Gynécologie Obstétrique & Fertilité 41 (2013) 672–677

PRATIQUES ET TENDANCES

Jusqu’où peut-on aller en don d’ovocytes ? Réflexions sur les risques des grossesses tardives How far can we go to oocyte donation? Debates on the risks of late pregnancies M. Lombart a, R. Cabry b, V. Boulard b, E. Lourdel a, S. Lanta a, P. Verhoest a, H. Copin a, J. Gondry a, P. Merviel a,* a

Service de gynécologie-obstetrique et médecine de la reproduction, CHU d’Amiens, 124, rue Camille-Desmoulins, 80054 Amiens cedex 1, France b Laboratoire de biologie de la reproduction – cytogénétique, CECOS de Picardie, CHU d’Amiens, 124, rue Camille-Desmoulins, 80054 Amiens cedex 1, France Reçu le 21 septembre 2012 ; accepté le 25 juin 2013 Disponible sur Internet le 29 octobre 2013

Résumé On constate en France un recul de la primo-maternité sous influence de nombreux facteurs socioculturels amenant ainsi à procréer à un âge où la fertilité décroît et où augmentent les risques liés à une grossesse tardive. Le don d’ovocyte en France est soumis à la loi de Bioéthique n’accordant pas de prise en charge au-delà de 43 ans. Ainsi, pour satisfaire leur besoin de maternité, certaines françaises ont recours à un don à l’étranger. Nous rapportons le cas d’une grossesse compliquée issue d’un don d’ovocyte chez une femme de 42 ans et abordons l’importance de la prise en compte des facteurs de risque avant une prise en charge en AMP, ainsi que les questions éthiques soulevées par ce cas. Après un bref rappel du cadre législatif français encadrant la pratique du don d’ovocyte, nous évoquons les pistes d’amélioration de la couverture des besoins de celui-ci en France. ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract In France, there is a decline in first-time motherhood influenced by many sociocultural factors thus leading to a reproductive age where fertility decreases and which increase the risks associated with late pregnancy. The oocyte donation in France is subject to The Bioethic law granting no support in infertility beyond past 43 years. Thus, to satisfy their need for maternity, the French use a gift abroad. Then we will report the case of a pregnancy obtained by an oocyte donation, after 42 years, which was complicated. We will discuss the importance of taking into account the risk factors before a support to ART, and the ethical issues raised by this case. After a brief review of French legislative framework governing the practice of oocyte donation, we will evoke ways to improve the coverage needs of it in France. ß 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Mots clés : Don d’ovocyte ; Grossesse tardive ; Assistance médicale à la procréation (AMP) ; Donneuses d’ovocytes ; Loi de bioéthique Keywords: Oocyte donation; Late pregnancy; Assisted reproductive technology (ART); Oocyte donors; Bioethics law

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P. Merviel). 1297-9589/$ see front matter ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. http://dx.doi.org/10.1016/j.gyobfe.2013.06.015

