Presse Med. 2015; 44: 78–88

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Dossier thématique

Angioedèmes héréditaires : traitements et éducation thérapeutique Isabelle Boccon-Gibod

Disponible sur internet le : 12 décembre 2014

CHU de Grenoble, clinique universitaire de médecine interne, centre de référence national de l'angioedème, BP 217, 38043 Grenoble cedex 09, France

[email protected]

Points essentiels L'angioedème héréditaire (AEH) est une maladie chronique dont les crises sont imprévisibles et dangereuses. Le traitement a deux objectifs : traiter les crises et limiter leur survenue à court et long terme. Le traitement de crise doit être administré le plus tôt possible pour une meilleure efficacité et la sécurité du patient. L'auto-administration doit être encouragée pour une meilleure autonomie du patient et un gain de temps dans l'injection du traitement. Les traitements de fond doivent être mis en place pour limiter la survenue des crises et in fine améliorer la qualité de vie du patient et sa sécurité. Des traitements prophylactiques à court terme sont préconisés et doivent être systématiquement mis en place en cas d'exposition à des situations ou facteurs déclenchant de crise (interventions chirurgicales, soins dentaires. . .) : des protocoles du CREAK sont disponibles. Le programme national d'éducation thérapeutique pour l'AEH « Educréak » doit permettre au patient et à son entourage d'acquérir des compétences pour une meilleure autonomie et gestion de sa maladie au quotidien.

Key points Hereditary angioedema: Treatment and educational therapeutic program

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Hereditary angioedema (HAE) is a chronic disease with unpredictable and severe acute attacks that are potentially life threatening. The treatment of HAE has two main objectives: treat acute attacks and limit their occurrence in the short term and long term. The acute treatment should be administered as soon as possible for better efficiency and patient safety. Self-administration should be encouraged for greater patient autonomy and safety (reducing delay to receive treatment injection). Long-term prophylaxis treatments should be set up to limit acute attacks occurrences and finally improve patients' quality of life and safety.

tome 44 > n81 > janvier 2015 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2014.06.030 © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Angioedèmes héréditaires : traitements et éducation thérapeutique

Short-term prophylaxis treatments are required and should be thoroughly applied in case of exposure to known potential triggers (surgery, dental care. . .). CREAK protocols are available. The HAE National Educational Therapeutic Program "Educreak'' is in place to allow the patient and his close family or partners to acquire skills for greater autonomy in day to day disease management.

Spécificités de l'angioedème héréditaire Une maladie imprévisible, potentiellement fatale Par son imprévisibilité et sa gravité potentielle, l'AEH est une maladie altérant fortement la vie des patients. Les crises d'AE, le plus souvent spontanées, peuvent atteindre quasiment toutes les parties du corps. Elles touchent plus particulièrement les extrémités, le visage, le tube digestif et la sphère ORL (figure 1). Elles sont extrêmement variables d'un patient à l'autre, tant sur le plan de leur intensité, de leur gravité, de leur fréquence et de leur localisation (y compris dans une même famille). On retrouve cette même variabilité tout au long de la vie des patients : des périodes asymptomatiques alternent avec des périodes marquées par des crises fréquentes. La survenue de crises, potentiellement graves à tout moment de la vie du patient, altère considérablement sa qualité de vie. L'anxiété est forte chez ces patients du fait du risque d'asphyxie par œdèmes des

Glossaire AE AEH C1Inh VAS OL EVA CREAK ETP AMSAO

angioedème angioedème héréditaire C1 inhibiteur voies aériennes supérieures œdème laryngé échelle visuelle analogique de la douleur centre de référence des angioedèmes à kinines éducation thérapeutique du patient Association des patients porteurs d'AEH

