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CAS CLINIQUE

Métrorragie révélatrice d’un cancer du sein bilatéral synchrone : à propos d’un cas Metrorrhagia disclosing a synchronous bilateral breast cancer: Report case Z. Benkerroum a,*, A. Babahabib a, J. Kouach a, H. Chahdi b, A. Al Bouzidi b, D. Moussaoui Rehali a, M. Dehayni a a b

Service de gynécologie obstétrique, hôpital militaire d’instruction Mohammed V, avenue des FAR hay Riad, 10100 Rabat, Maroc Service d’anatomopathologie, hôpital militaire d’instruction Mohammed V, avenue des FAR hay Riad, 10100 Rabat, Maroc

Reçu le 10 octobre 2013 Disponible sur Internet le 8 janvier 2014

Résumé Les métastases génitales sont très rarement révélatrices d’un cancer du sein ; elles siègent exceptionnellement au niveau du col utérin. Ces localisations atypiques sont plus fréquentes lorsqu’il s’agit d’un cancer du sein multimétastatique ou d’un type histologique lobulaire infiltrant. L’association concomitante d’un cancer lobulaire infiltrant et canalaire infiltrant dans le cadre d’un cancer du sein bilatéral synchrone reste également une entité rare. Nous rapportons l’observation d’une patiente présentant un cancer du sein bilatéral synchrone, de types histologiques différents, révélé par des métrorragies causées par une métastase au niveau du col de l’utérus. ß 2013 Publié par Elsevier Masson SAS. Abstract Genital metastases are very rarely indicative of breast cancer; they are exceptionally located at the cervix. These atypical locations are more common when it comes to a metastatic breast cancer or a histological infiltrating lobular type. The simultaneous association of a lobular and a ductal infiltrating cancer under a synchronous bilateral breast cancer still remains a rare entity. In this work, we report the observation of a woman aged 48 who has a synchronous bilateral breast cancer, of different histological types, and who reported at first a genital bleeding which is caused by a metastasis in the cervix of the uterus. ß 2013 Published by Elsevier Masson SAS. Mots clés : Métastase génitale ; Cancer du sein bilatéral synchrone ; Carcinome lobulaire infiltrant ; Carcinome canalaire infiltrant ; Diagnostic Keywords: Genital metastasis; Synchronous bilateral breast cancer; Invasive lobular carcinoma; Invasive ductal carcinoma; Diagnosis

1. INTRODUCTION Les métastases génitales des tumeurs malignes sont rares, les métastases utérines constituent 4 % de ces atteintes

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected], [email protected] (Z. Benkerroum). 1297-9589/$ see front matter ß 2013 Publie´ par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.gyobfe.2013.11.009

génitales de toutes les tumeurs gynécologiques et extragynécologiques [1]. Ce sont des lésions souvent asymptomatiques découvertes fortuitement ou lors d’autopsies réalisées chez des patientes déjà suivies pour cancer du sein. Il est de ce fait exceptionnel que de telles métastases soient révélatrices de la maladie. Dans ce travail, nous rapportons le cas d’une patiente âgée de 48 ans qui s’est présentée à l’hôpital militaire d’instruction Mohammed V de Rabat (Maroc), pour saignement génital. Les

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examens cliniques, radiologiques et histologiques ont révélé la présence d’un cancer du sein bilatéral synchrone de types histologiques différents avec métastases au niveau du col utérin. 2. CAS CLINIQUE Il s’agit d’une patiente âgée de 48 ans mariée et mère de 5 enfants qui a consulté aux urgences gynécologiques pour métrorragies provoquées de moyenne abondance. Actuellement en périménopause, elle ne rapporte aucun antécédent médical ou chirurgical particulier, ni de cas de cancer dans sa famille. L’histoire de sa maladie remonte à 5 mois par l’installation de métrorragies, initialement provoquées post-coïtales de faible abondance qui ont augmenté progressivement de volume et devenues spontanées et de moyenne abondance, associées à des douleurs abdominopelviennes diffuses, le tout évoluant dans un contexte d’anorexie, d’amaigrissement et d’altération de l’état général. En outre, la patiente a rapporté une rétraction mamelonnaire bilatérale prédominant à gauche qui évolue depuis 7 mois. L’examen gynécologique a mis en évidence la présence d’une lésion ulcérée sur la lèvre postérieure du col, saignant au contact (Fig. 1). Au toucher vaginal, on a observé une induration du col qui était augmenté de volume sans masse latéro-utérine. Au toucher rectal, la masse cervicale était perceptible à travers la cloison recto-vaginale qui restait souple. L’examen des seins a objectivé une rétraction mamelonnaire bilatérale et prédominant à gauche avec une discrète peau d’orange mais sans signes inflammatoires (Fig. 2), correspondant à un empâtement diffus des deux seins sans véritable nodule ni adénopathie axillaire ou sus-claviculaire.