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Le don d’ovocyte est pratiqué depuis 25 ans en France. Cette pratique est soumise à la loi de Bioéthique du 7 juillet 2011, et réglementée par l’Agence de la biomédecine (ABM). Elle repose en France sur 3 grands principes : gratuité, volontariat et anonymat. À l’origine, le don d’ovocyte répondait à l’insuffisance ovarienne prématurée (IOP), mais récemment les indications se sont étendues aux IOP débutantes ainsi qu’aux échecs de FIV dans le cas des « faibles répondeuses ». Déjà confrontés à une pénurie de donneuses, les centres d’étude et de conservation des ovocytes et spermatozoïdes (CECOS) ont vu la demande de don d’ovocytes augmenter (plus de 1500 couples français en attente), d’où un délai de prise en charge qui peut atteindre 5 ans dans certains centres [1]. Cette attente a généré un véritable « tourisme procréatif » vers des pays où le don est rémunéré et la législation plus favorable, rendant très inégale l’accession des couples à leur demande d’enfant, même si la législation européenne octroie certaines compensations financières [2]. L’ABM a donc communiqué depuis quelques années sur cette pénurie de donneuses d’ovocytes, ce qui a conduit à l’augmentation progressive du nombre de tentatives, passant de 696 en 2007, à 742 en 2008, puis à 933 en 2009. Néanmoins, seulement 0,9 % des naissances suite à une assistance médicale à la procréation (AMP) sont issues d’un don d’ovocytes [1]. L’autre contrainte de l’allongement des listes d’attente est le report de quelques années de la première grossesse avec pour conséquence un âge plus avancé de la femme, ce qui l’expose à des complications gravidiques. Pour illustrer ces risques, nous présentons le cas d’une patiente de 42 ans, dont la grossesse est issue d’un don d’ovocytes familial à l’étranger et qui a présenté de nombreuses complications. La discussion portera sur les facteurs de risque gravidiques liés à l’âge et au don, les questions éthiques soulevées par le don d’ovocytes et ce cas, et les pistes d’amélioration envisagées afin de permettre un meilleur accès au don d’ovocytes en France. 1. CAS CLINIQUE Madame P., d’origine camerounaise, est âgée de 42 ans et primigeste. Sa grossesse a été obtenue par un don d’ovocytes dirigé (don de sa sœur âgée de 37 ans) en Belgique. Madame P. présente comme antécédents une résection hystéroscopique d’un myome sous-muqueux (au sein d’un volumineux utérus polymyomateux de 18 sur 15 cm), une ovariectomie gauche et une annexectomie droite pour des kystes endométriosiques. On ne notait pas d’antécédent médical particulier. Sa grossesse est issue du 1er transfert embryonnaire après le don, et initialement elle s’est déroulée normalement avec un bilan sanguin initial montrant une hémoglobinémie normale. La mesure de la clarté nucale était de 1,3 mm ; les marqueurs sériques de la trisomie 21 du 1er ou 2e trimestre n’ont pas été pratiqués. Entre 12 et 19 semaines d’aménorrhée (SA), des métrorragies sont survenues conduisant à une anémie mal tolérée qui va nécessiter la transfusion de 2 culots globulaires. À partir de 20 SA, est apparue une néphropathie gravidique avec

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albuminurie, initialement à 1,2 g/24 h et augmentant jusqu’à un maximum de 11 g/24 h à 25 SA. La parturiente a présenté alors une insuffisance rénale mixte, fonctionnelle (fuite protéique) et par compression urétérale secondaire au volume utérin (pyélon droit de 3,5 cm de largeur et gauche de 2,9 cm). Cette insuffisance rénale s’est ensuite compliquée d’une pyélonéphrite, ce qui a conduit à une néphrostomie bilatérale de décharge, après échec d’une tentative de mise en place de sondes JJ. Sur le plan obstétrical, l’échographie morphologique de 22 SA a suspecté une absence des os propres du nez, ce qui a conduit à proposer une amniocentèse, laquelle fut annulée du fait d’une menace d’accouchement prématurissime à 24 SA (longueur fonctionnelle cervicale de 15 mm avec sacculation des membranes). À 25 SA, une rupture prématurée des membranes est survenue, avec décision d’un traitement conservateur de la grossesse. À 26 SA, madame P. a présenté une pancréatite aiguë sur une migration lithiasique qui a entraîné la mise en travail, malgré une tocolyse. L’accouchement a été rapide permettant la naissance d’une fille de 800 g, d’Apgar 0/5/8 à 1, 3 et 10 minutes, et transférée en réanimation néonatale. La délivrance a été artificielle et l’examen anatomo-pathologique du placenta a montré un hématome marginal massif. Madame P. a reçu 2 culots globulaires dans le post-partum immédiat. Sa fonction rénale s’est normalisée, ce qui a permis l’ablation des sondes de néphrostomie. Au 2e jour, elle a développé une hyperthermie à 38,58 associée à un syndrome inflammatoire biologique (CRP à 170 mg/L et 25 000 globules blancs/mL), qui a conduit au diagnostic d’endométrite du postpartum et à une antibiothérapie IV par Augmentin. Au 12e jour, devant l’absence d’amélioration des signes cliniques et du syndrome inflammatoire, une tomodensitométrie abdominopelvienne a été réalisée, mettant en évidence une collection rétrovésicale, latéro-utérine droite et du cul-de-sac de Douglas en rapport avec un abcès pelvien. Il a donc été décidé un drainage chirurgical de ces abcès associés à une hystérectomie sub-totale (du fait de l’endométrite sur utérus polymyomateux) et une salpingectomie gauche pour pyosalpinx. Cette intervention s’est malheureusement compliquée d’une plaie vésicale, en raison des conditions techniques difficiles liées au volume utérin. Quand au devenir de l’enfant, au décours de son séjour en réanimation, il lui a été diagnostiqué une trisomie 21. 2. DISCUSSION Ce cas clinique illustre les complications gravidiques pouvant survenir à un âge supérieur à 40 ans, lors d’un don d’ovocytes et en cas d’utérus polymyomateux. Le Collège de gynécologues obstétriciens français (CNGOF) a actualisé en 2011 ses recommandations concernant la prise en charge des myomes en cas d’infertilité [3]. Si l’ablation des myomes sous-muqueux est indiquée en cas d’infertilité ou de prise en charge en AMP, par contre, pour les myomes interstitiels purs la discussion persiste. Sunkara et al. [4], dans une méta-analyse de 19 études, montraient un effet

