Journal français d’ophtalmologie (2015) 38, e29—e32

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

LETTRE À L’ÉDITEUR Le léiomyome irien : une tumeur bénigne de localisation atypique Iris leiomyoma: A benign tumor in an atypical location Introduction Les tumeurs myogéniques intraoculaires sont rares. Le léiomyome irien est rencontré dans près de 1 % des tumeurs intraoculaires [1,2]. Il se développe à partir de cellules musculaires lisses du muscle sphincter et dilatateur de l’iris. Le léiomyome irien est diagnostiqué plus fréquemment chez les jeunes entre la deuxième et la quatrième décennie avec une prédominance féminine dans 60 % des cas [1,3,4]. Cliniquement, l’aspect tumoral peut ressembler fortement à une tumeur maligne de type mélanome achrome. Le diagnostic de certitude est purement histologique. Nous rapportons le cas d’une patiente de 61 ans présentant une tumeur irienne découverte fortuitement lors d’une consultation. Suite à l’évolution de la taille tumorale au cours du suivi ophtalmologique, l’exérèse chirurgicale a été indiquée et l’étude histologique de la pièce opératoire a révélé un léiomyome irien. Cas clinique Une femme de 61 ans s’est présentée en consultation pour un contrôle ophtalmologique. Une lésion nodulaire irienne a été retrouvée fortuitement à l’examen à la lampe à fente. La patiente ne présentait aucun antécédent particulier. À l’examen clinique, l’acuité visuelle était à 10/10 P2, la pression intraoculaire était normale, l’examen à la lampe à fente (LAF) retrouvait cette lésion irienne nodulaire d’allure kystique, de 1 mm de diamètre, située à 12 h près du rebord pupillaire, vascularisée et translucide (Fig. 1). La tumeur était associée à un ectropion de l’épithélium postérieur pigmenté, au niveau du sphincter irien (Fig. 2 et 3). Le reste de l’examen clinique retrouvait une chambre antérieure calme, une cornée claire et un cristallin clair. À la gonioscopie, la lésion ne fermait pas l’angle irido-cornéen et l’ectropion de l’épithélium postérieur pigmenté était visualisable (Fig. 4). Le fond d’œil ne retrouvait aucune anomalie particulière. L’angiographie à la fluorescéine du segment antérieur permettait d’observer une diffusion du colorant bien limitée au niveau de la lésion témoignant d’une hypervascularisation http://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2014.05.014 0181-5512/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Figure 1. Lésion nodulaire d’allure kystique vascularisée et translucide, située près du rebord pupillaire à 12 h.

(Fig. 5). L’échographie en mode B montrait une lésion nodulaire d’allure kystique, de 1 mm de diamètre, bien limitée et sans adhérence avec la cristalloïde antérieure. Cliniquement, l’aspect de la lésion est en faveur d’une tumeur bénigne mais le doute sur un mélanome achrome persiste. Le diagnostic de certitude de léiomyome est purement histologique car il permet d’éliminer les diagnostics différentiels de tumeur maligne comme le mélanome achrome. Un traitement chirurgical par exérèse de la lésion est indiqué devant l’augmentation de la taille tumorale au cours du suivi ophtalmologique. Les différentes étapes chirurgicales étaient les suivantes : incision sclérale à 12 h, exérèse tumorale, suture irienne au monofilament et envoi de la pièce opératoire dans le service d’anatomo-pathologie pour obtenir un diagnostic de certitude histologique (Fig. 6). Macroscopiquement, la lésion avait un aspect nodulaire de 1 mm de grand axe et l’épithélium pigmentaire irien était soulevé et aminci. L’étude microscopique permettait d’observer un prélèvement constitué de fibres musculaires lisses en tout sens, associées à un dépôt de collagène de faible abondance. Ces fibres musculaires lisses soulèvent l’épithélium pigmentaire irien qui apparaît également aminci. Sur un bord du prélèvement, cet épithélium semble se prolonger par des cellules intermédiaires se mélangeant aux fibres musculaires lisses (Fig. 7—9).

e30

Figures 2 et 3. Ectropion de l’épithélium postérieur pigmenté au niveau du sphincter irien.

