L a R e v ue de Mé de c ine inte r ne 36 (20 15 ) 5S3 -5S8 4

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www.sciencedirect.com

Recommandations

Recommandations françaises de prise en charge de la drépanocytose de l’adulte : actualisation 2015 French guidelines for the management of adult sickle cell disease: 2015 update A. Habibia,*,b,c, J.-B. Arletd,e, K. Stankovicf, J. Gellen-Dautremera, J.-A. Ribeile,g, P. Bartoluccia,b, F. Lionnetf,h, centre de référence maladies rares « syndromes drépanocytaires majeurs » aUnité

des maladies génétiques du globule rouge (UMGGR), service de médecine interne, centre de référence de la drépanocytose, hôpital Henri-Mondor, AP-HP, 51, avenue du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny, 94010 Créteil cedex, France bUniversité Paris-Est Créteil (Upec), avenue du Général-de-Gaulle, 94010 Créteil cedex, France céquipe 2, IMRB, Inserm U955, Créteil, France dService de médecine interne, centre de référence de la drépanocytose, hôpital européen Georges-Pompidou, AP – HP, 20, rue Leblanc, 75908 Paris cedex 15, France eFaculté de médecine, université Paris Descartes, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris, France fService de médecine interne, centre de référence de la drépanocytose, hôpital Tenon, AP-HP, 4, rue de la Chine, 75970 Paris cedex 20, France gDépartement de biothérapie, centre de référence de la drépanocytose, hôpital Necker – Enfants-malades, AP – HP, 149, rue de Sèvres, 75743 Paris cedex, France hUniversité Pierre-et-Marie-Curie, 4, place Jussieu, 75005 Paris, France

i n f o

a r t i c l e

Historique de l’article : Disponible sur Internet le xxx

Mots clés : Drépanocytose Crise vaso-occlusive Syndrome thoracique aigu Hydroxyurée Transfusion sanguine

r é s u m é

La drépanocytose est une pathologie génétique du globule rouge, qui provoque des atteintes fonctionnelles et tissulaires de façon systémique. La prévalence de la drépanocytose de l’adulte est en augmentation continue en France. Tout médecin peut être conduit à prendre en charge un patient drépa­nocytaire. Les complications s’expriment de façon aiguë ou chronique. La douleur représente le principal symptôme qui doit être traité rapidement et puissamment. Pour réduire la mortalité associée au syndrome thoracique aigu, il faut le dépister et le traiter précocement. Les complications chroniques, qui tiennent une place majeure chez l’adulte, doivent être dépistées, afin de tenter d’interrompre ou de retarder leur évolution. De nombreux organes peuvent être touchés par la maladie, notamment : les os, les reins, les yeux, les poumons, etc. L’indication d’un traitement de fond (transfusion sanguine ou hydroxyurée) doit être régulièrement discutée. L’organisation de la prise en charge sur le territoire français est très importante pour permettre simultanément un suivi de proximité et un accès aux services spécialisés, associés à une coordination entre les différents intervenants. Nous présentons dans cet article les recommandations françaises du centre de référence de prise en charge de la drépanocytose adulte qui se veulent une aide pratique à la prise en charge quotidienne de cette véritable maladie systémique. © 2015 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

a b s t r a c t

Keywords : Sickle cell disease Vaso-occlusive crisis Acute chest syndrome Hydroxyurea Blood transfusion

Sickle cell disease is a systemic genetic disorder, causing many functional and tissular modifications. As the prevalence of patients with sickle cell disease increases gradually in France, every physician can be potentially involved in the care of these patients. Complications of sickle cell disease can be acute and chronic. Pain is the main symptom and should be treated quickly and aggressively. In order to reduce the fatality rate associated with acute chest syndrome, it must be detected and treated early. Chronic complications are one of the main concerns in adults and should be identified as early as possible in order to prevent end organ damage. Many organs can be involved, including bones, kidneys, eyes, lungs, etc. The indications for a specific treatment (blood transfusion or hydroxyurea) should be regularly discussed. Coordinated health care should be carefully organized to allow a regular follow-up near the living place

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A.Habibi). 0248-8663/© 2015 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson (SAS). Tous droits réservés.

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and access to specialized departments. We present in this article the French guidelines for the sickle cell disease management in adulthood. © 2015 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

1.  Introduction Un certain fatalisme était auparavant attaché à la drépanocytose. Mais l’époque est révolue où le traitement paraissait se résumer à la prise en charge des crises douloureuses. Douleurs irrépressibles et espérance de vie réduite ne résument plus cette maladie. Les bonnes pratiques actuelles imposent une attitude de plus en plus active, où la prévention des complications aiguës et chroniques joue un rôle prépondérant. La drépanocytose prend naturellement sa place de maladie emblématique de la médecine interne, en raison de sa prévalence croissante, de la complexité et la variété de ses atteintes organiques, ainsi que par la remise au premier plan de l’analyse sémiologique et de l’examen clinique dans l’évaluation des situations. La compréhension des mécanismes responsables des atteintes organiques progresse, la prise de conscience des enjeux de la prévention se généralise. Le changement de point de vue intéresse également l’individualisation des suivis, le maniement des traitements de fond, la promotion de l’éducation thérapeutique et les questionnements sur la place des différentes techniques de greffes médullaires, seuls traitements potentiellement curatifs. Ces recommandations ont pour but de montrer que la drépanocytose n’est pas qu’une affaire de quelques spécialistes, mais qu’elle peut et doit être prise en charge partout où vivent des personnes drépanocytaires. Elles seraient utiles si elles permettaient d’éviter deux écueils : celui de l’angoisse parfois renvoyée par les patients drépanocytaires sur les équipes soignantes (angoisse liée à la difficile maîtrise de la douleur et de ses conséquences psychologiques, à la crainte que survienne une complication grave imprévisible) ; son corollaire pouvant être un rejet de la maladie et du patient. Le second écueil est à l’inverse celui de la banalisation, responsable d’une prise en compte insuffisante de la douleur, d’une légèreté dans l’organisation du suivi et d’un retard au traitement d’une éventuelle complication. Il n’est pas réaliste de penser que tous les patients doivent être traités dans des centres possédant l’intégralité des structures de soins décrites dans les différentes recommandations. Un suivi volontariste dans une structure encore imparfaite est très préférable à l’absence de suivi. Chaque structure médicale devrait donc s’organiser pour établir par anticipation des circuits adaptés aux possibilités locales. Comme lors de la première édition en 2009, le contenu de ces recommandations, qui figure dans les Annexes 1 à 31, est basé sur une recherche bibliographique minutieuse, mais repose en grande partie sur un consensus d’experts, tant les études à fort niveau de preuve chez l’adulte sont rares. Il n’est pas possible de citer individuellement toutes les personnes ayant apporté une contribution à cette nouvelle édition. Celle-ci appartient à toute la communauté francophone des médecins soignant des personnes drépanocytaires, qui a participé par ses remarques et critiques, formelles ou informelles, à la tentative d’amélioration qu’elle représente. 2.  Physiopathologie et histoire naturelle de la drépanocytose La drépanocytose est la plus fréquente des maladies génétiques. Sa transmission est autosomique récessive. L’origine

de la maladie est une mutation sur le gène de la β-globine. Celle-ci entraîne une modification de la conformation spatiale de l’hémoglobine drépanocytaire et par conséquence de sa fonction. La cascade des conséquences physiopathologiques est initiée par la propriété qu’ont les molécules d’hémoglobine drépanocytaire S de polymériser quand elles sont placées en milieu désoxygéné. Se créent alors des fibres qui déforment les globules rouges et diminuent leur plasticité, entraînant une hémolyse, et ainsi une anémie. Par ailleurs, des phénomènes vaso-occlusifs apparaissent, diminuant l’apport en oxygène dans les organes touchés. D’autres facteurs interviennent dans la physiopathologie de la maladie : augmentation de l’adhérence des globules rouges vis-à-vis de l’endothélium vasculaire qui est activé, vasoconstriction liée à la consommation du monoxyde d’azote induite par l’hyperhémolyse [1]. L’espérance de vie médiane des hommes et femmes drépanocytaires homozygotes (SS) vivant aux États-Unis était respectivement de 42 et 48 ans dans une étude parue en 1994 [2]. En l’absence d’étude plus récente ces données ne peuvent être actualisées, mais il semble vraisemblable que les progrès de la prise en charge des patients adultes aient permis une augmentation de l’espérance de vie. Cette amélioration de l’espérance de vie obtenue dans les pays développés durant ces 20 dernières années (notamment la presque disparition de la mortalité infantile qui permet en France à plus de 95 % des enfants drépanocytaires d’atteindre l’âge adulte) a été surtout le fait de mesures simples, rigoureusement appliquées par les pédiatres : mise en place du dépistage néonatal, de la prophylaxie anti-infectieuse (vaccination antipneumococcique et prophylaxie orale par pénicilline V), du traitement par hydroxyurée, indications mieux ciblées de la transfusion. 3.  Principes généraux de la prise en charge des patients drépanocytaires adultes La prise en charge débute par la détermination du génotype du syndrome drépanocytaire majeur : homozygotie SS, hétérozygotie composite SC ou S-β-thalassémie, pour les trois syndromes drépanocytaires les plus fréquemment rencontrés. Chacune de ces formes a ses spécificités  : la plus sévère est l’homozygotie SS (complications aiguës fréquentes, anémie profonde, espérance de vie diminuée), alors que les formes SC et S-β-thalassémie sont d’expression différente (anémie modeste voire absente, espérance de vie plus longue, rétinopathie et ostéonécrose plus fréquentes) et demandent une prise en charge adaptée (cf. recommandation « Prise en charge de la drépanocytose hétérozygote composite SC » [Annexe 19]) [3,4]. Cependant, pour un génotype donné, il existe de grandes variations interindividuelles dans l’expression clinique. Il faut que les principales caractéristiques de la drépanocytose soient connues par le patient, sa famille et les soignants : • c’est une maladie chronique ; • elle se manifeste par des complications bruyantes, mais aussi par des complications restant silencieuses, qui ne sont mises en évidence que si on les dépiste ; • elle a une expression clinique variable selon les patients mais aussi dans le temps.



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Ainsi, une complication sévère peut survenir sans signes annonciateurs. Il faut donc instituer un suivi régulier, personnalisé et évolutif. La prise en charge d’un adulte drépanocytaire repose sur 6 axes : • le traitement rapide et efficace de la douleur aiguë lors des crises vaso-occlusives osseuses ; • le diagnostic et le traitement rapides des complications aiguës (syndrome thoracique aigu, priapisme, infection, accident vasculaire cérébral, etc.) ; • la prévention, le dépistage et le traitement des complications chroniques ; • la discussion d’un traitement de fond ; • l’accompagnement psychologique et social ; • l’information et l’éducation des patients avec, en particulier, le conseil génétique et l’éducation thérapeutique (cf. recommandations  : «  Prise en charge générale  »  [Annexes  1–3], « Conseil génétique » [Annexe 20] « Diététique, métabolisme phosphocalcique, vitamines et oligoéléments » [Annexe 30], « Recommandations pour les voyages » [Annexe 31]). 4.  Complications aiguës 4.1.  Crise vaso-occlusive osseuse Les douleurs aiguës représentent le motif le plus fréquent de recours au soin. Ce sont des douleurs essentiellement osseuses, plus rarement articulaires, très intense, comparée à celle d’une fracture osseuse. L’intensité, la répétition, le caractère angoissant et imprévisible des crises douloureuses entraînent un retentissement fonctionnel majeur. Le retentissement psychologique est d’autant plus fort que la douleur est sous-estimée par les soignants [5] (cf. recommandation « Prise en charge psychologique  »  [Annexe  23]). Il convient donc qu’un circuit et un protocole de soins existent pour les patients drépanocytaires en crise, afin que le traitement de la douleur soit institué le plus rapidement possible à l’arrivée aux urgences (cf. recommandations : « Crise douloureuse aiguë » [Annexe 5], « Oxygénothérapie » [Annexe 28], « Voies d’abord veineuses » [Annexe 26]). Les recommandations britanniques spécifient même que le délai entre l’arrivée du patient et le début du traitement antalgique ne doit pas dépasser 30 minutes [6]. Des formations régulières de tout le personnel soignant des urgences et des services d’aval ainsi qu’une implication institutionnelle seront nécessaires pour atteindre cet objectif de prise en charge rapide. L’évaluation de la douleur doit être répétée pour adapter le traitement immédiatement en cas de recrudescence douloureuse ou de l’apparition d’effets secondaires. Par ailleurs, il faut éviter l’écueil d’attribuer trop facilement à la drépanocytose la responsabilité de toute douleur survenant chez un patient drépanocytaire, et ainsi retarder la prise en charge adaptée d’un autre problème médical ou chirurgical (arthrite infectieuse, péricardite, pancréatite, cholécystite, salpingite, grossesse extra-utérine, etc.). 4.2.  Syndrome thoracique aigu Le syndrome thoracique aigu représente chez l’adulte drépanocytaire la première cause de mortalité aiguë, la deuxième complication aiguë la plus fréquente [7]. L’installation du syndrome thoracique aigu est souvent insidieuse, chez un malade déjà hospitalisé pour une autre complication (crise vaso-occlusive osseuse, grossesse, après chirurgie, etc.) [8]. Les signes d’appel pulmonaires peuvent être masqués par l’intensité de la douleur de la crise, et l’agitation qui parfois l’accompagne. Il faut donc les rechercher systématiquement et régulièrement par l’examen

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clinique (fréquence respiratoire, saturation en air ambiant et auscultation pulmonaire sont les éléments essentiels). L’administration mal évaluée ou mal surveillée de la morphine, par l’hypoventilation alvéolaire qu’elle peut entraîner, est une cause de syndrome thoracique aigu. Le syndrome thoracique aigu peut s’installer et s’aggraver de façon extrêmement rapide. Le point essentiel est la recherche de signes de gravité, qui sont essentiellement cliniques et donc facilement et rapidement évaluables, à l’arrivée, puis de façon rapprochée. Un échange transfusionnel doit être réalisé quand existent des signes de gravité, et éventuellement répété. La kinésithérapie respiratoire incitative représente une procédure simple qui a fait la preuve de son efficacité [9] (cf. recommandations : « Syndrome thoracique aigu » [Annexe 6], « Transfusion ou échange transfusionnel » [Annexe 25], « Oxygénothérapie » [Annexe 28], « Voies d’abord veineuses » [Annexe 27]). 4.3.  Priapisme En cas de survenue d’un priapisme prolongé, le pronostic fonctionnel est mis en jeu par un risque de fibrose des corps caverneux entraînant une impuissance. Le traitement doit donc être débuté en urgence. Il repose sur des mesures locales (injection intracaverneuse d’étiléfrine, puis drainage [10]) et générales (analogues au traitement de la crise douloureuse), avec discussion de l’indication d’un échange transfusionnel. Les indications de la chirurgie sont limitées (cf. recommandation : « Prise en charge du priapisme » [Annexe 7]). 4.4.  Complications infectieuses Les complications infectieuses sont fréquentes chez l’adulte, mais moins que chez l’enfant. Le traitement de tout sepsis grave doit comporter en urgence une antibiothérapie active notamment sur le pneumocoque et les bacilles à Gram négatif. Les infections rencontrées les plus fréquentes sont : septicémies, souvent liées aux voies d’abord intraveineuses [11], pneumopathies, pyélonéphrites, cholécystites, ostéomyélites (cf. recommandations : « Conduite à tenir devant une fièvre » [Annexe 9], « Complications ostéoarticulaires » [Annexe 12]). 4.5.  Aggravation de l’anémie Une aggravation de l’anémie est souvent constatée. Elle ne peut être appréciée qu’en comparaison avec la valeur habituelle de l’hémoglobine à l’état basal, qui est propre à chaque patient. Les causes d’aggravation sont nombreuses, l’orientation diagnostique dépend du caractère régénératif ou non, apprécié par la réticulocytose. Étant donné l’hémolyse permanente, la chute de l’hémoglobine est brutale si un événement vient interrompre l’érythropoïèse (parvovirus B19, carence en folates, iatrogénie, inflammation prolongée, etc.) (cf. recommandation « Aggravation de l’anémie » [Annexe 10]). 4.6.  Accident vasculaire cérébral Les adultes drépanocytaires présentant un tableau neurologique central aigu doivent en urgence bénéficier d’échanges transfusionnels et d’une imagerie cérébrale par tomodensitométrie avec temps artériel ou imagerie par résonance magnétique (IRM) avec angio-IRM. L’intérêt et les modalités du dépistage et de la prévention de la vasculopathie cérébrale sont mal évalués chez l’adulte [12] (cf. recommandation « Accidents vasculaires cérébraux » [Annexe 8]).

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4.7.  Autres complications D’autres complications aiguës sont moins fréquentes (vertiges, hypoacousie, atteinte hépatique, splénique…) (cf. recommandations spécifiques [Annexes 14 et 17]).

infarctus osseux. Des douleurs chroniques peuvent révéler une ostéomyélite chronique, rarement fébrile, dont le diagnostic peut rester longtemps méconnue (cf. recommandation « Atteintes ostéoarticulaires » [Annexe 12]). 5.6.  Ulcères cutanés

5.  Complications chroniques À maints égards, la prévention et le dépistage précoce des complications organiques chroniques présentent des analogies avec le suivi des patients diabétiques. Il s’agit en effet de dépister des atteintes organiques souvent silencieuses (microangiopathie, hémochromatose post-transfusionnelle, infections virales) qui, en l’absence de prise en charge, pourraient s’aggraver et entraîner des séquelles fonctionnelles invalidantes. La recherche de ces complications doit être systématique lorsque le patient est vu pour la première fois, et répétée à une fréquence variable selon les cas (cf. recommandation « Explorations organiques à réaliser » [Annexe 2]). 5.1.  Néphropathie drépanocytaire La néphropathie drépanocytaire apparaît de plus en plus comme une complication fréquente et ayant à long terme des conséquences graves [13]. Ainsi, après 60 ans, il est rapporté une dégradation de la fonction rénale chez 80 % des patients drépanocytaires [14]. Il faut dépister précocement cette atteinte. La présence d’une microalbuminurie précède la protéinurie, qui représente une indication à un traitement par inhibiteurs de l’enzyme de conversion [15]. L’utilisation de médicaments néphrotoxiques (par exemple les anti-inflammatoires non stéroïdiens) et la déshydratation doivent être évités chez ces patients (cf. recommandation « Complications rénales » [Annexe 13]). 5.2.  Rétinopathie proliférante La rétinopathie proliférante doit être dépistée annuellement afin de permettre un traitement préventif par laser qui met le patient à l’abri de séquelles fonctionnelles potentiellement lourdes  [16] (cf. recommandation «  Atteinte ophtalmologique » [Annexe 16]).

Les ulcères cutanés sont souvent invalidants, rebelles au traitement et récidivants [19]. Le traitement associe des mesures générales et des soins locaux (cf. recommandation « Ulcères cutanés » [Annexe 18]). 5.7.  Lithiases biliaires Il faut systématiquement et périodiquement rechercher la présence d’une maladie lithiasique biliaire, qui représente une indication à la cholécystectomie à froid (cf. recommandation « Foie et surcharge en fer » [Annexe 14]). 6.  Situations particulières 6.1.  Grossesse La grossesse augmente la fréquence des crises ; c’est une période à haut risque pour la mère (particulièrement les patients SS) et le fœtus [20]. Le suivi doit être particulièrement étroit et coordonné. Des échanges transfusionnels sont parfois nécessaires (cf. recommandations « Grossesse » [Annexes 20 et 21]). 6.2.  Chirurgie L’anesthésie et l’intervention chirurgicale s’accompagnent d’un risque de complications per- et postopératoire, en particulier de syndrome thoracique aigu. Ce risque est plus ou moins élevé selon les antécédents, l’existence d’atteintes viscérales et le type de chirurgie. Les mesures générales doivent être systématiquement appliquées (maintien de la température, de l’oxygénation, de l’hydratation, sédation de la douleur, etc.) ; l’indication de la transfusion préopératoire n’est pas constante (cf. recommandation « Période périopératoire » [Annexe 26]).

5.3.  Atteinte pulmonaire 7.  Traitements de fond

L’interprétation d’une accentuation de la dyspnée n’est pas facile chez un patient drépanocytaire. Les conséquences d’une atteinte pulmonaire chronique ne sont pas encore bien appréciées. Le dépistage de l’hypertension artérielle pulmonaire reste justifié, même si la prévalence des formes pré-capillaires est faible [17] (cf. recommandation « Manifestations pulmonaires chroniques et cardiaques » [Annexe 15]).

Les indications et les modalités de la greffe de moelle chez l’adulte sont encore à préciser. Elles doivent être décidées au cas par cas après concertation pluridisciplinaire, essentiellement chez des patients ayant des critères de gravité et échappant où ne tolérant pas les traitements de fond classiques. En pratique courante, deux traitements de fond existent.

5.4.  Atteinte cardiaque

7.1.  Transfusion sanguine

L’interprétation des anomalies échocardiographiques est complexe et doit être assurée par des cardiologues connaissant la drépanocytose. Les critères permettant d’évoquer une cardiopathie débutante sont en cours de démembrement (cf. recommandation «  Manifestations pulmonaires chroniques et cardiaques » [Annexe 15]). 5.5.  Atteinte osseuse L’atteinte osseuse ne se résume pas à l’ostéonécrose aseptique des têtes fémorales ou humérales [18]. En situation aiguë, il est parfois difficile de distinguer une ostéomyélite d’un

La transfusion sanguine est rarement proposée dans le but de remonter l’hémoglobine, l’anémie des patients drépanocytaires étant chronique et le plus souvent bien tolérée. De même, la crise vaso-occlusive osseuse non compliquée n’est pas une indication à la transfusion. L’intérêt de la transfusion dans la drépanocytose est de diminuer rapidement la proportion de globules rouges contenant de l’hémoglobine S, et donc d’enrayer la cascade physiopathologique délétère. Différentes modalités de réalisation existent : transfusion simple ou échange transfusionnel (la transfusion est précédée d’une saignée, soit manuellement, soit par érythraphérèse sur machine), indication ponctuelle ou programme régulier, traitement curatif ou préventif, prévention primaire ou secondaire [21].



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Elle comporte des risques particuliers chez ces patients : • aggravation paradoxale de l’état clinique par hyperviscosité quand l’hémoglobine est remontée à une valeur trop élevée (il ne faut jamais dépasser 10 à 11 g/dL) ; • allo-immunisation fréquente en raison des différences constitutionnelles des antigènes de groupe sanguin entre AfricainsAntillais et Caucasiens [22] ; • surcharge en fer. L’hyperhémolyse post-transfusionnelle représente une complication sous-diagnostiquée, grave, particulière de la transfusion chez les drépanocytaire. Il faut donc respecter les indications [23] et les modalités conseillées (cf. recommandations « Transfusion ou échange transfusionnel » [Annexe 25], « Hémolyse retardée post-transfusionnelle » [Annexe 11], « Complications hépatiques, surcharge en fer » [Annexe 14]). 7.2.  Hydroxyurée L’hydroxyurée est le seul traitement de fond de la drépanocytose par voie orale. Son efficacité peut être spectaculaire chez certains patients. Ce traitement diminue le nombre de crises vaso-occlusives osseuses, de syndromes thoraciques aigus, de transfusions et d’hospitalisations [24]. Chez l’adulte, des études ont montré une diminution la mortalité sous hydroxyurée [25,26]. L’annonce aux patients des effets secondaires potentiels (mutagène et tératogène) pose souvent des difficultés d’acceptation du traitement, alors que ces effets ne sont pas avérés dans la drépanocytose. En pratique, la gestion du traitement est simple, à condition de respecter les précautions, et notamment de surveiller la numération sanguine [27]. Les difficultés d’observance représentent cependant une cause fréquente d’inefficacité clinique (cf. recommandation « Hydroxyurée » [Annexe 29]). Déclaration d’intérêts J.-B.A. : interventions ponctuelles pour Addmedica ; frais à l’occasion de congrès scientifiques pris en charge par Novartis, SOBI, Addmedica. J.-A.R. : subventions de Novartis Pharma pour des projets de recherche ; interventions ponctuelles pour Novartis Pharma, activité de consultant pour Blue Bird Bio ; frais à l’occasion de congrès scientifiques pris en charge par Novartis France, SOBI, Addmedica, Vitalaire. A.H. : frais à l’occasion de congrès scientifiques pris en charge par Addmedica et Novartis. J.G.-D. : frais à l’occasion de congrès scientifiques pris en charge par Novartis, Addmedica. P.B. : frais à l’occasion de congrès scientifiques pris en charge par Novartis, Alexion, Addmedica et SOBI. K.S. et F.L. déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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Annexes A. Prise en charge générale Annexe 1. Recommandations générales pour la prise en charge Annexe 2. Explorations organiques à réaliser Annexe 3. Prise en charge préhospitalière Annexe 4. Recommandations pour le médecin généraliste

p. 8 p. 11 p. 13 p. 15

B. Complications aiguës Annexe 5. Crise douloureuse aiguë Annexe 6. Syndrome thoracique aigu Annexe 7. Priapisme Annexe 8. Accidents vasculaires cérébraux Annexe 9. Conduite à tenir devant une fièvre Annexe 10. Aggravation de l’anémie Annexe 11. Hémolyse retardée post-transfusionnelle

p. 16 p. 19 p. 22 p. 24 p. 26 p. 28 p. 30

C. Complications chroniques Annexe 12. Atteintes ostéoarticulaires Annexe 13. Complications rénales Annexe 14. Complications hépatiques, surcharge en fer Annexe 15. Manifestations pulmonaires chroniques et cardiaques Annexe 16. Complications ophtalmologiques Annexe 17. Complications ORL Annexe 18. Ulcères cutanés

p. 33 p. 37 p. 42 p. 45 p. 48 p. 50 p. 52

D. Problèmes particuliers Annexe 19. Drépanocytose hétérozygote composite SC Annexe 20. Conseil génétique Annexe 21. Grossesse Annexe 22. Contraception (questions/réponses) Annexe 23. Prise en charge psychologique Annexe 24. Vaccinations

p. 54 p. 56 p. 58 p. 62 p. 63 p. 64

E. Traitements Annexe 25. Indications et modalités transfusionnelles Annexe 26. Période périopératoire Annexe 27. Voies d’abord veineuses (questions/réponses) Annexe 28. Oxygénothérapie (questions/réponses) Annexe 29. Hydroxyurée Annexe 30. Diététique, métabolisme phosphocalcique, vitamines et oligoéléments Annexe 31. Recommandations pour les voyages

p. 66 p. 69 p. 72 p. 75 p. 76 p. 79 p. 81

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Annexe 1. Recommandations générales pour la prise en charge de la drépanocytose chez l’adulte

relation de confiance, évaluer la situation, aborder les différentes questions progressivement, organiser le bilan organique.

Les syndromes drépanocytaires majeurs, de transmission autosomique récessive, comportent :

1.3.  Assurer la continuité des soins

• la forme homozygote SS (forme la plus fréquence et la plus sévère) ; • les formes hétérozygotes composites SC, S-β-thalassémie, SE, S Lepore ; • plus rarement les formes hétérozygotes conjointes SD Punjab, SO arab, etc.

Il est souhaitable que le patient soit porteur d’un document dans lequel sont indiquées les principales informations le concernant : les antécédents, le type de la drépanocytose, le chiffre habituel de l’hémoglobine, les consignes transfusionnelles, etc. En cas de voyage, ou d’hospitalisation dans un autre centre que celui qui assure le suivi, la prise en charge initiale pourra ainsi être poursuivie.

Ce sont des maladies potentiellement graves, chroniques, dont l’évolution est émaillée de complications dont beaucoup peuvent être prévenues. Le suivi comporte une part essentielle de prévention et d’éducation. Il doit être effectué par une équipe pluridisciplinaire coordonnée par le médecin de référence dans un réseau de soin. Le suivi est assuré préférentiellement dans un centre de soins proche du domicile du patient. Le médecin qui coordonne ce suivi appartient généralement à un service de médecine générale, d’hématologie ou de médecine interne. Ce suivi est possible dans la plupart des centres hospitaliers d’adulte (comme il est effectué dans tous les services de pédiatrie). Les syndromes drépanocytaires majeurs relèvent d’une prise en charge à 100  % dans le cadre de des affections de longue durée. 1.1.  Cinq axes essentiels de la prise en charge Les cinq axes essentiels de la prise en charge sont : • la prise en charge optimale et rapide des crises vaso-occlusives, et surtout de la douleur ; • la détection précoce et le traitement des complications aiguës ; • la prévention, le dépistage et le traitement des complications chroniques ; • la discussion d’un traitement de fond selon la symptomatologie ; • la prise en compte du retentissement psychologique et des conséquences sociales de la maladie. 1.2.  Prise de contact 1.2.1.  Transition avec la pédiatrie Le passage de la pédiatrie à la médecine d’adulte est un moment délicat. L’existence de contacts réguliers avec l’équipe de pédiatrie facilite ce passage. Il doit donc être anticipé et progressif et organisé par les deux équipes soignantes concernées, en accord avec le patient. Une période de suivi en parallèle ou en alternance peut être utile et le patient est prévenu qu’il pourra revoir le pédiatre quand il le souhaitera. Dans les cas où elle est possible, une consultation conjointe est très utile. Une rupture du suivi, au moins transitoire, qui est toujours délétère, est souvent observée. Particulièrement à ce moment, un non-respect des rendez-vous est possible. Il faut quand même maintenir le contact, car après une phase chaotique, la mise en place d’un suivi structuré est possible dans la grande majorité des cas. Il faut éviter que le patient puisse sentir un hiatus entre les deux équipes (éviter toute apparence de contradiction). 1.2.2.  Patient non suivi au préalable S’il s’agit d’une personne arrivée récemment en France, les problèmes sociaux sont souvent au premier plan. Il est nécessaire de revoir le patient de façon rapprochée pour établir une

1.4.  Coordonner les soins 1.4.1.   Avec la prise en charge en ville Il est indispensable que le patient drépanocytaire ait un médecin généraliste traitant. Celui-ci doit être régulièrement tenu informé de l’évolution de la maladie, des résultats des examens. Une fiche d’information (cf. recommandation « Médecin généraliste » [Annexe 4]) peut être adressée au médecin traitant. Un contact peut être utile avec le médecin scolaire ou le médecin du travail. 1.4.2.  À l’intérieur de l’hôpital Le médecin référent coordonne le suivi et doit assurer la liaison avec les autres spécialistes (ophtalmologiste, dermatologue, orthopédiste, néphrologue, gynécologue obstétricien, etc.) et éventuellement la prise en charge sociale et psychologique. 1.5.  Information du patient 1.5.1.  Conseil génétique Ce que sait le patient du caractère génétique et des modes de transmission de la maladie sont explorés dès la première consultation. Ce sujet doit être régulièrement repris, même si le patient ne l’évoque pas spontanément (cf. recommandation « Conseil génétique » [Annexe 20]). 1.5.2.  Règles hygiénodiététiques Elles doivent être spécifiquement expliquées et régulièrement répétées : • boire abondamment  ; plus encore en cas d’effort, de forte chaleur, de fièvre, de diarrhée ou de vomissements ; • avoir un rythme de vie régulier, avec un sommeil suffisant, éviter les efforts intenses ; • ne pas s’exposer au froid ; • ne pas faire d’effort violent, de plongée en apnée, de séjours en altitude, de voyages en avion non pressurisé (au-dessus de 1 500–2 000 m) ; • en ce qui concerne les activités sportives : il faut adapter les conseils à chaque personne, il n’existe pas de contre-indication absolue. L’activité physique est bénéfique en permettant une réadaptation à l’effort. Quelques règles sont à respecter  : progressivité dans la reprise d’une activité physique, éviction des efforts trop intenses ou prolongés ; • éviter le port de vêtement serré ; • avoir un suivi dentaire systématique (au moins une fois par an) ; • ne pas consommer d’alcool ou de tabac ; • ne pas commencer un traitement par corticoïdes sans précaution (risque de déclencher une crise importante). Si indication formelle, faire auparavant un échange transfusionnel partiel. Les règles doivent être adaptées à chaque patient et à l’évolution de sa situation personnelle. Par exemple, un patient peut être soumis à des trajets trop longs, entraînant fatigue et crise ;



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il serait injustifié de lui conseiller de quitter son emploi sans avoir l’assurance qu’il en trouvera un autre ; un rapprochement de domicile peut être tenté. De même, il est souvent préférable d’essayer d’encadrer une activité sportive chez un adolescent plutôt que de « l’interdire ». 1.5.3.  Connaissances sur la maladie Elles sont affinées régulièrement au cours du temps. Les questions posées par les patients évoluent en même temps que leur situation personnelle. Le patient doit sentir que ses questions sont les bienvenues, et la perche doit être tendue par le médecin concernant certains sujets, comme ceux de l’histoire naturelle et de l’espérance de vie. Les signes d’appel de certaines complications doivent être expliqués, ainsi que la conduite à tenir. Particulièrement, il faut s’assurer que tous les patients ont un thermomètre, et savent quelle attitude avoir en cas de survenue d’une fièvre. Outre la fièvre, les signes d’alerte auxquels le patient doit être sensibilisé sont la dyspnée ou la douleur thoracique, le priapisme, l’apparition de signes neurologiques, d’une surdité, d’une baisse de l’acuité visuelle, de signes d’accident transfusionnel, etc. 1.6.  Suivi médical 1.6.1.  Consultation La consultation initiale permet : • l’ouverture du dossier médical. Le relais avec le service de pédiatrie permet d’avoir une synthèse des événements survenus dans l’enfance. Pour les personnes dont la prise en charge débute à l’âge adulte, il faut retrouver toutes les informations possibles sur les antécédents ; • une information sur la maladie, adaptée à la demande du patient, doit être donnée, des documents d’information sur la drépanocytose sont remis ; • d’aborder systématiquement certains sujets, tels que le conseil génétique, le pronostic de la maladie, le parcours scolaire ou professionnel ; • d’indiquer systématiquement les coordonnées du psychologue et du service social ; • de vérifier que le patient a une pris en charge à 100 % par la sécurité sociale ; • de s’assurer que le patient a les coordonnées des personnes ou services à joindre en cas de problème ; • de donner des informations sur la maladie ; • de prescrire et expliquer les traitements ; • de vérifier le calendrier vaccinal ; • de prendre systématiquement contact avec le médecin traitant ; • d’informer le site transfusionnel pour que l’ouverture d’un dossier y soit effectuée.