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négatif des myomes interstitiels sur les chances de grossesse : risque relatif de grossesse et de naissance vivante en présence d’un myome interstitiel de 0,85 (IC95 % [0,77–0,94], p : 0,002) et de 0,79 (IC95 % [0,7–0,88], p < 0,0001) respectivement. Il est évident que la taille du myome doit être prise en considération si l’on pense que le myome interstitiel perturbe la vascularisation myométriale, sous-endométriale et endométriale et interfère donc avec la grossesse par ce biais. Notre équipe recommande, en cas d’infertilité persistante ou d’échecs en FIV  ICSI (4 beaux embryons transférés sans grossesse), l’exérèse des myomes interstitiels lorsque ceux-ci dépassent 5 cm ou que l’association de plusieurs myomes contigus dépasse 5 cm [5]. Cette attitude est d’ailleurs reprise dans le texte des recommandations du CNGOF pour des myomes à partir de 5 à 7 cm (NP3). Il faudra bien sûr peser le pour et le contre de cette chirurgie qui ne peut être faite que par cœlioscopie ou laparotomie, car cela rendra l’utérus cicatriciel avec un risque de rupture utérine lors d’une grossesse ultérieure, certes rare mais redoutable et parfois précoce (dès 25 SA). Rappelons que l’embolisation d’un utérus polymyomateux reste contre-indiquée en cas de désir de grossesse. Concernant l’impact des myomes au cours de la grossesse, ils peuvent être responsables de fausses-couches précoces et hémorragiques, d’accouchements prématurés, de présentations vicieuses (siège ou transverse) de dystocies mécaniques (obstacle praevia) et/ou dynamique (risque d’hémorragie de la délivrance par défaut de globe utérin). Le risque de césarienne est multiplié par 8,48 ( p < 0,005) par rapport à un utérus normal [6]. Ils peuvent également se compliquer de nécrobiose aseptique, de torsion (en cas de myome pédiculé) et de compression (rares cas de rétention aiguë d’urines). Dans notre cas, l’utérus polymyomateux a provoqué une compression urétérale bilatérale conduisant à une néphropathie obstructive et a été responsable d’un accouchement prématuré par défaut d’expansion de l’utérus, conduisant à une rupture prématurée des membranes. Cependant, Ozturk et al. [7] ne retrouvent pas dans sa courte série de 19 cas de grossesse sur utérus myomateux (37 myomes) plus de complications périnatales sévères par rapport à des grossesses sur utérus normal. Le second facteur de risque est lié au recours à un don d’ovocytes. Du fait du conflit immunitaire chez la parturiente secondaire au don d’ovocytes (greffe totalement allogénique par rapport à une grossesse avec ses propres ovocytes), plusieurs auteurs observent une augmentation des métrorragies du 1er trimestre de la grossesse (de 35 à 53 % [8,9]), des prééclampsies (de 16 à 33 % [8,10,11]), des petits poids de naissance (de 10 à 20 % en cas de grossesse unique [9,10]) et du taux de césariennes (jusqu’à 76 % [11]). Le troisième facteur de risque est l’âge de la femme, sachant que les grossesses au-delà de 35 ans sont associées à un risque accru de fausses-couches spontanées (liée à une augmentation des anomalies chromosomiques), d’hypertension artérielle, de prééclampsie, de diabète gestationnel, et d’extraction par césarienne [12]. Ces complications sont d’autant plus fréquentes que l’âge maternel croît [13,14] : au-delà de 40, voire 43 ans, la fréquence de l’hypertension artérielle et/ou