Lettre à l’éditeur

Figure 5.

Diffusion du colorant au niveau tumoral.

Figure 6.

Aspect chirurgical post-exérèse après suture irienne.

Figure 7. Coupe histologique de la tumeur. Coloration hématéine éosine safran (HES). Grossissement 4.

Figure 4. Absence de fermeture de l’angle irido-cornéen. Ectropion de l’épithélium postérieur pigmenté.

L’immunohistochimie révélait un immunomarquage positif de l’actine, de la desmine et de la vimentine et l’absence d’expression de la cytokératine et de la mélanine A (Fig. 10—13). Le diagnostic de léiomyome irien a été retenu.

Lettre à l’éditeur

Figures 8 et 9. Coupe histologique de la tumeur. Coloration hématéine éosine safran (HES). Présence de fibres musculaires lisses en tout sens, associées à un dépôt de collagène de faible abondance. Grossissement 10 et 20.

Figure 10.

Expression de l’actine.

e31

Figure 11.

Expression de la desmine.

Figure 12.

Absence d’expression de la cytokératine.

Figure 13.

Absence d’expression de la mélanine A.

Discussion Le complexe irido-ciliaire est le siège de nombreuses tumeurs bénignes et malignes. Le léiomyome irien est le plus fréquent des tumeurs myogéniques intraoculaires mais il reste une tumeur bénigne rare [1,4,5]. Il représente près de 1 % des tumeurs oculaires [2] et 70 % des léiomyomes oculaires. Il se développe à partir de cellules musculaires

lisses. Les cellules du muscle irien, les cellules musculaires des parois des artères vascularisant l’iris ou les péricytes seraient à l’origine du développement du léiomyome irien [1]. Il est diagnostiqué plus fréquemment chez les jeunes entre la deuxième et la quatrième décennie avec une prédominance féminine (60 % des cas) [1,3,4].

e32 Cliniquement, le léiomyome apparaît fréquemment apigmenté de couleur rosée ou grisâtre [1,4], lisse en surface et très vascularisé. Il est souvent localisé au niveau du sphincter irien et plus rarement en périphérie [6]. L’examen de la tumeur par trans-illumination est très important car il s’agit d’un des seuls signes permettant de nous orienter vers le léiomyome et d’écarter le principal diagnostic différentiel : le mélanome achrome [6]. En effet, le léiomyome est plus trans-illuminable que le mélanome [6]. L’examen du complexe rétine-choroïde est indispensable. Ces tumeurs peuvent s’étendre vers la choroïde et entraîner un décollement rétinien secondaire exsudatif et parfois une cataracte secondaire ou une subluxation du cristallin [4,7]. Il existe de très rares cas de léiomyomes qui ont envahi la chambre antérieure [7]. La gonioscopie permet de visualiser si la tumeur passe en chambre antérieure à travers l’angle irido-cornéen. L’analyse au biomicroscope à ultrasons (UBM) donne des renseignements supplémentaires. Il permet de localiser la masse pour différencier une tumeur du corps ciliaire d’une tumeur de la périphérie irienne. Il aide également à l’élimination des diagnostics différentiels [7]. L’échographie en mode B visualise une masse plus ou moins hétérogène. L’angiographie révèle une diffusion du colorant au niveau de la tumeur témoignant d’une hypervascularisation et l’imagerie par résonance magnétique est peu contributive car la tumeur apparaît modérément hyper-intense. L’aspect est très évocateur d’un mélanome. Il est difficile de distinguer cliniquement ces deux entités [6]. C’est l’étude histologique accompagnée d’immunohistochimie qui permet de poser le diagnostic de certitude. Il est recommandé, avant d’entreprendre un traitement chirurgical radical, de procéder à l’exérèse localisée de la lésion pour une analyse histologique diagnostique [6]. Histologiquement, les léiomyomes sont constitués de myofibrilles cytoplasmiques, mises en évidence par des colorations spéciales comme le trichrome de Masson et l’hématoxyline phosphotungstique de Mallory. C’est l’une des caractéristiques les plus importantes des léiomyomes [1,4]. L’immunomarquage des ␣ et ␤-actines des muscles lisses par l’anticorps anti-MSA est généralement positif en cas de léiomyomes iriens. On retrouve également un taux d’expression élevé de la SMA (smooth muscle actin) et de la vimentine [1,3,5,7]. L’absence d’immunomarquage de la protéine S100, de l’HMB45 et des cytokératines permettent d’écarter les diagnostics différentiels rares [1,3,5,7]. Il est important de noter le bénéfice de l’immunomarquage dans cette lésion exceptionnelle qui permet de révéler l’origine musculaire lisse de cette tumeur. Les autres diagnostics différentiels du léiomyome sont parmi les tumeurs non pigmentées : le kyste irien, l’adénome et l’adénocarcinome, l’hémangiome, la métastase et le syndrome irido-cornéo-endothélial pour les principaux. Parmi les tumeurs pigmentées, les diagnostics