Fig. 1. Lésion de la lèvre postérieure du col utérin (flèche blanche).

Fig. 2. Aspect en peau d’orange des deux seins avec rétraction mamelonnaire.

L’étude histologique de la biopsie du col utérin a révélé un aspect en faveur d’une métastase cervicale d’un carcinome lobulaire infiltrant du sein grade I selon la classification de Scarff-BloomRichardson (SBR) ; l’examen microscopique a montré une paroi cervicale massivement infiltrée par un processus tumoral indifférencié d’allure épithéliale s’agençant le plus souvent en file indienne, mais également en amas, et suscitant un stroma desmoplasique (Fig. 3). Les cellules tumorales étaient pourvues de noyaux monomorphes excentrés à cytoplasme réduits renfermant volontiers des vacuoles sécrétoires. Une étude immuno-histochimique a été réalisée et a objectivé un marquage positif des cellules tumorales par les cytokératines AE1/AE3, un marquage nucléaire intense de plus de 90 % des cellules tumorales par l’anti-estrogène et l’anti-progestérone avec absence d’expression de l’E-cadhérine. La mammographie des deux seins est classée BIRADS IV de l’ACR (Fig. 4). Au niveau du sein gauche, le complément échographique a montré la présence d’une masse atténuante, mal limitée du quadrant inféro-externe mesurant 53 mm avec de multiples foyers d’atténuation sur les quatre quadrants et une adénopathie axillaire gauche mesurant 14 mm. Le sein du côté droit était le siège d’une infiltration hypoéchogène rétro-mamelonnaire prenant les quatre quadrants sans masse détectable, avec une adénopathie axillaire de 8 mm. Les microbiopsies réalisées sur les deux seins ont révélé la présence de cancers infiltrants synchrones bilatéraux de types histologiques différents ; le sein droit était siège d’un carcinome lobulaire infiltrant, identique au processus décrit au niveau du col utérin (Fig. 5). Le sein gauche était le siège d’un carcinome canalaire infiltrant classé grade II selon la classification SBR, aux récepteurs hormonaux à estrogène et à progestérone positifs (Fig. 5). L’Herceptest était positif sur les deux seins. Le bilan d’extension a compris une TDM thoraco-abdominopelvienne et cérébrale, et une IRM pelvienne et une scintigraphie osseuse. La TDM thoracique a objectivé un épanchement pleural bilatéral, deux nodules du segment latérobasal du lobe inférieur droit d’allure métastatique (Fig. 6) ainsi que des adénopathies médiastinales. La TDM abdominale a montré un épanchement péritonéal avec infiltration de la graisse mésentérique et des adénopathies iliaques primitives externes et inguinales bilatérales

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Fig. 3. Images anatomopathologiques de la biopsie du col utérin. a : coloration hématéine-éosine (G  40) : l’examen histologique montre une infiltration tumorale massive par des cellules non cohésives ; b : l’immuno-histochimie montre l’absence d’expression de l’E-cadhérine par les cellules tumorales. Les glandes endocervicales constituent un témoin interne positif ; c : l’immuno-histochimie montre une expression des cytokératines AE1 et AE2.

ainsi qu’un aspect hétérogène de la trame osseuse avec lyse et ostéocondensation de tout le rachis et des ceintures scapulaires et pelviennes. Par ailleurs, le foie, le pancréas et les surrénales étaient sans anomalies évidentes. L’IRM pelvienne a permis de décrire un processus cervical de la partie postérieure du col de 2 cm de grand axe (Fig. 7) et un comblement partiel du cul-de-sac vaginal antérieur, des ganglions de la chaîne obturatrice droite et inguinale bilatérale et des kystes ovariens bilatéraux. Néanmoins, la scintigraphie osseuse et la TDM cérébrale n’ont pas montré d’anomalie. Devant ce tableau de cancer du sein bilatéral synchrone multimétastatique, il a été décidé de réaliser 6 cures de chimiothérapie selon le protocole FEC 100 puis le traitement sera

complété par un an d’herceptine. Quelques jours après la deuxième cure de chimiothérapie, la patiente a manifesté des douleurs abdominales de la fosse iliaque droite avec syndrome subocclusif ayant nécessité une exploration chirurgicale. Une laparotomie médiane sous-ombilicale a alors été réalisée, elle a montré un pelvis congestif avec infiltration des trompes et des ovaires augmentés de volume ainsi qu’un appendice suppuré. La réalisation d’une appendicectomie et une annexectomie bilatérale a dévoilé un envahissement tumoral des ovaires et des trompes par un processus infiltrant révélateur d’un carcinome lobulaire (Fig. 8), et d’une appendicite aiguë non spécifique. Les suites opératoires ont été simples. Par la suite, la patiente a bénéficié de 4 cures de FEC 100, puis d’un an d’herceptine avec stabilisation des lésions durant cette période. Les examens de contrôle ont objectivé la persistance des lésions métastatiques diffuses et la patiente est décédée deux ans et trois mois après le diagnostic de sa maladie. 3. DISCUSSION

Fig. 4. La mammographie de face des deux seins droit (à droite) et gauche (à gauche) classée BIRADS IV.