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VAS [2]. Les crises abdominales, souvent extrêmement douloureuses, sont aussi très mal vécues par les patients. Certains d'entre eux ont développé des conduites addictives aux morphiniques du fait de la fréquence élevée de leurs crises. Les crises périphériques (œdèmes des mains, des pieds) durent au moins 2 jours : elles peuvent créer un handicap sévère et récurrent chez les patients, dans l'incapacité d'assurer leurs tâches quotidiennes et/ou professionnelles. L'absentéisme scolaire ou professionnel est souvent important avec des signes de dépression constatés chez 42 % des patients. En l'absence de traitement, les patients porteurs d'AEH souffrent en moyenne d'une crise tous les 7 à 14 jours (allant de 1 fois par an à 1 fois tous les 3 jours) [3]. Certains facteurs déclenchant sont identifiés par plus de 50 % des patients. Certaines situations sont bien identifiées comme à risque de déclencher une crise grave (soins dentaires, interventions chirurgicales. . .). Dans ces cas-là, des mesures de prophylaxie sont systématiquement mises en place. Les crises sévères doivent être rapidement identifiées, ce sont (figure 2) :  les crises touchant les voies aériennes supérieures, la face et/ou la langue ;  les crises abdominales avec une échelle visuelle analogique (EVA) > 5.

Le pronostic vital est lié à l'atteinte des voies aériennes supérieures L'atteinte des VAS, de la face et/ou de la langue est à fort risque d'évoluer vers un œdème laryngé. Le pronostic vital du patient peut être engagé : 30 % des œdèmes des VAS sont fatals en l'absence de traitement spécifique [3,4]. Les corticoïdes, les antihistaminiques et l'adrénaline sont inefficaces.

Les crises abdominales sont souvent sévères Les crises douloureuses abdominales évaluées par une EVA > 5 sont considérées comme sévères : 69 % des patients décrivent des crises abdominales avec une EVA à 10. Elles se présentent comme de véritables tableaux subocclusifs durant 1 à 3 jours avec vomissements, présence possible d'ascite et risque de choc hypovolémique [5].

Traitements spécifiques Ils sont utilisés dans tous les types d'AEH, associés ou non à un déficit en C1 inhibiteur (C1Inh). Le traitement des autres angioedèmes bradykiniques (angioedèmes liés aux IEC ou acquis) n'est pas traité dans ce chapitre. Des consensus internationaux

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L

es angioedèmes héréditaires (AEH) se caractérisent par la survenue de crises spontanées d'angioedèmes (AE). Ces épisodes sont récurrents, le plus souvent imprévisibles et régressent classiquement sans séquelles. Lors de l'atteinte des voies aériennes supérieures (VAS), les crises sont potentiellement fatales par asphyxie en l'absence de traitement spécifique. Source d'angoisse, elles peuvent survenir à tout moment de la vie du patient. Les crises abdominales se présentent comme de véritables syndromes subocclusifs, source de morbidité importante. L'imprévisibilité et la gravité des crises d'AEH imposent une prise en charge rapide et adaptée. Depuis 2008, les patients vivent une véritable révolution thérapeutique avec des traitements efficaces et sûrs qui permettent de traiter rapidement les crises [1]. Ces traitements améliorent leur qualité de vie et diminuent considérablement la morbi-mortalité.

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I. Boccon-Gibod

Figure 1 Localisation des crises d'angioedème Pourcentages de patients ayant chaque type de localisation. Imageries associées: TDM lors d'une crise abdominale montrant un épaississement des anses intestinales et une image en cocarde.

(2010 et 2012 de l'International Working Group) ont cherché à dresser des algorithmes de prise en charge pour les AEH par déficit en C1Inh [6–10]; les AEH à C1Inh normal, de découverte plus récente, n'ont pas encore fait l'objet de consensus thérapeutique. Pour les enfants et les adolescents, un consensus a été récemment rédigé par Whan et al. [11]. En France, un

protocole national de soins (PNDS) pour l'AEH, élaboré par le centre de référence des angioedèmes (CREAK), est en cours de rédaction. En attendant sa finalisation, des protocoles de traitements, établis par les médecins référents du CREAK, sont déjà disponibles. Pour tous les professionnels de santé, un téléphone d'astreinte nationale 24 h/24 a été mis en place pour donner des avis concernant la prise en charge de ces patients. Ces traitements ont 2 objectifs essentiels :  traiter les crises ;  limiter leur survenue à court et long terme.

