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Mise au point

Polyglobulies héréditaires primitives et secondaires Inherited primitive and secondary polycythemia T. Barba a,∗ , J.-C. Boileau b , F. Pasquet c , A. Hot a , M. Pavic b a

Service de médecine interne, hôpital Édouard-Herriot, 5, place d’Arsonval, 69003 Lyon, France Service d’hématologie-oncologie, faculté de médecine et des sciences de la santé, CHU de Sherbrooke, 2500, boulevard de l’Université, Sherbrooke, Canada c Service de médecine interne, hôpital d’instruction des armées Desgenettes, 108, boulevard Pinel, 69003 Lyon, France b

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a r t i c l e

Historique de l’article : Disponible sur Internet le xxx Mots clés : Polyglobulie héréditaire Polyglobulie de Chuvash Hémoglobine hyperaffine Syndrome d’hyperviscosité Méthémoglobinémie Érythrocytose Polycythémie

r é s u m é La maladie de Vaquez et les polyglobulies secondaires acquises représentent la majorité des cas de polyglobulie rencontrée en pratique. Les polyglobulies héréditaires sont des maladies rares qui doivent être évoquées après élimination des causes acquises. Notre compréhension de ces pathologies s’est nettement améliorée durant ces dernières années, mais elles restent relativement méconnues du clinicien. Dans cette mise au point, nous passerons en revue les différentes causes de polyglobulies héréditaires et proposerons un algorithme diagnostique à suivre. © 2015 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

a b s t r a c t Keywords: Inherited polycythemia Chuvash polycythemia Hyperaffine hemoglobin Hyperviscosity syndrome Methemoglobinemia Erythrocytosis

Myeloproliferative disorders and secondary polycythemia cover most of the polycythemia cases encountered in daily practice. Inherited polycythemias are rare entities that have to be suspected when the classical causes of acquired polycythemia have been ruled out. Recent advances were made in the understanding of these pathologies, which are still little known to the physicians. This review reports the state of knowledge and proposes an algorithm to follow when confronted to a possible case of inherited polycythemia. © 2015 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

1. Introduction La polyglobulie est un motif de consultation fréquent en médecine interne ou en hématologie. Son investigation passe d’abord par la recherche d’une cause acquise (Tableau 1 et Fig. 1). Ce n’est qu’après cette étape, qu’il convient d’aborder le champ étiologique plus rare et beaucoup moins connu des polyglobulies héréditaires [1]. Nous débuterons par définir le terme polyglobulie. Ensuite, après un bref rappel physiopathologique du système de régulation de l’érythropoïèse et de la structure de l’hémoglobine, nous passerons en revue les différentes causes connues de

∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (T. Barba).

polyglobulies héréditaires primitives et secondaires. Les polyglobulies dites « acquises » ne seront pas abordées. 2. Définition Le terme de polyglobulie est défini par une augmentation du ratio de la masse globale d’érythrocytes sur le poids corporel. Le seuil ayant été établi à 125 % de la valeur moyenne ajustée pour l’âge et le sexe [2]. Puisque la méthode de mesure de la masse globale des érythrocytes est coûteuse et non disponible dans une majorité des centres, il est de pratique courante d’estimer une polyglobulie grâce à l’hémoglobine ou l’hématocrite. La polyglobulie absolue chez l’adulte est suspectée si, sur un intervalle prolongé (i.e. > 2 mois), l’hémoglobine est supérieure à 18,5 g/dL chez l’homme et 16,5 g/dL chez la femme, ou si l’hématocrite est supérieur à 52 % chez

http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2015.12.022 0248-8663/© 2015 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Pour citer cet article : Barba T, et al. Polyglobulies héréditaires primitives et secondaires. Rev Med Interne (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2015.12.022

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Tableau 1 Étiologie des polyglobulies primitives et secondaires. Héréditaires Polyglobulies primitives Polyglobulie primitive familiale et congénitale (mutation de EPO-r) Polyglobulies secondaires P50 diminuée Hémoglobine hyperaffine Méthémoglobinémie congénitale Déficit en 2,3-BPG P50 normale (mutations associées à la voie de production d’EPO) Mutation du VHL (maladie de Chuvash) Mutation du PHD2 Mutation du HIF2-␣

