LETTRE

À LA

Thérapie 2014 Septembre-Octobre; 69 (5): 469–471 DOI: 10.2515/therapie/2014034

RÉDACTION

© 2014 Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique

Vascularite cutanée leucocytoclasique induite par la gabapentine Slaheddine Rached1, Raoudha Slim1, Neila Fathallah1, Najet Ghariani2, Rafiaa Nouira2, Badreddine Sriha3 et Chaker Ben Salem1 1 Laboratoire de pharmacologie, Faculté de médecine, Sousse, Tunisie 2 Service de dermatologie, Hôpital universitaire Farhat Hached, Sousse, Tunisie 3 Laboratoire d’anatomie pathologique, Hôpital universitaire Farhat Hached, Sousse, Tunisie Texte reçu le 16 septembre 2013 ; accepté le 23 mars 2014 Cas déclaré au centre de pharmacovigilance de Sousse (Tunisie) le 9 mars 2012 Résumé – Nous décrivons le cas d’une patiente ayant développé une vascularite cutanée leucocytoclasique secondaire à la prise de gabapentine. Mots clés : 3-méthyl gabapentine ; vascularite cutanée allergique ; vascularite leucocytoclasique Abstract – Gabapentin-induced Cutaneous Leukocytoclastic Vasculitis. We describe the case of a woman who developped a cutaneous leukocytoclastic vasculitis following a treatement with gabapentine. Keywords: 3-methyl gabapentin; allergic cutaneous vasculitis; leukocytoclastic vasculitis Abréviations : voir en fin d’article.

1. Introduction La 3-méthyl gabapentine (Gabentin®), inhibiteur de l’exocytose du glutamate au niveau présynaptique des voies excitatrices médullaires, est utilisée comme antiépileptique et dans le traitement des douleurs neuropathiques.[1] Elle a été proposée aussi dans des indications psychiatriques comme les comportements agressifs de certaines démences.[2] Les réactions cutanées à la gabapentine représentent 1 à 10 % de ses effets indésirables.[3] Nous rapportons un cas de vascularite cutanée leucocytoclasique induite par ce médicament.

Fig. 1. Lésions purpuriques du dos des membres.

2. Cas clinique Il s’agit d’une femme de 58 ans traitée pour un diabète de type 2 insulinorequérant et compliqué de neuropathie douloureuse. Elle souffre par ailleurs d’une hypertension artérielle et, d’une maladie mitrale avec arythmie complète par fibrillation auriculaire. Outre la gabapentine, elle est traitée par insuline glargine, glimépiride acénocoumarol, spironolactone, furosémide, captopril et digoxine. La patiente est hospitalisée le 30 janvier 2012 en dermatologie pour un purpura vasculaire apparu au 10e jour de traitement par gabapentine. Les lésions sont symétriques et siègent en distalité des quatre membres. Elles sont faites d’un purpura pétéchial infiltré, palpable et confluant par endroits avec des éléments nécrotiques (figure 1). L’examen des muqueuses est normal et les aires ganglionnaires sont libres. Le bilan retrouve : hémogramme sans anomalie spécifique, un taux de prothrombine : 30 (international normalized ratio [INR] à 3), protéine C-réactive : 22 mg/L ; créatininémie : 71µmol/L ; enzymes hépatiques : normales. Le diagnostic évoqué est celui de vascularite secondaire à la prise de gabapentine. Ce médicament est immédiatement arrêté et un traitement oral par corticoïde et antihistaminique H1 est débuté. Les lésions régressent alors en quelques jours. Le bilan immunologique (anticorps [AC] antinucléaires, cryoglobuline, AC anticardiolipine, AC anti béta-2glycoproteine, anticorps anticytoplasme de polynucléaire neutrophile) est négatif. Le dosage des IgA sériques est normal. Le bilan infectieux virologique ne met pas en évidence d’infection récente ou active (sérologie des hépatites virales A,B,C, D et E ; sérologies cytomégalovirus, virus Epstein-Barr et parvovirus B19). La radiographie du thorax et l’échographie abdominale sont normales. L’échographie cardiaque ne montre pas de végétations.