Mécanismes d'action

Figure 2

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Identification d'une crise grave : programme d'éducation thérapeutique du patient « Educréak »

Les traitements agissent à différents niveaux de la voie d'activation kallicréine-kinine, véritable cascade enzymatique activée par le facteur XII (facteur de Hageman), entraînant la production et l'accumulation de bradykinine. Celle-ci, médiateur clef de l'AEH, en se fixant sur ses récepteurs B2 spécifiques constitutifs, situés au niveau des cellules endothéliales vasculaires, est responsable de la formation de l'œdème par une puissante vasodilatation et une augmentation de la perméabilité vasculaire [12]. Le C1Inh est le principal contrôleur de cette chaîne d'activation : il inhibe fortement le facteur XII, la plasmine et la kallicréine (protéines de la phase contact de la coagulation). En cas de déficit en C1Inh pondéral et fonctionnel (AEH type I et

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Figure 3 Mécanisme d'action des traitements spécifiques de l'AEH Le danazol augmente la synthèse hépatique de C1 Inh (+); l'acide tranexamique inhibe la plasmine (-); le C1 Inh contrôle la plasmine, la kallicréine et le facteur XII (-); l'icatibant est un antagoniste des récepteur B2 de la bradykinine (-); l'écallantide est un inhibiteur de la kallicréine (non commercialisé en France).

Les traitements de crise Ils sont efficaces et bien tolérés, quelle que soit la localisation de l'angioedème (tableau I). Ils ont fait preuve de leur efficacité et de leur innocuité dans les essais cliniques (recommandations de 2012 basées sur l'evidence-based medecine) [8]. Plus les crises sont traitées tôt, plus elles régressent rapidement. Sachant que les antihistaminiques, les corticoïdes et l'adrénaline sont totalement inefficaces, tout patient, même asymptomatique, doit avoir accès à au moins un de ces traitements spécifiques [8] (tableau I).

Prise en charge des crises Autant que possible, les patients doivent avoir leur traitement à domicile et être formés, s'ils acceptent, à l'auto-administration.

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Toutes les crises sont éligibles aux traitements [8]. Il convient tout de même de distinguer les crises modérées des crises sévères pour utiliser le traitement adapté (figure 2). Le coût élevé des traitements spécifiques (tableau I) est en effet pris en compte par les experts français dans la prise en charge des crises d'AE :  pour les crises modérées et en l'absence de contre-indication: l'acide tranexamique (Exacyl®) est le traitement de première intention. Il peut être suffisant pour les crises minimes et/ou modérées (crises périphériques, crises abdominales avec EVA < 5) ;  pour les crises sévères : l'icatibant (Firazyr®) et les concentrés de C1Inh (Bérinert® ou Cinryze®) doivent être utilisés. L'acide tranexamique n'est pas recommandé comme traitement de la crise sévère. L'icatibant et les concentrés de C1Inh conviennent au traitement d'urgence des crises sévères de tous les AEH (à C1Inh normal ou par déficit en C1Inh). The earlier, the better : ils doivent être injectés le plus tôt possible, dès le début de la crise, car plus ils sont utilisés tôt, plus ils sont efficaces [13]. L'auto-administration, quand elle est possible, est vivement recommandée [14] car elle permet l'administration précoce du traitement. L'icatibant et les concentrés de C1Inh (Bérinert® et Cinryze®) ont

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II), le facteur XII n'est plus suffisamment contrôlé: il peut s'autoactiver et favoriser ainsi la production de bradykinine, responsable d'AE. Les traitements actuels agissent en amont, en aval et au cœur même de cette cascade enzymatique: soit en contrôlant la production de bradykinine (concentrés de C1Inh, recombinant de C1Inh, écallantide, acide tranexamique, danazol), soit en bloquant son action (icatibant) (figure 3).

