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Journal des Maladies Vasculaires (2015) xxx, xxx—xxx

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ÉDITORIAL

Hippocrate, ils sont devenus fous ! Hippocrates, have they gone mad?

La santé est un état précaire qui ne laisse présager rien de bon Jules Romains, extrait de Knock ou le triomphe de la médecine

L’examen clinique aujourd’hui est supplanté par l’imagerie et la biologie. La médecine perd ses repères cliniques, l’essence même de notre métier. On a l’impression que les médecins ont peur des malades, qu’ils redoutent de les approcher, de les toucher, de les regarder, de les sentir, de leur parler. Le colloque singulier est réduit à sa plus simple expression. Par contre, la machine à prescrire s’emballe, les examens biologiques, le scanner, l’IRM, le TEP-scan deviennent la référence. On les multiplie en oubliant rapidement que derrière leurs résultats, il y a un malade. C’est ainsi que l’on traite des paramètres et non un patient. Le malade est transformé en données multiples sans liens étroits entre elles. Est-ce une caricature ? Fort heureusement, ce n’est pas toujours le cas, mais c’est une tendance qui s’accentue. La visite à l’hôpital avec l’ordinateur mobile est devenu un colloque très singulier entre les médecins et la machine, « le patient est accessoirement interrogé et examiné (manque de seniorisation) ». En médecine de ville, c’est la même chose, il y a le patient, le médecin et entre eux l’ordinateur, « le patient est accessoirement interrogé et examiné (contrainte de temps et de reconnaissance du métier) ». Est-ce la faute de la technique ? Non, c’est l’évolution destructrice de ce qui était un art. On ne peut comprendre un malade, on ne peut se faire un jugement, on ne peut connaître la maladie, on ne peut rechercher un signe clinique au travers de constantes biologiques et d’imagerie qui souvent sont contradictoires. Aussi, est-il nécessaire de remettre la démarche diagnostique dans le bon ordre. Bonjour, de quoi vous plaignez-vous ? (de fac ¸on à éviter de le soigner pour une autre pathologie que sa plainte).

Merci de vous déshabiller (de fac ¸on à constater des anomalies qui échapperaient à un examen superficiel). L’examen clinique ne coûte rien, mais il a la vertu principale d’être systématique (le cœur, les poumons, l’abdomen, le système nerveux etc. . .). À partir des données de l’interrogatoire et des constatations de l’examen clinique, il est nécessaire de formuler une hypothèse diagnostique (quand on ne sait pas ce qu’on cherche, on a de grandes chances de ne rien trouver). Ce n’est qu’à ce moment que l’on peut envisager des examens dont le qualificatif de « complémentaires » dit bien ce qu’il veut dire. Ces examens viendront confirmer ou infirmer l’hypothèse clinique. Un traitement peut alors être proposé. Cette démarche pourrait paraître simpliste pour ne pas dire naïve eu égard aux énormes progrès de l’imagerie ou de la biologie. Il est cependant utile de la rappeler pour éviter des dérives thérapeutiques (hernie discale radiologique totalement asymptomatique, hypothyroïdie biologique sans signe clinique, etc. . .). Il faut qu’un espace clinique existe. Ce moment est le plus important lorsque l’on va prendre en charge un patient. Ensuite, tout est plus simple, les erreurs d’orientation diagnostique seront moins nombreuses. Ce n’est qu’après un bon examen clinique que l’on peut prescrire les bons examens pour arriver au bon diagnostic. Ce n’est qu’après avoir dialogué avec un patient que la relation s’établit, ce qui évite ensuite bien des problèmes. Le droit pour les patients à un examen clinique de qualité devrait être une exigence, gravée dans le marbre de l’exercice de la médecine. La médecine vasculaire est elle aussi concernée par la disparition de l’examen clinique. La sonde d’écho-Doppler prend le dessus trop rapidement et de multiples informations disparaissent, celles apportées par la clinique. N’oublions jamais que la sonde d’échographie ne réfléchit que les ultrasons ! Une suspicion de thrombose veineuse profonde ne doit pas conduire à un simple examen ultrasonique. Il y a l’avant

http://dx.doi.org/10.1016/j.jmv.2015.06.003 0398-0499/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Pour citer cet article : Laroche J-P, Janbon C. Hippocrate, ils sont devenus fous ! J Mal Vasc (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.jmv.2015.06.003