prééclampsie atteint 10 % contre 3 % avant 35 ans, celle du diabète gestationnel 6 % (versus 1,4 %), celle des accouchements prématurés 52 % (versus 13 %) et les femmes accouchent par césarienne dans 25 à 45 % des cas (contre 14 à 18 % en dessous de 35 ans). De plus, la survenue d’une grossesse après 40 ans expose la femme à une surmortalité importante (3,6/100 000 pour une femme entre 25 et 29 ans, 32/100 000 au-delà de 40 ans [9 fois plus] et 215/100 000 [60 fois plus] au-delà de 45 ans) [15], en particulier par hémorragies graves du post-partum : 15 % des morts maternelles surviennent chez les femmes âgées de 40 ans ou plus alors que les naissances à cet âge ne représentent que 3,4 % des cas. Cependant, on peut se demander si le don d’ovocytes en tant que tel est responsable de l’augmentation des complications gravidiques, alors qu’en fécondation in vitro (FIV) intracouple les taux de prématurité et de petit poids de naissance sont également plus élevés même en cas de grossesse unique [16]. Enfin, quel est le rôle de l’âge des femmes prises en charge en don d’ovocytes dans la genèse de ces complications ? En FIV, la tendance actuelle est au transfert monoembryonnaire, mais même dans ce cas le devenir de la grossesse n’est pas sans risque. Grady et al. [17] ont comparé dans une méta-analyse le devenir périnatal des grossesses après transfert mono-embryonnaire (eSET) par rapport à celles obtenues après transfert de 2 embryons (DET) ou plus (MET) et aux grossesses uniques survenues après conception spontanée (SC). S’il apparaît que les grossesses uniques après eSET comparé aux grossesses après DET entraînent une diminution significative des risques de prématurité (< 37 semaines de grossesse ; OR : 0,37 avec IC95 % : 0,25–0,55) et de petit poids de naissance (< 2500 g ; OR : 0,25 avec IC95 % : 0,15–0,45), aucune différence n’est observée entre ces deux groupes pour les autres items (prématurité < 32 semaines, poids < 1500 g, score d’Apgar, mortalité périnatale, diabète gestationnel, prééclampsie, faussecouche spontanée < 20 semaines, grossesse extra-utérine). Par contre, lorsque l’on compare les grossesses uniques issues d’eSET aux grossesses uniques spontanées, on retrouve significativement plus de risques après eSET de prématurité (OR : 2,13 avec IC95 % : 1,26–3,61), de placenta praevia (OR : 6,02 avec IC95 % : 2,79–13,01), de diabète gestationnel (OR : 1,69 avec IC95 % : 1,19–2,42) et de grossesse extra-utérine (OR : 6,40 avec IC95 % : 4,38–9,35). Cette étude est en accord avec celle de Mac Donald et al. [18], de Shieve et al. [19] et de Helmerhorst et al. [20] qui retrouvaient également un moins bon devenir des grossesses uniques après FIV par rapport aux grossesses spontanées, avec des OR de l’ordre de 1,4 à 2. À quoi est liée cette différence : existe-t-il d’autres facteurs que l’infertilité qui conduirait à des complications lors de la pratique d’une AMP ? Nos pratiques d’AMP sont-elles en cause ? Nos prises en charge au cours d’une grossesse après AMP génèreraient-elles une iatrogénie ? Pour essayer d’y répondre, Kansal Kalra et al. [21] ont montré que le milieu hormonal supraphysiologique d’un transfert d’embryon frais pouvait nuire au devenir de la grossesse par rapport à une grossesse obtenue après transfert d’embryons congelés (où l’imprégnation hormonale est moins importante), alors qu’aucune différence entre