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Mise au point I. Boccon-Gibod

TABLEAU I Traitements des crises sévères d'AEH disponibles en France en 2014 Nom commercial Bérinert®

Molécule

Origine

Études vs placebo

Concentré de C1Inh

Plasma pasteurisé nanofiltré

2 études 20 U/kg 10 U/kg vs placebo

Délai amélioration en h 0,5 1,17 1,5

Cinryze®

Concentré de C1Inh

Plasma pasteurisé nanofiltré

1000 U vs placebo

Ruconest®

C1Inh recombinant

Lait de lapine transgénique

2 études 100 U/kg 50 U/kg vs placebo

1,1 2,03 8,25

Synthétique

3 études 30 mg vs placebo AT1 placebo

0,8 16,9 7,9 3,5

Firazyr®

Icatibant Antagoniste des récepteurs B2 de la bradykinine

C1 Inh : C1 inhibiteur ; AT : acide tranexamique. 1 Étude FAST-2.

2 vs 4

Échec dans les 4 h (%)

AMM

Dose

Enfant Femme enceinte

Prix

Réserves

5 21

Crise Prophylaxie court terme Auto-administration

20 UI/kg en IVL

Oui

540 euros les 500 U

Produit dérivé du sang

40

Crise Prophylaxie court et long terme Auto-administration

1000 UI en IVL

Possible

600 euros les 500 U

Produit dérivé du sang

10 0

Crise

50 UI/kg en IVL

Non

840 euros les 2100 U

Risque d'allergie au lapin Contrôle des IgE

33 20 0

Crise Auto-administration

30 mg en sous-cutanée

Non

1715 euros la seringue

Érythème lors de l'injection 1/2 vie courte

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Angioedèmes héréditaires : traitements et éducation thérapeutique

C'est un décapeptide synthétique, antagoniste des récepteurs B2 de la bradykinine. La posologie recommandée est de 30 mg. Il s'injecte par voie sous-cutanée, uniquement chez l'adulte. Il a l'autorisation de mise sur le marché (AMM) depuis 2009 uniquement pour le traitement des crises : 3 études de phase III (1 en Europe et 2 aux États-Unis : FAST-2, FAST-1 et FAST-3) ont été réalisées pour établir l'efficacité du produit. FAST 3, comparant l'icatibant à un placebo, montre un délai de début d'amélioration après l'injection de 2 h contre 19,8 h; p < 0,0001 [15]. Une seule injection suffit généralement à traiter la crise mais l'injection d'icatibant peut être renouvelée 6 h après si besoin. Du fait de sa courte demi-vie, l'icatibant n'a pas sa place dans la prophylaxie des crises. Ses effets indésirables se limitent à des réactions locales au site d'injection, à type d'érythème et d'induration, spontanément résolutives.

Concentrés de C1 Inhibiteurs Bérinert® C'est un dérivé du plasma, pasteurisé et nanofiltré depuis 2011. Il a l'AMM pour le traitement des crises d'AEH depuis 2009. Il peut être utilisé en toute innocuité chez l'enfant et la femme enceinte [11]. Il est injectable par voie intraveineuse lente à la dose recommandée de 20 U/kg (flacons de 500 U). Tout flacon entamé doit être injecté en totalité. IMPACT 1, une étude randomisée contre placebo, a montré l'efficacité du produit à cette dose. IMPACT 2 confirme l'innocuité du produit, et rapporte un délai médian du début d'amélioration des symptômes de 0,46 h (< 1 h pour 89,5 % des patients) [16], délai comparable quelle que soit la localisation de la crise (0,39– 0,48 h). Avec plus de 400 000 patients traités en 20 ans, aucun cas de transmission virale n'a été rapporté. Cinryze® Dérivé du plasma, pasteurisé et nanofiltré également, il a l'AMM pour le traitement des crises depuis 2011 [17]. La posologie recommandée est de 1000 U en IVL, quel que soit le poids du patient. Une seule étude randomisée contre placebo a conclu à l'efficacité du produit et à son innocuité, avec un délai moyen du début d'amélioration des symptômes après l'injection significativement plus court dans le groupe Cinryze® (de 2 h contre plus de 4 h pour le groupe placebo ; p = 0,048). Aucun cas de transmission virale n'a été rapporté.