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Il n’y a pas d’indication, sauf cas particulier, pour l’Oracilline® au long cours chez l’adulte. 1.7.1.  Traitement des douleurs et des crises vaso-occlusives en ambulatoire Les antalgiques sont systématiquement prescrits à chaque consultation, permettant au patient d’en avoir en permanence à sa disposition. Des antalgiques de palier I ou II peuvent être utilisés en fonction de l’intensité de la douleur. Il faut bien expliquer l’utilisation de ces médicaments, notamment la nécessité de ne pas dépasser la prise de 4 g de paracétamol par jour (risque de surdosage en cas d’utilisation simultanée de deux spécialités différentes contenant du paracétamol). Donner les explications du bon usage des antalgiques de palier II, à ne prendre qu’en cas de persistance de douleur malgré la prise d’antalgiques de palier I ; en effet, en cas d’utilisation répétée des dérivés codéinés en prévention des douleurs, ce mésusage entraîne un risque d’accoutumance et d’effets secondaires. Les anti-inflammatoires ont peu d’indications et comportent des effets secondaires (insuffisance rénale). Il est nécessaire d’en expliquer les contre-indications  : doute sur l’existence d’une infection évolutive, antécédent d’ulcère, grossesse, etc. Il est de toute façon nécessaire d’évaluer systématiquement le type et la quantité des médicaments qui sont pris en ambulatoire. Il ne faut pas prescrire d’antalgiques de palier III (morphinique) en ambulatoire.

1.7.2.  Conseils en cas de voyage lointain • Il faut prévoir une consultation avant le départ. • Vérifier que le calendrier vaccinal est à jour et le compléter selon la destination. • Une prophylaxie anti-paludéenne doit être prescrite selon la destination. • Si cela est possible, donner les coordonnées d’un correspondant médical sur place. Fournir au patient un résumé des caractéristiques de sa maladie. Lui conseiller de prendre une assurance rapatriement et annulation. Les recommandations sont détaillées dans l’Annexe 31. 1.7.3.  Vaccins Le calendrier vaccinal habituel doit être respecté :

Une consultation doit être programmée au minimum tous les six mois. Ce rythme de suivi est à individualiser en fonction de l’existence de signes d’évolutivité et de la demande du patient.

• diphtérie, tétanos, poliomyélite ; • hépatite B ; • rubéole pour les femmes non immunisées en âge de procréer.

1.6.2.  Examens complémentaires

Les vaccins spécifiques chez les patients drépanocytaires sont :

Les examens complémentaires sont détaillés dans l’Annexe 2 « Explorations organiques ». 1.7.  Traitement Une supplémentation quotidienne par 5  mg d’acide folique est systématique.

• la vaccination anti-pneumococique, qui est essentielle ; • le vaccin antigrippal doit être effectué tous les ans ; • hémophilus et méningocoque. Les recommandations concernant la vaccination sont détaillées dans l’Annexe 24.

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Informations devant apparaître dans le dossier du patient drépanocytaire adulte État-civil (attention aux possibles modifications d’identité) Coordonnées des cWorrespondants Antécédents familiaux et personnels Difficultés sociales Antécédents psychologiques Consommation d’alcool, de tabac, de cannabis Histoire obstétricale, contraception Spécifier le génotype : SS, SC, ou S-β-thalassémie Préciser la valeur de la concentration basale de l’hémoglobine Caractéristique des crises vaso-occlusives : • fréquence ; • durée ; • traitement usuel au domicile ; • traitement usuel à l’hôpital ; • nombre et durée des hospitalisations. Événements sévères survenus (syndrome thoracique aigu, accident vasculaire cérébral, passage en réanimation, etc.) Complications chroniques connues (ophtalmologique, rénale : préciser les valeurs du débit de filtration glomérulaire et de l’albuminurie) Symptômes actuels Traitement Historique des transfusions, et notamment antécédent éventuel d’hyperhémolyse post-transfusionnelle Examen clinique avec, notamment, poids, taille, pression artérielle



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Annexe 2. Explorations organiques chez les patients drépanocytaires adultes Chez les patients atteints d’un syndrome drépanocytaire majeur, des bilans réguliers sont nécessaires, afin de dépister des complications aux stades précoces, des facteurs favorisants la survenue de crises vaso-occlusives et de proposer les traitements, préventifs dans certains cas. 2.1.  Examens à réaliser dans tous les cas 2.1.1.  Examens biologiques 2.1.1.1.  Examens diagnostiques de référence initiaux. Le diagnostic est fait par l’étude de l’hémoglobine selon les recommandations de la Société française de biologie clinique (SFBC) et à distance (de plus de 3 mois) d’une transfusion. Cela comprend quatre techniques regroupées sous le nom « d’étude de l’hémoglobine ». Cette étude devrait être réalisée dans des laboratoires qualifiés. Une numération formule sanguine (NFS) et le bilan martial sont nécessaires pour interpréter les résultats. L’étude de l’hémoglobine comprend : • l’isoélectrofocalisation qui sépare les hémoglobines de migration identique en électrophorèse ; • l’électrophorèse en citrate d’agar à pH acide ; • le test de solubilité qui met en évidence in vitro la polymérisation de l’hémoglobine drépanocytaire S ; • la quantification des différentes fractions de l’hémoglobine qui se fait par chromatographie liquide haute pression (HPLC). Cet examen permet d’évoquer le diagnostic des Sβ-thalassémies, de suivre l’efficacité transfusionnelle chez les patients transfusés, et d’observer l’augmentation du pourcentage d’hémoglobine fœtale après à la mise en route d’un traitement par hydroxyurée ; • l’étude génotypique de l’hémoglobine (caractérisation des gènes α et β de l’hémoglobine) dans la mesure du possible. En outre, un déficit en glucose 6-phosphate déshydrogénase et en pyruvate kinase de référence sont recherchés, ainsi que le groupe sanguin, le phénotype érythrocytaire étendu une première fois lors de la prise en charge et les agglutinines irrégulières. 2.1.1.2.  Examens à répéter au cours du suivi des patients. Les examens à réaliser au cours du suivi des patients sont : • NFS, plaquettes, réticulocytes permettent de suivre l’évolution de l’anémie par rapport à la concentration en hémoglobine de base, l’évolution du volume globulaire moyen en cas d’introduction d’un traitement de fond et d’apprécier l’érythropoïèse ; • recherche d’agglutinines irrégulières après chaque transfusion, à distance de quelques semaines ; le dossier transfusionnel des patients doit tenir compte des antécédents transfusionnels, notamment les incidents éventuels ; • ionogramme sanguin, créatininémie, transaminases, gamma glutamyltransférase (-yGT), phosphatases alcalines, bilirubine, lactate déshydrogénase (LDH), uricémie, glycémie à jeun ; • calcémie, phosphorémie, 25-hydroxyvitamine D3 (carence en vitamine D très fréquente) ; • bilan martial : ferritinémie, fer sérique et coefficient de saturation de la transferrine ; • sérologies : hépatite B (VHB), hépatite C (VHC), virus de l’immunodéficience humain (VIH), virus lymphotrope-T humain (HTLV), érythrovirus, (parvovirus B19). Pour les femmes toxoplasmose, rubéole et cytomégalovirus (CMV) ; • recherche de protéinurie  : la protéinurie sur échantillon rapportée à la créatininurie est demandée. En cas de négativité

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de la recherche par bandelette urinaire, il faut rechercher une microalbuminurie sur échantillon rapporté à la créatininurie. Une protéinurie > 0,3  g/24  heures est pathologique. Le rapport protéinurie/créatininurie sur un échantillon d’urine (exprimé en mg/mmol de créatininurie) permet d’estimer la protéinurie des 24 heures (cf. recommandation « Complications rénales » [Annexe 13]) ; • bilan lipidique et vitesse de sédimentation sont difficilement interprétables. L’hypocholestérolémie est fréquente en raison de l’hémolyse. Le dosage de l’haptoglobine n’a pas d’intérêt car il est toujours effondré. En cas de diabète, l’hémoglobine glyquée ne peut être utilisée ; il faudra demander la fructosamine.

2.1.2.  Imagerie et consultations spécialisées 2.1.2.1.  Radiographies. Les examens d’imagerie à réaliser sont : • radiographie de thorax initiale puis selon la symptomatologie ; • radiographie du bassin de face et des hanches (face et faux profil) et des épaules selon la symptomatologie ; • radiographie du rachis selon la symptomatologie ; • imagerie par résonance magnétique (IRM) des hanches et des épaules en cas de douleurs permanentes, d’une gêne fonctionnelle ou d’une limitation d’amplitude articulaire à la recherche d’ostéonécroses au stade précoce (cf. recommandation « Atteintes ostéoarticulaires » [Annexe 12]). 2.1.2.2.  Échographie abdominale. L’échographie abdominale permet la recherche de lithiase biliaire et l’évaluation initiale de la taille de la rate et de la morphologie rénale. La recherche de lithiase vésiculaire sera effectuée tous les ans ou tous les 2  ans (indication opératoire à froid) (cf. recommandation « Complications hépatiques, surcharge en fer » [Annexe 14]). 2.1.2.3.  Électrocardiogramme (ECG) et échographie cardiaque. Ces examens permettent l’évaluation de la fonction du ventricule gauche et la recherche d’hypertension artérielle pulmonaire. La mesure des diamètres télédiastoliques est importante, il existe des cardiomyopathies diastoliques avec des mesures qui paraîtront dans les normes. Elle sera faite une première fois, puis suivie régulièrement en cas d’anomalie ou répétée en cas de signes fonctionnels cardiaques ou pulmonaires (cf. recommandation « Manifestations pulmonaires chroniques et cardiaques » [Annexe 15]). 2.1.2.4.  Consultation ophtalmologique annuelle. La consultation ophtalmologique permet la mesure de l’acuité visuelle, la réalisation du fond d’œil au trois miroirs, complété éventuellement par une angiographie à la fluorescéine. Les traitements et la fréquence de suivi seront adaptés en fonction des lésions selon l’avis d’ophtalmologue (au minimum une fois par an). 2.1.2.5.  Consultation odontologique annuelle. Il est recommandé de réaliser un examen et les soins dentaire annuels. 2.1.2.6.  Angio-IRM cérébrale ou angioscanner cérébral avec étude du polygone de Willis. En l’absence d’étude chez l’adulte, il n’existe pas de consensus sur les indications de ces examens. Néanmoins, leur réalisation paraît justifiée si le patient n’a jamais été exploré ou dans les circonstances suivantes : • céphalées ; • nécessité d’un traitement anticoagulant curatif (sans le retarder) ; • signes neurologiques centraux.

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En cas de doute sur une sténose, il est recommandé de faire un angioscanner du fait des anomalies du flux en rapport avec l’anémie.

pour la maison départementale des personnes handicapées peut être constitué.

2.2.  Examens à réaliser au cas par cas selon la symptomatologie

Schéma de suivi

2.2.1.  Explorations fonctionnelles respiratoires Les exploration fonctionnelles respiratoires avec diffusion lente du monoxyde de carbone (DLCO), gazométrie artérielle et test de marche de 6 minutes seront réalisées en aggravation d’une dyspnée disproportionnée au degré de l’anémie ou après un syndrome thoracique grave (attendre 3 mois). 2.2.2.  Oxymétrie nocturne ou polygraphie nocturne Ces examens seront réalisés en cas de déclenchement nocturne des crises vaso-occlusives, priapisme, ronflements ou obésité. 2.2.3.  Consultation ORL En cas d’angines à répétition ou de désaturation nocturne, une amygdalectomie peut être proposée. En cas de vertiges, de syndrome vestibulaire, d’hypoacousie une consultation ORL est également nécessaire. 2.2.4.  Écho-doppler transcrânien

Examens à faire régulièrement Examens biologiques : • NFS, plaquettes, réticulocytes • Recherche d’agglutinines irrégulières, ionogramme sanguin, transaminases, γGT, phosphatases alcalines, bilirubine, LDH • Créatininémie • Ferritinémie, coefficient de saturation, bilan phosphocalcique, vitamine D • Bandelette urinaire ; si positive mesurer la protéinurie sur échantillon ; si négative mesurer la microalbuminurie/créatinurie • Examen cytobactériologique des urines (ECBU) si besoin Échographie abdominale chez les patients non cholécystectomisés Consultation ophtalmologique  : fond d’œil, verre à trois miroirs, angiographie si nécessaire Examen et soins dentaires Angio-IRM cérébrale selon la symptomatologie ECG Vérification des vaccinations

Cet examen est non évalué et difficilement réalisable chez l’adulte en raison de la fermeture des fenêtres osseuses. 2.2.5.  Évaluation psychologique à proposer Il existe fréquemment un syndrome anxiodépressif, sousévalué chez ces patients. La prise en charge et le traitement éventuel peuvent améliorer, d’une part, la fréquence des crises vaso-occlusives et, d’autre part, la gestion de la douleur (cf. recommandation « Prise en charge psychologique » [Annexe 23]). 2.2.6.  Évaluation sociale et professionnelle L’évaluation du poste de travail, des études entreprises, du logement et de son accessibilité sont recommandées, dossier

Examens selon la symptomatologie • Échographie cardiaque de référence puis selon la clinique • Exploration fonctionnelle respiratoire • stéonécrose au stade précoce • Oxymétrie nocturne ou polygraphie en cas de priapisme ou de crise vaso-occlusive nocturne • Consultation ORL en cas de crise vaso-occlusive nocturne • IRM hépatique de quantification de surcharge en fer • Sérologies virales • Recherche d’agglutinines irrégulières après chaque transfusion



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Annexe 3. Prise en charge préhospitalière de la drépanocytose de l’adulte dans un contexte d’urgence Trois situations différentes prédominent. 3.1.  La plus fréquente est celle d’un patient douloureux, non soulagé par son traitement antalgique habituel 3.1.1.  En premier lieu, s’assurer qu’il s’agit bien d’une crise vasoocclusive simple

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Tableau 3 Causes des douleurs abdominales chez le patient drépanocytaire adulte. Lithiase vésiculaire compliquée (cholécystite, angiocholite) Pyélonéphrite aiguë Iléus réflexe en réaction à une vaso-occlusion rachidienne ou à la prise d’opioïdes Séquestration splénique ou hépatique (plus fréquent chez les patients SC et Sβ-thalassémiques) Ulcère gastroduodénal (prise fréquente d’anti-inflammatoires non stéroïdiens) Pancréatite Toute autre cause classique de douleur abdominale Ischémie mésentérique (exceptionnelle)

• sans signe de gravité (Tableau 1) ; • rechercher une infection concomitante. 3.1.2.  Traitement de la crise douloureuse à domicile Le traitement comporte : • l’hydratation orale : 3 litres d’eau et un demi-litre de Vichy® par jour, éviter les sodas ; • le repos dans un lieu calme et chaud ; • le soulagement de la douleur par des antalgiques de palier II en ambulatoire ; • pas de prescription de morphinique à domicile ; • l’arrêt de l’activité et réévaluation à 24 heures de la douleur et des signes de gravité ; • l’oxygénothérapie à domicile si patient équipé. Le patient doit être dirigé vers l’hôpital si la douleur ne peut pas être calmée, ou s’il existe un des items indiqués dans le Tableau 2. 3.1.3.  Cas particulier des douleurs abdominales chez l’adulte La crise vaso-occlusive est rarement la cause de douleurs abdominales, contrairement aux enfants. La constipation est très fréquente en raison de la prise d’antalgiques de palier II et de l’immobilisation. Les autres causes de douleur abdominale doivent être systématiquement recherchées (Tableau 3). En présence de signes de gravité, il faut discuter un transfert médicalisé.

3.2.  Complications pouvant mettre en jeu le pronostic vital Elles rendent nécessaire un transfert dans un centre hospitalier ayant une unité de soins intensifs et en contact avec des médecins ayant une expérience de la prise en charge de patients drépanocytaires. 3.2.1.  Syndrome thoracique aigu Le syndrome thoracique aigu est défini par l’association d’un ou plusieurs des symptômes suivants : toux, fièvre, dyspnée aiguë, expectoration, douleur thoracique ou nouvelles anomalies auscultatoires (crépitants ou souffle tubaire, diminution de murmure vésiculaire) et d’un nouvel infiltrat radiologique. L’existence de tout symptôme respiratoire doit faire évoquer le diagnostic de syndrome thoracique aigu et rend nécessaire une hospitalisation immédiate qui ne doit pas être retardée par la réalisation d’examens complémentaires. La présence de signes de gravité doit faire discuter le transfert du patient en unité de soins intensifs (Tableau 4). 3.2.2.  Signe neurologique aigu Tout patient ayant une suspicion d’accident vasculaire cérébral (AVC) doit bénéficier d’un échange transfusionnel et d’une TDM sans injection effectués en urgence. Si l’AVC est récent (moins de 3 h), le patient doit être adressé dans une unité neurovasculaire (cf. recommandation « Accidents vasculaires cérébraux » [Annexe 8]). 3.2.3.  Sepsis sévère avec troubles hémodynamiques

Tableau 1 Critères de gravité chez un patient drépanocytaire adulte. Tout signe de gravité respiratoire (cf. Tableau 4) Tout signe neurologique ou altération de la conscience Fièvre élevée > 39 °C Signes d’intolérance d’une anémie aiguë Signes de défaillance hémodynamique Défaillance viscérale connue (insuffisance rénale, HTAP, etc.) Grossesse HTAP : hypertension artérielle pulmonaire

Tableau 2 Indication d’hospitalisation pour un patient drépanocytaire adulte. Tout facteur de gravité (cf. Tableau 1) Échec des antalgiques de niveau II à posologie optimale Tout signe inhabituel dans une crise vaso-occlusive simple Tout signe fonctionnel pulmonaire Douleur abdominale ou thoracique Malade isolé, sans aide ni surveillance extérieure Impossibilité d’assurer une hydratation correcte Tout événement survenant dans les 3 semaines après une transfusion

Il impose de débuter en urgence un traitement antibiotique par voie parentérale ayant une efficacité antipneumococcique (1 g d’amoxicilline – acide clavulanique ou de ceftriaxone [Rocéphine®] en injection intramusculaire), une hospitalisation urgente et un transport médicalisé. L’antibiothérapie devra rapidement être réévaluée en fonction du point d’appel clinique (cf. recommandation « Conduite à tenir devant une fièvre » [Annexe 9]). 3.2.4.  Signes cliniques d’anémie mal tolérée Le signes cliniques d’anémie mal tolérée sont l’hypotension, la pâleur, les vertiges, la dyspnée, les acouphènes.

Tableau 4 Signes cliniques de gravité du syndrome thoracique aigu. Fréquence respiratoire > 30/min ou < 10/min Respiration superficielle Parole difficile Trouble de la conscience Anomalies auscultatoires étendues Insuffisance cardiaque droite Sueurs

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3.3.  Complications mettant en jeu le pronostic fonctionnel 3.3.1.  Priapisme Tout retard de prise en charge peut laisser des séquelles définitives avec impuissance (cf. recommandation « Priapisme » [Annexe 7]). 3.3.2.  Complications ophtalmologiques Toute baisse d’acuité visuelle nécessite une consultation en urgence. En cas d’indication à une intervention chirurgicale ophtalmologique, il faudra évaluer les risques opératoires en vue d’un échange pré- ou peropératoire. 3.3.3.  Complications ORL En cas de syndrome vestibulaire ou de surdité aigu, une hospitalisation est proposée pour hydratation et saignée répétée si la concentration en hémoglobine est supérieure à 10,5 g/dL, ou pour échange transfusionnel. Les corticoïdes sont contre-indiqués (cf. recommandation « Complications ORL » [Annexe 17], Tableau 5).

Tableau 5 Médicaments à utiliser avec prudence chez les patients drépanocytaires. Corticoïdes

Les corticoïdes ne doivent pas être utilisés sans précaution car ils peuvent déclencher des crises vaso-occlusives sévères. Si leur indication est formelle, il faut réaliser au préalable un échange transfusionnel Anti-inflammatoires non Respecter les contre-indications habituelles. stéroïdiens Ils sont notamment contre-indiqués en cas de suspicion d’infection, d’atteinte rénale ou de grossesse Aspirine à forte dose Benzodiazépines Elles risquent de provoquer une dépression respiratoire et une désaturation nocturne Diurétiques Morphiniques Interruption volontaire de grossesse médicamenteuse

Ils augmentent la viscosité et provoquent une déshydratation aggravant la crise À domicile contre-indiqués (sauf avis du centre de référence) RU 486

3.3.4.  Arthrite septique, infection sur prothèse et ostéomyélite Arthrite septique, infection sur prothèse et ostéomyélite sont à différencier d’une crise vaso-occlusive articulaire. 3.4.  Cas particulier de la grossesse La drépanocytose augmente le risque de survenue de complications de la grossesse, et inversement. La mortalité maternelle représente environ 1 % des grossesses et dépend largement des modalités de la prise en charge. La survenue d’une crise même d’allure simple nécessite une prise en charge hospitalière et la discussion d’un échange transfusionnel.

Le transfert à l’hôpital peut être effectué en véhicule sanitaire non médicalisé. 3.5.  Autres complications Les infections urinaires sont très fréquentes chez les patients drépanocytaires. Il est préférable de pratiquer un examen cytobactériologique des urines avec antibiogramme avant la mise en route de l’antibiothérapie sans en attendre le résultat, afin d’adapter le traitement secondairement. Les traitements « minutes » sont à éviter.



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Annexe 4. Recommandations pour le médecin généraliste Le médecin généraliste a un rôle central dans la prise en charge des patients drépanocytaires. En dehors des particularités de prise en charge, résumées dans les différentes fiches de recommandations, cette «fiche pense-bête  » de prise en charge des drépanocytaires adultes résume les points cruciaux à connaître par le généraliste. Conseils 1. Utiliser largement l’amoxicilline en cas d’infection ORL et respiratoire (couvrir le pneumocoque) et de soins dentaires invasifs. 2. Tenir à jour le calendrier vaccinal (anti-pneumocoque – Prévenar 13® 3 ans après le dernier Pneumo 23®, suivi plus de 2 mois après du Pneumo 23® ; antigrippe ++) ; méningocoque ; haemophilus ; coqueluche. 3. Vérifier le traitement de base du patient  : acide folique tous les jours, à vie, antalgiques classe 1 ou 2 si besoin (anti-inflammatoires non stéroïdiens à éviter surtout en cas d’atteinte rénale). 4. Contacter le médecin référent pour la drépanocytose si : • grossesse • acte chirurgical ou anesthésie générale à réaliser ➜ Situations à risque de complications graves. Nécessité parfois de transfusions. 5. Hospitaliser en urgence le patient (en particulier/ liste non exhaustive) devant : •  tout signe pulmonaire aigu (dyspnée, auscultation anormale) • tout signe neurologique et céphalées intenses inhabituelles • toute baisse d’acuité visuelle ou auditive, ou vertiges • un priapisme (durée de plus de 30 min, ou qui se répète de façon rapprochée) 6. Prescrire une prophylaxie antipalustre en cas de voyage en zone endémique 7. S’assurer que le patient ait vu, au moins une fois par an, son médecin spécialiste référent pour la drépanocytose 8. Mettre à jour l’ALD 30

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Attention 9. Ne pas introduire de corticoïdes (favorisent les crises graves) 10. Ne pas prescrire ou reconduire un traitement par morphine sans le feu vert du centre de référence 11. Ne pas corriger une carence martiale ou prescrire un traitement par fer (notamment chez les femmes enceintes) sans l’avis du référent pour la drépanocytose

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Annexe 5. Prise en charge de la crise douloureuse chez l’adulte drépanocytaire La crise douloureuse est l’événement clinique le plus fréquemment rencontré chez l’adulte drépanocytaire. Elle ne doit jamais être considérée comme banale. Elle peut en effet rapidement évoluer vers une forme grave et représente dans tous les cas pour le patient une situation d’échec, source d’angoisse majeure, et parfois de syndrome dépressif. Quelques points sont incontournables : • la recherche de facteurs favorisants ; • la recherche d’un point d’appel infectieux (à noter que la crise en elle-même peut s’accompagner de fièvre) ; • mise en place d’un traitement antalgique rapide et efficace ; • risque d’évolution vers un syndrome thoracique. La douleur chez le patient drépanocytaire peut être révélatrice d’une autre complication. Notamment, toute douleur abdominale doit faire rechercher une autre cause que la crise vaso-occlusive simple, (i.e. une cholécystite, une pyélonéphrite, une séquestration splénique, etc.), ou toute autre cause de douleur abdominale. 5.1.  Évaluation initiale 5.1.1.  Évaluation clinique Évaluer la douleur à l’aide de l’échelle visuelle analogique (EVA), rechercher le nombre de sites douloureux, mesurer la pression artérielle, les fréquences cardiaque et respiratoire, la SpO2, la température, le poids, afin d’évaluer la gravité de la situation. Évaluer les antalgiques pris à domicile. 5.1.2.  Évaluation biologique Les examens suivants sont réalisés : hémogramme, dosages des réticulocytes, de la LDH, de la créatininémie, des transaminases, des phosphatases alcalines, de la bilirubinémie, de la protéine C réactive, bandelette urinaire, gazométrie artérielle en cas de douleur thoracique ou de désaturation. Le taux de réticulocytes est demandé à l’admission afin d’évaluer la régénération érythrocytaire. Actualiser le dossier transfusionnel, préciser la date de la dernière transfusion. 5.2.  Traitement La prise en charge thérapeutique de la crise vaso-occlusive comprend :

• Surveillance du rythme des injections, de la fréquence respiratoire (FR), échelle de sédation durant la titration. • La survenue d’une sédation ou d’une FR < 10/min impose l’arrêt de la titration. • Les doses de morphine doivent être adaptées à la fonction rénale. 5.2.2.  Traitement de relais par une pompe PCA Avant l’administration de morphine vérifier que son antidote, le Narcan®, est disponible. Quatre paramètres sont à définir : • concentration : 1 mg/mL ; • bolus : 1 à 2 mg ; • période réfractaire : 7 à 15 min ; • dose maximale sur 4 heures : 24 mg, ou moins si on souhaite limiter le nombre de bolus. La perfusion continue de morphine :

• ne soulage pas la douleur aiguë et ne dispense pas de la reprise d’une titration ; • à éviter sauf si douleur non contrôlée ; • ne doit pas dépasser 1 mg/h ; • une réévaluation pluriquotidienne est nécessaire afin de l’arrêter dès que possible. 5.2.3.  Prescription de morphine intraveineuse sans pompe PCA Après titration, continuer avec des bolus intraveineux de 5  mg répétés toutes les 2 à 4  heures. Si l’administration des bolus seuls ne donne pas l’analgésie souhaitée, et justifie la reprise d’une titration discuter de la mise en place d’une administration intraveineuse en continu de 1 à 2 mg/h, sans dépasser 2 mg/h. L’utilisation d’une injection intraveineuse continue nécessite une surveillance plus rapprochée en raison des risques de surdosage et d’hypoventilation, dont l’évolution peut être rapidement fatale.

• Une évaluation médicale de la prescription deux fois par jour est nécessaire. • Si le patient n’est pas soulagé, il faut reprendre la titration plutôt qu’augmenter la dose délivrée en continu. • Lorsque la crise algique se termine, il vaut mieux espacer les bolus qu’en diminuer la posologie.

• le traitement symptomatique de la douleur ; • la lutte contre les facteurs susceptibles de la pérenniser ou de l’aggraver. La prise en charge d’une crise douloureuse drépanocytaire nécessite une titration initiale puis l’administration de bolus de morphine selon deux modes, soit avec une pompe d’analgésie autocontrôlée par le patient (PCA), soit par bolus espacés, avec ou sans perfusion continue.

L’utilisation d’une valve anti-reflux avec la seringue autopousseuse et la pompe PCA est obligatoire. Surveiller les doses administrées.

5.2.4.  Traitements adjuvants dans tous les cas Les traitements adjuvants sont :

5.2.1.  Titration initiale (injection intraveineuse) Dose de charge : 0,1 mg/kg de morphine injectable • Réinjection de 3 mg toutes les 5 minutes jusqu’à l’obtention d’une analgésie correcte, c’est-à-dire douleur cotée inférieure à 4 sur l’EVA.

• Hydratation : une hydratation efficace par voie veineuse est nécessaire jusqu’à la fin de la crise. Sérum physiologique 1 L, puis G5 % avec NaCl et KCl en fonction du ionogramme sanguin sans dépasser 2 L/j par voie intraveineuse. Le risque de surcharge volémique est réel chez certains patients.



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Précaution à prendre : changer le cathéter tous les 3 jours. • Alcalinisation : 0,5 L d’eau de Vichy® par jour par voie orale. • Apport systématique de folates : Spéciafoldine® 2 comprimés par jour. • Anticoagulation préventive : en cas d’alitement permanent. • Oxygénothérapie  : en cas de douleurs thoraciques ou de saturation basse (SpO2 < 96 %), l’oxygénothérapie sera adaptée aux résultats des gaz du sang artériels (discordance entre la saturation transcutanée [SpO2] et gazométrique possible). L’objectif est d’obtenir une SpO2 > 97 %. Oxygénothérapie à poursuivre jusqu’à la sortie. • Saignée : afin de diminuer l’hyperviscosité chez les patients dont l’hémoglobinémie est supérieure ou égale à 11 g/dL, (en tenant compte de la concentration d’hémoglobine de base ; par exemple : 350 mL pour 11 g/dL). • Antalgiques à associer (pour diminuer les doses de morphiniques) : ◦◦ Paracétamol  : 4  g par jour au maximum en absence de cytolyse ; passage per os dès que possible. ◦◦ Kalinox® : il peut être utilisé pour soulager les douleurs très intenses lors de la mise en place des voies veineuses. ◦◦ Dès l’espacement des bolus : -- paracétamol codéiné ou tramadol (contre-indiqué en cas d’antécédent de comitialité), -- Acupan® : 20 mg 4 fois par jour soit par voie intraveineuse continue ou discontinue, soit per os sur du sucre (contreindiqué si antécédent de comitialité), -- ne pas associer Acupan® et tramadol (diminution du seuil de comitialité), -- anti-inflammatoires non stéroïdiens : ils n’ont pas fait la preuve de leur efficacité dans les crises nécessitant le recours à la morphine et sont contre-indiqués en cas de suspicion d’infection ou de grossesse. Cependant, certains patients répondent bien à ce traitement. Il convient alors : (1) de ne pas dépasser 3 jours, (2) de respecter les contre-indications : cytolyse et hépatopathie chronique, insuffisance rénale, etc.

Aucune prescription de morphiniques à domicile lors de la sortie d’hospitalisation.

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programme transfusionnel. Par ailleurs, se référer à la procédure transfusionnelle. • Le dossier transfusionnel est à rechercher systématiquement dès l’admission afin de ne pas méconnaître un antécédent d’allo-immunisation ou d’hémolyse post-transfusionnelle.

En cas d’antécédents d’accident transfusionnel hémolytique retardé avec ou sans anticorps retrouvés ou d’une allo-immunisation complexe, les indications transfusionnelles seront discutées au cas par cas avec le médecin référent pour la drépanocytose et en concertation avec l’Établissement français du sang (EFS). L’objectif sera d’éviter de transfuser ces patients sauf en cas d’urgence vitale.

