ARCPED-3920; No of Pages 4

Rec¸u le : 19 aouˆt 2014 Accepte´ le : 20 fe´vrier 2015

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Fait clinique

Syndrome de Lemierre re´ve´le´ par un torticolis Lemierre syndrome revealed by torticollis R. Ben Abdallah Chabchouba,*, A. Riqueta, A. Ramdaneb, L. Valle´ec, S. Raccoussota a

Service de me´decine et chirurgie de l’enfant, centre hospitalier de Douai, route de Cambrai, 59507 Douai, France b Service de radiologie, centre hospitalier de Douai, route de Cambrai, 59507 Douai, France c Service de neuro-pe´diatrie, hoˆpital Roger-Salengro, rue du Professeur-E´mile-Laine, 59037 Lille, France

Summary

Re´sume´

Classical Lemierre syndrome is a rare and severe disease with thrombosis of the internal jugular vein and metastatic infections. We report on a case of Lemierre-like syndrome secondary to mastoiditis, with a favorable outcome, in a healthy infant presenting with torticollis. Early diagnosis and treatment with antibiotics are necessary to decrease mortality. ß 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Le syndrome de Lemierre classique est une affection rare et grave qui associe une thrombose de la veine jugulaire interne et des emboles septiques. Nous rapportons un cas d’une variante se´me´iologique de ce syndrome secondaire a` une mastoı¨dite, d’e´volution favorable, chez un enfant en bonne sante´, aux ante´ce´dents d’otite moyenne aigue¨ et consultant pour un torticolis non fe´brile. Un diagnostic rapide et la mise en route d’un traitement adapte´ sont ne´cessaires pour re´duire le taux de mortalite´. ß 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

1. Introduction Le syndrome de Lemierre classique est un e´tat septique rare et grave a` point de de´part ce´phalique associant une thrombose de la veine jugulaire interne et des emboles septiques. Cette affection atteint des enfants et des adultes en bonne sante´. Le pronostic de´pend de la pre´cocite´ de la prise en charge. Nous rapportons une variante se´me´iologique de ce syndrome.

2. Observation Cette enfant aˆge´e de 5 ans, sans ante´ce´dents particuliers, notamment traumatiques, a consulte´ au service d’accueil des urgences pe´diatriques (SAUP) pour un torticolis. Elle

* Auteur correspondant. e-mail : [email protected] (R. Ben Abdallah Chabchoub).

pre´sentait une fie`vre depuis 4 jours et une otalgie gauche, et avait rec¸u un traitement par amoxicilline (50 mg/kg/jour) pendant 10 jours pour une otite moyenne aigue ¨. L’apyrexie avait e´te´ obtenue au bout de 48 heures d’antibiothe´rapie. Au 10e jour du traitement, elle s’e´tait plainte de cervicalgies et de vomissements sans fie`vre. A` l’arrive´e au SAUP, elle e´tait apyre´tique et pre´sentait une raideur cervicale spontane´e aggrave´e par la mobilisation du cou. A` l’examen neurologique, elle e´tait consciente, mais refusait de parler et n’avait pas de de´ficit sensitivomoteur. Ses pupilles e´taient syme´triques et re´actives et elle n’avait pas de ptoˆsis. L’examen du pharynx ne montrait pas de voussure pharynge´e ni de trismus, ni de douleur a` la palpation des mastoı¨des. L’otoscopie et l’audition e´taient normales. Le bilan biologique a montre´ un syndrome inflammatoire avec une prote´ine C re´active (CRP) a` 199 mg/l, une hyperleucocytose a` 11 400/mm3 et une thrombocytose a` 752 000/mm3. Le scanner ce´re´bral avec injection de produit de contraste re´alise´ en urgence a re´ve´le´ une mastoı¨dite gauche et, du meˆme coˆte´, une thrombose e´tendue de la

http://dx.doi.org/10.1016/j.arcped.2015.02.019 Archives de Pe´diatrie 2015;xxx:1-4 0929-693X/ß 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

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ARCPED-3920; No of Pages 4 R. [(Figure_1)TD$IG] Ben Abdallah Chabchoub et al.

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Figure 1. Tomodensitome´trie ce´re´brale : comblement des cellules mastoı¨diennes gauches.