C1Inh recombinant (Ruconest®) Le C1Inh recombinant est produit dans le lait de lapines transgéniques. L'efficacité du produit a été retenue à la suite de deux études randomisées en double insu contre placebo, réalisées en Europe et aux États-Unis [18]. Il a l'AMM en France depuis 2010 pour le traitement des crises, pour une dose recommandée de 50 U/kg jusqu'à 84 kg et de 4200 U (2 flacons) au-delà.

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Icatibant (Firazyr®)

Ce traitement est contre-indiqué chez les patients allergiques aux poils de lapin. Avant la première injection, il est exigé de doser les IgE anti-squames de lapin et de contrôler ce dosage toutes les 10 injections. En France, le Ruconest est assez peu utilisé, car peu référencé dans les hôpitaux à ce jour : il est exclusivement réservé à des patients sévères, répondant insuffisamment aux traitements habituels de crise. Les effets indésirables rapportés sont principalement des céphalées et des vertiges.

Écallantide (Kalbitor®) L'inhibiteur de la kallicréine plasmatique a été approuvé pour le traitement de crise aux États-Unis mais pas en Europe, par deux études de phase III contre placebo [19]. Des réactions d'anaphylaxie ont été rapportées chez 4 % des patients traités. Le produit est administré en 3 injections sous-cutanées. Aucune étude comparative entre ces différents traitements n'a été réalisée à ce jour.

Traitements prophylactiques Leur objectif principal est de limiter la survenue des crises, soit à court terme soit à long terme.

Prophylaxie à long terme Elle a pour but de réduire la fréquence des crises, leur gravité, le passage aux urgences et/ou en hospitalisation des patients, et in fine d'améliorer leur qualité de vie et leur sécurité [20]. Elle est donc recommandée chez tout patient ayant plus de 5 crises par an (consensus CREAK 2014). Les traitements oraux (danazol et acide tranexamique) sont les plus utilisés en France dans cette indication. L'utilisation des progestatifs chez les femmes doit être maintenant considérée en première intention dans cette indication, compte-tenu de l'amélioration indéniable qu'ils peuvent apporter [20]. Pour autant, il est nécessaire de réévaluer régulièrement les patients et de revoir avec eux, à chaque consultation, la nécessité de poursuivre, d'adapter ou de modifier leur traitement prophylactique (selon l'activité de la maladie, grossesse. . .). Acide tranexamique Du fait de son faible coût et de sa tolérance généralement bonne, il est largement utilisé en traitement de fond dans certains pays dont la France, à la dose de 3 g/j par voie orale chez l'adulte. Antifibrinolytique, il agit en inhibant la production de plasmine. Seulement 30 % des patients seraient répondeurs. Dans les AEH par déficit en C1Inh, il est communément considéré comme moins efficace que le danazol [21]. Dans les AEH à C1Inh normal, il est souvent utilisé en traitement de fond, et chez les enfants nécessitant un traitement prophylactique. Les contre-indications sont principalement les antécédents de maladie thrombo-embolique et les situations thrombogènes (première semaine du post-partum. . .). Une surveillance annuelle du bilan hépatique, ophtalmologique et des enzymes musculaires est recommandée.

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l'AMM pour l'auto-administration intraveineuse (IV) depuis 2011.