• Traitement des effets secondaires des morphiniques ◦◦ prurit : prescription de nalbuphine (Nubain®) à 1/10e de dose de la morphine dans la seringue autopousseuse ou la PCA (i.e. : pour 50 mg de morphine dans la SAP mettre 5 mg de Nubain® dans la seringue). ◦◦ constipation : un traitement préventif doit être instauré car l’iléus réflexe et le météorisme peuvent être à l’origine d’une hypoventilation alvéolaire et favoriser la survenue d’un syndrome thoracique aigu. ◦◦ globe vésical : il est à rechercher systématiquement et doit être considérer comme un signe de surdosage. Il impose une titration de naloxone (Narcan®) : dilution d’une ampoule de Narcan® dans 10 mL de sérum physiologique et injection mL par mL. ◦◦ nausées et vomissements  : 2,5  mg de dropéridol (Droleptan®) pour 50 mg de morphine (à rajouter dans la seringue autopousseuse ou la PCA de morphine). Si nécessaire ondansétron (Zophren®) 4 à 8 mg (dose maximum par 24 heures : 32 mg). 5.3.  Surveillance La surveillance durant la titration se fait de façon très rapprochée au rythme des injections. Les paramètres de surveillance sont :

• Prise en charge psychologique : elle doit être systématique par l’équipe soignante ; si nécessaire par un spécialiste. • Traitement de l’anxiété due à la douleur et la mémoire des crises antérieures : ◦◦ Atarax® : de 25 à 100 mg par jour selon la tolérance. ◦◦ Les benzodiazépines sont à éviter en association avec les morphiniques, car ils peuvent favoriser la dépression respiratoire. • Kinésithérapie respiratoire : travail d’ampliation thoracique par kinésithérapie incitative à l’aide de spiromètre incitative Respiflow® si l’état clinique le permet (indispensable si douleur thoracique). • Transfusion ou échange transfusionnel  : la majorité des crises vaso-occlusives ne requièrent pas de transfusion. L’hémoglobinémie varie selon les patients, il faut donc connaître leur concentration de base. Tant qu’une anémie est bien tolérée et que la crise s’améliore, il n’y a pas lieu de poser cette indication, sauf chez la femme enceinte et des patients en

• Pression artérielle, fréquence cardiaque, SpO2  : toutes les 8 heures. • La surveillance de la douleur (EVA), la fréquence respiratoire et l’échelle de sédation, selon la prescription toutes les 2 à 4 heures (Tableaux 6 et 7). Après chaque changement de la posologie des morphiniques, ces paramètres doivent être surveillés de façon très rapprochée. • En cas d’aggravation  : transfert en réanimation ou soins intensifs.

Tableau 6 Échelle de sédation (EDS). S0 S1 S2 S3

Pas de sédation, patient bien éveillé Patient somnolent, stimulable verbalement Patient somnolent, stimulable tactilement Patient non réveillable, comateux

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Tableau 7 Fréquence respiratoire (FR). R0 R1 R2 R3

Respiration régulière, sans problème et FR > 10/min Ronflement et FR > 10/min Obstruction, tirage ou FR < 10/min Pause, apnée

Critères de retour à domicile Pas de fièvre Pas de douleur thoracique FR < 20/min Pas d’injection de morphine depuis 8 à 12 heures La sortie doit tenir compte des conditions de vie

Indication d’hospitalisation pour un drépanocytaire adulte Tout facteur de gravité (cf. Tableau 8) Échec des antalgiques de niveau II à posologie optimale Tout signe inhabituel dans une crise vaso-occlusive Tout signe fonctionnel pulmonaire Douleur abdominale Malade isolé, sans aide ni surveillance extérieure Impossibilité d’assurer une hydratation correcte

Tableau 8 Facteurs de gravité chez un patient drépanocytaire adulte. Tout signe de gravité respiratoire Tout signe neurologique ou altération de la conscience Fièvre élevée supérieure à 39 ° C Signes d’anémie aiguë Signes de défaillance hémodynamique Défaillance viscérale connue (insuffisance rénale, hypertension artérielle pulmonaire, etc.) Grossesse



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Annexe 6. Prise en charge du syndrome thoracique aigu de l’adulte drépanocytaire En pratique clinique, dès qu’un signe physique pulmonaire apparaît chez un patient drépanocytaire, on considère, en première hypothèse, qu’il s’agit d’un syndrome thoracique aigu. Le syndrome thoracique aigu est théoriquement défini par l’association d’un nouvel infiltrat radiologique et d’un ou plusieurs des symptômes suivants : toux, fièvre, dyspnée aiguë, expectoration, douleur thoracique et anomalies auscultatoires (crépitants, souffle tubaire, baisse du murmure vésiculaire). C’est une complication grave et fréquente des syndromes drépanocytaires majeurs pouvant mettre en jeu le pronostic vital. Le problème essentiel est d’apprécier la gravité et la rapidité de l’aggravation par une réévaluation rapprochée du patient. Le syndrome thoracique aigu survient d’emblée ou au cours d’une hospitalisation pour un autre motif (crise vasoocclusive simple, postopératoire, infection). La survenue d’un syndrome thoracique aigu doit être systématiquement recherchée chez tout patient drépanocytaire hospitalisé pour quelque motif que ce soit, de façon biquotidienne (fréquence respiratoire et auscultation pulmonaire). Les mécanismes physiopathologiques du syndrome thoracique aigu sont complexes et intriqués  : hypoventilation alvéolaire, embolie graisseuse, vaso-occlusion, thrombose in situ et infection. 6.1.  Facteurs favorisant l’apparition d’un syndrome thoracique aigu Les facteurs favorisant l’apparition d’un syndrome thoracique aigu sont : • hypoventilation alvéolaire : douleur thoracique, chirurgie abdominale ou gynécologique, grossesse et postpartum, surdosage morphinique, iléus, pathologie hépatobiliaire ; • infectieux : tout processus infectieux ; • prise de corticoïdes. 6.2.  Prévention du syndrome thoracique aigu La prévention se fait par : • une action efficace et rapide sur la douleur, en particulier thoracique ; • la spirométrie incitative préventive ; • la surveillance rapprochée de la fréquence respiratoire sous morphine (la fréquence respiratoire doit être supérieure à 10/ min) ; • le maintien d’un niveau optimal de volémie et d’oxygénation ; • la gestion optimale de toute anesthésie générale : hydratation, antalgie, réchauffement (bloc, chirurgie et salle de réveil), parfois transfusion (cf. recommandation « Indications et modalités transfusionnelles » Annexe 25) ; • la prévention de la récidive : en cas de syndrome thoracique grave un traitement de fond par hydroxyurée ou un programme transfusionnel peut être discuté.

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La spirométrie incitative inspiratoire Elle est le seul traitement ayant fait la preuve de son efficacité dans la prévention et le traitement du syndrome thoracique aigu. Le principe est de recruter au maximum les territoires pulmonaires non utilisés : il s’agit donc d’exercices inspiratoires. Indications : • préventives : toute crise vaso-occlusive (particulièrement en cas de douleurs thoraciques), grossesse à partir du deuxième trimestre, chirurgie abdominale. • curative : tout syndrome thoracique aigu. Exercices à effectuer fréquemment (toutes les heures). Débuter le plus précocement possible. Exercices à effectuer même (surtout) si persiste une douleur thoracique et que les volumes atteints sont sous-optimaux, après administration de morphine. Si l’appareil (Respiflow® à usage unique, peu onéreux) n’est pas disponible immédiatement, faire effectuer par le patient des inspirations profondes (au moins 10 toutes les 2 heures dans la journée).

6.3.  Prise en charge du syndrome thoracique aigu avéré Il faut poser en permanence deux questions  : faut-il modifier le traitement entrepris ? Faut-il transférer le patient en secteur de soins intensifs ? La rapidité potentielle de l’aggravation doit être prise en compte et impose une surveillance rapprochée. 6.3.1.  Recherche de critères de gravité • clinique : ◦◦ FR > 30/min ou FR < 10/min, ◦◦ respiration superficielle, difficulté de parole, ◦◦ troubles de conscience, ◦◦ anomalies auscultatoires étendues, ◦◦ autre atteinte organique associée (insuffisance cardiaque ou rénale), ◦◦ fréquence cardiaque supérieure à 120/min, signes d’insuffisance cardiaque droite ; • biologique : ◦◦ hypoxie avec une PaO2 < 60 mmHg en air ambiant, ◦◦ pH acide < 7,35 ; PaCO2 > 50 mmHg, ◦◦ insuffisance rénale aiguë ; • ne pas se contenter de la saturation en O2 (SpO2) par oxymétrie de pouls, • atteinte pulmonaire radiologique bilatérale ou dépassant deux lobes, • besoins en O2 > 4 L/min pour obtenir une SpO2 > 98 %.

L’existence d’un critère de gravité doit faire discuter l’échange transfusionnel, le transfert dans une unité de soins intensifs et impose de demander un avis spécialisé.

6.3.2.   Bilan systématique Il comporte : • radiographie thoracique ;

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• gazométrie artérielle ; • NFS réticulocytes, groupage sanguin, recherche d’agglutinines irrégulières, taux de prothrombine, temps de céphaline activée ; • électrophorèse de l’hémoglobine (dosage de l’hémoglobine drépanocytaire S) en cas de transfusion récente ; • ionogramme sanguin, créatininémie, protéine C réactive ; • transaminases, phosphatases alcalines, γGT ; • LDH, bilirubine totale et conjuguée ; • deux hémocultures, examen cytobactériologique des urines si fièvre ; • en cas de signes de gravité : antigénuries pneumocoque et légionelle, ECBC. Si les données cliniques le suggèrent l’enquête microbiologique peut comporter aussi les sérologies pour légionelle, mycoplasme, chlamydia, la recherche de virus par immunofluorescence ou polymerase chain reaction (PCR) sur les prélèvements nasopharyngés ; • recherche de thrombus pulmonaire par angioscanner, particulièrement dans les formes graves, orientée dans les autres cas.

Le relais oral (amoxicilline 3 g/j ± spiramycine 3 M UI × 3/j, durée totale 7 à 10 jours) doit être envisagé si les critères suivants sont présents depuis au moins 24  heures  : fièvre inférieure ou égale à 38,3 °C, FR < 25/min, pression artérielle systolique supérieure à 90 mmHg, fréquence cardiaque inférieure à 100/ min, SaO2 > 92 %, prise orale possible. 6.4.7.  Transfusion ou échange transfusionnel (saignée – transfusion) selon le taux d’hémoglobine

En cas d’antécédent d’accident transfusionnel hémolytique ou d’allo-immunisation, l’objectif est de limiter au maximum les transfusions, sauf en cas d’urgence vitale et après discussion au cas par cas avec le médecin référent drépanocytose.

6.4.2.   Oxygénothérapie

6.4.7.1.  Indications. Les indications de la transfusion ou l’échange transfusionel sont : • à discuter dès la présence d’un signe de gravité ; • si le patient est déjà en programme transfusionnel au long cours ; • anémie avec hémoglobinémie inférieure à 6  g/dL mal tolérée ; • absence de toute amélioration du syndrome thoracique aigu après 72 heures ; • femme enceinte ou en postpartum immédiat, période postopératoire.

À adapter selon la SpO2 cutanée ou la gazométrie afin d’obtenir une SaO2 ≥ 98 %.

6.4.7.2.  Modalités. Les modalités de la transfusion ou l’échange transfusionel sont :

6.4.3.  Analgésie

• sang phénotypé, compatibilisé ; • transfusion simple si hémoglobinémie basse ; • échange transfusionnel partiel dans les autres cas (cf. recommandation « Indications et modalités transfusionnelles » [Annexe 25]) ; • sans jamais trop élever l’hémoglobine (en fonction du chiffre de référence du patient, sans dépasser 11  g/dL d’hémoglobine).

6.4.   Traitement 6.4.1.  Hydratation Elle ne doit pas être excessive et risquer d’entraîner une surcharge. Ne pas dépasser 2 l intraveineux par jour. Attention aux diurétiques qui risquent d’augmenter la viscosité sanguine.

L’hypoventilation alvéolaire est notamment en rapport avec la douleur pariétale. Un traitement efficace et rapide de la douleur contribue à son amélioration (cf. recommandation « Crise douloureuse aiguë » [Annexe 5]). 6.4.4.  Traitement de l’anxiété due à la douleur et la mémoire des crises antérieures Le traitement de l’anxiété comporte : • Atarax® : 25 à 100 mg par jour selon la tolérance. Les benzodiazépines sont à éviter, car en association avec les morphiniques, elles peuvent favoriser la dépression respiratoire. • Prise en charge psychologique : elle doit être systématique par l’équipe soignante (si nécessaire par un spécialiste). 6.4.5.  Kinésithérapie respiratoire Travail d’ampliation thoracique à l’aide d’un appareil de spirométrie incitative. 6.4.6.  Antibiothérapie en cas de fièvre Selon la situation : • syndrome thoracique aigu peu grave  : amoxicilline 3  g/j (en cas d’allergie à l’amoxicilline : lévofloxacine [Tavanic®], pristinamycine [Pyostacine®]) ; • syndrome thoracique aigu avec critères de gravité (respiratoires ou hémodynamiques) : association céfotaxime 3 g/j IV + spiramycine 1,5 M UI × 3/j IV.

Discuter une répétition des échanges transfusionnels si : • absence d’amélioration ; • persistance de signes de gravité ; • majoration des besoins en oxygénothérapie. 6.4.8.  Traitement anticoagulant Le traitement anticoagulant préventif systématique est recommandé. Un traitement curatif sera mis en place si une embolie pulmonaire est retrouvée. 6.4.9.  Consultation après un syndrome thoracique aigu La consultation après un syndrome thoracique aigu doit être systématique : • Elle permet d’apprécier la récupération de l’état général et de l’état respiratoire. • La réalisation d’EFR à distance peut être indiquée pour rechercher d’éventuelles séquelles. • Des facteurs ayant favorisé l’apparition du syndrome thoracique aigu doivent être recherchés (durée du sommeil ou hydratation insuffisantes par exemple). • Si le patient reçoit de l’hydroxyurée, apprécier précisément



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l’observance. Si celle-ci est mauvaise, mettre en place un programme d’éducation thérapeutique pour l’améliorer. • Si le patient ne reçoit pas d’hydoxyurée, discuter la mise en route de ce traitement. La survenue d’un syndrome thoracique aigu grave représente en effet une indication à l’hydroxyurée. Pièges du syndrome thoracique aigu • L’installation est souvent torpide, l’aggravation souvent rapide. • Ainsi, des signes de gravité apparaissent parfois alors même que les critères diagnostiques stricts du syndrome thoracique aigu ne sont pas réunis. L’institution du traitement ne doit alors pas être retardée par ce paradoxe. Notamment en cas de radiographie pulmonaire non immédiatement disponible ou difficilement interprétable ou normale. • Les signes respiratoires ne sont pas toujours au premier plan (agitation, somnolence, etc.). • Risques de toxicité morphinique : la gravité d’une baisse de fréquence respiratoire est souvent sous-évaluée par rapport à une augmentation de cette fréquence. Le caractère délétère d’une altération de la conscience est souvent sous-évalué. • Chez ces patients souvent jeunes ayant de bonnes capacités pour lutter contre l’insuffisance respiratoire, l’arrêt respiratoire peut survenir brutalement. • Saturation sous oxygène correcte rassurante à tort. L’interprétation de la saturation est impossible sans confrontation aux données cliniques et notamment à la fréquence respiratoire. • Ambiguïté de la définition : toute défaillance respiratoire entre dans la définition du syndrome thoracique aigu. Il faut systématiquement rechercher une cause spécifique nécessitant un traitement spécifique (insuffisance cardiaque gauche, pneumopathie infectieuse et surtout embolie pulmonaire).

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Annexe 7. Recommandations pour la prise en charge du priapisme chez les patients drépanocytaires Le priapisme se définit comme une érection permanente et douloureuse très rarement secondaire à l’activité sexuelle. Elle peut ne pas disparaître, même par provocation de l’éjaculation. Au cours de la drépanocytose le priapisme est de type veino-occlusif, par opposition à un priapisme artériel non ischémique. Le priapisme se manifeste selon deux modes : intermittent (moins d’une heure) ou aigu (plus d’une heure). La prise en charge est une urgence, car la prolongation du priapisme peut conduire à une impuissance irréversible par ischémie, puis sclérose des corps caverneux. Des explications concernant cette complication doivent être systématiquement données à tous les hommes et garçons drépanocytaires, afin de la repérer et traiter précocement, et ainsi d’éviter les séquelles.

Quand faut-il pratiquer une injection intracaverneuse ? • Quand le priapisme a une durée de plus d’une heure • Quand un épisode ne cède pas à une prise orale d’Effortil® (quatre à six comprimés) sans attendre plus d’une heure Attention : actuellement la forme orale de l’étiléfrine n’est pas remboursée, et la forme injectable est à commander, pour être disponible dans le stock de la pharmacie hospitalière. • plus de 3  heures ou échec des injections  : il faut d’abord drainer les corps caverneux. Pour cela, provoquer l’écoulement du sang par pression manuelle douce, sans aspirer ni laver (ce qui majorerait le risque de fibrose). Le sang, de couleur noire au début, doit devenir rouge vermillon. Injecter alors l’étiléfrine à l’aide de l’aiguille en place. Les injections peuvent être renouvelées de façon régulière si la réponse au traitement est temporaire (Tableau 9).

7.1.  Protocole de prise en charge du priapisme dit « intermittent » (moins d’une heure) Dès les premiers symptômes, des exercices musculaires des membres inférieurs (flexion –  extension des cuisses, montée et descente des escaliers) et parfois des membres supérieurs (pompes) peuvent faire disparaître le priapisme, par vol vasculaire. Des douches chaudes ont parfois un effet bénéfique. Commencer un traitement per os par Effortil® (étiléfrine, alphamimétique, vasoconstricteur) deux à quatre comprimés et recommencer si cela ne cède pas après 20 minutes (ne pas dépasser six comprimés en une prise) (Tableau 9). En l’absence d’amélioration après 30 minutes se rendre aux urgences L’étiléfrine est contre-indiqué en cas de glaucome à angle fermé, d’insuffisance coronarienne, d’hypertension artérielle, d’hyperthyroïdie, de vasculopathie cérébrale. 7.2.  Traitement du priapisme aigu, dit « prolongé » (plus d’une heure) • Appel d’un urologue en urgence • La prise en charge du priapisme prolongé se fait au mieux dans un service d’urologie. La chirurgie ne doit être envisagée qu’en dernier recours. • Traitement antalgique, hydratation, oxygénothérapie à débuter immédiatement (cf. « Crise douloureuse aiguë » [Annexe 5]), et sans retarder la prise en charge spécifique. • Évaluation du temps écoulé depuis le début du priapisme : ◦◦ entre 1 à 3 heures : injection intracaverneuse de 10 mg (soit une ampoule de 1 mL dans une seringue à insuline) d’étiléfrine Serb®, à répéter 20 minutes plus tard si la détumescence ne se produit pas (Tableau 9).

Tableau 9 Schéma thérapeutique du priapisme. Moins d’une heure Plus d’une heure Plus de 3 heures ou échec

Drainage sans lavage, par injection sous anesthésie locale (lidocaïne 1 %) dans l’un des deux corps caverneux, immédiatement sous le sillon balanopréputial d’une aiguille à ailettes 19 G (type « butterfly »). Il est important de prendre le temps (20 à 30 min) d’un drainage complet jusqu’à l’obtention de sang rouge (Fig. 1).

• Prévoir un échange transfusionnel en urgence si les injections d’étiléfrine restent inefficaces, sans retarder le drainage (cf. recommandation «  Indications et modalités transfusionnelles » [Annexe 25]). • En cas d’hémoglobinémie supérieure à 10 g/dL chez les patients homozygotes SS et 11 g/dL chez les patients hétérozygotes SC, une saignée systématique (300 à 400 mL) pourra être réalisée. • En cas d’échec des mesures précédentes, un geste chirurgical sera proposé. Cependant les gestes chirurgicaux comportent aussi un risque de trouble de l’érection secondaire qu’il faut prendre en compte : ◦◦ Anastomose cavernospongieuse qui est réalisée à la face inférieure sus scrotale du pénis et permet un bon drainage des corps caverneux. ◦◦ Dérivation par un shunt saphénocaverneux. ◦◦ Shunt distal : non recommandé en raison de la fréquence des récidives précoces.

Sillon balanopréputial

Massage doux

Étiléfrine orale (20 à 40 mg) à répéter si besoin Étiléfrine en injection intracaverneuse (10 mg), à répéter 20 min plus tard si besoin Drainage sans lavage : évacuation par pression manuelle douce sans aspirer, jusqu’à obtenir du sang rouge, puis injection d’étiléfrine et échange transfusionnel en urgence En cas d’échec, discuter l’indication chirurgicale

Jusqu’à obtention d’une détumescence et de sang rouge Fig. 1. Drainage sans lavage des corps caverneux.



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• Alternatives médicamenteuses à l’étiléfrine : en cas d’indisponibilité de l’étiléfrine, la phényléphrine (Néosynéphrine®) peut être utilisée : 1 ampoule de 1 mL à 5 mg/mL diluée dans 9 mL de sérum physiologique. Injection selon le poids de 0,4 à 0,6 mL de la préparation sans dépasser 10 doses par jour. à défaut de disponibilité des comprimés d’étiléfrine (qui sont dosés à 5 mg), les ampoules (qui sont dosées à 10 mg/mL et par ampoules) peuvent être bues (il n’y a pas de données sur la biodisponibilité). • Oxygénothérapie. • Traitements inutiles voire néfastes : adrénaline, héparine locale, corticoïdes locaux ou généraux, pansement compressif, glace. 7.3.  En cas de priapisme récidivant • Rechercher un facteur favorisant : ◦◦ Consommation de tabac ou de hachisch, ◦◦ Désaturation nocturne, par enregistrement de l’oxymétrie nocturne à domicile, ◦◦ Apnées du sommeil, ◦◦ Hypertrophie amygdalienne obstructive, asthme, ◦◦ Hyperviscosité sanguine (hémoglobinémie trop élevée, supérieure à 11 g/dL), ◦◦ Atteinte rénale (tubulopathie distale ou atteinte glomérulaire), ◦◦ Déshydratation (alcool, chaleur, etc.). • Oxygénothérapie nocturne à domicile à discuter (même en l’absence de désaturation nocturne avérée).

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• Étiléphrine per os (5 mg) pouvant aller de 2 à 10 comprimés par jour, en privilégiant la prise vespérale. • Consultation spécialisée pour évaluation du retentissement et apprentissage des auto-injections intracaverneuses d’Effortil®, en cas de priapisme récidivant. • Programme de saignées en cas d’hyperviscosité sanguine. En cas d’hémoglobinémie élevée (supérieure à 10  g/dL chez les patients SS et supérieure à 11 g/dL chez les patients SC), un programme de saignées pourra être mis en place à visée prophylactique secondaire chez les patients présentant des récidives. • Traitement hormonal : un anti-androgène tel que l’acétate de cyprotérone (Androcur® sans dépasser 100 mg/j pour une durée maximale de 10 jours par mois) ou un inhibiteur de la 5-α-réductase (Chibroproscar® ou Avodart®) peut être proposé lors des reprises évolutives. • Prise en charge psychologique. • Le priapisme faisant partie du même phénotype vasculaire que les atteintes rénales, les ulcères de jambes, l’hypertension artérielle pulmonaire et les troubles du remodelage myocardique, des explorations complémentaires et un interrogatoire poussé doivent être réalisés. Un traitement par hydroxyurée peut être envisagé après discussion avec un centre de référence.

Numéro d’urgence priapisme CETI : 01 56 54 27 20 (24  h/24, 7  J/7) ou urologue de garde au CHU HenriMondor : 01 49 81 21 11.

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Annexe 8. Recommandations de prise en charge de l’accident vasculaire cérébral chez le patient drépanocytaire adulte Différents types d’accidents cérébraux peuvent se voir au cours de la drépanocytose. Il convient de distinguer les infarctus cérébraux et les hémorragies cérébrales, et de les classer en fonction du génotype : • Les infarctus cérébraux des patients SS ou Sβ0-thalassémiques surviennent le plus souvent dans le territoire de l’artère cérébrale moyenne ou dans les zones jonctionnelles sous-corticales (cérébrale antérieure/cérébrale moyenne principalement). Ils sont dans la majorité des cas liés à une vasculopathie sténosante pouvant s’associer à un réseau de suppléance anastomotique artério-artériolaire, fragile, appelé réseau Moya-Moya. Ces vasculopathies sont dépistées systématiquement durant l’enfance au moyen du doppler transcrânien à la recherche d’une accélération des vitesses artérielles. Celle-ci conduit à la mise en place d’un programme d’échange transfusionnel. • En cas d’accident ischémique survenant dans un territoire artériel ne correspondant pas à une lésion sténosante, et en particulier dans les territoires postérieurs, classiquement indemnes, une autre cause, cardio-embolique ou thrombotique (syndrome des antiphospholipides par exemple) est probable. • Les infarctus cérébraux des patients SC ou Sβ+-thalassémiques ne sont pas liés à une vasculopathie sténosante, le risque hémorragique lié à une Moya-Moya est donc inexistant. Les autres étiologies non drépanocytaires sont probables. • Les hémorragies cérébrales peuvent survenir sur un réseau Moya-Moya chez les patients SS ou Sβ0-thalassémiques, source d’une mortalité non négligeable. Cela explique la contreindication aux traitements anticoagulants ou antiagrégants plaquettaires en cas de présence d’un réseau Moya-Moya. • Les hémorragies sous-arachnoïdiennes sont le plus souvent liées à une rupture d’anévrysme. Les hématomes sous-duraux et extraduraux peuvent également se voir mais sont de cause plus difficile à déterminer (saignement d’un réseau pial, hématopoïèse intense des diploés, etc.). • Les thrombophlébites cérébrales peuvent se rencontrer. Elles sont favorisées par le terrain procoagulant de la drépanocytose, et peuvent se compliquer d’infarctus veineux qui nécessitent malgré tout un traitement anticoagulant. La prise en charge des accidents cérébraux au cours de la drépanocytose implique une coordination entre des neurologues et des médecins référents de la drépanocytose. C’est une urgence diagnostique et thérapeutique. 8.1.  Échanges transfusionnels Quel que soit le type d’accident cérébral, il faut débuter les échanges transfusionnels en urgence de façon à optimiser la perfusion cérébrale (cf. recommandation « Indications et modalités transfusionnelles » [Annexe 25]). Afin de maintenir une volémie adéquate, une perfusion de sérum physiologique est réalisée au moment de la première saignée. Le but est de réduire l’hémoglobine drépanocytaire à moins de 30  % (ou plus de 50  % d’hémoglobine A pour les patients SC). Si le dosage d’hémoglobine drépanocytaire n’est pas disponible, répéter au moins trois fois les échanges de deux culots globulaires (au moins six au total). En moyenne, l’hémoglobine drépanocytaire diminue de 6 à 12 % par culot globulaire (cf. Recommandation «  Indications et modalités transfusionnelles » [Annexe 25]). Les échanges transfusionnels doivent être réalisés manuellement, ou, après qu’un AVC hémorragique ait été écarté par TDM, ils peuvent être faits par érythraphérèse si disponible (utilisation

Tableau 10 Recommandations pour le premier échange transfusionnel (les échanges suivants d’après le schéma habituel). Hémoglobinémie Volume de la (g/dL) première saignée (mL) 50 % pour SC

Traitement spécifique en urgence de la cause après exploration vasculaire (artériographie, angioscanner ou ARM)

Exploration vasculaire (angioscanner, ARM ou artériographie,) à la recherche d’une vasculopathie. Fibrinolyse possible si Moya-Moya éliminée ou patient SC

Anévrysme

Moya-moya

Geste endovasculaire

Programme transfusionnel

Vasculopathie sténosante confirmée

Vasculopathie sténosante absente

Protocole transfusionnel au long cours*

Protocole transfusionnel à discuter avec le centre de référence*

Pas de programme transfusionnel dans les suites

Pas d’anti agrégant ou d’anticoagulant en cas de MoyaMoya

Prophylaxie secondaire habituelle. Recherche de cause cardioembolique ou thrombotique

Fig. 2. Traitement et exploration des accidents vasculaires cérébraux chez le patient drépanocytaire. Hb : hémoglobine ; SS : patient drépanocytaire homozygote S ; SC : patient drépanocytaire hétérozygote composite SC ; ARM : angio-imagerie par résonance magnétique ; * Il n’existe pas de données actuelles, quant à l’indication d’un protocole transfusionnel au long cours chez l’adulte. En l’absence de vasculopathie l’indication sera posée au cas par cas. En présence d’une vasculopathie, par analogie avec les études pédiatriques, l’accord professionnel préconise le protocole transfusionnel au long cours et en cas d’impossibilité un traitement par hydroxyurée. L’objectif du programme d’échange transfusionnel dans le cadre des vasculopathies cérébrales est de maintenir un pourcentage d’hémoglobine drépanocytaire inférieur à 30 %.

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Annexe 9. Conduite à tenir devant une fièvre chez le drépanocytaire adulte Toute fièvre (température supérieure ou égale à 38,5  °C ou frissons) chez un patient drépanocytaire adulte doit faire envisager une infection. La fièvre peut déclencher une crise vaso-occlusive, inversement ces crises peuvent être fébriles, ce qui peut rendre difficile le diagnostic différentiel avec une infection. Les infections bactériennes sont fréquemment en cause. Classiquement les infections à germes encapsulés (pneumocoque, Haemophilus influenzae) et à salmonelles mineures, favorisées par l’asplénie fonctionnelle, doivent être évoquées. Mais les infections liées aux soins à pyogènes sont fréquentes, localisées ou accompagnées de bactériémies (staphylocoques et entérobactéries sont les germes les plus fréquents). Des localisations secondaires osseuses peuvent fréquemment compliquer une bactériémie. Il faut savoir évoquer les causes non infectieuses de fièvre, notamment les thromboses. 9.1.  Démarche diagnostique devant une fièvre chez un patient drépanocytaire adulte

avec présence de PNN (parfois même puriformes) sont décrites au cours des crises vaso-occlusives. En cas d’association douleur osseuse et fièvre, avec ou sans signe inflammatoire local. Évoquer une ostéomyélite, un hématome sous-périosté, un infarctus osseux ou une crise vasoocclusive. L’évolution est un élément important pour différencier une crise vaso-occlusive et une infection ostéoarticulaire : régression de la douleur et de la fièvre en quelques jours en cas de crise vaso-occlusive, ou à l’inverse persistance et fixité de la douleur en cas d’infection. Les examens biologiques (NFS, protéine C réactive) et les radiographies standard précoces ne permettent pas en général de différencier ces deux étiologies. L’IRM et l’échographie peuvent par contre apporter des arguments en faveur d’une infection ou d’un infarctus osseux. En cas de présence d’une prothèse articulaire douloureuse : effectuer une échographie articulaire. En cas d’épanchement, demander une ponction articulaire par un radiologue ou un orthopédiste avant toute antibiothérapie. 9.1.1.2.  En cas de fièvre avec thrombopénie ou anémie arégénérative inexpliquées. Évoquer le paludisme même a distance d’un séjour en zone d’endémie (faire un frottis – goutte épaisse). Évoquer une primo infection à parvovirus B19 (faire une sérologie ou une PCR).