La dissémination tumorale du cancer du sein se fait par voie hématogène et par voie lymphatique, elle intéresse en premier lieu le squelette (31 %), le poumon (19 %), la plèvre (12 %), le foie (9 %), le cerveau (4 %), les ganglions lymphatiques (24 %), la peau locale (22 %) et la peau à distance (7 %) [2]. Cependant, d’autres localisations moins habituelles ont été rapportées dans la littérature. L’étude de Caskey et al. [3] qui comprend les résultats de cinq séries d’autopsies, portant sur 1552 cas, a permis de relever la fréquence d’autres localisations métastatiques abdominales rares sur le péritoine, le tube digestif, l’appareil urinaire, le rétropéritoine et le tractus génital. L’atteinte de l’utérus est retrouvée dans 1 à 15 % des cas [4], les métastases sont localisées préférentiellement sur le myomètre [5], le col utérin ou plus rarement au niveau de l’endomètre. Il peut s’agir de localisation isolée ou entrer dans le cadre d’un cancer multimétastatique. Dans la littérature,

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Fig. 5. Images anatomopathologique des microbiopsies du sein gauche (a et b), et droit (c et d). a : la coloration hématéine-éosine (G  40) montre un carcinome canalaire infiltrant ; b : l’immuno-histochimie montre une réaction positive à l’anti-E-cadhérine ; c : la coloration hématéine-éosine (G  25) montre une infiltration du sein par un carcinome lobulaire infiltrant ; d : l’immuno-histochimie montre une réaction négative à l’anti-E-cadhérine.

seulement 26 cas de métastases cervicales d’un cancer du sein ont été rapportés et sont majoritairement des localisations multiples [6,7]. L’atteinte ovarienne est souvent microscopique, ce qui rend le diagnostic radiologique difficile et sous-estime sa fréquence [3,8]. Dans notre cas, cette localisation, suspectée radiologiquement par la présence de kystes ovariens bilatéraux au scanner pelvien, a été confirmée histologiquement après une annexectomie bilatérale. Cependant, il s’agit de la localisation génitale secondaire la plus fréquente du cancer du sein [6]. Les métastases génitales du cancer du sein sont l’apanage du carcinome lobulaire infiltrant surtout à récepteurs hormonaux positifs, ainsi que les métastases digestives, péritonéales, et rétropéritonéales [9]. De telles métastases peuvent être asymptomatiques, ou se manifester par des métrorragies comme cela est rapporté dans le présent travail et ailleurs [10]. Le diagnostic est évoqué lorsque la femme a un antécédent de

cancer du sein, mais peut être évoqué également en son absence. En effet, dans de rares situations, les métastases génitales sont révélatrices du cancer du sein, et le cas présent en est un. L’immuno-histochimie assoit le diagnostic dans les cas douteux en mettant en évidence une immunoréaction positive à la cytokératine AE1/AE3. Dans notre cas, le contexte clinique, l’aspect microscopique du processus cervical infiltrant ainsi que la grande similitude avec le processus tumoral présent sur le sein droit étaient suffisants pour confirmer le caractère métastatique du processus cervical, cependant l’étude immunohistochimique a été réalisée recherchant les cytokératines AE1 et AE3 ainsi que l’E-cadhérine et les récepteurs hormonaux à estrogène et à la progestérone.

Fig. 6. La TDM thoracique montre des nodules pulmonaires droits (flèches noires).

Fig. 7. L’IRM pelvienne montre un processus cervical de la lèvre postérieure (étoile).

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DÉCLARATION D’INTÉRÊTS Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. RÉFÉRENCES

Fig. 8. Image anatomopathologique de l’ovaire après coloration hématéineéosine (G  40) montrant l’infiltration massive de l’ovaire par un carcinome lobulaire.

Par ailleurs, il est classique de considérer la localisation sur le deuxième sein comme métastatique lorsqu’elle survient dans un contexte de métastases multiples. Cependant, dans l’observation rapportée, il s’agit bien de deux cancers distincts histologiquement. 4. CONCLUSION Le cancer du sein bilatéral avec des types histologiques différents est rare. Le mode de révélation de celui-ci par des métrorragies suites à la présence de métastases atypiques au niveau du col utérin n’a jamais été rapporté dans la littérature auparavant. Ces métastases peuvent rester longtemps silencieuses, ce qui impose un examen soigneux, clinique et radiologique d’autant plus qu’il existe un signe d’appel spécifique.

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[Metrorrhagia disclosing a synchronous bilateral breast cancer: report of a case].

Genital metastases are very rarely indicative of breast cancer; they are exceptionally located at the cervix. These atypical locations are more common...
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