Bull Cancer 2015; 102: S113–S116

Pancréas Les traitements néo-adjuvants peuvent permettre à des tumeurs non resécables de le devenir

Controverse • Pour

en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/bulcan www.sciencedirect.com

Antonio Sa Cunha Reçu le ... Accepté le ...

Service de chirurgie hépatobiliaire et transplantation hépatique, Centre hépatobiliaire, Hôpital Paul-Brousse, 12-14, avenue Paul-Vaillant-Couturier, 94800 Villejuif, France

Correspondance : Antonio Sa Cunha, Service de chirurgie hépatobiliaire et transplantation hépatique, Centre hépatobiliaire, Hôpital Paul-Brousse, 12-14, avenue Paul-Vaillant-Couturier, 94800 Villejuif, France. [email protected]

Keywords Neoadjuvant treatments Pancreatic cancer Surgery

 Résumé Quelle place pour une chirurgie des cancers du pancréas lorsque la resécabilité paraît initialement incertaine ? La réponse ne fait pas consensus comme l’illustre la controverse présentée ici. Cet article présente les arguments clés en faveur de la chirurgie.

 Summary Neoadjuvant therapy may allow unresectable tumors becoming resectable Should we consider surgery for pancreatic cancer when resectability seems initially uncertain? The answer is no consensual as illustrated by the controversy presented here. This article presents the key arguments in favor surgery.

D

epuis plusieurs années en Occident, l’incidence de l’adénocarcinome du pancréas est en constante augmentation. Ainsi, le cancer du pancréas est actuellement la quatrième cause de décès par cancer, avec des projections indiquant qu’il représentera en 2020 la deuxième cause de décès par cancer [1]. Ces résultats s’expliquent en grande partie par le retard au diagnostic de ces cancers. En effet, au moment du diagnostic, 80-90 % des cancers sont non resécables, soit du fait de métastases associées, soit en raison d’un envahissement vasculaire contre-indiquant la résection [2]. Le bilan initial (scanner et/ou imagerie par résonance magnétique [IRM]) est essentiel pour déterminer la resécabilité du

Bulletin du tome 102 > Suppl. au n°6 > Juin 2015 © 2015 Société Française du Cancer. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

cancer du pancréas. Une fois ce bilan réalisé, les tumeurs sont classées comme resécables, borderline, localement avancées ou métastatiques [3]. La chirurgie demeurant le seul traitement potentiellement curateur, il a semblé pertinent à certaines équipes d’essayer d’augmenter le nombre de malades pouvant accéder à la chirurgie. Ces dernières années, de nombreuses publications ont montré qu’une chirurgie secondaire après chimiothérapie et/ou radiochimiothérapie était possible, avec des résultats en terme de survie proches de ceux obtenus chez les malades resécables d’emblée. Les résultats de ces études rétrospectives et/ou

CANCER

S113

Mots clés Cancer du pancréas Chirurgie Traitements néo-adjuvants

Controverse • Pour

A. Sa Cunha

prospectives demeurent cependant difficiles à interpréter étant donné la grande hétérogénéité de la définition de la resécabilité et de la nature des traitements proposés dans ces différentes études [4]. Le but de ce travail est de définir les critères et les moyens d’évaluer la resécabilité, d’analyser les résultats des traitements « néo-adjuvants » et de la chirurgie secondaire chez les malades ayant des tumeurs borderline ou localement avancées, et d’essayer de déterminer les candidats à une chirurgie secondaire.