9.1.1.  Rechercher une cause infectieuse Examiner le patient à la recherche d’une porte d’entrée infectieuse : notamment un foyer pulmonaire, abdominal, dentaire ou ORL, ou une inflammation d’orifice de cathéter veineux. Les prélèvements biologiques usuels sont peu contributifs. Les leucocytes et la protéine C réactive augmentent fréquemment lors d’une crise vaso-occlusive simple. L’utilité du dosage de la pro-calcitonine n’a pas été validée. Faire des prélèvements microbiologiques avant toute antibiothérapie : • Deux paires d’hémocultures (anaérobie et anaérobie), une bandelette urinaire avec examen cytobactériologique des urines si la bandelette urinaire est positive ; examen cytobactériologique des crachats en cas d’expectoration purulente, antigénurie pneumococcique et sérologies chlamydiae et mycoplasme en cas de syndrome thoracique ou de pneumopathie. • Les infections respiratoires virales sont fréquentes : effectuer un prélèvement nasopharyngé pour les rechercher si le tableau clinique est compatible. En cas de présence d’un cathéter veineux central ou d’une chambre implantable : prélever des hémocultures simultanément en périphérie et sur la voie centrale, en notant bien sur la demande l’heure et le site du prélèvement (pour permettre de faire des hémocultures différentielles). Radiographie du thorax : à faire en cas de douleur thoracique ou d’anomalie auscultatoire. Une fièvre supérieure à 38,5 °C peut être le signe précurseur d’un syndrome thoracique ou d’une pneumopathie. 9.1.1.1.  En cas de douleurs ostéoarticulaires et fièvre. En l’absence de signe de gravité, réaliser un prélèvement bactériologique local avant tout antibiothérapie. Seule la mise en évidence d’une bactérie sur un prélèvement local (ponction d’une collection des parties molles, ponction articulaire, voire biopsie osseuse) permettra d’affirmer une origine infectieuse. En cas d’association épanchement articulaire et fièvre : évoquer une arthrite septique ou aseptique notamment microcristalline (tubulopathie drépanocytaire responsable d’hyperuricémie). Réaliser systématiquement une ponction articulaire avec examen cytobactériologique, et anatomopathologique à la recherche de microcristaux. Des monoarthrites aseptiques

9.1.2.  Penser aux causes non infectieuses Évoquer, notamment en cas de fièvre prolongée : • une thrombose veineuse. Il existe un sur-risque de thrombose chez le patient drépanocytaire ; • une fièvre médicamenteuse ; • une maladie systémique. 9.2.  Démarche thérapeutique devant une fièvre chez un patient drépanocytaire adulte 9.2.1.  Quel que soit le tableau clinique Toute fièvre supérieure à 38,5 °C justifie l’administration en urgence d’une antibiothérapie à activité antipneumococcique. Tout patient drépanocytaire doit être porteur d’une ordonnance d’amoxicilline orale à 1 g trois fois par jour, à débuter à domicile devant toute fièvre élevée, ce qui ne doit pas dispenser le patient de consulter en urgence un médecin par la suite. 9.2.2.  En présence de signes d’orientation étiologique 9.2.2.1.  En cas de signes cliniques de sepsis grave ou choc septique. Débuter après deux hémocultures prélevées à 5 min d’intervalle une antibiothérapie par céfotaxime11 intraveineuse (2 g × 3/j) + gentamicine intraveineuse (5 mg/kg/j en une injection) qui couvrent les salmonelles mineures, le pneumocoque et le staphylocoque doré sensible à la méticilline. L’antibiothérapie devra systématiquement être réévaluée en fonction des résultats bactériologiques et de l’évolution. 9.2.2.2.  En cas de fièvre et d’anomalies auscultatoires ou radiologiques pulmonaires. • En cas de pneumopathie sans signe de gravité : amoxicilline 3 g/j intraveineuse. En cas d’allergie à l’amoxicilline : lévofloxacine (Tavanic® 500 mg un comprimé par jour).

1  Le céfotaxime (Claforan® ) IV peut être remplacé par la ceftriaxone (Rocéphine®) en injection intraveineuse ou sous-cutanée, mais le Claforan doit si possible être privilégié car il sélectionnerait moins de souches de bactéries résistantes dans la flore endogène.



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• Dans le cas d’une pneumopathie avec signe de gravité (hypoxie, état de choc, passage en réanimation) : association amoxicilline 3 g/j intraveineuse + spiramycine intraveineuse 1,5 M UI × 3/j (Rovamycine®). Un relais oral (amoxicilline 3 g/j + spiramycine 3 M UI × 3/j, ou lévofloxacine 500 mg/j en cas d’allergie ou intolérance aux traitements précédents) doit être envisagé si les critères suivants sont présents depuis au moins 24  heures  : fièvre supérieure ou égale à 38,3 °C, fréquence respiratoire inférieure à 25/min, pression artérielle systolique supérieure à 90 mmHg, fréquence cardiaque inférieure à 100/min, saturation en oxygène supérieure à 92 %. La durée totale de l’antibiothérapie est de 7 jours, même pour une pneumopathie grave. La prophylaxie secondaire par Oracilline® n’est pas nécessaire chez l’adulte mais il faut vérifier la couverture vaccinale pour le pneumocoque (Pneumo 23® de moins de 5 ans). La grippe doit être évoquée en période épidémique, même chez le sujet vacciné : en cas de tableau clinique compatible, faire un prélèvement nasopharyngé et prescrire de l’oseltamivir (Tamiflu® 75 mg × 2,5 j). 9.2.2.3.  En cas de fièvre et de suspicion d’infection de cathéter. En l’absence de documentation microbiologique, procéder à un traitement empirique après prélèvement des hémocultures par l’association de vancomycine 2 g/j en injection intraveineuse à la seringue électrique et de gentamicine en injection intraveineuse (5 mg/kg/j) sous surveillance rapprochée de la fonction rénale (Annexe 27). En cas de bactériémie à staphylocoque doré sensible à la méticilline : cloxacilline (Orbénine® 100 mg/kg/j en injection intraveineuse) avec relais oral possible après 7 jours en cas d’évolution favorable (apyrexie et négativation des hémocultures de contrôle) et après élimination d’une endocardite, pour une durée totale de traitement de 14 jours minimum. Penser à rechercher systématiquement une localisation secondaire septique ostéoarticulaire en fin de traitement et dans les 6 mois suivant la bactériémie. 9.2.2.4.  En cas de suspicion d’arthrite septique ou d’ostéomyélite sans signe de gravité. L’antibiothérapie sera guidée par l’examen direct des prélèvements locaux (cf. supra). • Si l’examen direct est positif à cocci à Gram positif en amas (staphylocoque probable) : cloxacilline en injection intraveineuse et gentamicine en injection intraveineuse (2 g × 3/j) et gentamicine en injection intraveineuse (5 mg/kg/j en dose unique).

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• Si l’examen direct est positif à cocci à Gram positif en chaînettes ou diplocoques (streptocoque ou pneumocoque probable) : amoxicilline en injection intraveineuse (2 g × 3/j) et gentamicine en injection intraveineuse (5 mg/kg/j en dose unique). • Si l’examen direct est positif à bacilles à Gram négatif (entérobactérie probable) : éfotaxime1 en injection intraveineuse 2 g × 3/j et gentamicine en injection intraveineuse (5 mg/kg/j en dose unique). • En l’absence de germe a l’examen direct  : céfotaxime1 en injection intraveineuse 2 g × 3/j et gentamicine en injection intraveineuse (5 mg/kg/j en dose unique). Si toutes les cultures des prélèvements bactériologiques sont négatives (hémocultures et prélèvements locaux), un arrêt de l’antibiothérapie peut être envisagé (à discuter avec le référent drépanocytose et/ou infectiologue). 9.2.2.5.  En cas d’infection urinaire. Les traitements probabilistes sans examen cytobactériologique des urines préalables et les traitements minute des infections urinaires basses sont à éviter chez les patients drépanocytaires. Traitement probabiliste des pyélonéphrites : céfotaxime1 en injection intraveineuse et éventuellement gentamicine (pas de quinolones avant résultat de l’antibiogramme). 9.2.2.6.  En cas de fièvre isolée ou crise vaso-occlusive fébrile sans point d’appel clinique. Après les prélèvements, débuter en urgence si la température est supérieure à 38,5 °C l’amoxicilline 1 g × 3/jour en injection intraveineuse (relais oral après 24 heures d’apyrexie) afin d’éviter un retard thérapeutique vis-à-vis d’une éventuelle infection à pneumocoque potentiellement gravissime. Un arrêt de l’antibiothérapie peut être envisagé à 5 jours en cas d’évolution clinique rapidement favorable (apyrexie, régression des douleurs, absence de pneumopathie) et si le bilan microbiologique est négatif. L’association amoxicilline-acide clavulanique ou une céphalosporine de troisième génération ne sont pas recommandées en première intention. En cas d’allergie à l’amoxicilline uniquement : céfotaxime1 en injection intraveineuse, pour une durée totale de traitement de 5 jours. 9.3.  Vaccinations À l’issue de l’hospitalisation du patient, penser à vérifier les statuts vaccinaux (cf. recommandation «  Vaccinations » [Annexe 24]).

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Annexe 10. Aggravation de l’anémie chez le patient drépanocytaire Chez les patients drépanocytaires homozygotes, la concentration d’hémoglobine est généralement stable, comprise entre 7 et 9  g/dL, mais elle est parfois plus élevée ou plus basse. Chez les patients hétérozygotes composites SC et Sβ+ thalassémie, l’anémie est généralement plus modérée, voire absente. L’aggravation aiguë de l’anémie représente une urgence diagnostique et thérapeutique. L’évaluation nécessite de connaître le chiffre d’hémoglobine du patient à l’état basal, à partir duquel se définit la notion d’aggravation de l’anémie. La transfusion n’est justifiée que dans des circonstances bien précises. 10.1.  Rechercher la cause 10.1.1.  Démarche diagnostique Le raisonnement doit prendre en compte la vitesse de renouvellement des globules rouges, qui est très élevée chez les patients drépanocytaires homozygotes (durée de vie inférieure à 20 jours, contre 120 pour une hématie normale). De ce fait, les conséquences d’une altération de l’érythropoïèse sont brutalement et rapidement visibles. L’évaluation repose sur la réticulocytose, qui doit compléter toute numération sanguine chez les drépanocytaires (Tableau 11). L’interprétation se fait en analysant : • l’interrogatoire : séjour en zone impaludée (parfois ancienne), traitement habituel et son observance, transfusion récente ou semi-récente ; • l’examen clinique  : fièvre, splénomégalie, hépatomégalie, etc. ; • la biologie  : l’importance de la baisse de la concentration d’hémoglobine par rapport au chiffre habituel, la rapidité de la baisse, la valeur des réticulocytes, des LDH, de la bilirubine, une éventuelle atteinte des autres lignées et, chez les patients transfusés, les taux relatifs d’hémoglobine A et S. L’haptoglobine est inutile dans cette indication, toujours effondrée. L’aggravation de l’anémie peut être : • aiguë ou progressive ; • de mécanisme « périphérique », due à une accentuation de l’hémolyse, une spoliation par hémorragie ou séquestration splénique ; • ou de mécanisme « central » par une altération de l’érythropoïèse. L’analyse immédiate du nombre de réticulocytes permet d’avoir une orientation en faveur de l’un ou l’autre de ces mécanismes, avec cependant une « zone grise », pour des réticulocytes

Tableau 11 Causes principales d’aggravation de l’anémie, selon la réticulocytose. Réticulocytose élevée

Réticulocytose insuffisante

Accentuation de l’hémolyse Accident transfusionnel Accès palustre Anémie hémolytique auto-immune Crise vaso-occlusive Hémorragies Séquestration splénique ou hépatique

Carence en folates Carence en fer Syndrome inflammatoire Infection à parvovirus B19 Insuffisance rénale Toxicité médicamenteuse (hydroxyurée) Nécrose médullaire étendue Carence en vitamine B12

à un taux intermédiaire (par exemple, une perte de 2 points d’hémoglobinémie avec une réticulocytose à 100 000/mm3 est notoirement inadaptée). Par ailleurs, il faut répéter les analyses, car la réponse érythropoïétique peut être retardée. L’intrication de plusieurs causes n’est pas rare et complique la démarche diagnostique. 10.1.2.  Causes périphériques, à réticulocytose élevée 10.1.2.1.  Accident transfusionnel. Il survient dans les jours ou semaines suivant la transfusion (Annexe  11). Le diagnostic est évoqué sur l’apparition d’urines très foncées (porto), les cinétiques d’évolution de l’hémoglobine et des taux des hémoglobines A et S. Il est inconstamment confirmé par les études immunohématologiques (présence d’agglutinines irrégulières, test de Coombs, élution, etc.) car la recherche d’agglutinines irrégulières peut rester négative. 10.1.2.2.  Syndrome hémorragique aigu. Le risque d’hémorragie digestive est accru chez les patients traités par antiinflammatoires non stéroïdiens. Il existe un risque de retard au diagnostic si l’hémorragie n’est pas extériorisée car les caractères biologiques sont semblables entre hémolyse et hémorragie. Le diagnostic d’une complication hémorragique intra-abdominale peut être aussi retardé par l’utilisation de morphine, qui modifie les signes cliniques. Une nécrose papillaire peut provoquer une hématurie suffisamment abondante pour aggraver l’anémie. 10.1.2.3.  Séquestration splénique. Elle est définie chez les adultes par une augmentation souvent douloureuse du volume de la rate et une baisse de plus de 2  g/dL de la concentration en hémoglobine. Elle est beaucoup moins fréquente chez l’adulte que chez l’enfant. Elle survient surtout chez les patients ayant une hémoglobine basale élevée, essentiellement chez les drépanocytaires SC et Sβ+ thalassémie et chez ceux ayant conservé une rate homogène voire une splénomégalie. Elle peut s’accompagner d’une baisse des plaquettes. Il existe un risque de choc si la spoliation sanguine est importante (rare chez l’adulte). Il y a souvent une intrication entre infarctus et séquestration spléniques. 10.1.2.4.  Anémie hémolytique auto-immune. Elle est rare, mais peut être méconnue, et ainsi le diagnostic risque d’être fait avec retard. Il faut donc réaliser un test de Coombs quand l’hémolyse s’aggrave sans raison claire. 10.1.2.5.  Séquestration hépatique. Elle est exceptionnelle et se caractérise par une hépatomégalie douloureuse, une baisse de la concentration d’hémoglobine, et des perturbations sévères du bilan biologique hépatique. 10.1.2.6.  Crise vaso-occlusive. L’anémie s’aggrave lors des crises vaso-occlusives, par accentuation transitoire de l’hémolyse, hémodilution du fait de la réhydratation, ou par le syndrome inflammatoire si la crise est longue. La baisse de l’hémoglobine n’excède généralement pas 1 ou 2  g/dL. Elle est la cause la plus fréquente d’aggravation de l’anémie, mais doit rester un diagnostic d’élimination. En particulier, si la baisse de la concentration d’hémoglobine est supérieure à 2 g/dL, il faut systématiquement rechercher une autre cause. 10.1.3.  Causes centrales (à réticulocytose insuffisante) 10.1.3.1.  Carence en folates. Elle doit être prévenue par la prise systématique de Spéciafoldine®, dont il faut régulièrement vérifier l’observance. Le risque de carence est majoré pendant



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la grossesse. La prise d’hydroxyurée ne dispense pas de la supplémentation en folates. 10.1.3.2.  Infection à parvovirus B19. Le tableau de virose (fièvre, céphalées, arthralgies, douleurs abdominales, etc.) est inconstant. Le diagnostic est fait sur la sérologie (présence d’IgM) et surtout la PCR sanguine. La PCR sur un prélèvement médullaire a peu d’intérêt. 10.1.3.3.  Nécrose médullaire. Il faut l’évoquer devant un tableau de crise vaso-occlusive sévère, très douloureuse et étendue et la survenue brutale d’anomalies hématologiques : hyperleucocytose avec érythromyélémie, puis pancytopénie, LDH très élevées. Ce tableau peut survenir après une infection à parvovirus B19. La confirmation du diagnostic repose sur le myélogramme. Le traitement (transfusion ou échange transfusionnel) doit être le plus précoce possible, avant l’installation d’une défaillance multiviscérale par emboles systémiques de graisse. 10.1.3.4.  Syndrome inflammatoire. Toute affection provoquant un syndrome inflammatoire peut accentuer l’anémie : maladie auto-immune, infection, par exemple. 10.1.3.5.  Trois causes d’installation plus progressive. Trois causes d’installation plus progressive sont : • Insuffisance rénale : l’aggravation de l’anémie peut être révélatrice, et précéder l’augmentation de la créatininémie. Les patients drépanocytaires homozygotes ayant très fréquemment une hyperfiltration glomérulaire, il faut toujours, en cas de normofiltration, s’assurer qu’il n’y a pas une glomérulopathie (rechercher une albuminurie). L’aggravation de l’anémie est progressive et peut être méconnue. • Toxicité de l’hydroxyurée (Annexe 29). Il s’agit dans ce cas plutôt d’une pancytopénie que d’une anémie isolée. La surveillance régulière de l’hémogramme doit permettre une adaptation rapide de la posologie, dès l’apparition de signes discrets de toxicité. Un surdosage est plus fréquent quand existe une dysfonction rénale. Il faut donc adapter la posologie de l’hydroxyurée à la fonction rénale. • Carence en fer : elle n’aggrave pas l’anémie quand elle est modérée. Elle peut avoir un effet bénéfique (diminution de la viscosité) et elle n’est donc pas à supplémenter systématiquement. 10.2.  Traitement 10.2.1.  Transfusion Il est rare qu’un patient drépanocytaire présente une indication transfusionnelle liée seulement à la profondeur de l’anémie. La transfusion est indiquée en cas de mauvaise tolérance clinique ou en cas d’absence de régénération (Annexe 11). Il faut éviter les transfusions inutiles (risque d’immunisation et de surcharge en fer). Mais il faut aussi essayer d’anticiper l’évolution de la NFS et raisonner en termes dynamiques et non statiques :

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• Par exemple, un patient en fin de crise, ayant une anémie à 5 g/dL d’hémoglobinémie bien tolérée pour un chiffre basal de 7 g/dL, une réticulocytose élevée, n’a pas d’indication à une transfusion. À l’inverse, un patient ayant une concentration d’hémoglobine à 6 g/dL avec une réticulocytose effondrée lors d’une infection à parvovirus B19, devra être transfusé, car l’hémoglobinémie risquerait sinon de poursuivre sa baisse, éventuellement brutalement. • Si l’aggravation de l’anémie est secondaire à un accident transfusionnel, il faut éviter d’effectuer une nouvelle transfusion, qui risquerait d’aggraver l’hémolyse et finalement d’entraîner une anémie encore plus importante que celle qui avait motivé la transfusion initiale (Annexe 11). • Dans les rares cas où la transfusion est indiquée pour traiter une séquestration splénique, il faut connaître le risque très rare de déséquestration, qui peut être responsable d’une élévation brutale de la concentration de l’hémoglobine. 10.2.2.  Autres traitements 10.2.2.1.  Hydroxyurée. Le traitement par hydroxyurée entraîne généralement une augmentation de la concentration d’hémoglobine de 1 à 2  g/dL. Ainsi, l’hydroxyurée peut être proposée dans les anémies profondes chroniques pour lesquelles aucune cause curable n’a été trouvée (Annexe 29). À l’inverse, la survenue d’une pancytopénie sous hydroxyurée impose l’arrêt transitoire ou la diminution de la posologie. 10.2.2.2.  Érythropoïétine (EPO) recombinante. Il n’y a pas eu d’étude contrôlée sur l’érythropoïétine dans cette indication. L’EPO peut permettre une remontée de l’hémoglobine surtout dans les anémies associées à une atteinte rénale, et dans les anémies aiguës dues à un accident hémolytique posttransfusionnel ou à une érythroblastopénie secondaire au parvovirus B19. L’association à l’hydroxyurée permettrait (hors indication pour une anémie aiguë) de potentialiser les effets des deux médicaments sur la remontée de la concentration d’hémoglobine. Les indications de l’EPO au long cours sont peu nombreuses, doivent être discutées, la mise en route doit être surveillées par des hémogrammes, la montée de l’hémoglobinémie doit être limitée.

10.2.3.  Prévention de l’aggravation de l’anémie La prévention de l’aggravation de l’anémie nécessite : • la prescription au long cours de Spéciafoldine® ; • la surveillance et adaptation du traitement par hydroxyurée ; • une prophylaxie palustre ; • d’éviter les transfusions les plus « à risque », c’est-à-dire chez les patients ayant un antécédent d’accident transfusionnel ou chez lesquels des allo-anticorps ont déjà été mis en évidence ; • une prise en charge précoce de la glomérulopathie drépanocytaire.

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Annexe 11. Hémolyse retardée post-transfusionnelle L’hémolyse post-transfusionnelle chez les patients drépanocytaires est un accident grave de la transfusion, avec une mortalité importante et sous-diagnostiquée. La principale cause de l’hémolyse post-transfusionnelle du patient drépanocytaire est l’allo-immunisation anti-érythrocytaire. Le polymorphisme des groupes sanguins entre patients drépanocytaires d’origine afro-antillaise et donneurs, essentiellement d’origine caucasienne, explique en partie ces hémolyses. Dans ce contexte, l’hémolyse résulte de la restimulation d’un ou plusieurs anticorps non pris en compte dans la phénocompatibilité transfusionnelle. Mais dans 30  % des cas, aucun anticorps n’est retrouvé lors de ces épisodes et la situation est beaucoup plus complexe puisque la physiopathologie n’est pas élucidée. L’apparition d’un allo-anticorps doit conduire à étendre la compatibilité phénotypique érythrocytaire des concentrés de globules rouges transfusés, non seulement aux antigènes ciblés par les allo-anticorps identifiés mais aussi à un maximum d’autres antigènes érythrocytaires connus (Kidd, Duffy, MNS, etc.). Lorsque l’hémolyse se fait à bas bruit avec disparition totale de l’hémoglobine A, on parle plutôt d’inefficacité transfusionnelle ou hémolyse à bas bruit alors que lorsque l’hémolyse s’accompagne d’une symptomatologie de crise douloureuse, on parle d’hémolyse post-transfusionnelle. La limite entre ces deux entités reste floue et les mécanismes impliqués complexes et encore opaques. Afin de diminuer le risque d’hémolyse retardée post-transfusionnelle par restimulation d’un allo-anticorps ancien et disparu depuis, il est primordial d’enquêter sur les antécédents transfusionnels d’un patient avant toute transfusion même si la recherche d’agglutinines irrégulières du jour est négative. L’hémolyse post-transfusionnelle se manifeste fréquemment par la récurrence de crises vaso-occlusives et le diagnostic n’est souvent fait que tardivement. Lors de chaque hospitalisation, le centre de transfusion de l’hôpital d’accueil doit être informé, afin de reconstituer l’historique des transfusions et de transmettre le dossier transfusionnel du patient. En cas d’existence d’antécédent d’hémolyse posttransfusionnelle, ou d’allo-immunisation complexe les indications transfusionnelles seront restreintes aux situations mettant en jeu le pronostic vital et peuvent nécessiter un traitement immunomodulateur préventif qui sera discuté au cas par cas entre le médecin référent, le centre de référence et l’EFS.

11.1.  Circonstances de découverte L’hémolyse retardée post-transfusionnelle se manifeste le plus souvent à distance d’une transfusion (5 à 15 jours) par des douleurs diffuses ou localisées prenant l’allure d’une crise vaso-occlusive associée à des urines très foncées (couleur marron foncée). Devant cette symptomatologie chez un patient ayant eu une transfusion récente, une nouvelle transfusion aggraverait la situation et ne doit être envisagée qu’en cas d’urgence vitale. L’urgence est de faire le diagnostic rapidement. Chez les patients drépanocytaires, l’efficacité transfusionnelle peut être appréciée par le suivi du pourcentage de l’hémoglobine A. Les patients drépanocytaires ne produisant pas d’hémoglobine A, les culots globulaires transfusés sont reflétés par son pourcentage. L’électrophorèse des variants

de l’hémoglobine est donc l’examen de traçabilité et d’efficacité transfusionnelle. Après chaque transfusion il est recommandé d’avoir le rendement transfusionnel. Lors de l’hospitalisation des patients ayant une hémolyse retardée post-transfusionnelle l’hémoglobine A disparaîtra sur plusieurs jours d’où l’intérêt des dosages répétés jusqu’à la confirmation du diagnostic. La déclaration à l’unité d’hémovigilance doit être faite le plutôt possible.

11.2.  Examens à réaliser

Chez les patients drépanocytaires, l’efficacité transfusionnelle peut être appréciée par le suivi du pourcentage de l’hémoglobine A. Les patients drépanocytaires n’en produisant pas, les culots globulaires transfusés sont reflétés par le pourcentage d’hémoglobine A.

Les examens à réaliser sont : • dosage de la concentration en hémoglobine et compte des réticulocytes ; • pourcentages d’hémoglobine A et S par chromatographie liquide haute pression (HPLC) ; • paramètres d’hémolyse  : LDH, bilirubinémie totale et conjuguée (c’est plutôt la libre qui augmente dans cette situation) ; • recherche d’agglutinines irrégulières, test de Coombs direct, test d’élution érythrocytaire, recherche d’anticorps anti-HLA. La recherche d’agglutinines irrégulières doit être répétée à distance de l’hémolyse, à 3 semaines également. En cas de suspicion d’hémolyse retardée, il faut se mettre en contact avec l’EFS pour définir les possibilités transfusionnelles ; il en est de même dès l’admission d’un patient ayant des antécédents d’hémolyse post-transfusionnelle ou une poly allo-immunisation. 11.3.  Deux situations peuvent se présenter 11.3.1.  Antécédent d’hémolyse post-transfusionnelle avec anticorps retrouvés L’apparition ou la présence d’un allo-anticorps confirme une allo-immunisation. Les anticorps peuvent aussi être des auto-anticorps, ou des anticorps sans spécificité identifiée. Des recherches complémentaires seront réalisées à l’EFS ou si nécessaire au Centre national de référence des groupes sanguins (CNRGS) puis une possibilité transfusionnelle ultérieure pourra être envisagée en tenant compte des anticorps présents ou connus dans l’historique. Cependant, ces patients sont à haut risque de développer d’autres anticorps et il est donc préférable de restreindre les indications transfusionnelles au maximum. Dans certains cas, les anticorps ne sont détectables que quelques mois plus tard, à distance de la transfusion. Dans ces cas, leur imputation à l’accident hémolytique est plus complexe à prouver. Quoi qu’il en soit, nous recommandons un élargissement du phénotype aux groupes sanguins les plus immunogènes. Cependant, des hémolyses liées à des anticorps réputés non dangereux (par exemple : anti-Lewis A) ont été rapportées.



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11.3.2.  Antécédent d’hémolyse post-transfusionnelle sans anticorps détectables (la recherche d’agglutinines irrégulières est négative dans 30 % des cas) Cette situation est d’autant plus complexe qu’elle peut se reproduire à l’occasion d’une nouvelle transfusion, sans que l’on puisse le prévoir. Les mécanismes physiopathologiques des hémolyses sans anticorps détectable ne sont pas établis. Dans ce cas, la transfusion ou l’échange transfusionnel sera envisagé uniquement en cas d’urgence vitale. Car aucune mesure préventive ne pourra pour le moment être envisagée, excepté la discussion vis-à-vis d’un élargissement du phénotype des concentrés de globules rouges, et cela au cas par cas. 11.4.  Conduite à tenir Les patients ayant une suspicion d’hémolyse post-transfusionnelle devraient être transférés dans une unité habituée à la gestion de cette situation, dans un centre de référence, et en absence de possibilité de transfert en collaboration étroites avec eux. L’objectif principal est de ne pas transfuser les patients ayant des antécédents d’hémolyse post-transfusionnelle ou d’inefficacité transfusionnelle tant que le pronostic vital n’est pas en jeu car toute transfusion est à très haut risque chez ces patients. Il faut prévenir le médecin référent du malade et l’EFS. Un traitement immunomodulateur pourra être envisagé dans certain cas, après contact pour avis avec le centre de référence.

Il a été difficile d’obtenir un consensus sur le seuil de gravité à partir duquel il semble licite de transfuser les patients ayant un antécédent d’hémolyse post-transfusionnelle ou d’allo-immunisation. Il est certain que l’on ne se base pas sur la concentration d’hémoglobine et une anémie profonde sera acceptée si le patient la tolère bien. On peut retenir que la transfusion d’un patient alloimmunisé ou ayant des antécédents d’hémolyse post-transfusionnelle sera toujours discutée au cas par cas, entre le médecin référent, le centre de référence et l’EFS. 11.4.1.  Conduite à tenir au moment d’une hémolyse posttransfusionnelle • Les patients recevront le traitement habituel de la complication vaso-occlusive. Cependant, il est nécessaire de surveiller de près la production des globules rouges par l’évolution du taux de réticulocytes et poser le moment venu l’indication d’un traitement par érythropoïétine (EPO), afin d’éviter une aggravation délétère de l’anémie. • Ce traitement sera associé à une supplémentation en fer par voie intraveineuse, car dans le contexte inflammatoire le fer n’est pas disponible. • Il est proposé d’introduire l’EPO pour des taux de réticulocytes inférieurs à 200 000/mm3 avec une à deux injections souscutanées, à 48 heures d’intervalle, en fonction de l’évolution de la réticulocytose et de la concentration en hémoglobine (pour une concentration inférieure à 6 g/dL).

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Traitement par EPO Eprex® 10 000 UI à 30 000 UI Néorecormon® 10 000 UI à 30 000 UI Aranesp® 100 à 300 µg Fer en injections intraveineuses 50 mg/j et folates per os (10 mg/j pendant 3 jours)

L’utilisation des immunoglobulines intraveineuses chez l’adulte n’a pas été retenue car il s’agit d’une hémolyse intravasculaire, et dans la plupart des cas, au moment du diagnostic, la majorité de l’hémolyse a déjà eu lieu. Les immunoglobulines intraveineuses sont peu efficaces sur ce type d’hémolyse et leur utilisation est associée à une augmentation du risque d’hyperviscosité et de thrombose et à des effets secondaires rénaux. Il est nécessaire de surveiller la numération des plaquettes et de prescrire une anticoagulation préventive qui sera poursuivie à domicile tant que la concentration des plaquettes sera supérieure à 600 000/mm3. De l’aspirine à faible dose (Kardégic® 75 mg/j) sera associée. En raison de la thrombocytose importante dans l’évolution de l’épisode aigu, un traitement par Hydrea® à faible dose, 1 gélule par jour (500 mg/j) sera proposé dès l’obtention d’une réticulocytose supérieure à 200 000/mm3 et d’une concentration d’hémoglobine supérieure à 5  g/dL, et cela jusqu’à la fin de l’épisode de thrombocytose. En présence d’une allo-immunisation, le phénotype érythrocytaire des concentrés de globules rouges sera élargi à l’ensemble des groupes sanguins les plus immunogènes, au cas par cas, en accord avec l’EFS. En cas de pronostic vital, une transfusion peut être indiquée, celle-ci permettra d’améliorer ponctuellement la situation et de passer un cap difficile. Cependant, une hémolyse secondaire est toujours possible. Un traitement immunomodulateur pourra être envisagé en cas d’aggravation, et surtout si des anticorps ont été mis en évidence lors de la recherche d’agglutinines irrégulières effectuée au décours de l’hémolyse. Pour ce traitement, il est nécessaire de contacter pour avis le centre de référence. Ce traitement sera proposé en phase aiguë dès la confirmation d’une hémolyse retardée post-transfusionnelle afin de diminuer le risque d’une réaction en cas de nécessité absolue d’une transfusion. 11.4.2.  Cas particulier des patients allo-immunisés ayant des antécédents d’hémolyse retardée post-transfusionnelle et nécessitant une transfusion programmée dans le cadre d’une chirurgie indispensable L’indication du geste chirurgical doit être mise en balance avec le risque transfusionnel qui est non négligeable. Les patients pourront être préparés à l’avance, avec un ou deux cures d’immunomodulateur (anti-CD20). Quoi qu’il en soit, il sera toujours préférable d’éviter la transfusion, dans la mesure du possible. Si la transfusion a lieu, le rendement transfusionnel sera suivi de près au décours de l’épisode transfusionnel. 11.4.3.  Cas particulier des patientes allo-immunisées ayant des antécédents d’hémolyse retardée post-transfusionnelle et nécessitant une transfusion dans le cadre d’une grossesse Les risques d’une telle grossesse doivent être bien expliqués à la patiente. Un traitement par hydroxyurée en fin de grossesse pourra être discuté. Ce type de dossier doit être présenté en réunion de concertation pluridisciplinaire pour une décision collégiale.

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11.4.4.  Cas des patients allo-immunisés ayant des antécédents d’hémolyse retardée post-transfusionnelle, hospitalisés pour une complication grave Ces patients pourront bénéficier d’un traitement immunomodulateur en urgence avant l’acte transfusionnel.

Cette carte doit être présentée par le patient à tous les cliniciens qui prescrivent une transfusion et transmise, en plus des autres documents réglementaires, au site de l’EFS distributeur, ou au dépôt de sang, de manière à ce que le site distributeur prenne contact avec le CNRGS et la banque de sang rare pour organiser la transfusion.

11.5.  Précautions particulières Le dossier transfusionnel d’un patient est accessible à tous les sites de l’EFS d’un même établissement régional. En revanche, il peut ne pas être connu par les EFS d’autres régions ou par les établissements de soins dépendant d’un dépôt conventionné pour la délivrance des concentrés de globules rouges. Il est donc impératif d’informer les patients des risques qu’ils encourent vis-à-vis des changements d’identité. Enfin, lorsqu’un groupe sanguin rare est mis en évidence, une carte de groupe sanguin rare est délivrée par le CNRGS.

Le meilleur moyen de protéger les patients d’une transfusion inappropriée et dangereuse serait l’éducation thérapeutique afin que les patients puissent expliquer à l’intervenant leur situation à risque, et lui demander de contacter le centre de référence. L’indication des antécédents d’hémolyse dans le dossier transfusionnel permet également de chercher cette information et d’aider les praticiens dans leur décision.