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Acquises Syndrome myéloprolifératif (en particulier la polyglobulie de Vaquez) Hypoxie Tabac Intoxication au monoxyde de carbone Vie en altitude Maladie pulmonaire Syndrome d’apnée du sommeila Shunt intracardiaque et cardiopathies cyanogènes Atteintes rénales Sténose de l’artère rénale Kyste rénal Post-transplantation rénale Causes néoplasiques associés ou non au syndrome de von Hippel-Lindau Hypernéphrome Hépatocarcinome Hémangioblastome du cervelet Phéochromocytome Léiomyome utérin Endocrinopathie (Cushing et autres) Médicamenteux (diurétique, androgène, EPO exogène, etc.)

L’impact réel de l’apnée du sommeil sur la polyglobulie est controversé [57].

l’homme et 48 % chez la femme [3]. Des seuils plus bas ont récemment été proposés, mais sont en attente d’approbation par l’OMS [4]. Un hématocrite de plus de 60 % chez l’homme ou de 55 % chez la femme est pratiquement toujours associé à une augmentation du ratio de la masse globale d’érythrocytes sur le poids corporel [5]. Dans les cas où l’augmentation de l’hémoglobine ou de l’hématocrite est modérée et que le doute persiste, une mesure isotopique de la masse globale d’érythrocyte, si disponible, peut être utile pour éliminer un état de déshydratation chronique, incluant le syndrome de Gaisböck, caractérisé par une préservation du ratio de la masse globale d’érythrocytes sur le poids corporel. L’investigation d’une polyglobulie est basée sur la recherche de mutations de JAK2 et du dosage l’EPO (voir Fig. 1 qui est une version légèrement modifiée de l’arbre décisionnel présenté par Vannucchi et al. [6]). Pour rechercher les polyglobulies acquises, une histoire détaillée ainsi que des tests ciblés complémentaires sont de mise [3,7]. La recherche d’une polyglobulie héréditaire devient pertinente lorsque les causes acquises sont exclues. La clinique, la recherche de mutations génétiques, le dosage d’EPO et la mesure de la courbe de différenciation de l’hémoglobine sont les examens utilisés pour séparer les diverses polyglobulies héréditaires. On distinguera ici les polyglobulies héréditaires dites « primitives » (dues à un défaut dans la cascade de signalisation induite par le récepteur à l’EPO qui rend l’érythropoïèse indépendante de l’EPO), des polyglobulies « secondaires » (liées à une production d’EPO inadaptée telle que retrouvée dans une myriade de pathologies). Quoi que les polyglobulies primitives soient généralement associées à une EPO effondrée et les polyglobulies secondaires à une EPO augmentée ou anormalement normale, quelques cas d’exception ont été rapportés [8] et la prudence est de mise avant d’exclure un diagnostic uniquement sur le dosage de l’EPO.

Fig. 1. Proposition d’algorithme décisionnel devant une polyglobulie. * La définition de polyglobulie est décrite en détails dans le texte. 2,3-BPG : 2,3-bisphosphoglycérate ; EPO : érythropoïétine ; EPO-r : récepteur de l’érythropoïétine ; HIF2-␣ : hypoxia inducible factors-2-˛ ; N : normal ; P50 : pression partielle d’oxygène sanguin pour laquelle 50 % de l’hémoglobine circulante est saturée ; PHD2 : prolyl hydroxylase domain protein 2 ; SMP : syndrome myéloprolifératif ; VHL : von Hippel-Lindau protein.

