RE´FLEXIONS SUR L’E´THIQUE DU LEADERSHIP EN SANTE´

´ ´ L’ethique, la rhetorique et les attentes : les ´ et les obligations des responsabilites syste`mes de sante´

Forum Gestion des soins de sant´e 2015, Vol. 28(1) 43-45 ª 2015 Colle`ge canadien des leaders en sant´e. Tous droits r´eserv´es. R´eimpressions et permissions : sagepub.com/journalsPermissions.nav DOI : 10.1177/0840470414554153 hmf.sagepub.com

Tom Foreman, DHCE, MA, MPIA

« Les quatre fins du discours sont d’´eclairer la compr´ehension, de plaire a` l’imagination, de solliciter la passion et d’influencer la volont´e. » – George Campbell1 « [La rh´etorique,] ce puissant instrument d’erreur et de fourberie » – John Locke2

Lors d’un r´ecent congre`s commandit´e par l’industrie portant sur l’utilisation inad´equate des interventions et des traitements de haute technologie, particulie`rement a` l’unit´e de soins intensifs en fin de vie, il a e´ t´e recommand´e que les syste`mes de sant´e trouvent des moyens de « recentrer les attentes des patients et des familles », comme s’ils s’´etaient mis, sans y eˆ tre incit´es, a` exprimer des attentes irr´ealistes envers la m´edecine moderne a` cause des technologies de pointe ou dans les situations de fin de vie. Les participants ne se sont toutefois pas interrog´es sur la gene`se de ces attentes irr´ealistes. La r´eponse est triple. D’abord, le syste`me de sant´e a contribu´e a` les cr´eer. Ensuite, les patients et les familles se forment leurs propres attentes. Enfin, les soci´et´es et les collectivit´es cr´eent des attentes envers les syste`mes de sant´e et les dispensateurs de soins. Les syste`mes de sant´e ne peuvent pas eˆ tre responsables des attentes que se cr´eent les patients et les familles, mais les travailleurs de la sant´e ont ind´eniablement une responsabilit´e a` l’´egard des attentes que les syste`mes de sant´e contribuent a` cr´eer.

´ L’enjeu ethique Chez les participants au congre`s, on s’entendait pour affirmer qu’une minorit´e de patients et de familles exigent des interventions « futiles » en fin de vie et qu’en y acquiesc¸ant, on exerce des pressions consid´erables sur les syste`mes de sant´e tout en alimentant la d´etresse morale des dispensateurs. En e´ thique, on justifie couramment l’absence d’obligation de fournir des interventions m´edicales « futiles », en pr´ecisant que ce sont celles que les dispensateurs conside`rent comme pr´ejudiciables pour le patient. Cette d´efense est d´eriv´ee de l’obligation e´ thique de non-mal´eficience tir´ee de l’approche principaliste de Beauchamp et Childress. Un tel syste`me de d´efense soule`ve plusieurs questions si l’on tient compte de l’origine des attentes des patients et des familles ainsi que des obligations et responsabilit´es des syste`mes a` conforter la cr´eation d’attentes

lorsqu’ils « vendent » des soins de sant´e aux « consommateurs ». Les syste`mes de sant´e ont-ils l’obligation e´ thique d’´eviter de se vendre excessivement, eux et leurs services? Le fait d’inciter les patients et les familles a` former des attentes irr´ealistes est-il une fac¸on d’« eˆ tre pr´ejudiciable »? En acceptant la d´efinition de la rh´etorique selon Campbell, le milieu de la sant´e est-il coupable « d’erreur et de fourberie » au sens que leur donne Locke? Songez seulement a` deux exemples de cr´eation d’attentes utilis´es dans le cadre de campagnes de collecte de fonds pour le milieu de la sant´e: « Attendez-vous a` des miracles » et « Vainquons le cancer de notre vivant ». On peut se demander si de telles strat´egies de marketing respecteraient la norme d’interdiction des « publicit´es mensonge`res » applicables a` la vente de produits. Les normes canadiennes de la publicit´e (NCP), dans le Code canadien des normes de ´ d´efinissent la publicit´e comme « tout message la publicite, (dont le contenu est controˆl´e directement ou indirectement par l’annonceur) qui s’exprime dans quelque langue que ce soit et qui est diffus´e par quelque m´edia que ce soit . . . , dans le but de rejoindre les Canadiens afin d’influencer leurs choix, leurs opinions ou leurs comportement. »3 Puisque l’objectif vis´e par les campagnes de marketing des fondations du milieu de la sant´e consiste a` « influencer [les] choix, [les] opinions et [les] comportements » en demandant l’aide financie`re du grand public, il semble que ces campagnes constituent bel et bien de la « publicit´e ». Dans le syste`me de sant´e actuel, une partie du financement li´e a` la recherche et aux progre`s technologiques provient d’activit´es de collecte de fonds des fondations hospitalie`res. Les fondations brassent de grosses affaires et peuvent fonctionner dans un vide e´ thique. En effet, de nombreuses fondations ne demandent pas l’avis e´ thique d’experts lorsqu’elles e´ laborent leurs campagnes de collecte de fonds, leurs re`gles et politiques ou leur fonctionnement quotidien. De plus, elles ne se sentent pas tenues de respecter les normes de publicit´e, en raison de la perception qu’il ne s’agit pas de publicit´e, mais bien de collecte de fonds. Aucun e´ thicien professionnel du milieu de la sant´e pr´esent au congre`s dont il a e´ t´e question plus haut n’a indiqu´e avoir e´ t´e consult´e par la fondation de son organisation Auteur-ressource : Tom Foreman, DHCE, MA, MPIA, directeur, d´epartement d’´ethique clinique et organisationnelle, L’Hoˆpital d’Ottawa, Ottawa (Ontario), Canada. Courriel : [email protected]