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Annexe 12. Atteintes ostéoarticulaires et drépanocytose 12.1.  Manifestations aiguës 12.1.1.  L’os est la cible privilégiée des crises vaso-occlusives drépanocytaires La prédilection de cette maladie pour l’os est mal comprise. Durant les crises vaso-occlusives, tous les os de l’organisme peuvent être atteints. Chez l’adulte, les os longs, les vertèbres, les côtes et le sternum sont les plus touchés. Plusieurs sites osseux peuvent être affectés successivement au cours d’une même crise algique. La douleur est spontanée et de type inflammatoire, évoluant par paroxysmes. La palpation osseuse et la mobilisation sont très douloureuses. Il peut exister des signes inflammatoires locaux en regard de l’os atteint. Certaines crises vaso-occlusives sont fébriles, en l’absence d’infection. Lorsque la crise atteint les épiphyses, on peut observer une douleur et un épanchement articulaire réactionnel, le plus souvent mécanique (moins de 1000 cellules/ mm3, polynucléaires neutrophiles inférieurs à 25 %). Les radiographies osseuses n’ont pas d’utilité au cours des crises vaso-occlusives osseuses typiques, car elles ne sont pas modifiées en situation aiguë. Pour la prise en charge thérapeutique de la crise vaso-occlusive, se référer aux recommandation « Crise douloureuse aiguë » (Annexe 5).

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L’IRM est plus utile, mais l’aspect ne permet souvent pas la distinction avec un infarctus osseux (hyposignal T1, hypersignal T2 ; parfois images plus caractéristiques de prise de contraste irrégulières et par zones en faveur d’une infection). L’échographie osseuse peut visualiser une collection souspériostée, lorsqu’il existe des signes inflammatoires locaux importants (cependant non spécifique car peut se rencontrer dans une crise vaso-occlusive très localisée et très inflammatoire). Il faut, en cas de suspicion d’ostéomyélite, même en l’absence de fièvre, réaliser 2 à 3 paires d’hémocultures systématiques et ponctionner toute collection éventuelle. En cas d’infection ostéoarticulaire confirmée, il faut rechercher systématiquement une porte d’entrée : • infection de cathéter périphérique ou central (première cause en France) ; • voies biliaires et tube digestif (échographie abdominale, coproculture systématique en cas de germe anaérobie ou à Gram négatif) ; • foyer dentaire, etc. Traitement d’une infection osseuse aiguë : • durée : 6 à 8 semaines d’une antibiothérapie adaptée au germe ; • voie d’administration : parentérale pendant les 10 à 15 premiers jours, puis relais per os ; • bi-antibiothérapie intraveineuse initiale pendant 3 à 5 jours avec un aminoside en l’absence de contre-indication. Si l’examen direct retrouve :

12.1.2.  Infections ostéoarticulaires L’os drépanocytaire est le siège de micro-nécroses qui peuvent favoriser la greffe bactérienne. Ainsi, une infection osseuse complique souvent une bactériémie. Les arthrites septiques sont plus rares. Le Staphylococcus aureus et les salmonelles sont les germes les plus souvent en cause en France. 12.1.2.1.  Infection osseuse aiguë («  ostéomyélite aiguë  »). Elle se présente sous la forme de douleurs osseuses localisées, le plus souvent des os longs, associées classiquement à une fièvre (parfois modérée), des signes inflammatoires locaux, une impotence fonctionnelle et un syndrome inflammatoire persistant. Le diagnostic différentiel avec un infarctus osseux au cours d’une crise vaso-occlusive peut être très difficile.

Il faut évoquer une infection osseuse aiguë devant une douleur osseuse intense, focalisée et fixe qui persiste plus de 10 à 15 jours et résistante à la transfusion et aux antalgiques. La protéine C réactive et la fièvre ne sont pas discriminantes pour différentier crise vaso-occlusive et infection osseuse. La ponction ou biopsie osseuse ou articulaire est l’élément essentiel pour un diagnostic de certitude. Elle doit être réalisée avant toute administration d’antibiotique. Elle permet d’identifier le germe, si les hémocultures ne sont pas contributives. Ce geste ne nécessite pas obligatoirement d’échange transfusionnel. L’imagerie (IRM, TDM ou échographie, à discuter avec le radiologue) permet de guider le geste. Les radiographies osseuses peuvent montrer des lacunes ou des séquestres osseux, d’apparition retardée (à répéter 3 à 4 semaines plus tard).

• des cocci à Gram positif en amas (staphylocoque probable) : cloxacilline (Orbénine®) intraveineuse (2 g × 3/j) et gentamicine intraveineuse (5 mg/kg/j, en dose unique) ; • des cocci à Gram positif en chaînettes ou diplocoques (streptocoque ou pneumocoques probables) : amoxicilline intraveineuse (2 g × 3/j) et gentamicine intraveineuse (5 mg/kg/j, en dose unique) ; • des bacilles à Gram négatif (entérobactérie probable) : céfotaxime intraveineuse (Claforan®) (2 g × 3/j) et gentamicine intraveineuse (5 mg/kg/j, en dose unique). En l’absence de germes à l’examen direct : • céfotaxime intraveineuse (2 g × 3/j) et gentamicine intraveineuse (5 mg/kg/j, en dose unique) ; • un relais per os pourra se faire par fluoroquinolone + clindamycine (Dalacine®) ou rifampicine, adapté au résultat de l’antibiogramme. Une immobilisation du membre infecté à visée antalgique et pour éviter une fracture secondaire est conseillée. Suivant l’importance des lésions, un débridement chirurgical des tissus nécrosés est à discuter, notamment s’il existe un abcès ou une suppuration fistulisée. Les corticoïdes sont contre-indiqués.

Tout patient avec ostéomyélite ayant des calculs vésiculaires devra bénéficier dans les mois qui suivent d’une cholécystectomie.

12.1.2.2.   Infection osseuse chronique. En l’absence de traitement approprié, une ostéomyélite chronique peut se constituer. Elle

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se traduit par des douleurs osseuses localisées persistantes évoluant par poussées, souvent mécaniques. Une présentation plus inhabituelle peut être une ulcération cutanée récidivante et traînante, parfois suintante, survenant en regard de l’os atteint (fistulisation). Il faut, dans ce cas, réaliser une radiographie osseuse (parfois une IRM) pour poser le diagnostic. Celle-ci montre alors des séquestres osseux, un amincissement et une destruction de la corticale. Il existe, dans cette situation, un risque fracturaire augmenté.

n’est pas systématique pour ce geste et doit être discuté avec le médecin référent. 12.1.2.5.  Prévention primaire des infections ostéoarticulaires. • Changer les voies d’abord périphérique tous les 3 jours. • Rechercher et effectuer les soins systématiques des foyers dentaires et urinaires lors du bilan annuel. • Faire une cholécystectomie si vésicule lithiasique et, si possible, avant toute pose de prothèse articulaire. 12.1.3.  Polyarthrite

Le traitement nécessite une collaboration étroite entre médecin spécialiste de la drépanocytose, orthopédiste et infectiologue. Il consiste à un débridement chirurgical des séquestres osseux, qui permet aussi l’analyse microbiologique, et une antibiothérapie adaptée au germe, pour une longue durée (au moins 3 mois).

12.1.2.3.  Monoarthrite aiguë. Des épanchements articulaires réactionnels au contact d’une atteinte épiphysaire peuvent survenir au cours d’une crise vaso-occlusive (coude, genoux, hanche, etc.). Cependant, en cas de suspicion d’arthrite septique (fièvre élevée, frissons, articulation bloquée, etc.), il faut ponctionner en urgence l’articulation avant de débuter toute antibiothérapie. Les articulations sacro-iliaques et sternoclaviculaires sont des localisations privilégiées de greffe bactérienne secondaire. La crise de goutte est rare au cours de la drépanocytose mais doit être évoquée particulièrement s’il existe une diminution même minime du débit de filtration glomérulaire. Le traitement de l’arthrite septique suit la même démarche que celle des ostéomyélites (voir encadré). Si une antibiothérapie probabiliste est débutée, il faut savoir l’arrêter en cas de négativité des cultures de la ponction articulaire.

Une véritable polyarthrite ou polysynovite est très rare au cours d’une crise vaso-occlusive. Il faut, dans ce cas, évoquer un rhumatisme inflammatoire chronique (polyarthrite rhumatoïde, lupus, etc.), reprendre l’interrogatoire dans ce sens et réaliser les examens complémentaires de confirmation diagnostique en fonction de la pathologie évoquée (anticorps anti-CCP, facteurs anti-nucléaires, uricémie, radiographies articulaires, etc.). Le traitement immunomodulateur est à calquer sur les schémas classiques de ces maladies, en évitant des doses importantes de corticoïdes (supérieures à 10  mg/j). Si un assaut avec de fortes doses de corticoïdes est nécessaire, il faudra réaliser un échange transfusionnel en l’absence d’accident transfusionnel connu car les corticoïdes peuvent déclencher des crises. 12.1.4.  Goutte L’hyperuricémie chez l’adulte drépanocytaire est actuellement rare (5 à 10 % de patients atteints, proportion peu différente de celle de la population générale.) Elle semble associée à une baisse même modérée et précoce du débit de filtration glomérulaire. Cependant, une authentique maladie goutteuse est très rare et se traite préférentiellement avec de la colchicine ou un anti-inflammatoire non stéroïdien (en l’absence d’atteinte rénale). Le traitement par allopurinol au long cours est réservé aux patients ayant présenté une goutte symptomatique prouvée par une ponction articulaire. 12.2.  Manifestations chroniques

Ponction articulaire : Un tube pour la bactériologie (numération/formule, examen direct et culture). Un tube pour la recherche de cristaux. Interprétation : Liquide «  réactionnel  » mécanique  : moins de 2000 éléments/mm3 dont moins de 25 % de PNN Liquide inflammatoire : plus de 2000 éléments/mm3 dont plus de 50 % de PNN La biochimie n’a pas d’intérêt. La présence de polynucléaires neutrophiles ne préjuge pas d’une origine infectieuse. L’examen direct et la culture bactériologique sont fondamentaux. Un liquide inflammatoire ne signifie pas forcément infection.

12.1.2.4.  Cas particulier des infections sur prothèse articulaire. Un patient fébrile avec une prothèse articulaire douloureuse nécessite la réalisation d’une échographie de l’articulation. En cas d’épanchement articulaire, une ponction au bloc opératoire par un orthopédiste est fortement recommandée avant de débuter une antibiothérapie. L’échange transfusionnel préalable

12.2.1.  Atteintes articulaires 12.2.1.1.  Ostéonécroses aseptiques épiphysaires. Il s’agit d’une atteinte de la tête fémorale surtout, mais aussi humérale ou des autres articulations. L’ostéonécrose aseptique touche entre 15 et 40  % des adultes et est parfois asymptomatique. Son incidence augmente avec l’âge. Elle est bilatérale dans la moitié des cas. C’est une complication invalidante : près de 85 % des patients drépanocytaires avec ostéonécrose aseptique de hanche débutante symptomatique nécessitent un traitement prothétique dans les 5 ans d’évolution.

L’ostéonécrose aseptique est dépistée précocement en cas de douleurs mécaniques persistantes inguinales ou des épaules notamment, par la réalisation d’une IRM, lorsque les radiographies standard (radiographie de hanche de face et profil et bassin de face) sont normales ou pour confirmer des anomalies radiologiques (cf. encadré suivant). Il n’est pas indiqué de réaliser systématiquement une IRM chez un patient drépanocytaire asymptomatique.



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Classification radiologique de l’ostéonécrose de la tête fémorale (Arlet et Ficat) : • Stade I  : radiographies de hanches normales (stade où l’IRM est particulièrement intéressante pour confirmer le diagnostic). • Stade II : plusieurs aspects peuvent coexister : ◦◦ déminéralisation ou au contraire densification homogène de la tête. ◦◦ géodes ou au contraire densification en îlots. Quand il y a association des deux, on parle de forme sclérogéodique (fréquente chez le drépanocytaire). ◦◦ image en coquille d’œuf sous-chondrale. • Stade III : perte de la sphéricité. Affaissement d’une partie ou de toute la tête. • Stade IV : arthrose secondaire. Pincement de l’interligne articulaire.

12.2.1.2.  Traitement de l’ostéonécrose aseptique. Il repose sur : • La mise en décharge de l’articulation douloureuse, dès l’apparition de la douleur inguinale aiguë : repos couché au lit, puis utilisation de cannes anglaises avec pas simulé expliqué par un kinésithérapeute (Fig. 3) et un arrêt de travail. • Les antalgiques à la demande : paracétamol, antalgiques de palier II et anti-inflammatoires non stéroïdiens. • En cas de douleurs persistantes (pendant plus de 1 mois), particulièrement pour une ostéonécrose aseptique de la hanche avant l’effondrement du séquestre (stades I et II radiologiques), il est conseillé d’adresser le patient à un chirurgien orthopédiste avec le résultat d’une IRM, afin de juger d’un traitement conservateur (forage, injection de cellules souches). Cette indication doit être discutée entre le référent pour la drépanocytose et le chirurgien orthopédique référent. Un échange transfusionnel sera discuté au cas par cas en préopératoire, le plus souvent l’échange transfusionnel n’est pas nécessaire pour le forage (cf. recommandation « Période périopératoire » [Annexe 26]). • Un remplacement prothétique peut être nécessaire. Un échange transfusionnel est recommandé en préopératoire (cf. recommandation « Période périopératoire » [Annexe 26]). • La durée de vie des prothèses est plus courte chez les patients drépanocytaires. Une radiographie de surveillance de la prothèse tous les deux ans est recommandée. 12.2.2.  Atteintes osseuses À côté des aspects communs aux anémies hémolytiques congénitales (amincissement cortical avec augmentation de la cavité médullaire, épaississement de la voûte crânienne avec striation en poil de brosse), rarement observé dans les pays sans malnutrition, il existe des atteintes osseuses particulières à la drépanocytose : • Retard de croissance parfois asymétrique, pouvant être responsable d’une inégalité de longueur de membre, de dysplasies du col fémoral (atteinte du cartilage de croissance dans l’enfance). • Bradydactylie avec inégalité de croissance du métacarpe. • Déformations vertébrales, fréquentes (environ 40  % des adultes) : aplatissement des plateaux vertébraux avec déformation biconcave souvent dénommé « vertèbre en bouche de

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poisson » et aspects de « vertèbres en H », prédominant sur le rachis dorsal, rarement symptomatiques, probablement en rapport avec la dysérythropoïèse. C’est le plus souvent une découverte fortuite radiographique sans conséquence. • Une ostéopénie ou une ostéoporose densitométrique sont fréquentes (40 à 80 % des patients). Le risque fracturaire n’est pas connu, bien que des antécédents de fracture de faible énergie du rachis, poignet, métatarse, os longs, dans l’enfance ou l’âge adulte soient fréquentes (30 % environ). Le lien entre ces fractures et l’ostéoporose densitométrique n’est pas clair. Une carence profonde en vitamine D doit être recherchée et supplémentée activement devant des antécédents de fracture ou une ostéoporose. Il n’existe actuellement aucune donnée sur l’intérêt de l’utilisation des bisphosphonates ou d’autres traitements de l’ostéoporose chez ces patients jeunes. Le dépistage systématique de l’ostéoporose n’est pas recommandé. • Atteintes des os longs. Ce sont essentiellement des découvertes radiologiques sans retentissement clinique : ◦◦ ostéosclérose avec épaississement de la corticale et rétrécissement de la cavité médullaire. Cette densification peut être homogène ou lamellaire, créant alors parfois un aspect « d’os dans l’os ». Les os concernés sont essentiellement le tibia, péroné et le fémur. Parfois tous les os sont atteints de façon homogène ; ◦◦ infarctus osseux : lacune claire entourant un îlot opaque plus ou moins calcifié ; ◦◦ réaction périostée : densification et surélévation du périoste. 12.2.3.  Carence en vitamine D et en calcium Environ 75 % des adultes sont carencés (concentration sérique de 25-hydroxyvitamine D inférieure à 10 ng/mL), tous sont en déficit (concentration de 25-hydroxyvitamine D inférieure à 30 ng/mL). Une hyperparathyroïdie secondaire est donc fréquente. Elle peut parfois s’autonomiser ce qui peut donner un tableau de véritable hyperparathyroïdie primaire avec hypercalcémie et adénome parathyroïdien. Il faut systématiquement supplémenter les adultes drépanocytaires en vitamine D, régulièrement et au long cours, car cette carence a des répercussions négatives sur l’os déjà atteint par la maladie drépanocytaire. Proposition  : Uvédose® (cholécalciférol  : 100  000 UI/ ampoule), une ampoule tous les 15 jours pendant 2 mois, puis tous les 2 mois. Par prudence, ne pas donner durant la période où le patient séjourne en pays ensoleillé. La poursuite du traitement peut être adaptée en fonction du dosage sérique de la 25-hydroxyvitamine D. L’objectif est d’obtenir une concentration supérieure à 30 ng/mL (75 nmol/mL). La consommation calcique recommandée dans la population générale (1 000 mg/j) est rarement atteinte par les patients drépanocytaires qu’il faut donc encourager à consommer des laitages, fromages, fruits secs et, si possible, des eaux minérales riches en calcium (Hépar®, Contrex®, Vittel®, etc.) et si nécessaire prescrire du calcium per os (cf. recommandation « Diététique, métabolisme phosphocalcique, vitamines et oligoéléments » [Annexe 30]).

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Fig. 3. Utilisation de cannes anglaises avec pas simulé. A. Alignement des jambes avec les deux béquilles. B. Avancée des deux béquilles à la longueur d’un pas permettant l’extension des coudes. C. Phase d’attaque talonnière du pied droit, cheville droite en position neutre. D. Déroulement du pas sans appui, contact plantaire. E. Passage du pied gauche, l’appui se fait au niveau des béquilles. F. Retour à la phase de départ.



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Annexe 13. Recommandations pour la prise en charge de l’atteinte rénale chez les patients drépanocytaires La survenue d’une néphropathie chez les patients drépanocytaires homozygotes est fréquente puisqu’elle concerne 80 % des malades adultes. La néphropathie est glomérulaire ou tubulaire. Ses mécanismes physiopathologiques et son histoire naturelle sont mal connus, pouvant évoluer vers une insuffisance rénale terminale qui est associée à un fort taux de mortalité. Il existe peu d’études concernant l’atteinte rénale et sa prise en charge chez les adultes drépanocytaires. Ainsi, toutes les données et recommandations actuellement proposées sont issues d’une concertation entre spécialistes de la drépanocytose chez les adultes et de néphrologues ayant une expérience dans la prise en charge de ces patients. L’atteinte rénale est le plus souvent asymptomatique, évoluant de façon silencieuse.

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cique par défaut d’hydroxylation de la vitamine 25-hydroxyvitamine D3 en 1-α pouvant conduire à une hypocalcémie, et pouvant entraîner une élévation de la parathormone. 13.2.2.  Hématopoïèse La diminution de production d’érythropoïétine secondaire aux lésions tubulo-interstistielles participe à l’aggravation de l’anémie chez ces patients. L’anémie devient peu ou pas régénérative (diminution des réticulocytes). Une aggravation progressive et inexpliquée de l’anémie doit faire rechercher une atteinte rénale.

13.2.3.  Pression artérielle Une atteinte rénale doit être recherchée systématiquement et précocement chez tout patient drépanocytaire.

13.1.  Surveillance de la fonction rénale 13.1.1.  Atteinte glomérulaire La créatininémie est un mauvais marqueur d’atteinte rénale chez les patients drépanocytaires car elle est souvent basse du fait de l’hyperfiltration. Chez certains patients, la dénutrition, la faible masse musculaire rendent d’autant plus difficile l’interprétation de la créatininémie. Cependant, une augmentation progressive de la créatininémie doit alerter. La fonction rénale doit être évaluée par un calcul du débit de filtration glomérulaire (MDRD ou CKD-EPI particulièrement pour les malades hyperfiltrants). L’hyperfiltration glomérulaire, supérieure à 130 mL/min/1,73 m2, est très fréquente dans cette population, liée en partie à l’anémie chronique. Elle doit être recherchée dès l’enfance. Un débit de filtration glomérulaire considéré comme « normal » (80 à 110 mL/min/1,73 m2) peut déjà traduire une altération de la fonction rénale débutante. Les rapports protéinurie/créatininurie et microalbuminurie/créatininurie (en milligrammes par millimole de créatinine [mmolC]) permettent d’estimer ces valeurs à partir du dosage de la protéinurie, de la microalbuminurie et de l’ionogramme urinaire sur un échantillon d’urines (prélevé de préférence le matin) quand le recueil sur 24 h n’est pas possible. Ces dosages doivent être réalisés au moins une fois par an en dehors de toute manifestation aiguë. La protéinurie est pathologique lorsqu’elle est supérieure à 0,3 g/24 h (ou 30 mg/mmolC sur échantillon). Une microalbuminurie entre 30 et 300 mg/24 h (ou 3–30 mg/mmolC sur échantillon) pourrait être un indicateur précoce d’une glomérulopathie débutante chez le patient drépanocytaire et incite à surveiller la fonction rénale et la protéinurie de façon plus rapprochée. 13.1.2.  Atteinte tubulaire Sa manifestation la plus fréquente est un défaut de concentration des urines qui expose à la déshydratation intracellulaire (diabète insipide néphrogénique) et extracellulaire (pertes sodées urinaires). L’acidose métabolique est fréquente. 13.2.  Autres conséquences de l’atteinte rénale 13.2.1.  Métabolisme phosphocalcique Comme dans les néphropathies d’autres étiologies, l’atteinte rénale conduit à des perturbations du métabolisme phosphocal-

La pression artérielle basale est plus basse chez les patients drépanocytaires homozygotes et Sβ0-thalassémiques en comparaison à la population générale noire africaine : habituellement la pression artérielle systolique est inférieure ou égale à 120 mmHg et la pression artérielle diastolique est inférieure ou égale à 80 mmHg. Cela est en partie lié à l’anémie et aux pertes sodées urinaires. Ainsi, l’hypertension artérielle telle que définie par le consensus international est rare chez les patients drépanocytaires et ne survient le plus souvent qu’à des stades avancés d’insuffisance rénale. En revanche, il faut savoir reconnaître une élévation de la pression artérielle par rapport à la pression artérielle de base de ces patients et discuter l’indication d’un traitement antihypertenseur (après contrôle des automesures ou d’un Holter tensionnel) (cf. recommandation « Manifestations pulmonaires chroniques et cardiaques » [Annexe 15]). Anomalies biochimiques survenant à un stade avancé de la néphropathie • Hyperuricémie • Hypocalcémie, hyperphosphorémie, et hyperparathyroïdie secondaire • Aggravation de l’anémie par déficit en érythropoïétine • Élévation de la pression artérielle par rapport à la pression artérielle habituelle

13.3.  Autres anomalies rénales 13.3.1.  Infections urinaires Une bactériurie devient plus fréquemment symptomatique chez les sujets drépanocytaires. Les infections urinaires à répétition pourraient être des facteurs d’aggravation de la néphropathie. 13.3.2.  Hématurie micro- ou macroscopique Elle est secondaire à des infarctus rénaux, parfois des nécroses papillaires, conséquence des phénomènes vaso-occlusifs dans les zones corticales et médullaires rénales. Elle peut être à l’origine de caillotage urétéral ou vésical et de réelles coliques néphrétiques pouvant entraîner une insuffisance rénale aiguë obstructive et nécessitant parfois la pose d’une sonde JJ. En l’absence d’obstacle, il faut assurer une hydratation abondante contenant une solution alcaline (Vichy) ; l’utilisation de desmopressine (Minirin®) est parfois nécessaire dans les hématuries massives. Une hématurie doit cependant faire systématiquement rechercher une tumeur rénale par une échographie rénale ou un

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uroscanner (après hydratation). En effet, le carcinome médullaire rénal semble plus fréquent chez les patients drépanocytaires et les porteurs sains AS, volontiers métastatique au moment du diagnostic. Chez les patients présentant un syndrome néphrotique, l’hématurie macroscopique peut également être en rapport avec une thrombose de la veine rénale qui doit être recherchée par doppler ou uroscanner (après hydratation).

• Réaliser un examen cytobactériologique des urines devant toute suspicion d’infection urinaire et traiter selon un schéma conventionnel. • Toute hématurie macroscopique doit faire réaliser une échographie rénale à la recherche d’une tumeur ou d’une nécrose papillaire étendue. Une surveillance annuelle de cet examen est préconisée.

13.3.3.  Adaptation des doses des traitements à élimination rénale L’hyperfiltration pourrait modifier les concentrations des médicaments à élimination rénale notamment la morphine et certains antibiotiques dont l’amoxicilline. En conséquence, les doses de médicaments doivent être adaptées non seulement en cas d’insuffisance rénale mais aussi en cas d’hyperfiltration. 13.3.4.  Particularités de l’atteinte rénale chez les patients drépanocytaires SC Dans cette population, il ne semble pas exister d’hyperfiltration. L’atteinte rénale est plus rare, plus tardive (en comparaison avec les patients homozygotes), plutôt associée à d’autres facteurs de risque tels que hypertension artérielle, diabète, dyslipidémie chez ces patients ayant volontiers une surcharge pondérale. La fréquence de l’hématurie est en revanche plus importante que chez les patients homozygotes. 13.4.  Indication de la ponction – biopsie rénale Elle est rarement nécessaire, mais doit être discutée en cas d’aggravation rapide (sur quelques mois) de l’insuffisance rénale, ou en cas de présentation atypique de la néphropathie (syndrome néphrotique brutal sans protéinurie préexistante par exemple), ou en cas de doute sur une glomérulopathie d’une autre nature (notamment en cas de pathologie auto-immune ou virale associée). L’indication doit être posée au cas par cas après concertation entre néphrologues et spécialistes de la drépanocytose. Une transfusion ou un échange transfusionnel peut être nécessaire pour préparer le geste (temps de saignement allongé en cas d’anémie profonde). 13.5.  Traitement 13.5.1.  Glomérulopathie 13.5.1.1.  Inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine ou antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (sartans). Par analogie avec la néphropathie diabétique où l’hyperfiltration glomérulaire conduit à la néphropathie protéinurique, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC) ou les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (sartans) sont proposés dans le but de diminuer la protéinurie. Cependant, on ne connaît pas leur efficacité sur la protection néphronique à long terme chez les patients drépanocytaires. Actuellement, il est proposé de débuter ce type de traitement à doses progressivement croissantes lorsque la protéinurie est supérieure à 0,3 g/24 h ou 30 mg/mmolC. La grossesse est une

contre-indication formelle à ce traitement (fœtopathies graves) et tout projet de grossesse doit faire interrompre le traitement. Des études sont en cours pour déterminer l’intérêt d’instaurer un IEC ou sartan dès le stade de l’hyperfiltration glomérulaire ou de la microalbuminurie. 13.5.1.2.  Traitement de l’hypertension artérielle. La cible est de maintenir une pression artérielle systolique inférieure à 120 mmHg et diastolique inférieure à 80 mmHg. Si la pression artérielle est au-dessus de ces cibles malgré un traitement par IEC à dose optimale, il faut prescrire un traitement complémentaire, en premier choix un inhibiteur calcique. 13.5.1.3.  H y d r o x y u r é e e t p r o g r a m m e t r a n s f u s i o n n e l . L’hydroxyurée et les transfusions auraient un rôle protecteur rénal dès le stade de l’hyperfiltration glomérulaire, notamment en diminuant le nombre de crises vaso-occlusives, et en augmentant la concentration en hémoglobine. Cependant, il n’y a pas actuellement de consensus formel quant à l’indication purement rénale de ces traitements qui doivent donc être discutés au cas par cas. La posologie de l’hydroxyurée est à adapter à la fonction rénale. 13.5.2.  Mesures associées Comme dans toute néphropathie, il faut éviter les médicaments néphrotoxiques notamment les anti-inflammatoires non stéroïdiens, et les injections d’iode trop fréquentes. De façon plus spécifique chez ces patients, la fonction rénale doit être particulièrement surveillée en cas de traitement par chélateur de fer : Desféral® ou Exjade®. En effet, des cas d’insuffisance rénale aiguë ont été décrits sous ces traitements de façon dose dépendante, le plus souvent réversible à leur arrêt (retour à l’état de base en un minimum de 15 jours à 3 semaines). L’hydratation doit être suffisante avec alcalinisation des urines par l’eau de Vichy ou solution Tham®, plus particulièrement en cas d’hématurie. Les infections urinaires ne doivent pas être traitées par une antibiothérapie monodose (traitement « minute »). L’antibiothérapie doit être adaptée au germe trouvé à l’examen cytobactériologique des urines. Correction de l’anémie liée à l’insuffisance rénale chronique :

• Il faut tenir compte de la concentration en hémoglobine de base car il y a un risque d’induire une hyperviscosité si on dépasse cette valeur. • L’érythropoïétine recombinante pourra être prescrite chez les patients insuffisants rénaux ayant une aggravation de leur anémie devenant peu ou pas régénérative (diminution des réticulocytes par rapport à leur valeur habituelle). Les patients drépanocytaires nécessitent généralement de plus fortes doses d’EPO (proche des doses des patients suivis en hématologie). Il ne faut donc pas hésiter à augmenter les doses chez ces patients. Le rythme d’administration de l’EPO sera adapté en fonction de l’objectif d’hémoglobine à atteindre. • Transfusions. En cas d’échec de l’EPO et d’une mauvaise tolérance clinique de l’anémie, d’autant plus s’il existe des crises vaso-occlusives, discuter l’indication des transfusions avec un médecin référent pour la drépanocytose.

Quel que soit le traitement correcteur de l’anémie, il ne faut jamais dépasser une concentration en hémoglobine de 10 à 11 g/dL, au-delà de laquelle il y a un risque de complications liées à l’hyperviscosité.



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L’hyperuricémie est fréquente chez les patients drépanocytaires du fait de l’hémolyse chronique, et d’autant plus s’il existe une atteinte rénale associée. Il n’y a actuellement pas de consensus concernant le moment où doit être débuté un traitement par l’allopurinol (hyperuricémie symptomatique [accès goutteux] ou asymptomatique). Les anomalies du métabolisme phosphocalcique liées à l’insuffisance rénale chronique seront corrigées par une supplémentation en calcium et vitamine D, et parfois l’utilisation de chélateurs du phosphore. Traitement de la néphropathie drépanocytaire • IEC ou sartan lorsque la protéinurie est supérieure à 30 mg/ mmolC (ou 0,3 g/24 h), à dose progressivement croissante, jusqu’à la dose efficace. Surveillance du ionogramme sanguin et créatininémie selon les recommandations habituelles (étude en cours) • Éviter les médicaments néphrotoxiques, limiter les injections d’iode • Traitement précoce des crises vaso-occlusives • Hydratation adaptée suivant le stade d’atteinte rénale • Alcalinisation des urines (eau de Vichy) • Allopurinol • Supplémentation calcique et en vitamine D (25-hydroxy- ou 1-25-dihydroxyvitamine D3) • Traitement des infections urinaires • Érythropoïétine si aggravation de l’anémie et insuffisance rénale avérée (sans dépasser 10–11 g/dL du fait des risque de l’hyperviscosité) • Traitement de l’hypertension artérielle éventuelle (en évitant les diurétiques : risque d’hypovolémie) • Discuter l’hydroxyurée ou un programme transfusionnel en cas d’échec des mesures précédentes

Médicaments néphrotoxiques fréquemment prescrits chez les patients drépanocytaires devant être utilisés avec prudence en cas d’atteinte rénale • Anti-inflammatoires non stéroïdiens • Traitements chélateurs du fer : Exjade® et Desféral® (risque d’insuffisance rénale aiguë dose dépendante, réversible à l’arrêt du traitement) • L’Exjade® est contre-indiqué en cas de débit de filtration glomérulaire inférieur à 60 mL/min/1,73 m2. Pour une clairance entre 60 et 80 mL/min/1,73 m2, nécessité d’une surveillance biologique accrue (créatininémie, transaminases) • Aminosides, vancomycine • Injection d’iode • IEC : ils peuvent favoriser la survenue d’une insuffisance rénale aiguë dans des situations particulières (déshydratation, etc.)

