Pour citer cet article : Adioui T, et al. Encéphalopathie de Gayet-Wernicke : une complication rare de la nutrition parentérale prolongée. Presse Med. (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2014.11.012 Presse Med. 2015; //: ///

Encéphalopathie de Gayet-Wernicke : une complication rare de la nutrition parentérale prolongée Gayet-Wernicke encephalopathy: A rare complication of prolonged parenteral nutrition L'encéphalopathie de Gayet-Wernicke est une urgence neurologique potentiellement fatale, causée par un déficit en thiamine. Bien qu'elle soit souvent associée à l'alcoolisme chronique, elle peut aussi survenir dans toutes les situations qui entraînent un déficit en thiamine : dénutrition, vomissements chroniques, jeûne prolongé, et alimentation artificielle exclusive. C'est une complication rare qui peut être réversible si la prise en charge est rapide, tout retard diagnostique ou thérapeutique est à risque de séquelles neurologiques graves telles que le syndrome de Korsakoff. Nous rapportons un cas d'encéphalopathie de Gayet-Wernicke au décours d'une nutrition parentérale exclusive survenant chez une patiente ayant un carcinome épidermoïde laryngé. Observation Une patiente, âgée de 50 ans, était admise dans le service de gastro-entérologie I de l'hôpital militaire d'instruction Mohamed V de Rabat, pour une dysphagie organique remontant à 3 mois, d'aggravation rapidement progressive, aboutissant à une aphagie totale avec un amaigrissement important, imposant une nutrition parentérale dès son hospitalisation. L'examen physique était normal en dehors d'une maigreur avec des signes de déshydratation et une tachycardie. Le bilan biologique initial montrait des désordres électrolytiques qui ont été corrigés, avec une hypoprotidémie marquée. L'endoscopie œsogastroduodénale mettait en évidence une sténose infranchissable finement bourgeonnante au niveau de la bouche de Killian. Un transit œsogastroduodénal retrouvait une lésion polypoïde sténosante du fond du sinus piriforme. Les biopsies sous laryngoscopie indirecte étaient en faveur d'un carcinome épidermoïde laryngé. L'évolution a été marquée, 10 jours après son admission, par l'apparition d'une confusion, d'une ataxie et d'un nystagmus horizontal. Une encéphalopathie de Gayet-Wernicke a été évoquée et une imagerie cérébrale par résonance magnétique, réalisée en urgence, a confirmé le diagnostic en

objectivant un hypersignal T2 au niveau des tubercules mamillaires (figure 1). Un traitement à base de thiamine intraveineuse a été instauré en urgence, ce qui a permis une amélioration clinique complète quatre semaines après le début du traitement, sans troubles mnésiques séquellaires.

Lettre à la rédaction

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Discussion Après des observations faites par James Jackson (1822) et Charles Gayet (1875), l'encéphalopathie de Gayet-Wernicke a été décrite pour la première fois par Carl Wernicke en 1881 [1]. C'est une encéphalopathie carentielle rare et grave, liée à un déficit en vitamine B1. Les données épidémiologiques sont variables et on estime que sa prévalence mondiale varie entre 0 et 2,8 %, selon les régions [2], elle est assez élevée en cas de nutrition parentérale sans supplémentation vitaminique [3,4]. Initialement rapportée chez des patients alcooliques dénutris, cette affection peut se voir dans toutes les situations provoquant une dénutrition sévère, incluant hyperemesis gravidarum, thyrotoxicose, ulcère peptique et cancer de l'estomac, chirurgie bariatrique, anorexie mentale, jeûne prolongé, et alimentation parentérale prolongée [5]. La thiamine apportée par l'alimentation agit comme co-facteur de plusieurs enzymes impliqués dans le cycle de Krebs et dans le cycle pentose-phosphate [6], leur insuffisance est à l'origine d'une acidose lactique focale par insuffisance d'énergie cérébrale aboutissant à une altération de la barrière hémato-encéphalique, à une production d'antiradicaux libres et à la mort cellulaire par nécrose et apoptose [7]. La demi-vie biologique de la thiamine dans l'organisme est de 9 à 18 jours avec un pool total faible de l'ordre de 30 mg [8]. Ceci explique la rapidité d'épuisement des réserves en cas de dénutrition. Le délai d'apparition des troubles chez cette patiente était de dix jours. L'encéphalopathie de Gayet Wernicke se manifeste cliniquement par la triade classique : troubles oculomoteurs, troubles de conscience (syndrome confusionnel) et ataxie. Les anomalies oculomotrices sont précoces et incluent nystagmus et ophtalmoparésie, les troubles de consciences sont de profondeur variable et peuvent aller de la simple apathie jusqu'au coma profond, l'ataxie prédomine au niveau du tronc et de la lèvre inférieure. Néanmoins, la triade classique n'est présente que dans 16 à 38 % des cas et ce diagnostic doit être évoqué devant tout symptôme neurologique inexpliqué chez un patient à risque [9]. En plus de ces manifestations neurologiques, le déficit en thiamine peut mener à un tableau d'insuffisance cardiaque à haut débit avec hypotension et tachycardie, appelée Béribéri humide, qui est souvent méconnu et pris à tort pour une ischémie coronarienne ou un choc septique.