3. Structure de l’hémoglobine L’hémoglobine, au même titre que son homologue tissulaire la myoglobine, fait partie de la superfamille des protéines héminiques jouant un rôle central dans l’acheminement de l’oxygène aux tissus périphériques. Elle est constituée d’une fraction protidique pure, formée de 2 paires de sous-unités ␣ et ␤, chacune raccordée à un hème (soit 4 par protéine), à l’origine du pouvoir oxyphorique de la protéine. L’hème proprement dit est formé par un ion ferreux, coordonné à un noyau tétrapyrrole par l’intermédiaire de 4 atomes d’azote. Cette structure est soumise à d’importants changements conformationnels en fonction de l’état d’oxydation de la protéine : l’hémoglobine à l’état oxygéné se trouve en conformation R « relâchée » et possède une très forte affinité pour l’oxygène ; à l’opposé, on observe la conformation T « tendue » possédant une faible affinité [9]. À l’état désoxygéné, le maintien de la protéine en conformation T est assuré par la présence d’une molécule de 2,3bisphosphoglycérate (BPG) dans la cavité formée par le tétramère héminique. Lors du processus d’oxygénation, la première molécule d’oxygène se fixe d’abord faiblement à l’hème de la protéine, induisant un changement de conformation de T vers R, augmentant ainsi l’affinité de l’hémoglobine pour d’autres molécules d’oxygène. La

Pour citer cet article : Barba T, et al. Polyglobulies héréditaires primitives et secondaires. Rev Med Interne (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2015.12.022

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Fig. 2. Courbe de dissociation de l’oxyhémoglobine.

réduction en taille de la cavité héminique entraîne l’éjection de la molécule de 2,3-BPG de l’hémoglobine lors du passage à l’état relâché. L’affinité globale de l’hémoglobine pour l’oxygène est évaluée par la mesure de la P50, correspondant à la pression partielle d’oxygène sanguin pour laquelle 50 % de l’hémoglobine circulante est saturée (visible sur la courbe de dissociation de l’oxyhémoglobine, Fig. 2). La diminution de la P50 témoigne donc de la présence d’une hémoglobine d’affinité augmentée pour l’oxygène [10].

4. Voies d’induction de l’érythropoïèse L’érythropoïèse est régulée à l’état physiologique par l’érythropoïétine (EPO) (Fig. 3). Cette hormone est secrétée principalement par les cellules péri-tubulaires rénales et à un moindre niveau par les cellules hépatiques. Sa synthèse est ellemême stimulée par les activateurs de transcription de la famille hypoxia inducible factors (HIF) [11], conditionnant l’adaptation de l’organisme aux périodes d’hypoxie. Le récepteur de l’EPO (EPO-r) appartient quant à lui à la superfamille des récepteurs aux cytokines. Sa structure se compose d’un domaine extracellulaire fixant d’EPO et d’un domaine intracellulaire responsable de la transduction du signal. Étant dépourvu d’une activité enzymatique propre, son action nécessite l’intervention d’une protéine cytoplasmique nommée Janus Kinase 2 (JAK2) dotée d’une activité tyrosine-kinase. La fixation de l’EPO à son récepteur active JAK2 et entraîne ainsi la phosphorylation de la partie intracellulaire de l’EPO-r. De ce phénomène découle l’activation de plusieurs voies de transduction (JAK/STAT, Ras/MAPK, PI3K) impliquées dans la synthèse de protéines anti-apoptotiques, la prolifération et la différentiation des progéniteurs érythroïdes du tissu

hématopoïétique. À l’opposé, il existe plusieurs systèmes de régulation de ce phénomène, entre autres passant par l’extinction du signal de JAK2 (Tyrosine Phosphatase SHP2), ou la réduction de son activité tyrosine-kinase (protéines du groupe suppressor of cytokine signaling [SOCS]). L’activation ou au contraire un dysfonctionnement de ces différents acteurs de la régulation de l’érythropoïèse peuvent promouvoir la constitution de la polyglobulie.