13.6.  Spécificités de la prise en charge du patient drépanocytaire insuffisant rénal sévère L’insuffisance rénale chronique sévère est habituellement définie par une clairance inférieure à 30 mL/min/1,73 m2 (selon MDRD CKD-EPI), mais chez le drépanocytaire un débit de filtration glomérulaire inférieur à 60 mL/min est déjà à considérer comme grave. L’insuffisance rénale chronique vient signer un tournant évolutif de la drépanocytose, car elle s’accompagne d’une augmentation de la morbi-mortalité des patients (en particulier décompensation cardiaque dépendante de la volémie). Paradoxalement, les crises vaso-occlusives sont moins

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fréquentes chez les insuffisants rénaux. La prise en charge des patients a pour but de ralentir l’évolution vers l’insuffisance rénale chronique terminale et de prévenir les complications de l’insuffisance rénale chronique, notamment cardiovasculaires et métaboliques. 13.6.1.  Modalités du suivi Le suivi des insuffisants rénaux sévère doit être multidisciplinaire (spécialiste de la drépanocytose, néphrologue, cardiologue, etc.). Les patients doivent être suivis au minimum tous les 3 mois à la fois par le néphrologue et le spécialiste de la drépanocytose. Des bilans biologiques sont à réaliser tous les mois et parfois plus en fonction du débit de filtration glomérulaire. Après la mise en dialyse, il est important que le suivi par le référent de drépanocytose soit maintenu, avec transmissions régulières entre les deux spécialistes notamment des résultats biologiques et changements thérapeutiques. 13.6.2.  Traitements néphroprotecteurs La pression artérielle doit être parfaitement contrôlée (objectifs : pression artérielle systolique inférieure à 130 mmHg et pression artérielle diastolique inférieure à 80 mmHg). Les bloqueurs du système rénine –  angiotensine  – aldostérone (inhibiteurs de l’enzyme de conversion [IEC] ou antagonistes de l’angiotensine 2 [ARA2]) doivent être maniés avec prudence dans l’insuffisance rénale chronique sévère, en sachant réaliser des diminutions ou des interruptions en cas d’aggravation de la fonction rénale. Une surveillance rapprochée de la créatinine et de la kaliémie est nécessaire chez tous les patients sous IEC ou ARA2. Il ne faut pas introduire un bloqueur du système rénine – angiotensine – aldostérone à visée lorsque le débit de filtration glomérulaire est inférieur à 30 mL/min/1,73 m2. La prise en charge diagnostique et thérapeutique de l’hyperparathyroïdie secondaire est importante car elle est un facteur de risque supplémentaire de fragilité osseuse (en plus de la drépanocytose elle-même et la surcharge en fer fréquemment associée). Spécificités de la prise en charge de la crise vaso-occlusive chez les drépanocytaires atteints d’insuffisance rénale chronique • Hydratation prudente avec surveillance régulière de la volémie • Alcalinisation systématique (l’acidose favorisée par l’insuffisance rénale chronique est un facteur favorisant la falciformation des globules rouges drépanocytaires) • Adaptation des doses des antalgiques métabolisés ou éliminés par voie urinaire : • Antalgiques de niveau II : maximum 60 mg/j d’Acupan®, 100 à 200 mg/j de tramadol. Pas de données sur le paracétamol codéine. • Morphine  : l’accumulation des métabolites hépatiques expose au risque de dépression respiratoire et de sédation. En cas de clairance inférieure à 30 mL/min, utiliser le quart de la dose usuelle et évaluer la tolérance et de l’efficacité clinique avant l’administration d’une nouvelle dose ou l’augmentation des doses unitaires. La PCA est déconseillée. • Le fentanil et le sufentanil comportent peu de risque de surdosage en cas d’insuffisance rénale chronique. Des protocoles d’évaluation de leur efficacité et de leur tolérance sont en cours chez le patient drépanocytaire adulte.

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13.6.3.  Traitements de fond de la drépanocytose

13.6.5.  Cas particulier du patient dialysé

Un traitement de fond doit être prescrit dans l’insuffisance rénale chronique sévère pour ralentir l’aggravation de la néphropathie, même si aucune étude n’existe. La place respective de l’hydroxycarbamide ou des transfusions n’est pas consensuelle et doit être discutée de manière collégiale au cas par cas en fonction :

Les deux techniques, dialyse péritonéale et hémodialyse, peuvent être utilisées. L’objectif de déplétion hydro-sodée par la dialyse doit tenir compte du risque de survenue de crise vasoocclusive en cas de diminution trop importante de la volémie.

• du niveau d’hémoglobine du patient ; • des antécédents transfusionnels ; • du niveau de surcharge en fer ; • des autres complications de la drépanocytose ; • des voies d’abord veineuses. L’hydroxyurée peut être une alternative ou être associée aux transfusions. Sa posologie doit être réduite chez l’insuffisant rénal sévère, et se situe en général entre 5 et 10 mg/kg/j (à adapter en fonction de la toxicité hématologique. Ne pas dépasser 15 mg/kg/j). L’utilisation du Siklos® est plus aisée que celle de l’Hydréa®, du fait de la disponibilité de formes galéniques pédiatriques à 100 mg. L’utilisation d’érythropoïétine recombinante est conseillée que ce soit en association avec l’hydroxycarbamide (effet synergique pour augmenter l’hémoglobine et le pourcentage d’hémoglobine fœtale) ou avec les transfusions (dans le but d’espacer les transfusions). Des doses plus élevées que chez le non drépanocytaire sont souvent nécessaires (proche des doses des patients suivis en hématologie mais la réponse est très variable selon les patients). 13.6.4.  Chélation du fer La surcharge en fer peut se compliquer d’atteintes hépatique et cardiaque, cette-dernière s’ajoutant à la cardiomyopathie de la drépanocytose et de l’insuffisance rénale et grevant lourdement le pronostic vital des patients. Elle doit donc être traitée efficacement en tenant compte du niveau d’insuffisance rénale. Cependant, la difficulté de « mobiliser » le fer en excès due à la baisse de l’érythropoïèse chez l’insuffisant rénal rend les traitements de la surcharge en fer moins efficaces. • La défériprone (Ferripox®) : même s’il n’existe aucune donnée sur son utilisation chez le patient insuffisant rénal non dialysé, c’est le traitement oral de première intention. Aucune adaptation posologique n’est recommandée. Le complexe formé par le fer et la défériprone étant principalement éliminé par voie urinaire, on peut par contre s’attendre chez le patient insuffisant rénal à une diminution de l’efficacité du traitement. • Le déférasirox (Exjade®) doit être évité chez l’insuffisant rénal non dialysé en raison de son risque de néphrotoxicité dans un tiers des cas. En revanche, il est prescrit en première intention chez le patient dialysé, même s’il existe peu de données quant à sa pharmacocinétique avec la dialyse. La dose de départ est de 10 mg/kg, à augmenter progressivement jusqu’à 30 mg/kg, en surveillant la calcémie (rares cas d’hypocalcémie induites par le déférasirox chez l’insuffisant rénal). • La déferoxamine (Desféral®) par voie parentérale peut remplacer ou s’associer à l’un des deux chélateurs oraux. Dans l’insuffisance rénale chronique, la mise en route des mécanismes d’élimination extrarénaux (biliaire) compense la diminution de l’élimination rénale. Une néphrotoxicité peut exister. La voie sous-cutanée en continu sur 12 heures est beaucoup plus efficace que la voie intraveineuse intermittente qui peut être faite en fin d’hémodialyse. Il faut prévenir les patients d’arrêter le traitement en cas de fièvre (risque de yersiniose favorisée par le traitement).

13.6.5.1.  Création d’un abord veineux. Même si elle est difficile chez le patient drépanocytaire, la préservation du bras non dominant dans la perspective d’une création de fistule artérioveineuse est de rigueur. La création d’une fistule doit être anticipée car sa fonctionnalité peut exiger plusieurs interventions. Elle peut nécessiter l’utilisation transitoire d’une anticoagulation efficace, et il est donc nécessaire de s’assurer au préalable de l’absence de lésion cérébrale à risque hémorragique (réseau Moya-Moya) par une angio-IRM cérébrale. Elle doit être précédée d’un échange transfusionnel. La place de l’érythraphérèse chez un patient insuffisant rénal sévère est réduite, en raison de l’anémie sévère nécessitant souvent des transfusions simples, et du fait de l’utilisation pour cette procédure de deux voies d’abord veineuses dont une de gros calibre pouvant endommager le capital veineux du patient. Un contrôle annuel du débit de la fistule par doppler est nécessaire et de son éventuel retentissement cardiaque par échographie cardiaque. 13.6.5.2.  Choix du moment de la mise en dialyse. Il respecte les indications habituelles fondées sur le calcul de la clairance (selon CKD-EPI) et l’évaluation de la tolérance (surcharge hydro-sodée, signes urémiques, hyperkaliémie). En cas de cardiopathie drépanocytaire, l’hypervolémie est mal tolérée ce qui peut amener à débuter la dialyse plus précocement que ne le voudrait la clairance. 13.6.5.3.  Traitements de fond de la drépanocytose. Un programme transfusionnel n’est pas systématique, et doit être maintenu uniquement en cas d’anémie sévère malgré l’EPO, de complication majeure de la drépanocytose indiquant formellement un programme transfusionnel (par exemple  : cardiopathie, vasculopathie cérébrale). L’hydroxycarbamide est dialysable et doit être pris après les séances de dialyse. 13.6.6.  Place de la transplantation rénale La drépanocytose n’est pas une contre-indication à la transplantation. Elle sera discutée en fonction de différents paramètres (cardiomyopathie, surcharge en fer, infections chroniques, anémie, possibilités de suivre un traitement immunosuppresseur, etc.). Autant que possible, la transplantation doit être envisagée précocement étant donné la surmortalité majeure des patients drépanocytaires dialysés par rapport aux drépanocytaires non dialysés et aux dialysés non drépanocytaires. Elle peut être envisagée en préemptif (avant le stade de la dialyse) avec inscription précoce sur la liste d’attente pour éviter les complications de la dialyse. Les contre-indications à la transplantation sont : une atteinte d’organe majeure limitant l’espérance de vie à inférieure à 2 ans, une infection systémique active, une affection psychiatrique compromettant l’observance aux immunosuppresseurs. En cas de cardiopathie ou d’hépatopathie sévère associée, il est possible d’envisager des doubles greffes rein – cœur, rein – foie comme cela a déjà été rapporté chez le patient drépanocytaire. Spécificités immunologiques : les transfusions sanguines multiples peuvent favoriser l’apparition d’anticorps anti-HLA, qui doivent être dépistés après chaque transfusion pour les patients inscrits sur liste. Une greffe via des donneurs vivants apparentés peut être envisagée, étant donné le risque d’attente prolongée de greffons pour des patients d’origine africaine,



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dans un pays ou les greffons sur liste sont issus en majorité de donneurs caucasiens aux groupes HLA et groupes sanguins différents. Le bilan prétransplantation devra comporter systématiquement : • une évaluation cardiologique rigoureuse (échographie, consultation cardiologique, avec ou sans cathétérisme cardiaque droit) ; • une angio-IRM cérébrale pour rechercher des vasculopathies des gros troncs cérébraux, des anévrismes pouvant faire discuter une embolisation ou d’AVC infracliniques ; • une échographie abdominale pour rechercher une lithiase vésiculaire qui justifierait d’une cholécystectomie préventive ; • une IRM cœur – foie pour évaluer l’hémochromatose posttransfusionnelle si le patient est polytransfusé avec une ferritinémie supérieure à 1000 µg/L ; • le dépistage de foyers infectieux latents, notamment osseux ; • la mise à jour complète du calendrier vaccinal (cf. recommandation « Vaccinations » [Annexe 24]).

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13.6.7.  Gestion du patient drépanocytaire transplanté rénal Un programme transfusionnel est instauré avant la greffe pour amener le patient à la chirurgie avec une concentration d’hémoglobine S inférieure à 30 %, et maintenu en moyenne 6 mois après la transplantation, avec un relais par hydroxyurée avec ou sans EPO au long cours pour préserver le greffon rénal. Le maintien au long cours d’un programme transfusionnel ne se justifie qu’en cas d’anémie sévère avec inefficacité ou intolérance de l’hydroxycarbamide – EPO, de détérioration importante de la fonction rénale du greffon ou d’autre indication liée à la drépanocytose (cardiopathie évolutive). Le choix des immunosuppresseurs doit être fait en intégrant les spécificités de la drépanocytose en regard des effets secondaires des traitements (risque de toxicité hématologique cumulée Cellcept®/hydroxycarbamide ; sur-risque de toxicité neurologique des anti-calcineurines chez le patient drépanocytaire notamment en cas de pathologie cérébrale sous-jacente). Les objectifs tensionnels chez le patient greffé doivent être stricts : pression artérielle systolique inférieure à 130 mmHg et pression artérielle diastolique inférieure à 80 mmHg.

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Annexe 14. Foie, surcharge en fer Les atteintes hépatiques et biliaires sont fréquentes au cours de la drépanocytose. Des augmentations modérées de transaminases (< 2 × N) sont fréquemment observées en dehors des crises vaso-occlusives et sont multifactorielles. Il convient de distinguer les lésions liées à la vaso-occlusion des complications liées aux traitements, principalement l’hémochromatose post-transfusionnelle, mais aussi certains médicaments. 14.1.  Interprétation du bilan hépatique chez un patient drépanocytaire En dehors de toute complication hépatobiliaire, on peut observer des anomalies des tests hépatiques. • La bilirubinémie totale est habituellement augmentée, à prédominance non conjuguée (bilirubine libre) du fait de l’hémolyse. Toute augmentation significative de bilirubine conjuguée doit, en revanche, faire réaliser une échographie hépatique à la recherche de calculs enclavés dans la voie biliaire ou d’une angiocholite (même chez un patient cholécystectomisé). • L’hémolyse augmente la concentration d’aspartate aminotransférase qui est corrélée à celle des LDH. L’élévation des alanines aminotransférase reflète le plus souvent une véritable atteinte hépatocytaire. • Les phosphatases alcalines sont souvent augmentées au cours d’une crise vaso-occlusive. Cette élévation peut être secondaire à l’atteinte osseuse (phosphatases alcalines osseuses). Cependant, une nette élévation peut relever d’une cholestase intrahépatique. Le temps de prothrombine est fréquemment abaissé chez le patient drépanocytaire à l’état basal et plus particulièrement au cours des crises vaso-occlusives, pour des raisons encore peu claires (carence en vitamine K, inflammation, surconsommation des facteurs de coagulation). Cela ne semble pas augmenter le risque hémorragique. Le temps de prothrombine est cependant rarement inférieur à 60 %. Une autre cause doit être suspectée dans ce cas ; il faut alors compléter le bilan avec un temps de céphaline avec activateur, et un dosage du fibrinogène et des facteurs du temps de prothrombine. 14.2.  Atteinte hépatobiliaire aiguë 14.2.1.  Pathologies biliaires : obstruction des voies biliaires (colique hépatique, angiocholite) ou cholécystite L’hémolyse chronique est pourvoyeuse de calculs pigmentaires, sources de complications fréquentes chez ces patients. Un antécédent de cholécystectomie doit être recherché systématiquement à l’interrogatoire de tout nouveau patient. Il est recommandé de réaliser, à froid, avant toute complication, une cholécystectomie chez les patients drépanocytaires présentant des calculs vésiculaires à l’échographie (à rechercher régulièrement, tous les deux ans environ). En cas de sludge et en l’absence de symptôme, refaire une échographie 6 mois à 1 an après. En cas de sludge associé à des douleurs typiques de coliques hépatiques, une cholécystectomie est indiquée. Chez un patient ayant eu une infection à bacilles à Gram négatif (bactériémie, ostéomyélite), il faut rechercher systématiquement des calculs vésiculaires par échographie et, si présents, proposer une cholécystectomie à distance d’une crise vaso-occlusive. Chez tout patient devant bénéficier de la pose d’un matériel étranger (prothèse articulaire, voie centrale à demeure) et avant toute grossesse, il faut vérifier l’absence de calcul biliaire par

échographie et programmer une cholécystectomie si des calculs sont présents. Attention : • les signes de cholécystite aiguë, angiocholite ou colique hépatique peuvent passer au second plan par rapport aux douleurs d’une crise vaso-occlusive osseuse ou d’un syndrome thoracique, d’autant plus que le patient est traité par morphine. La pathologie biliaire est un facteur de récidive de crise vaso-occlusive. Il faut l’évoquer systématiquement en cas de cholestase importante (notamment élévation de la bilirubine conjugée) ; • des calculs de la voie biliaire principale ou intrahépatiques peuvent se former des années après une cholécystectomie. 14.2.2.  Crise vaso-occlusive hépatique Elle pourrait toucher jusqu’à 10 % de patients drépanocytaires : • La crise vaso-occlusive hépatique à minima se traduit, le plus souvent, par une augmentation asymptomatique des enzymes hépatiques (cytolyse ou cholestase) au cours d’une crise vasoocclusive osseuse ou d’un syndrome thoracique. Une surveillance plus rapprochée des transaminases est cependant nécessaire ainsi que l’adaptation des posologies des traitements hépatotoxiques. • La crise vaso-occlusive hépatique grave se traduit par une douleur de l’hypochondre droit, une fébricule, une hépatomégalie douloureuse et un ictère. Les transaminases sont alors très augmentées, classiquement supérieures à 300 UI/L, en association à une cholestase de degré variable. Des échanges transfusionnels sont nécessaires ainsi que l’arrêt de tout médicament hépatotoxique. 14.2.3.  Cholestase intrahépatique drépanocytaire C’est un variant grave, souvent mortel et rarissime de la crise vaso-occlusive hépatique. Elle se traduit par une hépatomégalie douloureuse aiguë fébrile avec ictère marqué. La biologie associe une cytolyse hépatique, une cholestase majeure (élévation de la bilirubinémie supérieure à 500  µmol/L), une insuffisance hépatique aiguë (effondrement du temps de prothrombine) et une insuffisance rénale aiguë. Ce tableau survient le plus souvent sur une hépatopathie chronique préexistante, avec étiologies souvent intriquées (hépatite C chronique, hémochromatose, drépanocytose). De véritables hépatites fulminantes ont été décrites. L’échange transfusionnel en urgence (objectif taux d’hémoglobine S inférieur à 30 %) et le transfert en unité de soins intensifs d’hépatologie s’imposent. Des transplantations hépatiques urgentes ont pu être réalisées dans ce cadre. 14.2.4.  Séquestration hépatique C’est une complication rare, équivalent hépatique de la séquestration splénique. Elle se traduit par la survenue brutale d’une hépatomégalie très douloureuse augmentant rapidement de taille, associée à une chute brutale de la concentration en hémoglobine et des plaquettes. Des signes biologiques d’insuffisance hépatocellulaire peuvent rapidement apparaître. Il est nécessaire de transfuser ces patients en urgence (souvent de façon répétée 6 à 8 culots sur 24 à 48 heures), de réaliser un remplissage vasculaire adapté et de surveiller régulièrement la fonction hépatique. C’est une complication grave, potentiellement mortelle. 14.2.5.  Causes toxiques et médicamenteuses Les médicaments utilisés au cours des crises peuvent expliquer ou aggraver des cytolyses tels que les anti-inflammatoires



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non stéroïdiens, le paracétamol, certains antibiotiques, etc. (attention au surdosage en paracétamol à l’arrivée aux urgences). Des toxiques tels que la cocaïne peuvent aussi être hépatotoxiques. L’alcool est rarement en cause, mais il faut y penser systématiquement. 14.2.6.  Hyperammoniémie Les patients drépanocytaires ayant une hépatopathie chronique et profondément carencés en zinc (ce qui est fréquent chez le patient drépanocytaire) peuvent développer une encéphalopathie avec hyperammoniémie favorisée et aggravée par la carence en zinc. La supplémentation en zinc permet parfois de traiter avec succès ces patients. 14.2.7.  Abcès hépatiques Des abcès hépatiques bactériens peuvent survenir (rarement) sur des zones d’infarctus hépatique liées à une crise vaso-occlusive. 14.2.8.  Autres causes non spécifiques Il faut parfois savoir évoquer des causes d’hépatites non spécifiques de la drépanocytose : virus (A, B, C, E), sepsis sévère, insuffisance cardiaque droite, hépatites auto-immunes, etc. Causes de douleur de l’hypochondre droit chez un patient drépanocytaire • Cholécystite aiguë, colique hépatique, angiocholite • Crise vaso-occlusive hépatique • Cholestase intrahépatique drépanocytaire • Séquestration hépatique • Appendicite rétrocæcale • Pneumopathie de la base droite • Insuffisance cardiaque droite ou globale • Infarctus costal des dernières côtes

14.3.  Hépatopathies chroniques 14.3.1.  Surcharge en fer L’hémochromatose post-transfusionnelle est la principale complication chronique hépatique qui peut aboutir (rarement) à une cirrhose. 14.3.1.1.  Prévention. Chez des patients ayant des transfusions itératives, la surcharge en fer peut être minimisée par la réalisation d’une saignée précédant la transfusion si le niveau d’hémoglobine le permet, et surtout par la technique d’échange transfusionnel sur machine par hémaphérèse appelée érythraphérèse (à préférer chez des patients stables en programme d’échange transfusionnel au long cours avec voies d’abord accessibles). Il convient de comptabiliser les culots globulaires reçus par ces patients polytransfusés. 14.3.1.2.  Diagnostic. Il faut surveiller la ferritinémie et le coefficient de saturation de la transferrine chez les patients polytransfusés car ces paramètres sont corrélées au nombre de culots globulaires transfusés. Le bilan martial doit être réalisé en situation basale, c’est-àdire à distance d’une crise (pendant laquelle la ferritinémie peut augmenter) et d’une transfusion, idéalement 4 semaines après. Il paraît utile de réaliser une IRM hépatique, pour quantifier la surcharge en fer, et le dosage des transaminases devant une hyperferritinémie de plus de 1000 µg/L avec coefficient de saturation supérieur à 40 % ou chez les patients polytransfusés (plus de 20 culots reçus). Cependant, la ferritinémie n’est pas toujours bien

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corrélée à la surcharge ferrique histologique. Une IRM peut être donc réalisée pour des ferritinémies plus basses chez des patients polytransfusés ou ayant des transaminases élevées, d’autant plus si le programme transfusionnel doit être poursuivi. La biopsie hépatique a peu d’intérêt pour le diagnostic d’hémochromatose et n’est pas sans risque. Elle peut cependant se discuter au cas par cas en privilégiant la voie transjugulaire pour éliminer un diagnostic différentiel, évaluer dans le cas d’hépatopathies chroniques la part des lésions liées à la drépanocytose et aux autres étiologies (hépatite C, B par exemple), et objectiver une fibrose. Le fibrotest ne peut être utilisé chez ces patients (ininterprétable à cause de l’hémolyse). Le fibroscan n’a pas été évalué dans cette population. 14.3.1.3.  Traitement. Un traitement chélateur du fer doit être recommandé pour les patients ayant eu de multiples transfusions (plus de 20 culots reçus ou programme transfusionnel se poursuivant), une ferritinémie supérieur à 1000 µg/L et une IRM en faveur d’une surcharge en fer notable (plus de 125 µmol/g de foie). Seuls la déféroxamine (Desféral®) et le déférasirox (Exjade®) ont actuellement l’autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le traitement de la surcharge martiale chez les patients drépanocytaires. La défériprone (Ferriprox®) peut être utilisée hors AMM en cas d’intolérance ou de contre-indication à ces deux traitements. C’est un médicament de rétrocession, non disponible en pharmacie de ville (Tableau 12). La surveillance de la tolérance sera adaptée au produit utilisé. Un audiogramme et un bilan ophtalmologique régulier doivent être réalisés pour surveiller la tolérance du déférasirox (Exjade®) et de la déféroxamine (Desféral®). L’efficacité du traitement pourra être jugée sur une ferritinémie tous les 3 mois, l’IRM hépatique, et la surveillance des lésions organiques éventuelles (cœur, insuffisances endocriniennes, etc.). Le traitement sera interrompu lorsque la ferritinémie est inférieure à 500 µg/L. Des saignées peuvent être une alternative aux chélateurs oraux si les voies d’abord veineuses du patient le permettent. Elles peuvent être réalisées, si la tolérance est bonne, même pour des hémoglobinémie basses (jusqu’à 8 g/dL). Hémochromatose chez le patient drépanocytaire • Prévention  : économiser les transfusions, pratiquer des saignées – transfusions, voire des érythraphérèse • Dépistage  : dosage de la ferritinémie avec ou sans IRM hépatique • Traitement chélateur : si la ferritinémie est supérieure à 1000 µg/L et la surcharge en fer sur IRM hépatique supérieure à 125 µmol/g

14.3.2.  Hépatites B et C Ce sont des complications essentiellement liées aux transfusions au long cours et aux zones d’endémie. Ce risque infectieux est maintenant très faible en France. Il convient, pour cette raison, de vacciner les patients drépanocytaires contre l’hépatite B dès la petite enfance (où à l’âge adulte chez des patients non vaccinés antérieurement et non immunisés). Le dépistage se fait par les sérologies. En cas de positivité, une PCR virale quantitative (et un génotypage pour l’hépatite C) doit être demandée ainsi que des tests hépatiques et ferriques avant d’adresser le patient au spécialiste. La prise en charge de ces hépatites virales chroniques doit se faire en partenariat avec l’hépatologue. Pour l’hépatite C, l’interféron et la ribavirine, utilisés classiquement, risquent d’aggraver

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Tableau 12 Principales caractéristiques des trois chélateurs de fer disponibles en France. Molécules

Déféroxamine (Desféral®)

Déférasirox (Exjade®)

Défériprone (Ferriprox®)

Autorisation de mise Traitement de première intention : sur le marché drépanocytose, thalassémies, myélodysplasies

Traitement de deuxième intention quand le Desféral® est contre-indiqué ou inadapté : drépanocytose, thalassémies, myélodysplasies

Traitement de deuxième intention quand le Desféral® est contre-indiqué ou inadapté : thalassémies

Délivrance

Officine

Officine

Hospitalière

Posologie/jour

10–50 mg/kg

10–30 mg/kg

75–100 mg/kg

Voie et mode d’administration

Parentérale : injection sous-cutanée 8–12 h/j en continu (ou intraveineux)

Orale : 1 prise/j

Orale : 3 prises/j

Principaux effets secondaires chez l’adulte

Réaction locale au point d’injection Troubles ophtalmologiques (cataracte) et auditifs Allergies

Augmentation de la créatininémie Troubles digestifs : nausées, diarrhée Rash cutané Élévation des transaminases Troubles ophtalmologiques et auditifs (peu fréquents) Insuffisance rénale aiguë

Agranulocytose Troubles digestifs : nausées, vomissements Arthropathies Élévation des transaminases

Bilan Audiogramme et examen préthérapeutique ophtalmologique et de surveillance β-HCG

Audiogramme et examen ophtalmologique, créatininémie, transaminases, β-HCG

Audiogramme et examen ophtalmologique, créatininémie, transaminases, β-HCG, hémogrammes très réguliers

Coût journalier (adulte de 60 kg)

25–40 � + coût des soins infirmiers et du matériel de perfusion

70–85 �

25–35 �

Contre-indications

Hypersensibilité au produit Insuffisance rénale sévère non dialysée Infection bactérienne évolutive Grossesse ou allaitement

Clairance de la créatinine < 60 mL/min Hypersensibilité au produit Insuffisance hépatique sévère Non recommandée pendant lagrossesse ou l’allaitement

Neutropénie profonde ou antécédent d’agranulocytose Hypersensibilité au produit Grossesse ou allaitement

HCG : hormone chorionique gonadotrope

l’anémie hémolytique. Cependant, dans notre expérience, des patients ont été traités avec succès et sans effet secondaire majeur. L’utilisation de ces traitements doit donc être réservée aux indications virologiques et hépatologiques formelles. En cas d’intolérance à ces traitements (déclenchement de crise vaso-occlusive ou aggravation de l’anémie) et si l’indication en est formelle, un traitement de fond de la drépanocytose par échanges transfusionnels doit être associé. Les nouveaux traitements antiviraux de l’hépatite C sont en cours d’évaluation dans la drépanocytose.

14.3.3.  Cholestase intrahépatique chronique C’est une manifestation le plus souvent biologique avec une cholestase d’origine ischémique qui se majore sur plusieurs mois, avec baisse du temps de prothrombine possible. Il n’y a pas de douleur abdominale et l’hémolyse ne se majore pas. Une biopsie hépatique est nécessaire pour confirmer le

diagnostic. Un programme d’échange transfusionnel (objectif : taux d’hémoglobine S inférieur à 30 %) et un suivi en centre hospitalier ayant une équipe de transplantation sont nécessaires, le recours à la transplantation hépatique pouvant parfois s’avérer indispensable.

14.3.4.  Cirrhose Les patients drépanocytaires présentant une cirrhose doivent avoir la même prise en charge diagnostique et thérapeutique que d’autres patients atteints de cette pathologie. Il conviendra d’être particulièrement vigilant aux médicaments hépatotoxiques utilisés lors des crises vaso-occlusives. Une transplantation hépatique peut être envisagée et nécessitera la collaboration du référent pour la drépanocytose, hépatologue et chirurgien. Des échanges transfusionnels réguliers devront encadrer cette procédure.



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Annexe 15. Manifestations chroniques pulmonaires, cardiaques et drépanocytose Les manifestations pulmonaires chroniques au cours de la drépanocytose comprennent des troubles ventilatoires, des anomalies de transfert alvéolocapillaire et l’hypertension pulmonaire. Cependant, le lien entre une dyspnée et ces anomalies pulmonaires n’est pas toujours évident à établir, d’autant plus que l’anémie pourrait interférer sur ce symptôme. D’autre part, l’évaluation des complications pulmonaires chroniques et leur traitement étant peu documentés, leur prise en charge est actuellement mal codifiée. 15.1.  Réalisation d’un bilan respiratoire Il paraît utile que tout patient drépanocytaire ait une radiographie thoracique de référence au cours de son suivi. Chez un patient drépanocytaire majeur peu symptomatique (dyspnée de grade 1 sur l’échelle du Medical Research Council [MRC] ou dyspnée de stade II de la New York Heart Association [NYHA]), il ne paraît pas utile de réaliser un bilan respiratoire ou radiologique pulmonaire en l’état actuel des connaissances. • Grade 1 du MRC : dyspnée à la marche rapide ou pour monter une pente faible. • Stade II NYHA (pour l’hypertension pulmonaire ou dyspnée d’origine cardiaque) : pas de gêne au repos, dyspnée apparaissant pour des activités normales pour l’âge.

15.1.1.  Indications d’un bilan respiratoire • Antécédents de syndrome thoracique aigu • Pathologie pulmonaire associée (asthme, bronchopneumopathie chronique obstructive, etc.) • Majoration d’une dyspnée existante • Dyspnée disproportionnée au degré de l’anémie

15.1.2.  Objectifs du bilan respiratoire

• Éliminer une pathologie, pulmonaire ou cardiaque autre que drépanocytaire • Diagnostiquer une atteinte qui relèverait d’un traitement spécifique (par exemple l’hypertension artérielle pulmonaire) • Avoir un point de référence pour le suivi ultérieur chez les patients symptomatiques • Évaluer le degré de désaturation à l’effort

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• gaz du sang à l’état basal (la saturation transcutanée peut être prise à défaut dans l’évaluation de l’hypoxie chez le patient drépanocytaire) ; • test de marche de 6 minutes avec indice de dyspnée et de fatigue (pour le suivi), distance maximale parcourue et saturation minimale ; • oxymétrie nocturne en cas de priapisme ou de crise vasoocclusive à déclenchement nocturne ; • radiographie de thorax, à compléter en cas d’anomalie par une tomodensitométrie avec coupes fines avec ou sans injection selon le contexte ; • échographie cardiaque : ◦◦ recherche de dysfonction systolique ou diastolique avec mesure de la fraction d’éjection ventriculaire gauche, du débit cardiaque, du diamètre télédiastolique du ventricule gauche et du diamètre de l’oreillette gauche, ◦◦ recherche de valvulopathie, ◦◦ mesure de la vitesse de régurgitation tricuspidienne, ◦◦ recherche de dilatation des cavités droites, ◦◦ si cette échographie cardiaque ne retrouve pas d’anomalie valvulaire ou de la fonction systolique ou diastolique mais une vitesse de régurgitation supérieure à 2,8 m/s sur deux échographies (contrôle de 3 à 6 mois), un cathétérisme droit est nécessaire. Il doit être réalisé dans un centre habitué aux patients drépanocytaires, avec épreuve de remplissage, test de vasodilatation et éventuellement mesures des pressions des veines sus-hépatiques. Si la vitesse de régurgitation est comprise entre 2,5 et 2,8 m/s, il est proposé de refaire une échocardiographie à 6 mois avec un test de marche et mesure du taux de NT-proBNP (fraction N-terminale du précurseur du peptide natriurétique de type B [BNP]) de. En cas de persistance d’anomalie de la vitesse associée à un taux de BNP élevé ou une distance de marche diminuée, il pourra être proposé un cathétérisme droit. D’autres examens sont à discuter en cas de confirmation d’une hypertension artérielle pulmonaire : • Échographie-doppler veineuse et angioscanner et une scintigraphie de ventilation/perfusion en cas d’hypertension artérielle pulmonaire pour éliminer un cœur pulmonaire chronique post-embolique. • Échographie abdominale voire une fibroscopie œsogastrique dans l’hypothèse d’une hypertension portale associée sur cirrhose (hémochromatose ou virale). Le renouvellement de ce bilan n’est pas nécessaire si celui-ci est normal. 15.2.  Anomalies rencontrées 15.2.1.  Troubles ventilatoires

La définition de dyspnée disproportionnée n’est pas univoque, elle est laissée à l’appréciation du médecin référent. Une dyspnée nécessitant l’arrêt de l’effort sur terrain plat ou de grade 2 du MRC est à considérer comme inhabituelle. 15.1.3.  Bilan à réaliser à l’état basal (à réaliser au moins 1 à 3 mois après une crise) Le bilan comporte les examens suivants :

• spirométrie ; • pléthysmographie ; • diffusion libre du monoxyde de carbone (DLCO) et rapport DLCO/volume alvéolaire ;

15.2.1.1.  Syndrome restrictif. Un syndrome restrictif (capacité pulmonaire totale inférieure à 80  % de la valeur théorique, corrigée pour l’ethnie), discret à modéré, est retrouvé jusqu’à 70 % des patients dans certaines études. Pour certains auteurs, il existe une association entre antécédent de syndrome thoracique et syndrome restrictif. Cependant, le retentissement de ces troubles restrictifs sur la dyspnée n’est pas établi. 15.2.1.2.  Syndrome obstructif. Un syndrome obstructif (rapport volume expiratoire maximal par seconde/capacité vitale lente inférieur à 70 %) est retrouvé de façon très variable suivant les études allant de 3 % à 57 %. Une corrélation a été retrouvée, chez l’enfant, entre syndrome thoracique et troubles obstructifs ou asthme. Cependant, la prévalence de l’asthme ne paraît pas plus importante que dans la population générale.