Évaluation et définition de la resécabilité

S114

Le scanner multi-barrettes avec injection de produit de contraste, avec un protocole pancréas (acquisition temps artériel tardif [temps pancréatique] et portal), est à l’heure actuelle le meilleur examen pour évaluer la resécabilité. La reconstruction multiplanaire permet de visualiser les rapports de la tumeur avec les structures vasculaires. Les études montrent que 70 à 85  % des malades jugés resécables au scanner peuvent effectivement avoir une résection de la tumeur. Les limites du scanner sont dues à l’impossibilité de diagnostiquer les petites métastases hépatiques superficielles et les petits nodules de carcinose péritonéale [3]. L’IRM pancréatique est moins efficace pour évaluer la resécabilité, mais permet de détecter (phase de diffusion) des lésions hépatiques non visibles au scanner, ou de caractériser des lésions hépatiques visibles au scanner. Elle peut permettre en cas de lésion pancréatique non visible au scanner, de faire le diagnostic de tumeur du pancréas [3]. L’écho-endoscopie est surtout utile pour identifier une tumeur du pancréas non visible au scanner. Elle joue un rôle majeur pour les tumeurs non resécables car elle permet la réalisation de ponctions indispensables à l’obtention de la preuve histologique de cancer du pancréas. À l’issue de ce bilan, en fonction de l’existence ou non de lésions extra-pancréatiques et des rapports entre la tumeur et les structures avoisinantes, en particulier les vaisseaux mésentériques supérieures et le tronc cœliaque et ses branches, il est possible de déterminer la resécabilité de la tumeur. Un consensus d’experts a récemment défini les modalités du bilan morphologique, les critères à évaluer qui doivent conduire à une standardisation du compte-rendu radiologique pour un cancer du pancréas [3]. Il existe différentes classifications des cancers du pancréas à l’issue du bilan de resécabilité, les différences portant surtout sur le curseur entre tumeur resécable et borderline. La classification du National Comprehensive Cancer Network est la plus communément admise [5]. En résumé, une tumeur est resécable lorsqu’il n’existe aucun contact artériel et veineux, ou si le contact veineux (veine porte ou veine mésentérique supérieure) est inférieure ou égale à 180 °, sans déformation de la veine. Une tumeur est localement (non resécable) avancée s’il existe une atteinte artérielle > 180 °, quelle que soit l’artère, ou une atteinte veineuse non reconstructible en raison d’une thrombose veineuse, ou atteinte

des branches jéjunales. Entre les deux, il s’agit d’une tumeur borderline qui peut être reséquée mais avec un risque très élevé de résection R1.

Traitements « néo-adjuvants » et chirurgie secondaire Dans ce paragraphe, seront analysés les résultats publiés dans la littérature concernant les tumeurs borderline et localement avancées ayant reçu un traitement néo-adjuvant et ayant été opérées secondairement. Actuellement, il n’existe pas d’étude randomisée comparant, chez des malades ayant des tumeurs borderline ou localement avancées, un traitement palliatif à traitement « néo-adjuvant » suivi d’une chirurgie secondaire. Dans la revue de la littérature de Gillen et al., 80 % des malades ayant une tumeur non resécable présentaient une réponse ou une stabilité de la maladie après le traitement néo-adjuvant. Une résection secondaire était possible chez 33,2 % des malades (25,8-41,1 %) avec des taux de R0 de 79,2 % (72,4-85,2 %) [4]. Ces résultats sont cependant difficiles à interpréter en raison des différences de définition de la non-resécabilité entre les séries, du mélange de tumeurs borderline et localement avancées. De plus, il existe une très grande hétérogénéité des protocoles de chimiothérapie et radiothérapies. Depuis l’étude de Conroy et al. [6], qui comparait chez les malades ayant un adénocarcinome du pancréas métastatique le folfirinox à la gemcitabine montrant une amélioration de la survie et du taux de réponse, le folfirinox suivi ou non de radiochimiothérapie a été utilisé chez des malades ayant des tumeurs borderline ou localement avancées. Ainsi, une étude multicentrique française, ayant inclus 77 malades avec des adénocarcinomes du pancréas localement avancés, a montré la bonne tolérance du folfirinox dans ce groupe de malades avec seulement 6 % des malades ayant nécessité un arrêt du traitement pour toxicité. Un contrôle tumoral et une réponse objective étaient obtenus respectivement chez 84 et 28 % des malades. Un traitement de clôture (radiothérapie et/ ou chirurgie) a été réalisé chez 75 % des malades. Au final, 36 % des malades ont eu une chirurgie à visée curative. Avec un suivi médian de 15 mois, la survie globale et sans progression à 1 an étaient respectivement de 77 et 59 % [7]. Récemment, Ferrone et al. ont rapporté les résultats de la chirurgie secondaire chez 40 malades ayant des tumeurs borderline et localement avancées traitées par folfirinox ± radiothérapie [8]. La morbidité était significativement inférieure dans le groupe folfirinox comparé au groupe chirurgie d’emblée (tumeurs resécables) (36 vs 63 % ; p = 0,006). Le taux de N+ et invasion péri-nerveuse était significativement diminué dans le groupe folfirinox (respectivement 35 vs 79 %, p  Juin 2015