5. Polyglobulie héréditaire primitive La polyglobulie primitive familiale congénitale est une affection génétique rare de transmission autosomale dominante, décrite pour la première fois en 1991 dans plusieurs familles finlandaises [12,13]. Cette maladie est caractérisée par une hypersensibilité des progéniteurs érythroïdes à l’EPO, expliquée par des mutations génétiques de son récepteur [14–17]. Plus de 15 mutations différentes sont actuellement répertoriées, toutes concernant la partie du gène codant pour la région intracellulaire de l’EPO-r. Ces mutations entraînent une troncature prématurée de la protéine empêchant l’amarrage de protéines de régulations (telles que la p85) dont le rôle est de permettre l’internalisation du récepteur en vue de sa dégradation, conduisant à la persistance d’une grande quantité de récepteurs à la surface membranaire [18]. Sur le plan clinique, la symptomatologie est le reflet de l’hyperviscosité sanguine. Le pronostic est essentiellement grevé par la morbi-mortalité cardiovasculaire. L’interrogatoire permet souvent de retrouver des histoires familiales d’AVC et de coronaropathies précoces [19]. On n’observe pas de splénomégalie. Les taux sériques d’EPO sont bas et l’affinité de l’hémoglobine pour l’oxygène (P50) est normale. Le tableau clinique mime souvent une maladie de Vaquez du sujet jeune mais l’absence de mutation de JAK2 permet d’exclure ce diagnostic.

Pour citer cet article : Barba T, et al. Polyglobulies héréditaires primitives et secondaires. Rev Med Interne (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2015.12.022

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Fig. 3. Principales voies d’induction de l’érythropoïèse. La fixation de l’EPO à son récepteur entraîne la multiplication et la différenciation des précurseurs érythroïdes, menant à l’augmentation de la masse globulaire totale. L’enzyme PHD2 joue un rôle « d’oxygen sensor ». Elle utilise les molécules de dioxygène à disposition pour hydroxyler la protéine HIF-␣, ce qui augmente l’affinité de cette dernière pour la protéine VHL. La protéine VHL se lie ensuite à la protéine HIF-␣ hydroxylée, et recrute une enzyme E3 ubiquitine ligase, conduisant à la destruction du complexe par le protéasome. Une mutation inactivatrice de PHD2 ou de VHL entraîne une accumulation de HIF-␣ et une surproduction d’EPO. EPO : érythropoiétine ; HIF : hypoxia inducible factors ; PHD2 : prolyl hydroxylase domain protein 2 ; VHL : von Hippel-Lindau protein ; JAK2 : Janus Kinase 2 ; SOCS : suppressor of cytokine signalling ; SHP2 : Src Homology domain Tyrosine Phophatase 2.

6. Polyglobulies héréditaires secondaires 6.1. Polyglobulies secondaires associées à une P50 normale Cette catégorie de polyglobulie héréditaire se caractérise par des anomalies constitutionnelles des protéines régulant la synthèse de l’EPO. Les protéines HIF (HIF1 et HIF2 essentiellement) sont la pierre angulaire de ce mécanisme. Ces protéines, décrites pour la première fois par Wang et al. [11] sont constituées de 2 sous-unités ␣ et ␤. Lors des phases d’oxygénation normale, la protéine HIF-␣ est hydroxylée par la protéine PHD2 (prolyl-4hydroxylase domain), qui joue un rôle de « détecteur » local du degré d’oxygénation au niveau rénal [20]. Suite à cette réaction, HIF-␣ voit son affinité pour la protéine VHL augmentée, ce qui conduit à l’ubiquitination et à la destruction de HIF-␣ par le protéasome [21,22]. Lors des phases d’hypoxie, on observe une réduction du phénomène d’hydroxylation de HIF-␣, induisant son accumulation et stimulant la synthèse d’EPO [23]. Plusieurs mutations affectant l’axe HIF-PHD-VHL ont été décrites comme associées au développement d’une polyglobulie (mutations inactivatrices de PHD2 ou mutations activatrices de HIF2). Par ailleurs, le rôle proto-oncogène de HIF-␣ est aujourd’hui largement démontré [24–26] se traduisant par une augmentation du risque de tumeurs malignes associé aux mutations de l’axe HIF-PHD-VHL [27,28]. Le gène VHL est impliqué dans plusieurs pathologies bien distinctes. La maladie de Chuvash est une affection génétique autosomique récessive caractérisée par une polyglobulie congénitale. La première observation a été décrite en Russie [29], mais cette maladie est rencontrée dans toutes les ethnies [30,31]. La mutation R200W du gène VHL ne permet plus l’interaction entre le VHL et HIF-␣, conduisant à la polyglobulie par augmentation des taux d’HIF1 et -2 [32,33]. La clinique du syndrome de Chuvash est caractérisée par des phénomènes thrombotiques à répétition, tant sur le versant artériel que veineux [34]. Malgré l’implication de la protéine VHL dans cette pathologie, les patients atteints ne semblent