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15.2.2.  Troubles de la diffusion alvéole – globule rouge La mesure de la DLCO corrigée doit être interprétée en fonction du volume alvéolaire, et est influencée au degré de l’anémie. Le kCO est la DLCO par unité de volume alvéolaire ; elle est souvent normale, voire augmentée, chez le patient drépanocytaire. 15.2.3.  Hypertension pulmonaire Elle est définie par la mesure au cathétérisme droit de la pression artérielle pulmonaire moyenne supérieure à 25 mmHg au repos. L’échographie-doppler cardiaque permettrait un dépistage avec une technique non invasive en mesurant la vitesse de régurgitation tricuspidienne. Une étude prospective française a montré que seulement 25 % des patients avec des vitesses de régurgitation tricuspidienne supérieures à 2,5 m/s à l’échocardiographie avaient une hypertension pulmonaire confirmée au cathétérisme droit, dont la moitié était d’origine post-capillaire. Cependant, une étude de cohorte américaine a montré qu’une vitesse de régurgitation tricuspidienne élevée, quelle qu’en soit la cause, est associée à une mortalité plus importante et nécessite par conséquent d’établir une surveillance rapprochée des patients. En pratique, le seuil de vitesse de régurgitation tricuspidienne indiquant la pratique d’un cathétérisme droit ne fait pas consensus ; en l’état actuel, une vitesse de régurgitation tricuspidienne supérieure à 2,8  m/s indique sa réalisation après confirmation sur une deuxième échographie après 3 à 6 mois. 15.2.4.  Anomalies pouvant être retrouvées au scanner thoracique, à l’état basal Ces anomalies sont : • des bandes parenchymateuses ; • un épaississement des septa interlobulaires ; • des épaississements pleuraux ; • des lobules secondaires dilatés ; • des bronchectasies. Ces anomalies prédominent nettement dans les lobes inférieurs et sont associées à un syndrome restrictif ou mixte. Elles semblent fréquentes chez les patients avec des antécédents de syndrome thoracique aigu. En cas de lésions parenchymateuses différentes, prédominant dans les lobes supérieurs ou évolutives, un bilan complémentaire doit être réalisé (bilan immunitaire, fibroscopie et LBA) pour éliminer une pathologie associée. 15.3.  Traitements 15.3.1.   Troubles ventilatoires et trouble de la diffusion Il n’y a pas d’indication actuelle à un traitement spécifique, excepté un traitement bronchodilatateur et parfois des corticoïdes inhalés en cas d’atteinte obstructive réversible. L’administration de corticoïdes par voie générale entraîne un risque de déclenchement de crise vaso-occlusive ou de syndrome thoracique aigu et doit par conséquent être exceptionnelle et prudente (un échange transfusionnel est parfois envisagé dans ce cas).

15.3.2.  Hypertension pulmonaire En cas d’hypertension pulmonaire confirmée par cathétérisme droit, la prise en charge thérapeutique doit se discuter en

collaboration avec un centre de référence traitant les hypertensions pulmonaires. Un programme d’échange transfusionnel ou un traitement par hydroxyurée doit alors être envisagé en plus d’un traitement anticoagulant et d’un éventuel traitement vasodilatateur plus spécifique de l’hypertension pulmonaire. Parmi ceux-ci, le sildénafil doit être évité du fait du déclenchement possible de crise vaso-occlusive comme l’a montré une étude interrompue pour cette raison. En cas d’indication à un traitement anticoagulant au long cours, une angio-IRM cérébrale devra être réalisée au préalable, dans le but de dépister une vasculopathie à risque hémorragique (Moya-Moya, anévrisme). En cas d’existence d’une telle vasculopathie, le rapport bénéfice/risque du traitement anticoagulant devra être rediscuté suivant le niveau d’hypertension pulmonaire et son mécanisme (thromboembolique, hypertension portale sur cirrhose, etc.). Les traitements diurétiques sont à utiliser avec prudence dans le cadre de la drépanocytose. 15.3.3.  Oxygénothérapie Se référer aux recommandations  «  Oxygénothérapie  » (Annexe 28). 15.4.  Atteinte cardiaque drépanocytaire chez l’adulte L’atteinte cardiaque drépanocytaire est peu étudiée chez l’adulte mais présente dans 17 % des cas dans une série autopsique. Il existe des observations montrant la présence de troubles de la microcirculation chez l’enfant. La constatation d’un souffle cardiaque systolique est fréquente et souvent en rapport avec l’hyperdébit secondaire à l’anémie. La quasi-totalité des patients ont des signes échographiques traduisant une adaptation cardiaque à l’anémie notamment une dilatation de l’oreillette gauche et du ventricule gauche. Les seuils d’intervention et la fréquence idéale de surveillance ne sont pas encore clairement établis et les patients devront être évalués au cas par cas. Plusieurs types de complications existent chez l’adulte. 15.4.1.  Cardiomyopathies sans trouble de la fonction systolique Elles sont les plus fréquentes et le plus souvent en rapport avec l’anémie chronique et l’hyperdébit, très rarement avec une hypertension artérielle. La dilatation de l’oreillette gauche, l’augmentation du diamètre télédiastolique du ventricule gauche et l’augmentation du débit cardiaque sont les anomalies les plus fréquentes à l’échographie. Le rapport E/A ou E/EA n’est pas adapté aux patients drépanocytaires. Les insuffisances cardiaques diastoliques sont donc difficiles à mettre en évidence. L’épreuve de remplissage lors d’un cathétérisme cardiaque droit est l’examen de référence lorsqu’il y a une nécessité de confirmation diagnostique. 15.4.2.  Cardiomyopathies à fraction d’éjection abaissée (inférieure à 55 %) Elles sont rares et peuvent apparaître aux stades avancés. L’association d’une fraction d’éjection ventriculaire gauche inférieure à 55 % et d’une vitesse de régurgitation tricuspidienne supérieure à 2,5 m/s représente un facteur de surmortalité. En cas d’insuffisance rénale terminale associée, des améliorations après dialyse et programme d’échange transfusionnel peuvent se voir. Chez ces patients, l’hydratation est nécessaire au cours des complications aiguës, mais il faut être prudent avec l’utilisation du sérum salé compte tenu du risque de décompensation d’une cardiopathie sous-jacente.



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15.4.3.  Ischémie myocardique

15.4.6.  Pression artérielle

Les patients drépanocytaires adultes peuvent faire des événements ischémiques myocardiques. Dans la plupart des cas, il n’existe pas d’atteinte des gros vaisseaux coronariens et il s’agit plutôt d’anomalies de la microcirculation. Celles-ci peuvent être mises en évidence par la scintigraphie myocardique ou l’IRM cardiaque. Les patients drépanocytaires SC représentent un cas particulier du fait de l’hyperviscosité, facteur de risque de thrombus fibrinocruorique pouvant être à l’origine de thrombose des gros troncs et nécessitant un traitement adapté. En cas d’infarctus du myocarde en voie de constitution ou constitué, d’un syndrome de menace ou angor instable, un échange transfusionnel en urgence doit être réalisé. Un traitement de fond de la drépanocytose est indiqué selon le mécanisme de l’ischémie. En cas d’angor stable, l’indication d’un traitement de fond sera discutée au cas par cas. Chez le patient drépanocytaire, la coronarographie en urgence est préférable à la thrombolyse (risque accru d’hémorragie cérébrale).

Les patients drépanocytaires ont une pression artérielle généralement plus basse que dans la population générale. Une pression artérielle systolique supérieure à 120 mmHg ou une pression artérielle diastolique supérieure à 70 mmHg doit faire rechercher une cause secondaire (en particulier rénale) et discuter un traitement.

Stades de la NYHA • NYHA 1 : Asymptomatique. • NYHA 2 : Limitation minime de la capacité d’effort : un effort inhabituel provoque palpitations ou dyspnée. • NYHA 3 : Limitation évidente de la capacité d’effort : un effort habituel provoque palpitations ou dyspnée. • NYHA 4 : Le patient est dyspnéique ou ressent des palpitations au repos.

15.4.4.   Hypertension pulmonaire transitoire Une hypertension pulmonaire transitoire peut s’observer lors d’une complication vaso-occlusive et surtout lors des syndromes thoraciques aigus. Elle est associée à une augmentation du BNP. 15.4.5.  Épanchement péricardique Il est fréquemment retrouvé à l’échographie, notamment au décours d’un syndrome thoracique aigu. Il est le plus souvent asymptomatique et sans conséquence hémodynamique. Un contrôle échographique pourra être réalisé afin de s’assurer de principe de la régression de cet épanchement.

MRC Scale • Stade 1 : Pas d’essoufflement sauf pour des efforts intenses • Stade 2 : Essoufflement à la marche rapide ou en côte • Stade 3 : Marche plus lente que la normale à plat ou arrêt après un km, ou arrêt après 15 minutes à son rythme • Stade 4  : Arrêt de la marche après 100  m ou quelques minutes à plat • Stade 5 : Essoufflement trop important pour quitter la maison ou pour s’habiller

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Annexe 16. Complications ophtalmologiques de la drépanocytose de l’adulte L’atteinte oculaire de la drépanocytose est fréquente. On estime que l’atteinte oculaire concerne environ 40 % des patients drépanocytaires homozygotes (SS) adultes et 70 % des patients hétérozygotes SC adultes. 16.1.  Rétinopathie drépanocytaire L’atteinte oculaire concerne essentiellement la rétine. L’occlusion vasculaire périphérique est l’élément principal de la rétinopathie drépanocytaire qui spontanément évolue vers une rétinopathie proliférante et ses complications : néovascularisation, hémorragies intravitréennes, décollement de rétine (Tableau 13). L’atteinte de la macula (environ 30 % des cas de rétinopathie) expose au risque de cécité. La prise en charge repose sur la prévention : • fond d’œil systématique au moins annuel, voire plus souvent en cas d’anomalie(s). L’examen rétinien doit être complet ; • exploration complémentaire par angiographie à la fluorescéine en cas d’anomalie(s) au fond d’œil, au moindre doute sur une éventuelle lésion, ou en cas de zones très périphériques mal vues au fond d’œil simple ; • photocoagulation au laser-argon des zones ischémiques. Cette prévention passe par : • une éducation du patient pour un contrôle ophtalmologique annuel ; • une coopération entre les médecins référents pour la drépanocytose et des ophtalmologues avertis. Le traitement repose sur la photocoagulation au laserargon. 16.2.  Chirurgie (en cas d’hémorragie intravitréenne avec décollement de rétine) Elle comporte des risques particuliers chez les patients drépanocytaires  : risque d’aggravation de l’ischémie locale et risque opératoire général (risque de crise vaso-occlusive). Son indication doit donc être bien documentée et les précautions envisagées entre médecin référent de la drépanocytose, ophtalmologue et anesthésiste (cf. recommandation « Période périopératoire » [Annexe 26]) : • privilégier l’anesthésie locale ; • faire la chirurgie sous oxygénothérapie ; • éviter les prémédications sédatives ; • ne pas utiliser de sympathomimétiques pour la dilatation pupillaire ; • ne pas administrer de Diamox® (risque d’acidose métabolique à l’origine de crises vaso-occlusives et de phénomènes d’occlusion locale) ;

Tableau 13 Classification de Goldberg des atteintes de la rétine liées à la drépanocytose (1971) Stade 1

Occlusions artériolaires périphériques

Stade 2

Anastomoses artérioveinulaires

Stade 3

Néovascularisation pré-rétinienne périphérique

Stade 4

Hémorragies intravitréennes

Stade 5

Décollement de rétine

• la transfusion ou échange transfusionnel (cf. recommandation «  Indications et modalités transfusionnelles  »  [Annexe 25]) pré- opératoire doit être discuté au cas pas cas (en fonction du type d’anesthésie, utilisation de corticoïdes, histoire de la drépanocytose, etc.). 16.3.  Conduite à tenir en cas de baisse brutale de l’acuité visuelle • Réaliser un examen ophtalmologique en urgence, afin de préciser la cause de la baisse de l’acuité visuelle, les causes les plus fréquentes étant la rétinopathie maculaire, l’hémorragie intravitréenne, l’occlusion de l’artère centrale de la rétine ou de ses branches, l’occlusion de la veine centrale de la rétine, un accident vasculaire cérébral postérieur. • En fonction du diagnostic retenu, un traitement hématologique spécifique en urgence associé à la prise en charge ophtalmologique peut se justifier : ◦◦ Diminution de la viscosité sanguine, en particulier chez les patients drépanocytaires SC dont la concentration en hémoglobine de base est souvent élevée : si elle est d’au moins 10,5  g/dL, réaliser une saignée de 350 à 450  mL selon la valeur de l’hémoglobine, sans dépasser 7 mL/kg, associée à une hydratation par sérum physiologique ou per os (Vichy). ◦◦ Transfusion en cas de baisse de la concentration d’hémoglobine de 2 g/dL ou plus par rapport à la concentration de base afin d’améliorer l’oxygénation locale. ◦◦ Échange transfusionnel afin de diminuer le taux d’hémoglobine S (en dessous de 50 %, voire 30 %), surtout en cas d’accident artériel aigu. ◦◦ Pas de bénéfice rapporté d’un traitement anticoagulant en cas d’occlusion de la veine centrale de la rétine. ◦◦ Traitement habituel de la crise vaso-occlusive : hydratation abondante per os ou intraveineuse, oxygénothérapie (cf. recommandation « Crise douloureuse aiguë » [Annexe 5]). En relais de cette prise en charge d’urgence, peut se discuter un traitement de fond (échanges transfusionnels, hydroxyurée) dont les indications thérapeutiques devront être discutées au cas par cas entre l’ophtalmologue et les médecins référents pour la drépanocytose. Par ailleurs, un traitement par aspirine à dose antiagrégante plaquettaire peut se discuter après une occlusion de l’artère centrale de la rétine. Il faudra alors vérifier au préalable l’absence d’anomalie cérébrale potentiellement hémorragique associée à la maladie drépanocytaire (anévrysme, Moya-Moya). 16.4.  Particularité de la prise en charge d’un hyphéma Il s’agit d’une hémorragie dans la chambre antérieure, due le plus souvent à une rupture traumatique ou de néovaisseaux de l’angle iridocornéen : • La prise en charge est une urgence ophtalmologique. • L’hyphéma expose au risque d’hypertonie oculaire qui peut entraîner une hypoxie locale, mettant en jeu le pronostic visuel à court terme chez le patient drépanocytaire. • Le Diamox® est contre-indiqué chez ces patients et les corticoïdes même locaux doivent être utilisés avec prudence. Il faut donc utiliser d’autres collyres hypotonisants, voire envisager rapidement une évacuation chirurgicale du sang accumulé dans la chambre antérieure. 16.5.  Autres atteintes ophtalmologiques Les autres atteintes oculaires possibles mais rares sont des atteintes orbitaires au cours de crises vaso-occlusives :



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infarctus de l’os périorbitaire, parfois compliqué d’hémorragie, à l’origine d’un œdème local, d’une exophtalmie, d’une diminution de la mobilité oculaire et de troubles visuels. En cas de retard de prise en charge, il existe un risque fonctionnel par compression du nerf optique. Le traitement est celui de la crise vaso-occlusive (cf. recommandation « Crise douloureuse aiguë » [Annexe 5]), l’échange transfusionnel est à discuter s’il existe des signes compressifs. Les yeux secs doivent faire rechercher une maladie autoimmune, plus fréquentes chez les patients drépanocytaires, après avoir éliminé les médicamenteux potentiellement en cause. Enfin, les patients sous déféroxamine (Desféral®) ou déférasirox (Exjade®) doivent bénéficier d’une surveillance ophtalmologique accrue compte tenu des risques oculaires propres à ces traitements. Les examens ophtalmologiques incluent :

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• la mesure de l’acuité visuelle avec sa correction, meilleure acuité visuelle corrigée, équilibre binoculaire ; • un examen à la lampe à fente de la cornée (recherches de kératite, surcharge, opacités cornéennes, etc.) ou du cristallin (rechercher d’une cataracte) ; • un examen du fond de l’œil pour éliminer une pathologie rétinienne ou maculaire de surcharge (rétinite pigmentaire), papille ; • la mesure du champ visuel ; • la vérification de la vision des couleurs ; • un électrorétinogramme. Les complications oculaires de ces traitements sont rares et ont été essentiellement observées pour des patients dont les valeurs de ferritinémie étaient normalisées voire basses et continuant ces traitements à forte dose.

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Annexe 17. Complications ORL chez le patient drépanocytaire adulte La sphère otorhinolaryngologique (ORL) et la drépanocytose ont des implications réciproques : • La survenue d’un vertige aigu paraît plus fréquente sur ce terrain et demande une prise en charge spécifique. • Les syndromes obstructifs des voies aériennes supérieures et les infections ORL peuvent aggraver les manifestations de la maladie drépanocytaire. • Une diminution progressive ou brutale de l’acuité auditive semble plus fréquente chez le patient drépanocytaire. 17.1.  Vertige aigu Le vertige est le plus souvent provoqué par des phénomènes vaso-occlusifs survenant dans la microcirculation de l’oreille interne. Beaucoup plus rarement, il est en rapport avec un AVC de localisation cérébellovestibulaire. Le vertige survient souvent en dehors de toute douleur osseuse. La prise en charge d’un patient drépanocytaire présentant un vertige impose donc en premier lieu de rechercher les éléments orientant vers une prise en charge initiale ORL ou neurologique : • en faveur d’une origine ORL : ◦◦ d’autres symptômes ORL existent : acouphènes, hypoacousie à rechercher systématiquement, ◦◦ le vertige paraît périphérique  : syndrome vestibulaire harmonieux (nystagmus, déviation des index, Romberg latéralisé du même côté), ◦◦ des caractéristiques évoquant un vertige paroxystique bénin sont constatées (positionnel, durée quelques secondes), ◦◦ des signes évoquant un hydrops ou un vertige de Ménière sont retrouvés (surdité et sensation de pression associées au vertige) ; • dans les autres cas, en particulier si le vertige s’accompagne de céphalées, de signes visuels ou de localisation, il faut considérer en première intention qu’il s’agit d’un accident vasculaire cérébral. On est alors dans une situation d’urgence. Il faut faire une IRM et une ARM en urgence, discuter la réalisation immédiate d’un échange transfusionnel (cf. recommandation « Accidents vasculaires cérébraux » [Annexe 8]). Si le bilan neurovasculaire s’avère négatif, il faut faire les explorations ORL. 17.1.1.  Explorations à effectuer Les explorations à effectuer en urgence sont :

• recherche du groupe sanguin ; • recherche d’agglutinines irrégulières ; • numération formule sanguine ; • ionogramme sanguin ; • mesure de la créatininémie • mesure de la LDH ; • mesure de la protéine C réactive ; • mesure de la calcémie. Dès que possible demander réaliser un examen ORL standard, puis si nécessaire un audiogramme avec impédancemétrie (sera systématique après tout vertige), un vidéonystagmographie.

Il faut rechercher un facteur extra-ORL ayant favorisé la survenue du vertige : • hyperviscosité sanguine chez un drépanocytaire dont la concentration en hémoglobine est élevée (au-dessus de 10–11 g/dL) ou dont l’hydratation est insuffisante ; • ou au contraire aggravation de l’anémie. Enfin il faut adresser le patient à son médecin référent pour la drépanocytose, pour dépister d’autres complications chroniques. 17.1.2.  Traitement Il pourra être mis en place en externe ou en hospitalisation, selon le retentissement fonctionnel. 17.1.2.1.  Dans tous les cas.

• hydratation dont eau de Vichy 500 mL à 1 litre par jour • oxygénothérapie • Tanganil® intraveineux ou per os : 6 puis 3 comprimés par jour • Betaserc® ou Serc® en relais éventuel (surtout en cas de vertige de Ménière) • rééducation immédiate (lever) surtout en cas de névrite vestibulaire

Traitements non recommandés, ou à utiliser en respectant certaines précautions : • régime désodé • corticoïdes • diurétiques, Diamox®

17.1.2.2.  Selon la concentration en hémoglobine. • si la concentration d’hémoglobine est supérieure ou égale à 10–11 g/dL : réaliser une saignée entre 350 et 450 mL selon la concentration, sans dépasser 7 mL/kg, concomitamment à une hydratation par sérum physiologique ou per os (Vichy) ; • dans les cas où existeraient des signes de gravité (surdité brusque associée ou résistance du vertige au traitement usuel) : • si la concentration d’hémoglobine est basse par rapport au chiffre habituel du patient (d’environ 2 g/dL) : réaliser une transfusion, • si la concentration d’hémoglobine est habituelle pour le patient, il faut discuter la réalisation d’un échange transfusionnel (cf. recommandation « Indications et modalités transfusionnelles » [Annexe 25]).

17.2.  Hypoacousie Sa prévalence précise est inconnue, pouvant aller jusqu’à 60 % selon certaines études.



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La cochlée est très sensible à l’hypoxie, parce que la consommation en oxygène y est importante, et qu’elle a une faible capacité à fonctionner en anaérobiose. La principale anomalie constatée chez le patient drépanocytaire est une altération de la réception sensorielle aux hautes fréquences. L’étude des potentiels évoqués auditifs doit être faite si l’atteinte est unilatérale, pour éliminer un neurinome du nerf VIII. Il n’y a pas d’indication à effectuer un dépistage systématique. En revanche, il faut rechercher systématiquement la présence de signes fonctionnels évoquant une hypoacousie.

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Cautérisation ou laser représentent une alternative moins agressive. 17.4.  Sinusite Une sinusite doit être cliniquement recherchée dans toute crise vaso-occlusive ou syndrome thoracique aigu, notamment s’il existe des céphalées ou autres signes évocateurs (rhinorrhée, obstruction nasale). 17.5.  Drépanocytose, pathologie ORL et médicaments

Cas particulier de la surdité brusque • Elle peut être isolée ou associée à un vertige. • Un traitement urgent peut permettre une récupération de l’audition : corticothérapie après un échange transfusionnel, saignée. Un appareillage peut être nécessaire dans certains cas. 17.3.  Syndrome obstructif des voies aériennes supérieures Il doit être recherché systématiquement quand on constate une aggravation de la drépanocytose (crises vaso-occlusives surtout nocturnes, apparition ou aggravation de complications telles que le priapisme). Outre l’examen clinique, une oxymétrie nocturne permettra d’objectiver la désaturation provoquée par l’obstruction à compléter par une polysomnographie en cas d’anomalie. Dans le cas où il existe une hypertrophie amygdalienne, la réalisation d’une amygdalectomie peut permettre à elle seule le retour à l’état de stabilité de la drépanocytose. Cet acte doit être réalisé après un échange transfusionnel, ou compensation per- et post- opératoire.

La corticothérapie ne doit pas être utilisée sans précaution chez les patients drépanocytaires, car elle peut déclencher une crise, éventuellement sévère, voire un syndrome thoracique aigu. En cas d’indication formelle, il faut effectuer un échange transfusionnel avant de débuter les corticoïdes. Les chélateurs du fer, déféroxamine (Desferal®) et déférasirox (Exjade®), utilisé chez certains patients drépanocytaires, peuvent provoquer une atteinte auditive de perception, surtout en cas d’administration chez un patient peu surchargé en fer. L’atteinte peut régresser à l’arrêt de ces traitements. Les diurétiques sont à éviter, car ils peuvent aggraver la maladie drépanocytaire par augmentation de la viscosité. 17.6.  Chirurgie ORL chez le patient drépanocytaire Les précautions inhérentes à toute intervention chirurgicale chez un patient drépanocytaire doivent être respectées (cf. recommandation « Période périopératoire » [Annexe 26]). En particulier, l’amygdalectomie représente un geste à risque de complications, et doit en règle générale être précédée par un échange transfusionnel.

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Annexe 18. Ulcères cutanés de la drépanocytose de l’adulte Les ulcères cutanés drépanocytaires représentent une complication douloureuse invalidante, d’évolution souvent chronique et dont le retentissement fonctionnel et psychosocial est fréquemment sous-évalué. Le traitement, décevant, n’est pas encore clairement codifié. La prise en charge doit associer le dermatologue au médecin spécialiste de la drépanocytose. 18.1.  Généralités Les ulcères sont le plus souvent situés aux membres inférieurs, dans la région péri-malléolaire. Il existe en pratique deux tableaux extrêmes  : celui des ulcères uniques de petite taille, cicatrisant en quelques semaines ou mois, et celui des ulcères « malins » de grande taille, parfois multiples et pouvant persister plusieurs années, extrêmement invalidants. Entre ces deux tableaux de nombreuses formes de gravité intermédiaire existent. Quel que soit le traitement proposé, la fréquence de récidive des ulcères est élevée. 18.2.  Diagnostic différentiel Le principal diagnostic à écarter est la fistulisation d’une ostéomyélite chronique. C’est pourquoi une radiographie osseuse (parfois complétée par une IRM) doit être faite lors du bilan initial. Les autres diagnostics différentiels d’ulcères chroniques doivent être de principe éliminés (ulcères veineux, artériels, associés à une vascularite, etc.). 18.3.  Traitement Le traitement doit dans tous les cas associer des mesures générales et des soins locaux. 18.3.1.  Mesures générales Il faut une approche globale du patient : • Rechercher un facteur de « déstabilisation » de la drépanocytose susceptible d’être corrigé : aggravation de l’anémie, carence vitaminique ou en fer, acidose, etc. • Apprécier une composante vasculaire (échographie-doppler veineuse des membres inférieurs superficiel et profond). • S’il s’agit d’un patient recevant de l’hydroxyurée, on peut discuter une diminution transitoire de posologie le temps de la cicatrisation, en fonction des antécédents du patient et de l’indication initiale de l’hydroxyurée. • Conseiller le décubitus à la phase aiguë, habituellement efficace : repos au lit, surélévation du membre inférieur sur lequel siège l’ulcère. Arrêt de travail si besoin. • Prescription large d’une contention veineuse. • En cas d’insuffisance veineuse importante, discuter avec les angiologues un traitement spécifique (sclérose, « stripping »). • Adapter le traitement antalgique à l’intensité de la douleur. • Conseiller l’arrêt du tabac. • Vérifier la validité du vaccin antitétanique. 18.3.2.  Soins locaux La cicatrisation, comme pour tout ulcère, doit passer par trois phases : détersion, bourgeonnement, épithélialisation. Réalisation pratique des pansements : • le nettoyage de l’ulcère se fait à l’aide d’eau et de savon ordinaire, puis de sérum physiologique ;

• les soins doivent être précédés de l’administration d’un traitement anesthésique local (crème de lidocaïne, Emla®) ou général (antalgiques de niveau II ou III, protoxyde d’azote) ; • la détersion manuelle doit être rigoureuse et être pratiquée à l’aide d’une curette ou d’une lame de bistouri. L’objectif est de retirer les dépôts fibrinopurulents pour hâter le bourgeonnement ; • il est préférable de s’abstenir de tous les autres topiques (antiseptiques, antibiotiques, enzymatiques, etc.). S’il apparaît un eczéma périulcéreux, il faut arrêter tout pansement ou adhésif ou antiseptique récemment introduit. Réserver les dermocorticoïdes aux eczémas persistants ou aux ulcères hyper-bourgeonnants ; • le rythme des pansements dépend du stade évolutif de la plaie : ◦◦ chaque jour si ulcère évolutif, infecté, ◦◦ un jour sur deux en phase de détersion, ◦◦ deux à trois fois par semaine si au stade de bourgeonnement ou d’épidermisation, ◦◦ si douleur de l’ulcère, anticiper la réfection du pansement ; • types de pansements : ◦◦ alginates (i.e. Algostéryl®) et hydrogels (i.e. Purilon®) en phase de détersion, ◦◦ pansements gras vaselynés (i.e. Jelonet®, Mépitel®) après la phase de détersion, ◦◦ hydrocellulaires (i.e. Allevyn) en phase de bourgeonnement, ◦◦ hydrocolloïde à tous les stades (i.e. Duoderm®, Comfeel®), ◦◦ éviter les pansements adhésifs. Procédés utilisés sur les conseils des chirurgiens plasticiens : • systèmes de pressothérapie négative (VAC® thérapie) pour favoriser le bourgeonnement ; • autogreffe de peau  : pour une plaie traînante, seulement après obtention d’une bonne détersion et bourgeonnement. L’efficacité est inconstante mais peut aider à franchir un cap (échecs ou récidive à distance possibles). 18.3.3.  Autres procédures Selon les cas sont à discuter si la cicatrisation de l’ulcère n’est pas obtenue, il existe d’autres procédures dont l’efficacité n’a pas été prouvée : • chez les patients très anémiques (concentration d’hémoglobine inférieure à 7 g/dL), il peut être discuté un programme transfusionnel court, ou l’érythropoiétine en tenant compte des contre-indications. Leur efficacité est inconstante, et parfois transitoire ; • supplémentation par du sulfate de zinc en préparation magistrale : des doses élevées sont nécessaires (i.e. 220 mg 2 à 3 fois par jour) ; • injection locale de facteurs de croissance (GM-CSF), perfusions intraveineuses de butyrate d’arginine, Bosentan®, caisson hyperbare, etc. 18.4.  Dépistage et traitement des complications Les complications des ulcères chez les patients drépanocytaires peuvent être : • une infection locale : dermohypodermite, ou ostéoarthrite. Traiter par antibiothérapie par voie générale, après prélèvement bactériologique. S’abstenir de la voie locale (sélection de germe résistant, toxicité propre aux préparations topiques) ; • l’ankylose articulaire de cheville : à prévenir systématiquement par une kinésithérapie préventive précoce ;



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• prendre en compte le retentissement psychologique : syndrome dépressif réactionnel fréquent et le retentissement professionnel. 18.5.  Prévention La prévention primaire ou secondaire des ulcères chez les patients atteints de drépanocytose a une place importante :

• Ne pas poser de voie d’abord veineuse sur les membres inférieurs. • Éviter les traumatismes locaux  : utilisation de chaussures souples (attention aux chaussures neuves), port de chaussettes en coton, protection contre les piqûres d’insectes. • Lutte contre la sécheresse cutanée : prescrire largement une crème hydratante (la seule remboursée : Dexéryl®) afin d’éviter les excoriations qui surviennent sur une peau sèche.

