémaxillaire ; – G, au centre du cercle tangent aux faces antérieure, inférieure et postérieure de la symphyse mandibulaire. Ces points ne sont pas touchés par un remodelage secondaire au déplacement des dents, comme le sont les points A et B. Deux verticales sont élevées à partir des points G et M. Elle coupent l’horizontale qui passe par N en G’ et M’. Les quatre points G, G’, M’ et M forment une figure qui évoque la forme de la lettre grecque Pi, d’où le nom de l’analyse (Fig. 2). L’angle GG’M et la distance G’M’ expriment le décalage des bases. Dans une population du sud de l’Inde, l’angle GG’M (l’angle Pi) est en moyenne de 3,4◦ + ou −2◦ pour un rapport squelettique de classe I, de 8,94◦ + ou −3,16◦ pour les cas de classe II et de −3,57◦ + ou −1,61 pour les cas de classe III. Les distances linéaires de G’M’ sont de 3,40 + ou −2,20, 8,90 +

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Ligne verticale de référence Ligne Pi

Ligne horizontale de référence

Angle Pi Le plus grand cercle tangent aux faces antérieures, supérieures et palatines du prémaxillaire

Le plus grand cercle tangent aux faces internes antérieures, inférieures et postérieures de la symphyse

Figure 2 D’après Kumar, et al. [3]. Construction de l’angle Pi (GG’M) et de la distance linéaire Pi (G’M’).

5. Conclusion Au termes d’une vie durant laquelle nous n’avons cessé de dire que les analyses conventionnelles étaient fausses dans leur principe et qu’elles constituaient « l’erreur du siècle », apparaissent deux méthodes d’analyse, celle de Cooke et Wei, brièvement exposée dans l’Orthodontie Française de septembre 2012 [6] et la « Pi » analyse, abrégée ci-dessus, qui ne comportent pas les causes d’erreur qui vicient les autres. Ces analyses peuvent donc donner un résultat vrai (apprécier dans quelle mesure des résultats

« vrais » aident à atteindre les buts du traitement orthodontique – santé de l’appareil et des fonctions orales et beauté du visage – est une autre question). Mais cette véracité à un prix : il faut adopter l’orientation naturelle de la tête. Et cette orientation a un défaut : elle est légèrement imprécise [3]. Toutefois, on peut préférer une indication imprécise et juste à l’indication précise et fausse des analyses conventionnelles. D’autre part, l’intérêt de l’orientation naturelle éclate avec évidence quand on contemple les photographies faites par Bjork et Downs, que nous avons reproduite dans notre article de 2012 [6]. Les références anatomiques ne gardent l’avantage que pour les études par superposition. Les orthodontistes adopteront l’orientation naturelle quand ils auront bien compris cette phrase paradoxale de Bhad [1] : « Cephalometrics is not an exact science ».

Bibliographie [1] Bhad WA, Nayak S, Doshi UH. A new approach of assessing sagittal dysplasia: the W angle. Europ J Orthodontics 2013;35:66–70. [2] Cooke MS, Wei SHY. A summary five–factor cephalometric analysis based on natural head posture and true horizontal. Am J Orthod Dentofacial Orthop 1988;93:213–223.

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ou −3,56 et de −3,30 + ou −2,30 mm, respectivement pour les groupes classe I, II et III. Les auteurs ne manquent pas de rappeler que, d’après Cooke et Wien [3], l’orientation naturelle de la tête varie, d’un moment à l’autre, beaucoup moins que les références intracrâniennes d’un sujet à l’autre. Commentaires : La mesure du décalage des bases n’est pas perturbée par le biais des variations des points de référence. Le petit nombre de points utilisés rend l’analyse facile. Le décalage des bases est bien visualisé par les deux mesures Pi.

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[3] Cooke MS, Wei SHY. The reproductibility of natural head posture: a methodological study. Am J Orthod Dentofac Orthop 1988;93:280–288. [4] Kamaluddin JM, Cobourne MT, Sheriff M, Bister D. Does the Eastman correction over- or under-adjust ANB for positional changes of N? Europ J Orthodontics 2012;34:719−723.

[5] Kumar S, Valiathan A, Gautam P, Chakravarthy K, Jayaswal P. An evaluation of the Pi analysis in the assessment of anteroposterior jaw relationship. J Orthod 2012;39: 262–269. [6] Philippe J. A la recherche d’une ligne céphalométrique de référence. Orthod Fr 2012;83:217–223.

[New developments in cephalometrics].

Recently l recalled the error in the principle which makes cephalometric analysis unsuitable for orthodontic diagnosis. Now, three methods of analysis...
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