Figure 3. Angio-imagerie par re´sonance magne´tique ce´re´brale : thrombose inte´ressant le sinus sagittal supe´rieur, le sinus transverse et sigmoı¨de gauche s’e´tendant vers le bas a` la veine jugulaire interne gauche (fle`che).

veine jugulaire interne, du sinus sigmoı¨de et du sinus longitudinal supe´rieur et late´ral (fig. 1). L’imagerie par re´sonance magne´tique (IRM) ce´re´brale et l’angio-IRM (fig. 2 et 3) e´taient en faveur d’une thrombophle´bite ce´re´brale. Le fond d’œil a montre´ un œde`me papillaire bilate´ral et une tortuosite´ veineuse pe´ri-papillaire. La radiographie pulmonaire e´tait normale. Le bilan de thrombophilie (homocystinurie, anticorps antinucle´aires, anti-cardiolipines, anti-phospholipides) n’a re´ve´le´ aucune anomalie. La prise en charge the´rapeutique a consiste´ en une antibiothe´rapie par ceftriaxone, me´tronidazole

[(Figure_2)TD$IG]

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et un drainage chirurgical de la mastoı¨de avec ouverture du sinus sigmoı¨de et pose d’un ae´rateur transtympanique. En perope´ratoire, une thrombophle´bite avec du pus dans le sinus sigmoı¨de a e´te´ constate´e. L’antibiothe´rapie a e´te´ parente´rale durant 14 jours puis orale par amoxicilline-acide clavulanique pendant un mois. En raison de l’aspect e´tendu de la thrombose veineuse ce´re´brale, une anticoagulation a e´te´ initialement instaure´e par he´parine de bas poids mole´culaire relaye´e par warfarine. L’enfant a e´galement rec¸u de l’ace´tazolamide pour acce´le´rer la re´sorption de l’œde`me papillaire. Les pre´le`vements bacte´riologiques perope´ratoires se sont ave´re´s ne´gatifs. Deux mois plus tard, l’examen clinique e´tait normal et le controˆle par IRM a montre´ la disparition de la thrombose ce´re´brale.

3. Discussion

Figure 2. Imagerie par re´sonance magne´tique ce´re´brale : thrombose inte´ressant le sinus transverse et sigmoı¨de gauche (fle`che).

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Le syndrome de Lemierre classique et le syndrome Lemierrelike sont des affections rares dont la pre´valence se situe autour de 0,6 a` 2,3 par million en Europe. Son incidence semble augmenter depuis l’utilisation raisonne´e des antibiotiques [1]. Elle se rencontre chez le sujet jeune, de sexe masculin dans 75 % des cas, sans facteur pre´disposant particulier [2]. Le syndrome de Lemierre classique associe une thrombophle´bite d’une ou des deux veines jugulaires internes ou de ses affluents et une infection oto-rhino-laryngologique (ORL) (angine, rarement otite ou mastoı¨dite) par des bacilles gram ne´gatifs anae´robies : Fusobacterium necrophorum dans environ 80 % des cas. Il peut se compliquer d’emboles septiques le plus souvent pulmonaires, oste´o-articulaires, neurologiques (me´ningite, syndrome de Claude Bernard-Horner, abce`s, thrombose du sinus sigmoı¨de), cardiaques ou oculaires