44 pour soutenir ou orienter la pr´eparation des campagnes de collecte de fonds. Les fondations en viennent a` se demander comment inciter les gens a` donner pour leur cause plutoˆt que pour la foule d’autres causes valables. Souvent, elles d´ecident d’attiser les e´ motions et de promettre des r´esultats irr´ealistes. Elles y parviennent en accroissant les attentes. Ainsi, plutoˆt que de demeurer ancr´es dans la r´ealit´e, les patients, les familles et les collectivit´es rehaussent leurs attentes en fonction des promesses et des messages d’espoir exag´er´es v´ehicul´es dans bien des publicit´es des fondations du milieu de la sant´e. Dans un effort pour att´enuer les attentes irr´ealistes, les organisations de la sant´e jettent souvent la pierre a` ceux qui ont cru aux enflures publicitaires et recommandent qu’ils revoient leurs attentes a` la baisse et fassent preuve de « r´ealisme », tandis que le syste`me continue de leur vendre des rˆeves et de l’espoir. Malheureusement, les fondations ne vendent pas la r´ealit´e. Elles vendent des rˆeves et des promesses d’am´eliorations, elles vendent l’espoir de l’avenir. Les fondations recourent a` la rh´etorique au sens que lui attribue Campbell. Elles « plaisent a` l’imagination » et promettent de traiter et de gu´erir les affections, les maladies et les pathologies qui effraient et limitent la vie, elles « sollicitent les passions » et « influencent [nos] choix, [nos] opinions et [nos] comportements », elles « influencent la volont´e » en nous faisant croire que le syste`me de sant´e vaincra bel et bien le cancer de notre vivant ou que nos enfants profiteront r´eellement d’un miracle, pourtant toujours insaisissable.

La transparence et la responsabilite´ De plus en plus, les organisations de la sant´e doivent prendre des d´ecisions transparentes et responsables. Cette obligation est en partie d´emontr´ee par l’assujettissement r´ecent des hoˆpitaux de l’Ontario a` des lois sur la libert´e de l’information, comme la ´ 4 Loi sur l’acce`s `a l’information et la protection de la vie privee, et par l’utilisation croissante de cadres d’´ethique comme le mode`le de « responsabilit´e du caracte`re raisonnable » en cinq volets de Norman Daniels, qui inte`gre des valeurs comme l’inclusion, le caracte`re raisonnable, la responsabilit´e, la r´eceptivit´e et la transparence.5 Cet accent sur la transparence est e´ galement refl´et´e en pratique clinique ou`, sur le plan de la loi et de l’´ethique, les dispensateurs de soins sont tenus de fournir de l’information exacte aux patients, dans le cadre d’un processus de consentement e´ clair´e. Le raisonnement qui sous-tend cette nouvelle insistance sur la transparence et la responsabilit´e est simple. Dans une organisation, du moins dans le syste`me de sant´e publique, ´ l’ensemble de la population est proprietaire du syste`me. Le public a donc droit a` de l’information claire qui n’est pas mensonge`re ou autrement alt´er´ee. Le mˆeme principe s’applique a` chaque patient. En clinique, les patients sont pro´ prietaires de leur corps et ont droit a` l’information n´ecessaire pour prendre des d´ecisions e´ clair´ees sur leurs soins. Cette re`gle est codifi´ee dans la Loi sur le consentement aux soins de sante´ de l’Ontario.6 En e´ thique, il est

