Table ronde L’adolescente athlète (SFGEA)

Cycles menstruels et performance sportive : la gestion des cycles en compétition C. Maître Gynécologie, Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance, 11 avenue du Tremblay, 75012 Paris, France

L

e cycle menstruel physiologique est l’aboutissement du fonctionnement de l’axe hypothalamo-hypophyso-ovarien ou axe de la reproduction. Le générateur hypothalamique par la pulsatilité ordonnée des sécrétions de GnRH assure la régularité des sécrétions de FSH et LH, gonadostimulines hypophysaires, permettant les sécrétions séquencées de stéroïdes, la croissance, la maturation folliculaire et l’ovulation. La pulsatilité de GnRH est dépendante d’une régulation par rétro-contrôle et par de nombreux facteurs métaboliques, parmi lesquels les fonctions neuro-endocrines adrénergiques et thyroïdiennes, des endocannabinoïdes, des cytokines, et le niveau de disponibilité énergétique dont l’insuffisance peut générer les troubles du cycles de la sportive. La gestion des cycles en compétition est le fait de prolonger un cycle menstruel pour décaler les menstruations ; cette gestion des cycles peut correspondre à une demande de la sportive ; il est utile d’en faire préciser les motivations, le contexte de cycles artificiels sous contraception combinée œstroprogestative ou de cycles spontanés et la durée de la demande. La question se pose de la justification médicale de ce contrôle.

1. Les cycles peuvent- ils être une limite à la performance ? Si nous considérons le cycle menstruel et ses sécrétions ovariennes, la littérature met en évidence le rôle des stéroïdes sexuels dans les systèmes énergétiques mis en jeu au cours de l’activité sportive, schématiquement représentés par la filière énergétique anaérobie alactique dominant dans les exercices explosifs, la filière anaérobie lactique et la filière aérobie dominant dans les épreuves d’endurance  [1]. Rappelons que la mise en jeu des 3 systèmes sur lesquels interviennent les stéroïdes requiert une disponibilité énergétique suffisante et un apport en nutriments énergétiques adéquat. Au niveau du métabolisme glucidique, les œstrogènes favorisent l’entrée du glucose dans la cellule musculaire en activant la synthèse de protéines, les GLUT 4, qui jouent un rôle dans le transport intracellulaire de glucose, améliorant la sensibilité à l’insuline. Les études expérimentales chez les rates ovariectomisées traitées par un apport en œstrogène ont montré une augmentation de

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l’activité enzymatique de la voie de la glycogenèse, favorisant le stockage musculaire du glucose. Le rapport œstrogène sur progestérone avec un ratio élevé a une action positive sur le métabolisme énergétique glucidique. Il favorise l’utilisation des substrats énergétiques dans les exercices dits explosifs et le stockage de glycogène au niveau musculaire pour l’endurance. Dans les exercices de longue durée telle l’ultra endurance, œstrogène et progestérone diminuent de façon synergique l’activité enzymatique de la néoglucogenèse, effet qui est compensé par un apport régulier en substrats énergétiques lors des efforts très longs. Au niveau du métabolisme lipidique, les études expérimentales ont montré que les œstrogènes favorisent la lipolyse, induisant une augmentation de la disponibilité des acides gras libres plasmatiques, et améliorent le stockage musculaire des lipides par la stimulation de la lipoprotéine lipase musculaire et l’oxydation des acides gras libres au niveau du muscle. Au total, il existe une action positive des œstrogènes sur la disponibilité énergétique. Parallèlement, l’œstrogène favorise l’anabolisme protéique (récepteurs des œstrogènes sur les neurones à GnRH), le couple œstrogène-progestérone facilite le turn-over protéique. Les travaux récents ont établi que 7 semaines d’entraînement en aérobie augmentent le nombre de récepteurs aux œstrogènes au niveau des myofibrilles et amplifient la réponse aux œstrogènes.  Les sécrétions ovariennes de stéroïdes, qu’elles aient des fonctions synergiques ou agonistes, sont utiles au bon fonctionnement des métabolismes énergétiques mis en jeu au cours de l’activité sportive intense ; cependant, les variabilités individuelles et interindividuelles n’ont pas permis de retrouver une prédominance d’une phase du cycle par rapport à une autre, quoique certaines aient montré une optimisation en phase folliculaire tardive [1]. Nous pouvons en déduire que la prolongation de la phase lutéale progestative d’un cycle spontané pour décaler les règles n’optimisera pas la performance. Le cycle menstruel n’apparaît pas préjudiciable à la performance chez la sportive de haut niveau et ne justifie aucunement une gestion des cycles au moment des compétitions si on excepte les cas particuliers suivants qui amènent à une prise en charge diagnostique et thérapeutique avant de répondre à une demande de gestion des cycles [2] : • des menstruations abondantes entraînant une anémie ferriprive ; • l’apparition d’une insuffisance lutéale chronique avec syndrome prémenstruel important, constitué de façon variable