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embryons frais ou congelés n’est observée lorsqu’ils sont issus d’un don d’ovocytes (donc sans stimulation hormonale chez la receveuse). Ce qui est paradoxal est la notion que les grossesses gémellaires issues de FIV ont par contre le même devenir obstétrical et néonatal que celles obtenues spontanément [22], alors que les mêmes conditions d’AMP existent par rapport aux grossesses uniques. L’âge maternel serait-il alors le facteur confondant des complications gravidiques observées en don d’ovocytes ? Pour Michalas et al. [23], il existe significativement une différence de fréquence du diabète gestationnel (4 versus 28 %), de la prééclampsie (4 versus 22 %) et des risques thromboemboliques maternels (0 versus 13 %) que les receveuses d’ovocytes aient moins ou plus de 40 ans. À l’inverse, Sheffer-Mimouni et al. [24] montrent que l’âge des femmes receveuses lors d’un don d’ovocytes ne semble pas être un facteur de risque de survenue des complications gravidiques et périnatales (prématurité, petit poids de naissance, séjour en unité de réanimation néonatale), contrairement aux risques d’une hypertension gravidique et du tabagisme. Dans cette étude, 50 % des receveuses avaient plus de 43 ans et 30 % plus de 45 ans. Enfin, Krieg et al. [25] ont comparé l’évolution des grossesses après don d’ovocytes ou après FIV intracouple chez des femmes de plus de 38 ans, et a montré aucune différence en ce qui concerne la prématurité, l’hypertension artérielle, le diabète gestationnel, le terme d’accouchement et le poids de naissance entre ces deux groupes. En réalité, les seules anomalies dont la fréquence augmente avec l’âge sont les trisomies. Le risque « théorique » de trisomie 21 est de 1 sur 909 à 30 ans, 1 sur 111 à 40 ans et 1 sur 28 à 45 ans. Jusqu’en 2009, à partir de 38 ans, il était proposé un prélèvement, amniocentèse ou biopsie de villosités choriales, avec caryotype pris en charge par la sécurité sociale. Cet examen, totalement fiable, permettait donc de rassurer totalement les couples, cependant, dans notre cas, la sœur « donneuse d’ovocytes » ayant 37 ans au moment du don, ce prélèvement n’aurait pas été proposé. Désormais, le dépistage se fait, quel que soit l’âge, en intégrant trois paramètres : l’âge maternel, l’épaisseur de la clarté nucale mesurée entre 11 et 13 semaines + 6 jours révolus, et les marqueurs sériques de la trisomie 21 du premier trimestre (protéine placentaire de type A ou PAPP-A et fraction libre de la b-hCG) aux mêmes dates. En France, on note un recul de l’âge de la première grossesse (24 ans en 1970, 26,8 ans en 1980 et 30,2 ans en 2011 [26]), ce qui conduit à une durée d’infertilité de nos couples de 5 ans lorsqu’ils viennent nous consulter et une grande proportion de femmes au-delà de 40 ans (16 et 11 % respectivement en FIV et en ICSI en France). La fécondabilité naturelle des couples est maximale à l’âge de 25 ans avec seulement 24 % de conception par cycle, 60 % au bout de 6 mois, 80 % à un an et 90 % à deux ans. À l’âge de 35 ans ces chiffres sont à diviser par 2, et par 4 à 42 ans. De même, en fécondation in vitro (FIV), l’âge idéal féminin pour obtenir une grossesse se situe entre 26 et 30 ans [27], et si les taux de réussite en FIV sont à peu près stables jusqu’à 36 ans, ils s’abaissent ensuite régulièrement pour rejoindre ceux de la fécondabilité naturelle (6 % de grossesse