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Syndrome de Lemierre

[2–4]. Dans le cas de notre observation, le foyer infectieux e´tait une mastoı¨dite masque´e, a` tympan normal. C’est une forme particulie`rement trompeuse dont le diagnostic n’est fait que devant l’apparition de complications, notamment endocraˆniennes et en particulier une thrombophle´bite ce´re´brale. Le syndrome de Lemierre n’e´pargne pas le nourrisson et les enfants qui repre´sentent 20 % des cas. Le foyer primitif dans cette tranche d’aˆge est souvent une otite [1]. Nous n’avions pas isole´ de germe ce qui pourrait eˆtre lie´ au fait que l’infection initiale soit passe´e inaperc¸ue et a` la nature du traitement instaure´. L’infection initiale est localise´e au niveau ORL ou stomatologique et s’e´tend dans l’espace late´ro-pharynge´ soit par contiguı¨te´ soit par voie lymphatique ou veineuse. La thrombose de la veine jugulaire interne est favorise´e par la stase veineuse et surtout le pouvoir pathoge`ne du fusobacterium sur l’endothe´lium, ainsi que par la production d’exotoxines dans la veine jugulaire. La thrombose peut s’e´tendre aux sinus veineux en amont comme dans notre observation. Sur le plan pathoge´nique, le syndrome de Lemierre e´volue en trois stades : il commence par une infection de la sphe`re ORL puis il s’e´tend par contiguı¨te´ au niveau des espaces pe´ri-pharynge´ et re´tropharynge´. Le troisie`me stade comprend la constitution de la thrombose septique de la veine jugulaire interne puis la formation d’emboles septiques vers diffe´rents organes. Un diagnostic pre´coce et un traitement antibiotique adapte´ comme dans notre observation permettent de pre´venir la progression de la thrombose. Ainsi, graˆce aux progre`s de l’imagerie et de l’antibiothe´rapie, la triade classique du syndrome de Lemierre peut manquer comme dans notre observation [5]. Les symptoˆmes le plus souvent observe´s sont la fie`vre, l’odynophagie, la douleur, une tume´faction cervicale, un trismus, un torticolis, plus rarement une atteinte des nerfs craˆniens, des signes abdominaux ou une douleur thoracique [1]. Dans notre observation, le tableau clinique e´tait assez atypique, il associait un torticolis non fe´brile, une odynophagie et des ante´ce´dents d’otite. Le diagnostic de syndrome de Lemierre est clinique, les analyses biologiques montrent un syndrome inflammatoire important. La bacte´riologie aide au diagnostic en isolant F. necrophorum dans les he´mocultures ou dans d’autres pre´le`vements mais la ne´gativite´ des cultures ne doit pas e´liminer le diagnostic et retarder le traitement [1,6]. Dans le cas de notre observation, l’enfant avait pre´sente´ une infection ORL se´ve`re dont attestait le syndrome inflammatoire important et qui avait bien re´pondu aux antibiotiques. La technique de biologie mole´culaire est une technique prometteuse mais elle n’est pas de pratique courante [1]. La confirmation diagnostique et le suivi the´rapeutique reposent sur l’imagerie ce´re´brale, en particulier l’IRM [7]. Il n’existe pas de recommandations consensuelles concernant l’anticoagulation. Pour de nombreux auteurs, elle permet de re´duire la dure´e d’e´volution de la thrombose. Dans le cas de notre observation, elle a e´te´ utilise´e en raison du caracte`re

e´tendu de la thrombose. Le traitement anticoagulant est maintenu jusqu’a` reperme´alisation des veines ce´re´brales [8]. Le traitement antibiotique doit couvrir les germes anae´robies meˆme s’ils n’ont pas e´te´ isole´s sur les pre´le`vements. Ainsi, on utilise par voie parente´rale une pe´nicilline, la clindamycine ou une ce´phalosporine de deuxie`me ou troisie`me ge´ne´ration, associe´e au me´tronidazole. Le relais per os est envisageable apre`s la constatation d’une ame´lioration clinique et biologique, par un antibiotique adapte´ au germe identifie´ sur les pre´le`vements. En cas de ste´rilite´ des cultures, le relais doit eˆtre pris avec l’association amoxicilline-acide clavulanique. La dure´e totale de l’antibiothe´rapie est de 6 semaines [1–3]. L’amoxicilline est recommande´e en premie`re intention par l’Agence franc¸aise de se´curite´ sanitaire des produits de sante´ (Afssaps) pour le traitement de l’otite moyenne aigue ¨, a` la dose de 80–90 mg/kg/j en 3 prises pendant 8–10 jours avant 2 ans et 5 jours au-dela` de 2 ans. Une prescription d’antibiotiques incorrecte ou inade´quate dans l’otite moyenne aigue ¨ peut masquer les signes cliniques de la mastoı¨dite, comme dans notre observation. Les indications de la mastoı¨dectomie par certaines e´quipes sont la pre´sence d’abce`s sous-pe´rioste´s, d’une complication intracraˆnienne et l’e´chec du traitement me´dical. D’autres e´quipes, comme dans notre observation, pre´conisent le drainage de l’abce`s par voie re´tro-auriculaire sans mastoı¨dectomie, associe´ a` un ae´rateur transtympanique et a` une antibiothe´rapie, une alternative moins invasive re´cemment propose´e par Bauer et al. [9]. La survie sans se´quelle de´pend de la pre´cocite´ du diagnostic et du de´but de la prise en charge.

4. Conclusion Le syndrome de Lemierre est une affection rare et grave secondaire a` une affection banale de la sphe`re ORL. Il doit eˆtre e´voque´ devant toute infection ORL s’accompagnant de douleurs late´ro-cervicales. L’imagerie est la cle´ du diagnostic. Le traitement n’est pas consensuel mais une antibiothe´rapie a` large spectre par voie parente´rale associe´e a` une anticoagulation semble efficace.

De´claration d’inte´reˆts Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article.

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[Lemierre syndrome revealed by torticollis].

Classical Lemierre syndrome is a rare and severe disease with thrombosis of the internal jugular vein and metastatic infections. We report on a case o...
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