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Rached et al.

Fig. 2. Images histologiques du siège des lésions aux grossissements 100x et 400x.

La biopsie cutanée réalisée le 9e jour après les premières manifestations montre une vascularite leucocytoclasique. Le derme est le siège d’un infiltrat inflammatoire fait de lymphocytes et de polynucléaires neutrophiles siégeant autour des vaisseaux avec extravasation de globules rouges, sans nécrose fibrinoïde de la paroi (figure 2). Il n’y a pas de thrombose ou d’aspect évocateur de cryoglobulinémie. L’étude en immunofluorescence directe (IFD) ne retrouve pas de dépôts d’anticorps dans la paroi des vaisseaux. Le diagnostic de vascularite d’hypersensibilité à la gabapentine est donc retenu et le médicament définitivement arrêté. L’examen et l’interrogatoire de la patiente deux ans après la poussée de purpura ne révèlent pas de récidive.

3. Discussion Les vascularites cutanées médicamenteuses sont secondaires à une réaction antigénique, avec ou sans formation de complexes immuns. L’antigène est soit exogène (microorganisme ou médicament) soit endogène comme au cours des connectivites ou de certains cancers.[4] Le diagnostic de l’origine médicamenteuse est un diagnostic d’élimination. Dans le cas de notre patiente, l’imputabilité de la gabapentine a été étudiée par la méthode française réactualisée.[5] Elle est de type suggestif concernant la chronologie des signes, le délai de 10 jours étant conforme à ce qui est décrit dans la littérature.[6,7] Les médicaments associés étaient pris de longue date. Leur continuation n’a pas empêché les signes de vascularite de régresser complètement en deux semaines après l’arrêt de la gabapentine. La réintroduction du médicament suspecté n’a pas été essayée en raison de la sévérité de la première poussée. La patiente n’a pas rechuté en

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l’absence du médicament. Le total de ces éléments donne un score d’imputabilité chronologique C3. Sur le plan sémiologique, aucune autre cause n’a été retenue. Le diagnostic de purpura rhumatoïde parait peu probable compte tenu de l’absence d’arthrite, d’élévation des IgA et d’une immunofluorescence cutanée normale. Toutefois, celle-ci a été réalisée tardivement par rapport aux premiers signes, ce qui expose à un risque de faux négatif. Le score sémiologique est S1. Dans la littérature, trois cas de vascularite leucocytoclasique sous gabapentine ont été signalés. Le premier date de 2003 :[1] il s’agissait d’un purpura des deux membres inférieurs survenu chez une femme de 72 ans, une semaine après le début de la gabapentine prise pour douleurs d’origine centrale. Le deuxième cas a été publié en 2004. Il concernait un homme de 53 ans, diabétique de type 2 admis en urgence pour purpura vasculaire généralisé établi par le test de réintroduction comme étant secondaire à la gabapentine.[8] Un autre cas a été signalé en 2008.[9] Il s’agissait d’une femme de 48 ans recevant le médicament pour névralgie postherpétique durant 8 semaines.

4. Conclusion Nous rapportons une nouvelle observation de vascularite attribuée à la gabapentine. Le diagnostic est retenu sur une base chronologique et sémiologique ainsi que par élimination des autres causes de purpura vasculaire. Cet effet indésirable d’un médicament très largement prescrit parait exceptionnel compte tenu du très faible nombre de cas rapportés. Conflits d’intérêts. Les auteurs n’ont pas de conflits d’intérêts à déclarer.

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Vascularite cutanée et gabapentine

Abréviations. AC : anticorps ; IFD : immunofluorescence directe ; INR : international normalized ratio.

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Correspondance et offprints : Slaheddine Rached, Laboratoire de pharmacologie, Faculté de médecine de Sousse, Avenue Mohamed Karoui, BP 126, 4002 Sousse, Tunisie. E-mail : [email protected]

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[Gabapentin-induced cutaneous leukocytoclastic vasculitis].

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