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à 42 ans dont 50 % se terminant par une fausse-couche précoce). Spandorfer [28] rapporte les résultats observés chez des femmes de 45 à 49 ans lors de la prise en charge en FIV. Chez les femmes de 45 ans (n : 116), le taux de grossesse clinique par ponction a été de 12,9 %, avec seulement 4,3 % d’accouchement ; chez celles de 46 ans (n : 29) de 10,3 % avec aucun accouchement. Pour toutes les autres femmes, aucune grossesse clinique n’est survenue. Au total, le taux de grossesse biochimique et de fausse-couche spontanée a atteint 85,2 % dans la population étudiée ! Si le nombre d’ovocytes récupérés et d’embryons obtenus reste correct car en rapport avec le taux basal de FSH de la femme, la qualité des ovocytes et donc secondairement le taux de fausse-couche spontanée est lui en rapport avec l’âge féminin. Ces résultats sont à comparer avec ceux observés lors d’un don d’ovocytes à cet âge (30 % de grossesse environ [29]), et l’ensemble est à mettre en balance avec les risques d’une grossesse à cet âge en termes de morbimortalité maternelle ( 20 à l’âge de 45 ans par rapport à 30 ans [15]), d’anomalies chromosomiques fœtales ( 10) et de complications gravidiques (diabète, prééclampsie, retard de croissance intra-utérin et accouchement prématuré). Qu’il s’agisse d’un choix ou d’une contrainte, les causes en sont multiples : longues années d’études, précarité dans l’emploi, crainte de l’annonce d’une grossesse à l’employeur, mais aussi familles recomposées avec le besoin de concrétiser une nouvelle union par la naissance d’un enfant. En parallèle, les médias prônent la possibilité d’obtenir une grossesse au-delà d’un âge raisonnable, en omettant de préciser que la quasitotalité de ces grossesses sont issues d’un don d’ovocytes. En France, la limite d’âge légale pour la prise en charge d’une femme receveuse d’ovocytes est la date anniversaire de ses 43 ans, mais la réalité est tout autre, car du fait des listes d’attentes des centres français, l’inscription se limite le plus souvent à l’âge de 40 ans, poussant ainsi les femmes > 40 ans à passer les frontières pour bénéficier d’une prise en charge en don d’ovocytes dans des centres étrangers. Le problème majeur en France est le recrutement des femmes donneuses d’ovocytes. En effet, en dehors du don altruiste (environ 5 % des dons), l’essentiel du recrutement est lié aux dons d’ovocytes faussement appelés relationnels, c’està-dire initiés par la connaissance d’un cas relevant du don d’ovocytes [30]. Les centres pratiquent alors une certaine priorité pour ces couples venant avec une potentielle donneuse, en contradiction avec la loi de Bioéthique qui interdit que l’accès des couples au don d’ovocytes soit subordonné au recrutement d’une donneuse. Certains centres français, pour améliorer leur recrutement, ont recours comme au Royaume-Uni au « Egg Sharing » (don d’ovocytes à partir d’une cohorte folliculaire partagée au cours d’une FIV), induisant une forme de chantage vis-à-vis du couple pris en charge en FIV et parfois une perte de chance pour celui-ci (cohorte ovocytaire divisée en 2). En France, le don est anonyme et gratuit. À l’étranger, les donneuses perçoivent une indemnité compensatoire allant de 600 à 800 euros pour la Grèce et jusqu’à 900–1000 euros pour l’Espagne. Cette somme constitue pour certaines femmes une véritable rémunération, parfois supérieure dans certains pays

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au salaire moyen, ce qui conduit ainsi de nombreuses femmes, parfois très jeunes mais riches en follicules, à recourir de façon régulière à cette rétribution, aux risques de présenter des complications liées aux stimulations ovariennes multiples (hyperstimulation  thrombose 0,5 % des cas, torsion annexielle et hémopéritoine 0,42 %) [31]. Bien sûr, avec des femmes donneuses plus jeunes, la cohorte ovocytaire est plus importante et les chances de grossesse meilleures y compris chez des femmes receveuses plus âgées [32]. Pour les couples receveurs, l’aspect financier demeure le principal facteur limitant d’une tentative à l’étranger, car les coûts globaux du don d’ovocytes s’échelonnent par exemple de 6000 à 12 000 euros en Espagne et de 2500 à 4000 euros en République Tchèque. La loi de Bioéthique de 2011 a renouvelé le principe de l’anonymat des donneuses, alors que d’autres pays comme la Belgique, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni y ont renoncé [33]. Dans certains pays, la levée de l’anonymat s’est avérée être plutôt un désavantage, avec des chiffres de donneuses en chute de 50 %, car cette rupture de l’anonymat expose les donneuses à l’accessibilité de leur dossier devant toute demande de filiation de la part de l’enfant issu du don [34]. De plus, la Belgique autorise le don intrafamilial, avec le risque de questions d’ordre éthique. Ainsi, dans notre cas, quel regard portera sa mère sur cet enfant atteint de trisomie 21 issu de l’ovocyte de sa sœur, avec à la clé une possible rupture des équilibres familiaux ?, et quelle idée se fera cet enfant de son handicap lorsqu’il connaîtra l’origine de son patrimoine génétique (sa tante) ? Néanmoins, ce type de don d’ovocytes choisi est souhaité par certains couples, s’assurant ainsi de l’origine exacte des ovocytes et de la transmission d’une partie du patrimoine génétique de la famille. Enfin, concernant les risques sanitaires, même si ceux-ci sont globalement bien maîtrisés, les inquiétudes portent néanmoins sur certains centres étrangers où il n’existe pas de transparence sur le recrutement des donneuses. Que peut-on faire pour lutter contre ce tourisme procréatif ? L’inspection générale des affaires sociales (IGAS) a proposé certaines pistes en vue d’améliorer cette pratique [35] : le recours à la vitrification ovocytaire permettant d’alléger le parcours du don (non-synchronisation avec la receveuse) et le fonctionnement des centres (banque d’ovocytes vitrifiés) et de diversifier le recrutement des donneuses (femmes nullipares), incitation des couples engagés dans une procédure de FIV de réaliser un partage d’ovocytes voire un contre-don en cas d’AMP avec don de sperme, amélioration de la prise en charge par l’Assurance maladie des femmes donneuses (prise en charge médicale à 100 % et défraiement des autres dépenses liées au don), création d’un groupe homogène de maladie (GHM) « don d’ovocytes » pour les centres, renforcement des campagnes de communication menées par l’ABM sur le don de gamètes avec le soutien des professionnels. Enfin l’IGAS souhaite consolider l’activité des centres qui pratiquent déjà le don d’ovocytes et étendre l’offre à toutes les régions, dans la mesure où la France ne dispose actuellement que de 25 centres regroupés sur un tiers des régions.