Ces résultats sont confirmés par une étude multicentrique française, rapportant les résultats de 80 malades ayant soit une tumeur borderline (n = 47), soit une tumeur localement avancée (n = 33) traitées par folfirinox, puis radio-chimiothérapie chez 65 % d’entre eux [9]. Cette étude confirme l’absence de surmorbidité de la chirurgie secondaire, et en particulier un taux très faible de fistule pancréatique. Sur l’analyse histologique, 26 % des malades ont une réponse histologique majeure (ypT0 ou T1 N0) et 15 % ont une réponse histologique complète. Après un suivi médian de 38,2 mois, la survie médiane depuis le diagnostic, depuis la chirurgie et la survie sans récidive sont respectivement de 59,2 mois, 43,5 mois et 17,4 mois. L’ensemble de ces données et tout particulièrement les dernières études avec du folfirinox ±  radiothérapie semblent indiquer qu’il est possible, chez certains malades, d’obtenir une réponse permettant de réaliser secondairement une résection oncologiquement satisfaisante (R0) avec une morbidité acceptable et une survie au moins comparable à celle obtenue chez les malades resécables d’emblée.

Candidats à une chirurgie secondaire L’une des questions qui se posent au vu du paragraphe précédent est de savoir comment identifier les malades chez qui, après traitement néo-adjuvant, une résection R0 est possible. Différents travaux dans la littérature montrent que l’évaluation de la resécabilité après traitement néo-adjuvant est difficile et peu prédictive de la resécabilité. Cassinotto et al. ont montré qu’après traitement néo-adjuvant, le scanner évalue mal la resécabilité en raison d’une surévaluation de l’atteinte vasculaire [10]. La série de Ferrone et al. confirme ces données [8]. En effet, une relecture des scanners, en aveugle, des données cliniques, des malades secondairement reséqués après traitement néo-adjuvant, classait encore 70  % des tumeurs comme borderline ou localement avancées. La majorité des équipes proposent donc, chez les malades en bon état général, avec une diminution ou normalisation du CA 19-9 et sans progression sur le bilan d’imagerie, une laparotomie/scopie exploratrice qui, seule, permet de juger de la resécabilité de la tumeur. Après avoir éliminer l’existence de métastases hépatiques et/ou de carcinose péritonéale, une dissection première des axes vasculaires initialement au contact de la tumeur est

réalisée avec prélèvement des gaines vasculaires pour examen extemporané. Si l’ensemble des prélèvements est négatif, la résection est réalisée, si l’un des prélèvements est positif, la résection est contre-indiquée [11].