Forum Gestion des services de sant´e inacceptable qu’une organisation ou qu’un dispensateur de soins d´enature de l’information importante. Par exemple, il serait contraire a` l’´ethique qu’une organisation de sant´e affirme a` la collectivit´e que ses finances sont saines alors qu’elles ne le sont pas. De mˆeme, il serait ill´egitime qu’un dispensateur de soins affirme a` un patient mourant qu’il est en parfaite sant´e. Si l’on convient du caracte`re douteux de d´enaturer des faits ou de l’information en ce sens sur le plan e´ thique, il faut e´ galement remettre en question le discours et les messages privil´egi´es lors des collectes de fonds dans l’industrie de la sant´e. Compte tenu de l’´evolution rapide de la technologie, nous pouvons intervenir mieux que jamais dans le processus de la mort, continuant ainsi a` « lutter » contre les maladies et a` alimenter l’espoir d’un miracle. Ce peut eˆ tre raisonnable, mais une rh´etorique uniquement ax´ee sur une capacit´e irr´ealiste de r´ealiser des miracles ou des vaincre des maladies ne laisse aucune place aux discussions sur les mesures a` prendre lorsque le miracle ne se r´ealise pas ou que le patient est accabl´e par sa maladie. Est-il convenable de favoriser une lutte constante contre la maladie mˆeme aux derniers instants, lorsqu’il n’y a plus rien a` faire? Est-ce la` une utilisation judicieuse de ressources fort limit´ees? Le docteur Atul Gawande, dans son article Letting Go publi´e dans le New Yorker, aborde ces questions : [notre traduction] « Il reste presque toujours une possibilit´e [de miracle], quelque infime qu’elle soit. Qu’y a-t-il de mal a` la chercher? Rien, me semble-t-il, a` moins d’avoir omis de se pr´eparer a` l’issue la plus probable. Malheureusement, nous avons baˆti le syste`me m´edical et la culture qui l’entoure sur la possibilit´e la plus infime. Nous avons cr´ee´ un e´ difice de plusieurs billions de dollars pour offrir l’´equivalent m´edical de billets de loto, tandis que nous nous appuyons sur les rudiments d’un syste`me pour pr´eparer les patients a` la quasi-certitude qu’ils n’ont pas le billet gagnant entre les mains. L’espoir n’est pas un plan, mais c’est le noˆtre. »7

Il va sans dire qu’il faut recadrer les attentes des patients, des familles et de la soci´et´e a` l’´egard de ce que le syste`me de sant´e peut raisonnablement r´ealiser. Il faut e´ galement respecter l’obligation e´ thique du syste`me de ne pas gonfler artificiellement les attentes. Pour ce faire, toutes les parties doivent en assumer la responsabilit´e, e´ changer des points de vue d’´egal a` e´ gal et collaborer pour favoriser des communications plus ouvertes, plus honnˆetes et plus transparentes.

Un cadre possible Les normes canadiennes de la publicit´e (NCP) ont r´edig´e le ´ qui pourrait servir Code canadien des normes de la publicite, de cadre aux mode`les de marketing et de publicit´e des fondations du milieu de la sant´e en vue d’amasser des dons. Ce type de marketing et de publicit´e d´epasse peut-ˆetre la port´ee du code. Rien n’oblige donc a` le respecter, mais une adh´esion volontaire permettrait de r´egler bon nombre des pr´eoccupations soulev´ees dans le pr´esent article. Par ailleurs, il va sans dire

Foreman que le type de marketing privil´egi´e respecte la d´efinition de « publicit´e » e´ nonc´ee dans le code. Il est normal que les syste`mes de sant´e encouragent les patients, les familles et l’ensemble de la soci´et´e a` se former des attentes r´ealistes envers les accomplissements de la m´edecine moderne, malgr´e l’´etendue de sa technologie, de ses comp´etences et de son expertise. Il incombe e´ galement a` ces syste`mes d’examiner leur propre roˆle dans la cr´eation et l’´evolution de ces attentes et, dans la mesure du possible, de s’assurer de ne pas contribuer au proble`me. Graˆce a` l’adoption de normes et de directives comme celles propos´ees dans le Code canadien des normes de la publicite´ des NCP, les organisations peuvent respecter leurs obligations e´ thiques tout en continuant de chercher du soutien et du financement pour leur travail. Note de l’auteur Une version de cet article a d´eja` e´ t´e publi´ee dans le Journal of Bioethical Inquiry.

45 ´ erences ´ Ref 1. Campbell G. The Philosophy of Rhetoric. Whitefish, MT: Kessinger; 2004. 2. Locke J. Essai sur l’entendement humain. Paris, France: Le livre de poche; 2009. 3. Les normes canadiennes de la publicit´e. Le Code canadien des normes de la publicit´e, f´evrier 2014. 4. Loi sur l’acce`s a` l’information et la protection de la vie priv´ee, L.R.O. 1990. Consult´e le 30 septembre 2014 a` l’adresse www. e-laws.gov.on.ca/html/statutes/french/elaws_statutes_90f31_f.htm. 5. Daniels N. Accountability for reasonableness. BMJ. 2000; 321(7272): 1300-1. 6. Loi de 1996 sur le consentement aux soins de sant´e, 1996, L.O. Consult´e la 30 septembre 2014 a` l’adresse www.e-laws.gov.on. ca/html/statutes/french/elaws_statutes_96h02_f.htm. 7. Gawande A. Letting go: what should medicine do when it can’t save your life? The New Yorker. 2010. Consult´e le 30 septembre 2014 a` l’adresse www.newyorker.com/reporting/2010/08/02/100802fa_fact_ gawande.

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