pas développer davantage de tumeurs que la population générale [34,35]. C’est à l’opposé, de ce que l’on observe dans le syndrome de von Hippel-Lindau, maladie génétique autosomique dominante. Cette pathologie, due à l’inactivation du caractère suppresseur de tumeur de la protéine VHL, est à l’origine du développement de tumeurs hypervasculaires (hémangioblastomes du cervelet, carcinome rénal à cellules claires, phéochromocytomes, etc.) [36]. Si une polyglobulie peut être observée au cours de ce syndrome, son mécanisme physiopathologique est de type paranéoplasique par sécrétion ectopique d’EPO au sein de la tumeur, à l’inverse de celui de l’érythrocytose de Chuvash. Dans ce cas, la polyglobulie régresse après traitement de la tumeur. 6.2. Polyglobulies secondaires associées à une P50 diminuée Ce groupe de pathologies rassemble 3 entités distinctes : les mutants hyperaffines de l’hémoglobine, le déficit congénital en 2,3BPG et la méthémoglobinémie. Ces 3 pathologies sont caractérisées par des anomalies constitutionnelles (à l’exception de la méthémoglobinémie, le plus souvent liée à des facteurs environnementaux) induisant une augmentation de l’affinité de l’hémoglobine pour la molécule d’oxygène et donc une moindre délivrance aux tissus périphériques (hypoxie relative). Cette hypoxie, au niveau rénal entraîne une régulation positive de l’érythropoïèse et donc une érythrocytose. L’anomalie de l’affinité de l’hémoglobine est facilement décelable par la mesure de la P50, dans des conditions précises de température et de pH. La valeur de la P50 peut être approchée par une formule mathématique simplifiée (fonction de la PO2 et du pH) [37]. Une mesure de la P50 doit être demandée devant un cas de polyglobulie ne faisant pas sa preuve étiologique après les explorations de première ligne [10,38]. 6.2.1. Mutants hyperaffines de l’hémoglobine Plusieurs centaines de mutants hyperaffines de l’hémoglobine sont identifiés à ce jour. Ils sont tous référencés sur une base

Pour citer cet article : Barba T, et al. Polyglobulies héréditaires primitives et secondaires. Rev Med Interne (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2015.12.022