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Progestatifs Une étude récente rétrospective française [22] a permis de montrer qu'un traitement par macroprogestatif (Lutéran® ou Lutényl®) pouvaient diminuer fortement la fréquence des crises chez les femmes en période d'activité génitale. Compte-tenu de ces résultats, et en l'absence de contre-indication, un traitement progestatif par voie orale doit être proposé en première intention comme traitement de fond chez toute femme non ménopausée. Cette thématique hormonale est reprise de façon plus détaillée dans un autre chapitre de ce dossier. Danazol Il est proposé uniquement chez les patients porteurs d'AEH par déficit en C1Inh. Il réduit notablement la fréquence et la gravité des crises. Les recommandations récentes préconisent de ne pas dépasser 200 mg par jour pour éviter les effets indésirables dose-dépendants. Les effets délétères fréquemment rencontrés sont : prise de poids, hypertension artérielle, dyslipidémie, acné, signes de virilisation, hyperpilosité, raucité de la voix, irrégularité des cycles menstruels, diminution de la libido, adénome hépatique. . . Une surveillance biologique régulière comprenant un bilan hépatique et lipidique initial puis bi-annuel ainsi qu'une échographie hépatique annuelle est indispensable [6]. La recherche de la dose minimale efficace journalière est essentielle pour limiter la survenue des effets indésirables : 200 mg/ j, ou 1 jour sur 2, ou 2 à 3 fois par semaine. L'ajustement de la posologie ne sera fait que sur la réponse clinique et non sur les dosages biologiques [20]. Il ne doit pas être utilisé chez la femme enceinte, ni en cas de néoplasie ou de risque cardiovasculaire majeur.

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Concentré de C1 Inhibiteur En prophylaxie à long terme, il est réservé aux formes sévères, mal contrôlées par les autres traitements, ou en cas de contreindication à ceux-ci. Dans cette indication, c'est le Cinryze® qui a l'AMM en France, grâce à une étude randomisée, en double aveugle et cross-over contre placebo, sur 22 patients ayant plus de 2 crises par mois [16]. Avec 1000 U de Cinryze®, 2 fois par semaine pendant 3 mois, les patients avaient 2 fois moins de crises qu'avec le placebo, ces crises étaient aussi de moindre gravité et de plus courte durée [23]. Avant l'arrivée du Cinryze®, le Bérinert® était déjà utilisé dans cette indication, hors AMM, après avis du centre de référence, avec le même type de schéma d'administration. L'expérience du CREAK rapporte un bon rapport efficacité/tolérance de ce produit dans cette indication. Il est indéniable que la prophylaxie au long cours avec ces produits modifie radicalement la qualité de vie des patients ayant une forme clinique sévère. Depuis 2011, les patients sont autorisés, s'ils le souhaitent, à s'auto-administrer le produit en intraveineux (IV) [24]. Les limites de ce traitement sont principalement le coût et les problèmes d'abord veineux. . .

Prophylaxie à court terme Elle peut être instaurée dans l'urgence ou en cas d'intervention programmée. Elle a pour but de prévenir les crises d'AE face à un facteur potentiellement déclenchant: tout geste dentaire, toute intervention chirurgicale, tout geste endoscopique doit être encadré par une prophylaxie « court terme ». Une étude rétrospective de Bork et al. de 2011 [25] a montré que le risque d'œdème (de la face et/ou laryngé) était de 21,5 % après une extraction dentaire. Ce risque n'était plus que de 7,5 % si le patient avait reçu 1000 U de concentré de C1Inh (Bérinert®) 1 h avant le geste ; le risque d'AE est maximal dans les 8 h qui suivent l'intervention. Un œdème sévère peut aussi être déclenché au niveau de la zone anatomique concernée par l'acte: voies urinaires, utérus, peau. . . Concentré de C1 Inhibiteur C'est le traitement prophylactique de référence. Il doit être injecté à la dose de 20 U/kg en IV lente dans les 6 h précédant le geste. Aucune étude comparative d'efficacité de dose, en fonction du poids, concernant la prophylaxie n'a été réalisée. Même si le patient a bénéficié d'une prophylaxie par concentré de C1Inh un traitement spécifique de crise, concentré de C1Inh (20 U/kg) ou icatibant (30 mg), doit être systématiquement mis à disposition sur les lieux du geste (protocole du CREAK) car le risque de survenue d'une crise n'est jamais totalement écarté. Danazol et acide tranexamique Ils ne sont plus recommandés comme prophylaxie à court terme (consensus du CREAK 2014).