3. CONCLUSIONS Le désir de plus en plus tardif d’enfant est désormais reconnu comme un phénomène de société. Malgré l’avancée des techniques d’AMP, celles-ci ne peuvent compenser la chute de fertilité liée à l’âge, et seul le don d’ovocytes peut y remédier. En France, du fait de la pénurie de femmes donneuses, les femmes receveuses de plus de 40 ans ont les plus grandes difficultés pour être prises en charge et ont donc recours au « tourisme procréatif » vers des pays à la législation est plus souple. Parfois, le problème réside alors, comme l’illustre notre cas clinique, dans la survenue d’une grossesse à risque chez ces femmes plus âgées, grossesse qui sera suivie en France. La loi de Bioéthique de 2011 a autorisé la vitrification ovocytaire en cas de risques d’altération de la réserve ovarienne (chimiothérapie, radiothérapie, chirurgie, risque avéré de ménopause précoce) et pour les femmes nullipares dans le cadre d’un don d’ovocytes. Se pose alors la question de « l’autoconservation sociétale des ovocytes » pour toutes les femmes. Certains considèrent que l’avancée de l’âge féminin (responsable d’une diminution du nombre et de la qualité des ovocytes) doit être considérée comme une indication médicale à une autoconservation de ses ovocytes. Mais, comment pourra-ton refuser à une femme d’utiliser ses propres ovocytes en stock, même à un âge avancé, au risque de s’exposer à des complications gravidiques liées à cet âge. Là encore, il sera sans doute difficile de s’opposer à cette technique déjà disponible hors de nos frontières, l’enjeu sera d’encadrer au mieux cette nouvelle possibilité procréative en limitant l’âge d’utilisation de ses ovocytes et en promouvant la maternité à un âge plus raisonnable. DÉCLARATION D’INTÉRÊTS Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. RÉFÉRENCES [1] Rapport annuel de l’Agence de la Biomédecine 2010. In : www.biomedecine.fr. [2] Cohen J. Procreative tourism as a last resort. Gynecol Obstet Fertil 2006;34:881–2. [3] CNGOF. Recommandations pour la pratique clinique : actualisation de la prise en charge des myomes. In: Fernandez H, et al., editors. Mises à jour en gynécologie et obstétrique et techniques chirurgicale. Paris: Vigot Éd; 2011. p. 803–24. [4] Sunkara SK, Khairy M, El-Toukhy T, Khalaf Y, Coomarasamy A. The effect of intramural fibroids without uterine cavity involvement on the outcome of IVF treatment: a systematic review and meta-analysis. Hum Reprod 2010;25:418–29. [5] Merviel P, Lourdel E, Cabry R, Boulard V, Brzakowski M, Demailly P, et al. Physiopathology of human embryonic implantation: clinical incidences. Folia Histochem Cytobiol 2009;47:S25–34. [6] Dufour P, Haentjens K, Vinatier D. Pregnancy in women over forty years old. Contracept Fertil Sex 1997;25:415–22. [7] Ozturk E, Ugur MG, Kalayci H, Balat O. Uterine myoma in pregnancy: report of 19 patients. Clin Exp Obstet Gynecol 2009;36:182–3. [8] Pados G, Camus M, Van Steirteghem A, Bonduelle M, Devroey P. The evolution and outcome of pregnancies from oocyte donation. Hum Reprod 1994;9:538–42.

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[How far can we go to oocyte donation? Debates on the risks of late pregnancies].

In France, there is a decline in first-time motherhood influenced by many sociocultural factors thus leading to a reproductive age where fertility dec...
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