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Pour citer cet article : Adioui T, et al. Encéphalopathie de Gayet-Wernicke : une complication rare de la nutrition parentérale prolongée. Presse Med. (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2014.11.012

Lettre à la rédaction

T. Adioui, F. Nejjari, M. Tamzaourte, H. Basr, F. Rouibaa, A. Aourarh

Comme la triade clinique est non spécifique et souvent incomplète, le recours à des examens complémentaires est nécessaire pour affirmer le diagnostic. Les explorations biologiques ne sont pas faites en routine et reposent sur la mesure de l'activité thiamine transcétolase érythrocytaire ou le dosage de la thiamine pyrophosphate sérique. L'imagerie par résonance magnétique joue un rôle important dans le diagnostic de l'encéphalopathie de Gayet-Wernicke. Elle montre classiquement des hypersignaux en séquences T2, flair et de diffusion en péri-acqueducal, autour du troisième ventricule, des thalamus médians et des corps mamillaires [6,10]. Bien que très évocatrices, ces anomalies de signal ne sont pas pathognomoniques (spécificité de 93 %) [11]. Il faut donc éliminer les principaux diagnostics différentiels : accident vasculaire cérébral, thrombose veineuse cérébrale, encéphalite aiguë, lymphome cérébral. Il faut retenir aussi que l'IRM ne montre des anomalies que dans seulement 53 % des cas [11], de ce fait une imagerie normale ne doit pas exclure le diagnostic. L'encéphalopathie de Gayet-Wernicke est une urgence thérapeutique. La thiamine intraveineuse doit être démarrée dès le diagnostic posé pour prévenir les séquelles neurologiques, notamment le syndrome de Korsakoff. Le schéma thérapeutique largement adopté est celui du National Institute of Health and Clinical Excellence (NICE) [12], qui repose sur l'administration de la thiamine IV à la dose de 500 mg toutes les 8 h pendant 5 jours, associée à des multivitamines en IV, avec correction de l'hypomagnésémie et des troubles hydro-électrolytiques. Les solutés glucosés sont à proscrire au début du traitement. Un relais par voie orale pendant au moins trois mois [13] peut être proposé. La réponse au traitement est généralement rapide, avec disparition du nystagmus en quelques jours, l'ophtalmoplégie s'améliore au bout de deux semaines. En revanche, l'ataxie, les troubles cognitifs et mnésiques peuvent persister longtemps voire à vie [14], d'où l'intérêt de la prévention qui passe notamment par l'éviction des solutés de nutrition parentérale non enrichis par les vitamines du groupe B. Conclusion

Figure 1

Les solutés d'alimentation parentérale n'étant pas tous enrichis en thiamine, cette observation souligne l'importance d'une supplémentation vitaminique systématique en cas de nutrition artificielle prolongée pour prévenir l'encéphalopathie de GayetWernicke qui demeure fatale en l'absence de diagnostic et de prise en charge urgents.

a et b : imagerie par résonance magnétique en coupes horizontale et sagittale montrant un hypersignal T2 des tubercules mamillaires (flèche)

Déclaration d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d'intérêts en relation avec cet article.

Références

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Wernicke C. Lehrbuch der Gehirnkrankheiten fur Aerzte und Studirende. Berlin: Kassel, Fischer; 1881p. 229–42.

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Pour citer cet article : Adioui T, et al. Encéphalopathie de Gayet-Wernicke : une complication rare de la nutrition parentérale prolongée. Presse Med. (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2014.11.012

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[11] Antunez E, Estruch R, Cardenal C. Usefulness of CT and MR imaging in the diagnosis of acute Wernicke's encephalopathy. AJR Am J Roentgenol 1998;171:1131–7. [12] National Institute of Health and Clinical Excellence (NICE). Alcohol-use disorders: diagnosis and clinical management of alcohol-related physical complications. London, UK: Nice; 2010p. 4–30. [13] Chataway J, Hardmane E. Thiamine in Wernicke's syndrome-how much and how long? Postgrand Med J 1995;71:249–53. [14] Wood B, Currie J, Breen K. Wernicke's encephalopathy in a metropolitan hospital. A prospective study of incidence, characteristics and outcome. Med J Aust 1986;1:12–6. Tarik Adioui, Fouad Nejjari, Mouna Tamzaourte, Hanane Basr, Fedoua Rouibaa, Aziz Aourarh Hôpital militaire d'instruction Mohamed V, service de gastro-entérologie I, 10100 Rabat, Maroc Correspondance : Tarik Adioui, Hôpital militaire d'instruction Mohamed V, service de gastro-entérologie I, Hay Riad, 10100 Rabat, Maroc [email protected] Reçu le 2 octobre 2014 Accepté le 13 novembre 2014 Disponible sur internet le : http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2014.11.012 © 2015 Publié par Elsevier Masson SAS.

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Lettre à la rédaction

Encéphalopathie de Gayet-Wernicke : une complication rare de la nutrition parentérale prolongée

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