Conclusion Les progrès récents de la chimiothérapie des adénocarcinomes du pancréas, qui offrent des taux de réponse d’environ 30 %, permettent d’envisager chez des malades ayant des tumeurs non métastatiques non resécables des stratégies thérapeutiques ayant pour but d’amener à la résection certains de ces malades. Ces stratégies associant une chimiothérapie lourde suivie le plus souvent d’une radiothérapie avant la chirurgie ne peuvent et ne doivent être proposées qu’à des malades jeunes en bon état général. Le bilan initial est essentiel et doit permettre non seulement de juger de la resécabilité mais aussi de préciser l’existence d’envahissement vasculaire ainsi que le degré de cet envahissement. En effet, il faut éviter d’opérer un malade chez lequel la probabilité d’une résection R0 est faible, mais aussi pouvoir identifier les malades bordeline et localement avancés pour lesquels la probabilité de résection secondaire est différente. L’imagerie en coupe actuelle ne permettant pas d’évaluer correctement la resécabilité après traitement néo-adjuvant, l’indication chirurgicale doit être posée sur un faisceau d’arguments cliniques (bon état général, disparition des douleurs, reprise pondérale), biologiques (normalisation ou diminution des marqueurs tumoraux), morphologique (absence de progression de la maladie). Ces données doivent inciter à promouvoir des essais cliniques qui, seuls, permettront de montrer l’intérêt de ces stratégies. Il faut des essais dédiés aux tumeurs borderline et d’autres aux tumeurs localement avancées, car la probabilité d’obtenir une résection secondaire et les objectifs ne sont pas les mêmes. Il faut par ailleurs, au vu des résultats en terme de survie obtenus chez ces malades non resécables, se poser la question de la place du traitement néo-adjuvant chez les tumeurs resécables. Des essais français sont en cours de préparation pour les tumeurs resécables (PANACHE) et borderline (PANDAS), qui permettront certainement d’apporter des éléments de réponse.

Controverse • Pour

Les traitements néo-adjuvants peuvent permettre à des tumeurs non resécables de le devenir

Déclaration d’intérêts : L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références [3] Al-Hawary MM, Francis IR, Chari ST, et  al. Pancreatic ductal adenocarcinoma radiology reporting template: consensus statement of the society of abdominal radiology and the american pancreatic association. Gastroenterology 2014;146:291-304.

Bulletin du tome 102 > Suppl. au n°6 > Juin 2015

CANCER

[4] Gillen S, Schuster T, Meyer Zum, et  al. Preoperative/neoadjuvant therapy in pancreatic cancer: a systematic review and meta-analysis of response and resection percentages. PLoS Med 2010;7:e1000267. [5] National Comprehensive Cancer Network. Practice Guidelines in Oncology for Pan-

S115

[1] Rahib L, Smith BD, Aizenberg R, et al. Projecting cancer incidence and deaths to 2030: the unexpected burden of thyroid, liver, and pancreas cancers in the United States. Cancer Res 2014;74:2913-21. [2] Siegel RL, Miller KD, Jemal A. Cancer statistics, 2015. CA Cancer J Clin 2015;65:5-29.

S116

Controverse • Pour

A. Sa Cunha

creatic Adenocarcinoma-v.1. 2015. www. nccn.org [6] Conroy T, Desseigne F, Ychou M, et al. FOLFIRINOX versus gemcitabine for metastatic pancreatic cancer. N Engl J Med 2011;364:1817-25. [7] Marthey L, Sa-Cunha A, Blanc JF, et al. FOLFIRINOX forlocally advanced pancreatic adenocarcinoma: results of an AGEO multicentre prospective observational cohort. Ann Surg Oncol 2015;22295-301.

[8] Ferrone CR, Marchegiani G, Hong TS, et al. Radiological and surgical implications of neoadjuvant treatment with FOLFIRINOX for locally advanced and borderline resectable pancreatic cancer. Ann Surg 2015;261:12-7. [9] Pietrasz D, Wagner M, Sa Cunha A, et al. Adénocarcinomes du pancréas borderline et localement avancés réséqués après chimiothérapie d’induction par FOLFIRINOX : résultats d’une étude multicentrique AGEO/FRENCH. JPHOD 2015.

[10] Cassinotto C, Cortade J, Belleannée G, et  al. An evaluation of the accuracy of CT when determinin gresectability of pancreatic head adenocarcinoma after neoadjuvant treatment. Eur J Radiol 2013;82:589-93. [11] Denost Q, Laurent C, Adam JP, et al. Pancreaticoduodenectomy following chemoradiotherapy for locally advanced adenocarcinoma of the pancreatic head. HPB (Oxford) 2013;15:716-23.

Bulletin du

CANCER

tome 102 > Suppl. au n°6 > Juin 2015

[Neoadjuvant therapy may allow unresectable tumors becoming resectable].

Should we consider surgery for pancreatic cancer when resectability seems initially uncertain? The answer is no consensual as illustrated by the contr...
162KB Sizes 3 Downloads 6 Views