Éducation thérapeutique Conformément à la définition de l'OMS (1996), l'éducation thérapeutique (ETP) doit permettre au patient « d'acquérir et/ou de maintenir les compétences nécessaires » pour gérer au mieux sa vie avec la maladie chronique [26]. Compte-tenu de l'imprévisibilité et de la sévérité potentielle de la maladie d'AEH, les patients doivent acquérir des connaissances théoriques et gestuelles pour se prendre en charge de façon autonome et savoir faire face à l'urgence thérapeutique. L'éducation thérapeutique du patient et de son entourage est capitale : elle fait partie intégrante et de façon permanente de sa prise en charge. Elle débute dès la première consultation avec le médecin référent du CREAK, acteur essentiel d'ETP sur le parcours du patient.

Les consultations médicales Le patient doit bénéficier au minimum d'une consultation annuelle spécialisée pour avoir des connaissances suffisantes sur sa maladie, savoir reconnaître les crises sévères et être capable d'utiliser en urgence les traitements spécifiques (apprentissage de l'auto-administration et/ou de l'administration à domicile par une tierce personne). Il doit donc être adressé à un des médecins experts compétents des sites du

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Angioedèmes héréditaires : traitements et éducation thérapeutique

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Figure 4 Identification des facteurs déclenchants : support programme « Educréak »

maillage du CREAK. Sur certains sites, disposant d'une équipe d'ETP, un programme plus approfondi pourra de plus lui être proposé.

Il s'agit d'une consultation longue et spécialisée, dont le but est avant tout de délivrer une information précise et claire au patient et à son entourage. Les objectifs prioritaires sont :  la confirmation du diagnostic du patient ;  l'enquête familiale, qui doit être la plus exhaustive possible ;  la remise par le médecin référent d'une carte de soins et d'urgence dûment remplie ;  expliquer la maladie et ses symptômes au patient et à son entourage (figure 1) ;  apprendre au patient à reconnaître les crises sévères (figure 2) ;  apprendre à identifier les facteurs déclenchants (figure 4) ;  savoir reconnaître les situations à risque et utiliser les mesures de prophylaxie ;  apprendre à gérer les crises : savoir utiliser les traitements spécifiques suivant la gravité de la crise, appel d'un proche ou du SAMU si nécessaire, ne pas rester seul après une autoadministration ;  proposer l'auto-administration et/ou l'administration à domicile sous-cutanée ou intraveineuse. La personne susceptible

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Le programme d'ETP « Educréak » Un programme d'ETP multi-sites, nommé « Educréak » a été élaboré par des professionnels du CREAK (formés en ETP) à partir des besoins des patients (auto-questionnaires distribués aux patients avec l'aide de l'AMSAO) : il a été approuvé par l'ARS (Rhône-Alpes) en décembre 2012 [27]. La finalité du programme est de limiter l'impact de la maladie sur le patient et son entourage sur le plan physique et psychosocial. Il est proposé à tous les patients porteurs d'AEH ainsi qu'à leurs proches désireux de s'impliquer. Les différentes étapes Suite au diagnostic posé, et après accord et signature de consentement du patient souhaitant participer au programme (démarche volontaire), les étapes suivantes lui sont proposées :

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La première consultation

de pratiquer l'injection (conjoint, parent. . .) doit assister à la séance d'éducation thérapeutique. L'auto-administration souscutanée peut être acquise en une séance alors que pour l'autoadministration IV, il faudra au minimum 5 à 7 séances délivrées par une infirmière formée à cette technique ; apprendre les règles d'utilisation et le maniement des produits: en cas d'efficacité insuffisante (ou d'aggravation rapide) 1 h après l'injection, ne pas faire une 2e injection d'icatibant moins de 6 h après la première, avoir recours à un autre traitement spécifique. . .