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de données internationales, disponible en ligne (http://www. globin.bx.psu.edu/hbvar/menu.html). Le premier cas répertorié est l’hémoglobine Chesapeake, découvert en 1966 [39]. Les principales autres anomalies ont été décrites à Malmö [40] et San Diego [41]. Les mutations touchent des sites jouant un rôle critique dans la liaison de la protéine à l’oxygène comme les aminoacides à la charnière des chaînes ␣1-␤2, pivot du changement conformationnel T en R [42,43]. Des anomalies ont également été décrites au niveau des aminoacides fixant la molécule de 2,3-BPG ou l’extrémité Cterminale à laquelle se raccroche l’hème [44,45]. Chaque anomalie étant associée à une affinité différente de l’hémoglobine pour l’oxygène, on comprend aisément les différences de retentissement clinique d’une mutation à une autre. En pratique, seulement un tiers des patients porteurs d’une hémoglobine d’affinité augmentée sont atteints d’érythrocytose. Il existe fréquemment une carence martiale secondaire, par consommation des réserves de fer, conséquence directe de l’augmentation de l’érythropoïèse [46]. 6.2.2. Déficit en 2,3-BPG Cette pathologie se rapproche sur les plans clinique et biologique des hémoglobinopathies hyperaffines. Le 2,3-BPG est synthétisé par la 2,3-biphosphoglycérate mutase (2,3-BGPM), en alternative de la voie de la glycolyse. Son rôle est de maintenir la protéine à l’état T (de faible affinité) à l’état désoxygéné. Sa synthèse est stimulée lors des phases d’hypoxie (par exemple au cours d’un séjour en haute altitude), ce qui permet d’améliorer le relargage de l’oxygène dans les tissus périphériques [47]. Quelques rares cas d’inactivation de la 2,3-BPGM ont été décrits dans la littérature [48], conduisant à une polyglobulie. Le diagnostic est posé devant une diminution de la valeur de la P50 et une activité enzymatique de la 2,3-BPGM effondrée. Quelques cas d’association à une anémie hémolytique auto-immune ont été décrits, sans que le mécanisme physiopathologique soit clairement identifié [49–52]. 6.2.3. Méthémoglobinémie La méthémoglobinémie est le produit d’une transformation de l’hémoglobine native, et en particulier de l’hème, dont l’ion ferreux Fe2+ se voit oxydé en ion ferrique Fe3+ . Par cette transformation, l’hémoglobine perd sa capacité à fixer l’oxygène. L’affinité globale de la protéine est paradoxalement augmentée, par changement conformationnel des autres chaînes de globines non oxydées (à l’état ferreux Fe2+ ) [53]. La réaction d’oxydation est limitée, dans les conditions physiologiques, par l’action du complexe NADH-cytochrome b5 réductase, maintenant un taux de méthémoglobinémie inférieur à 2 %. Les intoxications sont la cause la plus fréquente de méthémoglobinémie (nitrites, sulfamides, quinones dont antipaludéens, anesthésiques locaux) [54,55]. Les méthémoglobinémies congénitales sont exceptionnelles. On retient 3 causes principales : le déficit en NADH-cytochrome b5 réductase (forme autosomale récessive, la plus fréquente) [53,56], le déficit en cytochrome b5, et enfin l’hémoglobine M. Cette dernière est caractérisée par une mutation d’une chaîne de globine qui entraîne l’oxydation permanente de la sous-unité héminique correspondante. Selon la présentation clinique, on classe les méthémoglobinémies congénitales en deux types. La cyanose néonatale est un symptôme constant et commun aux deux types. Le type I représente la forme bénigne, associée à une espérance de vie normale. Les patients sont peu symptomatiques (asthénie, dyspnée) jusqu’à des taux importants de méthémoglobinémie (> 40 %). Le type II est une forme gravissime, associée à une mortalité précoce. Les signes neurologiques sont alors au premier plan, sous la forme d’une encéphalopathie. Les patients développent un retard mental et un opisthotonos. Le pronostic est extrêmement défavorable et ces enfants n’atteignent que très rarement l’âge adulte.