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ultrason et l’après ultrason, l’avant et l’après, c’est la clinique. En cas de diagnostic positif, le traitement anticoagulant ne peut se passer de la clinique : est-il possible ? Est-il contre-indiqué ? Sera-t-il compris ? Autant de questions simples mais déterminantes. En cas d’artériopathie des membres inférieurs, la clinique revêt une importance décisive, car dans cette affection, des lésions identiques vont entraîner des solutions thérapeutiques différentes, d’un patient à l’autre si l’approche clinique est optimale. Là-encore, les ultrasons ne règlent pas tous les problèmes. L’angioplastie d’une artère des membres inférieurs en dehors de l’ischémie ignore encore trop souvent le patient. Lorsqu’un patient se présente avec son examen d’imagerie, un examen clinique contradictoire devrait être la règle. En effet, dans le parcours de soin du patient, le point de départ de l’examen, c’est le médecin généraliste qui adresse le patient au médecin vasculaire qui examine à nouveau le patient, puis le chirurgien qui à son tour doit examiner le patient. Ainsi dans cet exemple, trois médecins différents vont examiner le même patient, chacun au travers de son expertise clinique va se faire une idée du problème de ce patient. C’est ce qui est réalisé le plus souvent, mais pas toujours avec la même rigueur, ce qui peut entraîner in fine le traitement de l’image et non de la fonction. L’artère suspecte sera dilatée, mais ce geste qui représente un risque et un coût était-il nécessaire dans ce cas précis ? Le plus souvent oui, mais quelquefois non, et ce sont l’examen et le bon sens cliniques dans ce cas qui auraient dû être les facteurs limitants. On pourrait ainsi multiplier les exemples. La prescription d’un bilan de thrombophilie ne devrait intervenir qu’après un interrogatoire « policier », un examen clinique complet, une réflexion approfondie qu’aucune technique ne peut remplacer. Aujourd’hui, nous disposons d’outils d’aide à la décision : les recommandations, les scores cliniques, diagnostiques et pronostiques. Mais leur utilisation ne peut se passer de l’approche clinique, d’un dialogue médecin/patient, car en fin de compte, les recommandations et les scores ne décideront jamais pour nous. Nous disposons de multiples outils pour parvenir au diagnostic, aucun n’est à négliger mais parmi eux deux sont non quantifiables et subjectifs mais très utiles : l’expérience et l’intuition. L’expérience s’acquiert au fil des années, plus ou moins vite, l’intuition découle de l’expérience. Il faut avoir les deux, mais expérience et intuition sont le résultat de l’approche et de la rigueur cliniques. « Le monde est constitué d’éléments invisibles et subtils que nous ne pouvons percevoir qu’avec notre cœur ou notre intuition », rappelle Frédéric Lenoir, l’examen clinique intègre la recherche de ces éléments subtils et invisibles, on ne trouve que ce que l’on a recherché. Pour Henri Poincaré, « C’est avec la logique que nous prouvons et avec l’intuition que nous trouvons », tout est dit et bien dit. Enfin, n’oublions pas la conclusion de la thèse de Laennec « magni facio soepius repetitam experientiam », ce que j’estime le plus, c’est l’expérience très souvent répétée.

L’expérience n’est pas l’apanage de l’âge mais découle d’une pratique clinique régulière, sans cesse renouvelée d’un patient à l’autre. C’est ainsi que « l’expérience de chacun est le trésor de tous » (Gérard de Nerval). Aujourd’hui, la pression médiatique, la surinformation par les médias pseudomédicaux (les plus dangereux), la « googlelisation » de la médecine ont modifié l’image du médecin. Le bon médecin est un prescripteur d’examens paracliniques. Être seulement un excellent clinicien, ce n’est plus pour certains être « vrai » médecin, or s’il est un simple prescripteur d’examens et de médicaments, le médecin n’est plus qu’un prestataire de services, c’est alors un médecin qui ne croit plus à la médecine. Demain, quel examen clinique ? Un examen qui va fusionner la clinique classique avec l’image en un seul temps. Demain, chaque médecin aura dans sa poche un smartphone écho, il s’agira d’une échoscopie (sans photo, sans rémunération, sans compte rendu), ce sera le 3e œil du médecin qui étendra l’examen clinique à une vision de l’intérieur du corps humain. Il s’agira d’une optimisation de l’examen clinique en accord avec l’évolution des technologies mais attention, ce smartphone écho sera le stéthoscope du 21e siècle, rien de plus. Enfin, si l’on réunit toutes les possibilités de l’imagerie et de la communication, un médecin isolé, face à un cas complexe, pourra solliciter à distance un service expert qui pourra l’aider en temps réel. Mais là-encore, la clinique restera le prérequis face au patient. Notre ADN, c’est la clinique, seule capable de redresser les erreurs de la réflexion ! « L’odeur est l’âme subtile de la clinique. Son langage éveille obscurément, dans l’esprit du praticien, la première idée du diagnostic. C’est un moyen de sémiotique que l’on a employé dès les temps les plus anciens ». Les Odeurs du corps humain (1885), Ernest Monin. Hippocrate, ils sont devenus fous ! L’un de tes aphorismes Hippocrate « La vie est courte, la science interminable, l’opportunité fugace, l’expérimentation faillible, le jugement difficile » explique pourquoi aujourd’hui, dans ce siècle de vitesse, et d’hyper technicité, le médecin trouve difficile de prendre le temps de la clinique.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. J.-P. Laroche ∗ Service de médecine vasculaire, hôpital Saint-Éloi, CHU de Montpellier, 34295 Montpellier cedex 5, France C. Janbon 1070, avenue de la Justice-de-Castelnau, 34000 Montpellier, France ∗

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J.-P. Laroche)

Pour citer cet article : Laroche J-P, Janbon C. Hippocrate, ils sont devenus fous ! J Mal Vasc (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.jmv.2015.06.003

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