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Figure 5 Les objectifs du programme d'ETP « Educréak »

Figure 6

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Séances collectives du programme « Educréak »

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Angioedèmes héréditaires : traitements et éducation thérapeutique

Les séances éducatives Séances individuelles :  auto-administration sous-cutanée (1 séance) ou IV (4 à 5 séances) [17] ;  entretien individuel avec un membre de l'équipe d'ETP. Séances collectives :  comment gérer la crise? (facteurs déclenchant et prophylaxie) (1 journée);  l'angioedème et les loisirs (1/2 journée);  l'angioedème, quelles émotions? (1/2 journée);  comment expliquer sa maladie aux professionnels de santé et à son entourage? (cette séance répond tout particulièrement à la problématique des maladies rares) (1/2 journée).

Les critères d'évaluation Plusieurs critères ont été définis pour évaluer l'intérêt du programme :  critères cliniques : diminution de la fréquence, de la durée et de la sévérité des crises ;  qualité de vie : amélioration de la qualité de vie du patient et de son entourage ;  recours aux soins : diminution du nombre de consultations, d'hospitalisations ;  autonomie : savoir vivre avec sa maladie dans les différentes situations de la vie quotidienne ou professionnelle. Une évaluation finale individuelle porte sur les données cliniques et sur un questionnaire des connaissances pratiques et théoriques du patient.

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Encadre 1

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Conclusion 







étape 1 : elle comprend un entretien individuel avec 2 personnes de l'équipe d'ETP, d'environ une heure pour établir un bilan éducatif partagé. Les besoins du patient et sa démarche sont identifiés et ses potentialités évaluées ; étape 2 : elle définit des objectifs personnalisés et des priorités d'apprentissage. Une réunion de synthèse établit pour chaque patient un programme d'ETP personnalisé, étape 3 : elle planifie et met en œuvre les séances éducatives individuelles et/ou collectives ; étape 4 : elle évalue les compétences acquises et le déroulement du programme.

Les séances éducatives Selon le programme, des séances individuelles ou collectives (encadré 1) sont proposées sur différents thèmes : vivre avec sa maladie, comprendre sa maladie, gérer une crise, identifier les facteurs déclenchant des crises, connaître les signes annonciateurs d'une crise (figures 5 et 6).

Le parcours des patients ayant un AEH est encore difficile aujourd'hui : l'autonomie et l'amélioration de leur qualité de vie reste un véritable challenge. Il est nécessaire que ces patients soient suivis au moins annuellement par des médecins référents spécialisés dans la pathologie. Ces derniers sauront leur délivrer l'éducation thérapeutique adaptée et actualisée, selon les protocoles et recommandations du CREAK. Un téléphone d'astreinte du CREAK 24 h/24, 7 jours sur 7 (06 74 97 36 88), est réservé aux professionnels de santé prenant en charge ces patients pour répondre aux avis urgents. Il permet aussi d'orienter convenablement les patients dans la filière de soins et d'utiliser de façon optimum le maillage territorial des médecins du CREAK.

Déclaration d'intérêts : le Dr Boccon-Gibod est consultante pour les laboratoires Shire HGT, CSL Behring, Viropharma et Pharming.

Références

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[Hereditary angioedema: treatment and educational therapeutic program].

Hereditary angioedema (HAE) is a chronic disease with unpredictable and severe acute attacks that are potentially life threatening. The treatment of H...
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