Cycles menstruels et performance sportive : la gestion des cycles en compétition

de symptômes physiques : prise de poids, ballonnement, mastodynie, crampes, laxité ligamentaire et de symptômes psychiques ou troubles de l’humeur tels l’irritabilité, la fatigue, une grande sensibilité au stress, des troubles du sommeil, voire une agressivité ; • une dysménorrhée sévère. La dysménorrhée est un symptôme fréquent dans la population générale, source d’absentéisme scolaire ; chez les sportives les études sont contradictoires. Une diminution de l’intensité de la dysménorrhée pendant la compétition a été rapportée possiblement liée à la sécrétion des bêta-endorphines. Nous avons étudié la dysménorrhée et le syndrome prémenstruel dans une population de sportives de haut niveau suivie à l’INSEP entre  2008 et  2009, soit 403 sportives d’âge moyen 22,5  ans (±  0,24) dont 60 % sous contraceptif hormonal. La dysménorrhée était définie dans le questionnaire comme une douleur pelvienne et/ou lombaire survenue juste avant les règles, le plus souvent aux premiers jours des règles. Les résultats montrent que 82,7 % des sportives avaient une dysménorrhée. Sur une échelle visuelle analogique, 16,7 % d’entre elles présentaient une douleur forte (cotée de 7 à 10), survenant pour 71 % d’entre elles les 2 premiers jours des règles. La douleur était significativement de plus faible intensité chez les sportives sous contraceptif. Chez les sportives sous contraception, la dysménorrhée était vécue comme acceptable significativement par rapport aux sportives sans contraception. Le syndrome prémenstruel était présent chez 84,2 % des sportives ; pour 6,2 % des sportives, le syndrome prémenstruel était perçu comme sévère et pour 2,6 % comme handicapant ; celles prenant une contraception sont statistiquement celles qui considéraient les symptômes comme normaux, modérés, acceptables. Les symptômes les plus représentés sont la fatigue, la prise de poids prémenstruelle, les troubles de l’humeur et la mastodynie. Les conséquences sont un retentissement sur la performance pour 26,1 %, une absence à l’entraînement (5,2 %) et un absentéisme scolaire (6,2 %).

À la question posée « souhaitez-vous une absence de règles : pendant les compétitions, les entraînements, les vacances  ? », 51,2 % des sportives répondent souhaiter une absence des règles en compétition, 11,4 % pendant les entraînements et 14,6 % pendant les vacances. Les sportives sous contraception sont significativement plus nombreuses par rapport à celles sans contraception à demander une absence de règles pendant les compétitions et les vacances. À la question posée sur la durée d’aménorrhée souhaitée, moins de 3 mois, supérieure à 3 mois, ou à 6 mois, 266 sportives ont répondu : 23,7 % des sportives expriment le souhait d’aménorrhée inférieure à 3 mois, 4,9 % de plus de 3 mois et 21,8 % des sportives de plus de 6 mois. Ces résultats montrent que près d’une sportive sur 2 ne souhaite pas modifier son cycle pendant les compétitions.

2. La demande de gestion des cycles chez les sportives de haut niveau

[1] Oosthuyse T, Bosch AN. The effect of the menstrual cycle on exercise metabolism. Implications for exercise performance in eumenorrhoeic women. Sports Med 2010;40:207-27. [2] Maître C. Les troubles du cycle de la sportive. Diagnostic et prise en charge. Science & Sports 2013;28:97-102.

Les motivations sont l’imprévisibilité des règles, la dysménorrhée, le syndrome prémenstruel, la survenue de règles abondantes.

3. L’aménagement des cycles et le rôle des œstroprogestatifs combinés Chez une sportive sous contraceptif, la proposition est de s’abstenir de la pause habituelle entre 2 cycles ou de prolonger la prise de la durée égale à celle souhaitée ; un risque de spotting par atrophie de la muqueuse apparaît au-delà de 3 cycles. Ces prescriptions tiennent compte des contre- indications et précautions d’emploi des œstroprogestatifs combinés.

4. Conclusion L’aménagement des cycles en compétition relève d’une prise en charge adaptée à chacune, réévaluée régulièrement. Il n’y a pas d’antinomie entre la performance sportive et la physiologie féminine.

Références

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[Menstrual cycle and athletic performance: management of menstruation in competition].

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