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Le traitement repose sur les antioxydants comme l’acide ascorbique ou le bleu de méthylène, permettant de réduire les hémoprotéines à l’état ferreux (Fe2+ ), ainsi que sur l’évitement de facteurs de risque d’exacerbation. On retient que le bleu de méthylène est contre-indiqué chez les patients atteints de déficit en G6PD (parfois associé), car susceptible de déclencher des crises d’hémolyse. Il faut enfin rappeler que devant une cyanose néonatale associée à une polyglobulie, il convient avant tout d’évoquer une cardiopathie congénitale cyanogène, dont l’incidence est nettement supérieure à la méthémoglobinémie et dont le traitement est parfois urgent. 7. Conclusion Les polyglobulies héréditaires restent souvent mal connues des praticiens. Les mécanismes physiopathologiques loin d’être parfaitement élucidés, sont toutefois aujourd’hui mieux compris. Les dix dernières années ont été marquées par l’introduction de nombreuses nouvelles mutations. Le cadre nosologique des polyglobulies congénitales est aujourd’hui si renseigné qu’il ne reste que très peu de place pour les polyglobulies dites « idiopathiques ». Ces entités restent néanmoins exceptionnelles, si bien que la recherche minutieuse d’un syndrome myéloprolifératif et d’une polyglobulie secondaire doit rester la règle devant une polyglobulie inexpliquée. Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Références [1] Pavic M, Rousset H. Les polyglobulies héréditaires. Rev Med Interne 2003;24:514–21. [2] McMullin MF. The classification and diagnosis of erythrocytosis. Int J Lab Hematol 2008;30:447–59. [3] Tefferi A, Thiele J, Vannucchi AM, Barbui T. An overview on CALR and CSF3R mutations and a proposal for revision of WHO diagnostic criteria for myeloproliferative neoplasms. Leukemia 2014;28:1407–13. [4] McMullin MF, Bareford D, Campbell P, Green AR, Harrison C, Hunt B, et al. Guidelines for the diagnosis, investigation and management of polycythemia/erythrocytosis. Br J Haematol 2005;130:174–95. [5] Ferrant A. What clinical and laboratory data are indicative of polycythemia and when are blood volume studies needed? Nouv Rev Fr Hematol 1994;36:151. [6] Vannucchi A. How I treat polycythemia vera. Blood 2014;124:3212–20. [7] McMullin MF, Reilly T, Campbell P, Bareford D, Green A, Harrison CN, et al. Amendment to the guideline for diagnosis and investigation of polycythemia/erythrocytosis. Br J Haematol 2007;138:812–23. [8] Mossuz P, Girodon F, Donnard M, Latger-Cannard V, Dobo I, Boiret N, et al. Diagnostic value of serum erythropoietin level in patients with absolute erythrocytosis. Haematologica 2004;89:1194–8. [9] Reeder BJ. The redox activity of hemoglobins: from physiologic functions to pathologic mechanisms. Antioxid Redox Signal 2010;13:1087–123. [10] Agarwal N, Mojica-Henshaw MP, Simmons ED, Hussey D, Ou CN, Prchal JT. Familial polycythemia caused by a novel mutation in the beta globin gene: essential role of P50 in evaluation of familial polycythemia. Int J Med Sci 2007;4:232–6. [11] Wang GL, Jiang BH, Rue EA, Semenza GL. Hypoxia-inducible factor 1 is a basichelix-loop-helix-PAS heterodimer regulated by cellular O2 tension. Proc Natl Acad Sci U S A 1995;92:5510–4. [12] Emanuel PD, Eaves CJ, Broudy VC, Papayannopoulou T, Moore MR, D’Andrea AD, et al. Familial and congenital polycythemia in three unrelated families. Blood 1992;79:3019–30. [13] Juvonen E, Ikkala E, Fyhrquist F, Ruutu T. Autosomal dominant erythrocytosis caused by increased sensitivity to erythropoietin. Blood 1991;78:3066–9. [14] de la Chapelle A, Sistonen P, Lehvaslaiho H, Ikkala E, Juvonen E. Familial erythrocytosis genetically linked to erythropoietin receptor gene. Lancet 1993;341:82–4. [15] de la Chapelle A, Traskelin AL, Juvonen E. Truncated erythropoietin receptor causes dominantly inherited benign human erythrocytosis. Proc Natl Acad Sci U S A 1993;90:4495–9. [16] Huang LJ, Shen Y-M, Bulut GB. Advances in understanding the pathogenesis of primary familial and congenital polycythaemia. Br J Haematol 2010;148:844–52. [17] Perrotta S, Cucciolla V, Ferraro M, Ronzoni L, Tramontano A, Rossi F, et al. EPO receptor gain-of-function causes hereditary polycythemia, alters

Pour citer cet article : Barba T, et al. Polyglobulies héréditaires primitives et secondaires. Rev Med Interne (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2015.12.022

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Pour citer cet article : Barba T, et al. Polyglobulies héréditaires primitives et secondaires. Rev Med Interne (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2015.12.022

[Inherited primitive and secondary polycythemia].

Myeloproliferative disorders and secondary polycythemia cover most of the polycythemia cases encountered in daily practice. Inherited polycythemias ar...
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