Lettre à l’éditeur différentiels sont le mélanome, la mélanocytose irienne, le nævus irien et le mélanocytome. Le traitement de choix est l’exérèse chirurgicale de la tumeur avec envoi de la pièce dans le service d’anatomopathologie pour étude histologique et immunohistologique pour obtenir un diagnostic de certitude. En cas d’exérèse incomplète, la récidive est possible. Une surveillance ophtalmologique régulière est conseillée. Conclusion Le léiomyome irien est une tumeur bénigne de localisation rare. Par son caractère douteux et son aspect compatible avec un mélanome achrome irien, le diagnostic de certitude est purement histologique. L’exérèse chirurgicale reste le traitement de choix pour permettre l’étude histologique et éliminer les différents diagnostics différentiels. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt en relation avec cet article. Références [1] Kiralti H, Bilgic ¸ S, Söylemezoglu F. Léiomyome du corps ciliaire. À propos de 3 cas. J Fr Ophtalmol 2005;28:1105—9. [2] Shields CS, Kancherla S, Patel J, Vijayvargiya P, Suriano MM, Kolbus E, et al. Clinical survey of 3680 iris tumors based on patient age at presentation. Ophthalmology 2012;119:407—14. [3] Chalam KV, Cutler Peck CM, Grover S, Radhakrishnan R. Lenticular meridional astigmatism secondary to iris mesectodermal leiomyoma. J Cataract Refract Surg 2012;38:170—3. [4] Zografos L, Uffer S. Tumeurs du complexe irido-ciliaire. EMC Ophtalmologie Paris: Elsevier Masson; 2004 [21-235-A-20]. [5] Kanavi MR, Soheilian M, Peyman GA. Ciliary body leiomyoma with atypical features. Can J Ophthalmol 2007;42:336—7. [6] Eide N, Farstad IN, Roger M. A leiomyoma of the iris documented by immunoistochemistry and electron microscopy. Acta Ophthalmol Scand 1997;75:470—3. [7] Biswas J, Kumar K, Gopal L, Bhende MP. Leiomyoma of the ciliaire body extending to the anterior chamber: clinicopathologic and ultrasound biomicroscopic correlation. Surv Ophthalmol 2000;42:336—42.

A. Benarous a,∗,b , H. Sevestre b , A. Drimbea a , A.-S. Claisse a , S. Milazzo a a

Service d’ophtalmologie, CHU d’Amiens, site Sud, avenue René-Laënnec, 80054 Salouel, Amiens, France b Service d’anatomie et cytologie pathologiques, CHU Amiens Nord, place Victor-Pauchet, 80054 Amiens cedex, France ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Benarous) Disponible sur Internet le 13 janvier 2015

[Iris leiomyoma: a benign tumor in an atypical location].

[Iris leiomyoma: a benign tumor in an atypical location]. - PDF Download Free
2MB Sizes 5 Downloads 6 Views