Conseils pour les patients concernant les ulcères drépanocytaires 1. Soins cutanés des membres inférieurs • Hygiène : lavage sous la douche avec un savon surgras • Hydratation de la peau (crème) Éviter les microtraumatismes (chaussures neuves ou inadaptées, grattage, brûlure, etc.) • Soins immédiats des plaies et piqûres, même minimes 2. Mesures générales • Éviter les œdèmes : éviter les stations debout prolongées, contention veineuse à mettre dès le lever 3. Signes d’alerte devant motiver un avis médical chez un patient atteint d’un ulcère • Apparition de plaques rouges • Augmentation de la chaleur locale ou de la douleur • Augmentation de volume de la jambe • Apparition d’une odeur désagréable • Apparition de fièvre et de frissons 4. Précaution chez les patients ayant des ulcères cicatriciels • Connaître la fréquence élevée de récidives • Surveiller régulièrement l’état local • Hydratation de la peau • Bandes de contention

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Annexe 19. Drépanocytose hétérozygote composite SC La drépanocytose hétérozygote composite SC (hémoglobine SC) concerne surtout les populations originaires de la Caraïbe et de l’Afrique de l’Ouest. En France métropolitaine, elle représente entre 25 et 30 % des syndromes drépanocytaires majeurs. Cette maladie a des caractères communs avec la drépanocytose homozygote, mais aussi de nombreuses différences. Son meilleur pronostic ne doit pas la faire considérer comme une maladie banale car un risque de décès par syndrome thoracique aigu ou en rapport avec une complication thrombotique existe, y compris chez des patients auparavant peu symptomatiques. L’atteinte sensorielle (ophtalmologique et ORL) est la plus fréquente des complications chroniques. La physiopathologie et donc le traitement sont très différents de ceux de la drépanocytose homozygote  : les phénomènes d’hyperviscosité et de thrombose étant au premier plan, les saignées représentent un traitement efficace, sans danger et de réalisation facile. Malheureusement, le suivi des patients porteurs d’une drépanocytose SC est souvent peu structuré en raison du caractère apparemment bénin de la maladie. Il faut donc convaincre les patients, même quand ils sont asymptomatiques, que ce suivi peut éviter la survenue de complications mettant en jeu le pronostic vital ou fonctionnel. 19.1.  Quand évoquer l’existence d’une drépanocytose SC non connue auparavant (ou « oubliée ») ? 19.1.1.  Dépistage chez un adulte asymptomatique Environ un tiers des patients ayant une drépanocytose SC ne sont reconnus qu’à l’âge adulte, et dans certains cas après une complication grave. Il faut donc penser à proposer aux personnes originaires des régions où cette maladie est répandue une étude de l’hémoglobine, particulièrement avant une grossesse. 19.1.2.  Devant certaines complications Toutes les complications cliniques (cf. infra) peuvent être révélatrices, particulièrement les accidents thrombotiques artériels ou veineux, les complications d’une rétinopathie proliférative, une hypoacousie, des vertiges, les épisodes douloureux osseux aigus ou un syndrome thoracique aigu, une perte fœtale tardive.

ils sont rares mais mettent en jeu le pronostic vital. Ils peuvent concerner le cerveau, le cœur, le rein, la rate, la moelle osseuse, réalisant ainsi un accident vasculaire cérébral, un infarctus du myocarde, une nécrose papillaire, un infarctus splénique ou une nécrose médullaire. 19.2.2.  Complications chroniques de la drépanocytose SC 19.2.2.1.  Complications ophtalmologiques. La rétinopathie proliférative est très fréquente (prévalence de 80  % à l’âge adulte), plus souvent sévère et compliquée que dans les autres syndromes drépanocytaires majeurs. Les complications aiguës sont le décollement de rétine ou l’hémorragie intravitréenne, qui parfois nécessitent une chirurgie en urgence, peuvent laisser une baisse de l’acuité visuelle définitive, et donc doivent être dépistées et préventivement traitées. Une cécité monoculaire existe chez 5 % des patients. 19.2.2.2.  Atteinte ORL. L’atteinte ORL peut se révéler de deux façons : • par un syndrome vestibulaire (vertiges aigus), qui nécessite une exploration ORL, et notamment un audiogramme ; • par une hypoacousie d’installation brutale ou progressive : elle est fréquente mais sous-diagnostiquée car souvent non signalée spontanément par les patients, et donc à rechercher systématiquement par l’interrogatoire orienté et des tests cliniques simples. 19.2.2.3.  Ostéonécroses polyépiphysaires aseptiques. Elles seraient plus fréquentes chez ces patients, comparativement aux autres syndromes drépanocytaires. Elles concernent avant toutes les têtes fémorales ou humérales. 19.2.3.  Comorbidités Leur prévalence élevée est une des spécificités de la drépanocytose SC. Surpoids, voire obésité, sont fréquents, devant précocement entraîner des conseils diététiques. Diabète non insulino-dépendant et hypertension artérielle doivent être prévenus (mesures hygiénodiététiques), dépistés, traités dès leur survenue. Une prise en charge diététique est notamment indispensable. 19.2.4.  Certaines complications sont rares voire absentes chez les drépanocytaires SC

19.2.  Manifestations cliniques

Les ulcères de jambe liés à la drépanocytose ne sont jamais rencontrés. L’hypertension artérielle pulmonaire (évoquée sur une augmentation de la vitesse de régurgitation tricuspidienne) est rare et d’origine post-embolique. Enfin, la drépanocytose SC n’entraîne pas de vasculopathie cérébrale. La survenue d’accident vasculaire cérébral est possible en lien avec l’hyperviscosité ou les facteurs de risque vasculaires.

19.2.1.  Complications aiguës de la drépanocytose SC

19.2.5.  L’atteinte rénale

Une crise douloureuse vaso-occlusive ou un syndrome thoracique aigu peuvent survenir, avec une fréquence moindre que dans la drépanocytose homozygote, mais avec le même risque d’aggravation. Le priapisme est à rechercher explicitement car souvent il n’est pas rapporté spontanément. L’hématurie par nécrose papillaire, la cholécystite lithiasique et la séquestration splénique peuvent également survenir. Des accidents thrombotiques aigus peuvent survenir :

Sa prévalence est bien inférieure à celle de la glomérulopathie de la drépanocytose homozygote. Sa présentation est totalement différente, en particulier il y a peu d’hyperfiltration glomérulaire. Les comorbidités sont souvent en cause.

• veineux : le risque de thrombose pulmonaire est plus élevé ; • artériels : survenant sur un réseau artériel non pathologique,

Le diagnostic doit être fait par les différentes techniques d’étude de l’hémoglobine.

19.1.3.  Devant certaines anomalies hématologiques Une augmentation de la concentration corpusculaire moyenne en hémoglobine, une thrombopénie, une pseudomicrocytose, des anomalies du frottis sanguin en particulier cellules cibles, une anémie modérément régénérative.

19.3.  Biologie 19.3.1.  Comment faire le diagnostic ?



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En urgence, quand survient une complication justifiant un traitement sans délai, le diagnostic peut être évoqué sur l’aspect du frottis sanguin qui est très évocateur, et immédiatement disponible. Celui-ci montre peu de drépanocytes mais de nombreuses cellules cibles, des globules rouges de formes variées et complexes (tricorne, piles de pain, etc.), contenant parfois des cristaux d’hémoglobine C. 19.3.2.  Particularités biologiques dans la drépanocytose SC L’anémie est souvent absente, ou seulement modérée. Ainsi, seuls 10 % des patients drépanocytaires SC ont une concentration d’hémoglobine inférieure à 10 g/dL. Comme un tiers des patients ont une splénomégalie, il existe souvent une thrombopénie liée à un hypersplénisme. 19.4.  Bilans La place de l’échographie cardiaque systématique n’est pas clairement définie. Elle est indiquée chez les patients ayant des signes d’appel cliniques, une hypertension artérielle, ou un antécédent de syndrome thoracique aigu. La recherche et le bilan des comorbidités (hypertension artérielle, diabète) doit être systématique. Un contrôle du fond d’œil avec l’examen de la rétine périphérique au moins une fois par an, voire plus selon symptômes, est indispensable. Une consultation ORL est proposée dès que des symptômes (vertiges, acouphènes, hypoacousie) existent, ou si une suspicion d’hypoacousie est dépistée cliniquement. 19.5.  Traitement

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une baisse de la concentration corpusculaire moyenne en hémoglobine et du volume globulaire moyen, donc de la densité des globules rouges, une baisse de l’hématocrite, qui contribuent à la diminution de la viscosité.

19.5.2.2.1.  Indications Les saignées sont indiquées après la survenue d’un accident thrombotique, d’une complication vaso-occlusive, de signes d’hyperviscosité (céphalées par exemple). La question de l’intérêt d’un programme préventif de saignées chez les patients non symptomatiques ayant une concentration élevée d’hémoglobine, dans un but de prévention primaire des complications organiques, n’est pas résolue.

19.5.2.2.2.  Déroulement pratique La concentration en hémoglobine doit être contrôlée à chaque saignée (cf. recommandation « Indications et modalités transfusionnelles  »  [Annexe 25]). Une fois atteinte la valeur souhaitée d’hémoglobinémie (généralement autours de 10 g/ dL), il faut instaurer un programme efficace de surveillance de l’hémogramme (environ quatre à six fois par an) pour reprendre les saignées au moment où la concentration d’hémoglobine remonte, sans attendre que le patient redevienne symptomatique, éventuellement sous la forme d’une complication grave. 19.5.2.3.  Prévention. L’existence d’une carence en fer spontanée, évidemment beaucoup plus fréquente chez les femmes, est bénéfique, puisqu’elle constitue une prévention « physiologique » de l’hyperviscosité. Elle doit donc être respectée. Les corticoïdes peuvent être à l’origine de complication vaso-occlusives, ils sont à éviter. En cas d’indication formelle, une préparation et une surveillance sont à prévoir.

19.5.1.  Traitement des complications aiguës Le traitement symptomatique de la crise vaso-occlusive et du syndrome thoracique aigu sont les mêmes que dans la drépanocytose homozygote. La réalisation d’une saignée en aigu est justifiée si la concentration d’hémoglobine est supérieure à 10 g/dL. Le traitement des complications thrombotiques associe traitement anticoagulant et saignées. Les complications thrombotiques artérielles graves justifient la discussion d’une thrombolyse. La photocoagulation laser représente le traitement des lésions rétiniennes proliférantes pour prévenir le risque d’hémorragie avec baisse de l’acuité visuelle qu’elles font courir.

19.5.3.  Grossesse Le suivi des femmes enceintes drépanocytaires SC doit être aussi rigoureux que celui des homozygotes, car le risque de complication grave existe. Ce suivi doit être conjoint, assuré avec un obstétricien connaissant la maladie drépanocytaire. Les indications de transfusion sont rares. Il faut proscrire la prescription systématique d’une recharge martiale. C’est seulement si l’anémie carentielle est profonde qu’une recharge en fer courte et prudente et suivie sur l’évolution des concentrations en hémoglobine est justifiée.

19.5.2.  Traitement de fond

19.5.4.  Échanges transfusionnels

19.5.2.1.  Les mesures habituelles sont de mise. L’hydratation doit être abondante (2 litres par jour au moins) pour limiter l’hyperviscosité, en proscrivant les boissons sucrées qui participent à l’installation d’un surpoids. Supplémenter l’apport en acide folique : 1 comprimé par jour. Les vaccinations doivent être réalisées, même si le risque infectieux est moins important.

Il n’y a que peu d’indications transfusionnelles chez les patients drépanocytaires SC. L’indication la plus fréquente est la survenue d’un syndrome thoracique aigu grave, plus rarement, d’un accident thrombotique aigu. Les volumes de saignées doivent être adaptés pour ne pas risquer d’aggraver l’hyperviscosité par une concentration d’hémoglobine postprocédure trop élevée. La valeur d’hémoglobinémie maximale acceptable est d’environ 10 à 10,5 g/dL.

19.5.2.2.  Programme de saignées. Il représente le traitement essentiel de la drépanocytose SC. C’est un traitement efficace, qui ne comporte aucun risque, qui est de réalisation facile dans n’importe quelle structure et peu coûteux. Il demande une rigueur dans l’organisation du suivi. Le but est l’induction d’une carence en fer qui entraîne une baisse de l’érythropoïèse,

19.5.5.  Hydroxyurée Ce médicament n’a pas d’indication actuellement reconnue dans la drépanocytose SC.

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Annexe 20. Conseil génétique pour le risque de syndrome drépanocytaire majeur La drépanocytose touche 1 nouveau-né pour 3 500 naissances en France et il y a chaque année environ 2 000 couples à risque pour la naissance d’un enfant atteint d’une forme grave d’hémoglobinopathie. La fréquence et la gravité de la drépanocytose justifient le dépistage des couples à risque, mais il n’y a aucune recommandation nationale à cet égard. Les formes homozygotes SS et Sβ-thalassémiques sont des maladies graves pouvant justifier une demande d’interruption médicale de grossesse. L’objectif principal du conseil génétique est de donner aux parents toutes les informations leur permettant d’exercer un choix libre et éclairé de recourir au diagnostic prénatal en vue d’une éventuelle interruption médicale de grossesse. Pour que les couples puissent avoir ce choix, le dépistage par électrophorèse d’hémoglobine doit être proposé systématiquement aux populations concernées. Le conseil génétique est un entretien dont le plan n’obéit pas à un schéma rigide. Il aide les parents à comprendre de multiples aspects de la question sans chercher à atteindre un but médical particulier. De ce fait, il faut davantage répondre aux questions que tenir un discours. Le vocabulaire utilisé doit être adapté à la compréhension de chacun. Les antériorités pathologiques, de conception et de grossesse jouent un grand rôle dans l’appréciation que le couple et singulièrement la femme ont de la situation. Le niveau initial ou secondaire est parfois tel que tout discours explicatif est inaudible et il faut donc d’abord traiter, avec la complicité du psychologue clinicien, ce problème.

20.2.  Diagnostic du risque Il repose sur une caractérisation phénotypique et moléculaire 20.2.1.  Caractérisation phénotypique Elle comprend trois éléments : • une numération formule sanguine qui, outre une éventuelle anémie, met en évidence les microcytoses qui en l’absence de carence martiale font évoquer une thalassémie ; • une étude de l’hémoglobine du couple qui comprend l’identification des fractions d’hémoglobine anormale et la quantification de toutes les fractions présentes : hémoglobine A2, F, variants. Cette étude doit respecter les recommandations émises par la SFBC. Dans le cas contraire une étude conforme doit être prescrite ; • un dosage de la ferritine sérique, la carence en fer étant cause de microcytose et donc de confusion diagnostique. Quelles personnes adresser en consultation spécialisée • les patients ayant une hémoglobine anormale • les patient ayant un taux d’hémoglobine A2 élevé (suspicion de β-thalassémie) : plus de 3,5 % • les patients ayant une microcytose sans carence en fer (ou après correction qui ne peut survenir qu’après trois mois d’érythropoïèse non ferriprive) pour caractériser le type de thalassémie en cause • les patients ayant un taux d’hémoglobine F élevé à plus de 3 %

20.1.  Évaluation du risque 20.2.2.  Caractérisation moléculaire La consultation de conseil génétique a lieu idéalement en binôme médecin/psychologue. L’avenir étant sans doute à une place croissante des conseillers en génétique. Le risque de transmission de la maladie doit être confirmé avant d’aller plus loin dans la discussion. De ce fait et en raison de la multiplicité des allèles susceptibles de générer une forme grave de syndrome drépanocytaire majeur, il ne faut pas se limiter aux études phénotypiques de l’hémoglobine si le moindre doute existe quant au génotype. Il faut alors recourir systématiquement aux études génomiques adaptées.

Trois modes de conseil génétique coexistent : • information systématique de personnes porteuses du trait : ici il s’agit surtout de l’accompagnement explicatif du dépistage. Cependant, cette annonce n’est pas anodine et peut générer des confusions anxiogènes entre le portage du trait et la maladie ; • demande spontanée d’un couple, avant grossesse : savoir s’ils constituent un « couple à risque » avant la conception et si oui, acquérir les éléments qui leur permettent de déterminer leurs choix. C’est à effectuer en deux temps : les enjeux du dépistage puis, s’il y a lieu, la situation de couple à risque ; • le couple est adressé en conseil génétique au moment d’une grossesse en vue d’un éventuel diagnostic prénatal. La grossesse est plus ou moins avancée en fonction de la date de la prise en compte du risque, le risque de syndrome drépanocytaire majeur pour le fœtus est présomptif et fondé sur des analyses antérieures et les antécédents.

Elle est indispensable en cas de diagnostic prénatal, même dans le risque d’homozygotie S, le laboratoire de diagnostic prénatal ayant un besoin absolu des ADN parentaux pour rendre un résultat fœtal fiable. Il convient donc d’avoir un prélèvement sanguin pour l’analyse en biologie moléculaire des 2 parents, ce qui doit être anticipé pour ne pas retarder un éventuel diagnostic prénatal. Le phénotype doit être établi précisément en cherchant à éliminer les facteurs d’interférence diagnostique (carences en fer, en folates, en cobalamine [vitamine B12], dysthyroïdie, infection virale chronique grave et leurs traitements, chimiothérapie, transfusion sanguine récente). 20.3.  Bonnes pratiques, législation Des recommandations de bonnes pratiques cliniques et la législation encadrent le conseil génétique, le prélèvement fœtal, la réalisation des analyses moléculaires et de l’éventuelle interruption médicale de grossesse. 20.4.  Diagnostic prénatal Les techniques utilisées dépendent du terme de la grossesse (confirmé par l’échographie de datation). Les deux techniques actuellement utilisées se font en ambulatoire, sous guidage échographique. Ces gestes invasifs sont associés à un risque de fausse couche aux alentours de 0,5 à 2 %. Ils sont donc proposés aux couples dont le risque est confirmé, et ayant pris au préalable l’option d’une éventuelle interruption médicale de grossesse en cas de mise en évidence d’une forme grave d’hémoglobinopathie chez le fœtus.



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20.4.1.  Prélèvement de villosités choriales (ou biopsie de trophoblaste) Il est réalisé à partir de la 11e  semaine d’aménorrhée (SA). Le résultat est obtenu en 5 à 10 jours, ce qui peut permettre une interruption médicale de grossesse plus simple, par aspiration, jusqu’à la 14e SA. 20.4.2.  Amniocentèse (ou prélèvement de liquide amniotique) Ce geste est habituellement réalisé à partir du deuxième trimestre de la grossesse, après 15 SA ; il peut être réalisé jusqu’à la fin de la grossesse. Faite avec de grandes précautions d’asepsie, sans anesthésie, elle a comme inconvénient sa réalisation plus tardive, ce qui implique une interruption médicale de grossesse plus traumatisante car intervenant à un terme de grossesse plus avancé. L’interruption se fait par une expulsion par voie naturelle. 20.5.  Annonce du résultat Le résultat est annoncé par des conseillers en génétique lors d’une consultation dédiée, en présence d’un psychologue.

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20.7.  Projet de famille ultérieur Toute grossesse ultérieure s’inscrit dans un contexte différent et un nouveau conseil génétique doit être organisé. Les couples avertis et désireux d’un diagnostic prénatal viennent consulter avant 10 SA. Phénotypes d’hémoglobine S et autres, justifiant un diagnostic prénatal, voire une interruption médicale de grossesse Il existe un gradient de sévérité des formes cliniques d’hémoglobinopathies. Formes aboutissant à un hydrops fœtalis lors du dernier trimestre de la grossesse : • homozygotie α-thalassémie ; • hétérozygotie composites α0/α+ sévère thalassémie ; • doubles hétérozygoties α γ β/triplication du gène α globine ; • homozygotie γ δ β-thalassémie ; • γ-thalassémie ou hémoglobine F très instables. Formes graves d’expressions postnatales :

L’annonce du résultat fait l’objet d’une nouvelle consultation avec le même binôme médecin –  psychologue. En cas de maladie drépanocytaire grave diagnostiquée chez le fœtus, la décision d’interruption médicale de grossesse revient au couple et en tous cas à la mère.

20.6.  Situations particulières Les situations particulières peuvent être celles d’un femme drépanocytaire hétérozygote ou homozygote consultant seule, dont le conjoint est inaccessible (refus du prélèvement ou éloignement). Dans ce cas, s’il y a une demande très forte de diagnostic prénatal, il est possible d’accéder à cette demande puisque dans la plupart des cas où le conjoint est de même origine le risque d’homozygotie reste supérieur à 1/50 ; mais il faut alors bien dire à la consultante que seul le risque de drépanocytose homozygote SS pourra être testé.

• β-thalassémies homozygotes (éventuelle discussion de phénotype prévisible après caractérisation moléculaire des gènes α et β globines et du cas index éventuel) ; • α-thalassémies homozygotes graves (rare) dépendantes de la transfusion ; • formes graves de la drépanocytose : ◦◦ homozygotie S, ◦◦ hétérozygotie composites S/D Panjab, ◦◦ S/S Antilles, ◦◦ C/S Antilles, ◦◦ autres cas à discuter. En revanche, les risques SC, Sβ+-thalassémie, S Lepore, AS Antilles ne sont pas considérées comme des indications sauf exception.

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Annexe 21. Prise en charge de la grossesse chez les femmes atteintes d’un syndrome drépanocytaire majeur La drépanocytose augmente le risque de survenue de complications de la grossesse, et réciproquement. La mortalité maternelle périnatale survient dans 1 à 2 % des grossesses. Les complications maternelles et les hospitalisations prénatales sont plus fréquentes  : épisodes douloureux, infections (urinaires en particulier), complications pulmonaires (syndrome thoracique, embolie pulmonaire), aggravation de l’anémie dont le retentissement peut être à la fois fœtal et maternel. Les complications obstétricales sont plus fréquentes, en particulier l’hypertension gravidique et la pré-éclampsie. La morbidité fœtale est augmentée : on note plus de retards de croissance intra-utérins et d’accouchements prématurés que dans la population générale. Même chez les patientes SC et Sβ+-thalassémiques habituellement moins symptomatiques que les SS et Sβ0-thalassémiques, on peut observer des complications sévères. La prise en charge d’une grossesse doit être multidisciplinaire : elle implique le médecin référent pour la drépanocytose, l’équipe de transfusion sanguine, un suivi par des gynéco-obstétriciens formés à la drépanocytose dans un centre hospitalier comprenant un service de réanimation néonatale, et un service de soins continus voire de réanimation adulte.

• mesurer systématiquement la pression artérielle et de la SpO2 : il faut comparer la pression artérielle aux chiffres habituels de la patiente, et prendre en compte que le seuil de définition de l’hypertension artérielle est plus bas chez le drépanocytaire homozygote ; • rechercher une dyspnée inhabituelle, des œdèmes des membres inférieurs ou des signes de thrombose veineuse profonde ; • évaluer la mobilité des hanches dans la perspective de l’accouchement. 21.2.3.  Surveillance biologique Les modalités de la surveillance biologique sont : • au début de la grossesse : réalisation d’un groupage sanguin avec phénotype étendu, recherche d’agglutinines irrégulières et récupération des résultats immunohématologiques antérieurs pour actualiser les consignes transfusionnelles ; analyse de sérologies pour le VIH, les hépatites B et C, la rubéole, le CMV, la toxoplasmose, les virus lymphotropes-T humains de type I et 2 (HTLV-1 et – 2), la syphilis, l’érythrovirus (parvovirus B19) ; réalisation d’un bilan martial, dosage de la 25-hydroxyvitamine D ; • tous les mois : numération formule sanguine et des réticulocytes ; dosages de la créatininémie, l’uricémie, les transaminases, la γGT, les phosphatases alcalines, la calcémie, la LDH ; mesures de la microalbuminurie ou du rapport protéinurie/créatininurie sur échantillon ; examen cytobactériologique urinaire ; • en fin de grossesse : prélèvement vaginal en absence de point d’appel.

21.1.  Conseil génétique Il est nécessaire de dépister une anomalie de l’hémoglobine du conjoint et, si un risque de syndrome drépanocytaire majeur de type SS ou Sβ0-thalassémie existe pour le fœtus, il faudra discuter, au cours d’une consultation de conseil génétique, la réalisation d’un dépistage prénatal (cf. recommandation « Conseil génétique » [Annexe 20]). Les grossesses à risque de formes SC ou S-ß+-thalassémique ne rentrent pas dans les critères d’une interruption de grossesse pour motif médical, sauf cas exceptionnel. 21.2.  Suivi de la grossesse 21.2.1.  Modalités du suivi La surveillance doit être rapprochée et alternée entre le médecin référent de la drépanocytose et l’obstétricien dès les premières semaines d’aménorrhées (SA) : mensuelle jusqu’à 24 SA, puis bimensuelle jusqu’à 36 SA, puis hebdomadaire en maternité après 36 SA. La consultation d’anesthésie doit être anticipée vers 25 SA. Le médecin responsable du site distributeur de produits sanguins doit être prévenu dès le diagnostic de grossesse, en particulier en cas de difficultés transfusionnelles. La patiente doit être en possession de sa carte de groupe actualisée. 21.2.2.  Surveillance clinique La surveillance clinique consiste à : • recueillir les antécédents liés ou non à la drépanocytose : antécédent de syndrome thoracique, difficultés transfusionnelles potentielles, antécédents infectieux (en particulier urinaire), atteinte cardiaque, rénale et ophtalmologique, complications thromboemboliques, antécédents obstétricaux et facteurs de risque de pré-éclampsie (hypertension artérielle, néphropathie, obésité, nulliparité, grossesses multiples, antécédent de prééclampsie, etc.), situation psychosociale ; • rechercher les crises vaso-occlusives ;

21.2.4.  Autres examens paracliniques Les examens paracliniques à réaliser sont : • une  échographie cardiaque au deuxième ou troisième trimestre ; • des épreuves fonctionnelles respiratoires en début de grossesse si un examen de référence était anormal ou en cas de syndrome thoracique récent, ou de symptomatologie pulmonaire ; • une consultation ophtalmologique si elle n’a pas été faite depuis moins de 1 an (recherche de néovaisseaux à risque hémorragique lors des efforts de poussée) ; • la surveillance fœtale par échographie-doppler, qui doit suivre le calendrier habituel, avec deux examens supplémentaires à 28 SA et à 36 SA pour déceler un retard de croissance fœtale d’apparition tardive. La découverte d’un retard de croissance intra-utérin nécessite une surveillance accrue (celle classique d’un retard de croissance intra-utérin d’origine vasculaire). 21.3.  Traitements et vaccins 21.3.1.  Hydroxyurée Théoriquement, ce traitement doit être arrêté 3 mois avant de planifier une grossesse (en accord avec le médecin spécialiste de la drépanocytose), mais en pratique quand l’hydroxyurée est indispensable on peut décider de l’arrêter dès le diagnostic de grossesse. Dans certaines indications exceptionnelles (patientes intransfusables notamment), on peut même être amené à maintenir ou réintroduire l’hydroxyurée lors de la grossesse. Il n’y a pas d’indication à interrompre une grossesse débutée sous hydroxyurée, mais une surveillance échographique morphologique doit être faite et il importera de suivre, sur le long terme, les enfants exposés in utero. 21.3.2.  Analgésiques Le paracétamol simple ou codéiné, le tramadol et la morphine peuvent être utilisés (mais jamais de morphine à domicile).



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L’Acupan® et les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont contre-indiqués. 21.3.3.  Inhibiteurs de l’enzyme de conversion et les antagonistes du récepteur à l’angiotensine Ils sont contre-indiqués et doivent être arrêtés chez les patientes enceintes.

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• la prescription large d’une contention élastique des membres inférieurs tout au long de la grossesse et en postpartum ; une thromboprophylaxie anténatale par héparine de bas poids moléculaire sera prescrite en cas de facteurs de risque surajoutés en plus de la drépanocytose selon les recommandations habituelles ; • l’oxygénothérapie nocturne, qui réduirait les crises vasoocclusives pendant la grossesse mais qui est en cours d’évaluation.

21.3.4.  Chélateurs du fer Ils doivent être arrêtés. En cas d’hémochromatose cardiaque sévère, un traitement par déféroxamine sous-cutanée pourra être institué à partir du deuxième trimestre. 21.3.5.  Vaccins Les vaccins Pneumo 23® et contre l’hépatite B sont possibles à partir du deuxième trimestre, et quel que soit le terme pour la vaccination antigrippale. 21.3.6.  Corticoïdes Ils ne doivent pas être utilisés sans précaution car ils peuvent déclencher des crises vaso-occlusives sévères. S’il y a une indication formelle aux corticoïdes (maturation pulmonaire fœtale en cas de risque de prématurité), il faudra prévoir au préalable un échange transfusionnel. La balance bénéfice/risque devra toujours être en faveur de la mère, l’enfant pouvant recevoir du surfactant en postpartum si besoin.

21.4.3.  Transfusion sanguine Elle représente un élément clé de la prévention et du traitement des complications chez les patientes drépanocytaires enceintes. La mise en place d’un programme transfusionnel systématique est très controversée en raison des risques accrus d’hémolyse post-transfusionnelle. De plus, bien que diminuant le nombre de crise vaso-occlusive pendant la grossesse, il n’a pas été montré que cette thérapeutique avait une influence significative sur le devenir maternel et fœtal. Pour les patientes ayant un antécédent d’alloimmunisation, un antécédent d’hémolyse post-transfusionnelle retardée ou un groupe sanguin rare, les indications transfusionnelles devront être restreintes et posées après concertation entre le médecin référent de la drépanocytose, les obstétriciens, les anesthésistes et les immunohématologistes du site de l’EFS ou du CNRGS.

21.3.7.  Autres médicaments contre-indiqués ou à évaluer au cas par cas Il s’agit des diurétiques, des solutés hypertoniques et des prostaglandines.

21.4.  Prévention des complications 21.4.1.  Règles hygiénodiététiques Les règles hygiénodiététiques sont :

• le repos ; • une hydratation orale de 2 à 3 litres/jour ; • éviter les expositions au froid, les circonstances d’hypoxie (altitude, voyages en avion), les séjours en milieu tropical, la consommation de d’alcool et de tabac. 21.4.2.  Traitements systématiques Les traitements systématiques sont : • la supplémentation en acide folique : 2 comprimés/j (10 mg) ; • la kinésithérapie respiratoire incitative ; • la consommation d’eau alcaline (Vichy) ; • la supplémentation en vitamine D adaptée au dosage de la 25-hydroxyvitamine D ; • la supplémentation en fer non systématique mais guidée par la ferritinémie ; attention au risque d’augmentation rapide et excessive d’hémoglobine (notamment chez les patients SC et Sβ+-thalassémiques) ; • l’aspirine à faible dose 100 mg/j, qui n’est actuellement pas systématique mais prescrite en cas de facteurs surajoutés de pré-éclampsie (hypertension artérielle, antécédent de pré-éclampsie) ;

21.4.3.1.  Indications transfusionnelles. Un programme transfusionnel sera institué en cas de :

• programme transfusionnel débuté avant la grossesse ; • relais d’un traitement de fond par hydroxyurée arrêté pour la grossesse ; • atteinte organique sévère préexistante : insuffisance rénale, insuffisance cardiaque ; • antécédents obstétricaux sévères ; • survenue au cours de la grossesse d’une crise vaso-occlusive sévère ou de crises répétées ou d’un syndrome thoracique aigu ; • anémie avec retentissement clinique maternel et/ou fœtal. Les transfusions sont habituellement débutées à partir de 22–26 SA. En dehors de ces situations, des transfusions ponctuelles peuvent être discutées au cas par cas (intervention chirurgicale, voyage en avion, etc.). À noter que la plupart des patientes SC et Sβ+-thalassémique ne nécessite pas de transfusion car sont moins symptomatiques. Si elles sont transfusées, la concentration d’hémoglobine posttransfusionnelle ne doit jamais dépasser 12 g/dL pour éviter le risque d’aggravation clinique par élévation de la viscosité sanguine. Dans l’état actuel des connaissances, on ne peut fixer d’objectif de pourcentage d’hémoglobine A à atteindre pendant la grossesse. 21.4.3.2.  Modalités transfusionnelles. Les culots globulaires prescrits seront phénotypés pour les systèmes Rhésus, Kell, déleucocytés et compatibilisés. Le protocole transfusionnel tiendra compte des allo-anticorps connus (cf. recommandation « Indications et modalités transfusionnelles » [Annexe 25]).

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Il s’agira de transfusion sanguine simple si la concentration d’hémoglobine est inférieure à 7,5 g/dL, ou d’échange transfusionnel si elle est supérieur à 7,5 g/dL (pour les volumes de saignées, cf. recommandation «  Indications et modalités transfusionnelles » [Annexe 25]). Les échanges seront manuels ou automatisés si cette technique est disponible et si les patientes sont déjà en programme d’échange transfusionnel par érythraphérèse. Évaluer l’efficacité des transfusions sanguines par la mesure des taux d’hémoglobine A qui seront à prélever avant et après chaque transfusion. Quand un programme transfusionnel est débuté, il est en général prévu deux concentrés érythrocytaires toutes les 3 à 4 semaines en cas d’échange manuel, et de cinq à sept (soit une masse érythrocytaire et demie) toutes les 5 à 6 semaines en cas d’érythraphérèse. L’objectif, lorsque qu’un programme transfusionnel prophylactique est nécessaire, est d’obtenir à l’accouchement une concentration d’hémoglobine entre 8 et 10 g/dL. L’objectif en termes de pourcentages d’hémoglobine S et A dépend de l’indication transfusionnelle (cf. recommandation « Indications et modalités transfusionnelles » [Annexe 25]). 21.5.  Traitement des complications Au cours de la grossesse, les patientes seront hospitalisées pour toute crise vaso-occlusive, ou en présence de douleurs atypiques, de douleur thoracique ou de fièvre. Les complications de la drépanocytose seront traitées selon les modalités classiques (cf. recommandation « Crise douloureuse aiguë » [B1]). Le transfert dans un service de réanimation ou de soins continus doit être envisagé dès l’apparition de signes de gravité, notamment en cas de syndrome thoracique aigu, sepsis sévère ou pré-éclampsie. 21.5.1.  Oxygénothérapie Une oxygénothérapie à faible débit (2 à 3 litres/min) est instituée même si la SpO2 est normale. La prescription de la spirométrie incitative doit être systématique (Respiflow®). 21.5.2.  Transfusion L’indication d’une transfusion sera discutée au cas par cas. En cas de pré-éclampsie ou de cardiopathie sous-jacente, il faudra faire un bilan « entrée – sortie » du fait du risque de surcharge volémique. 21.5.3.  Traitement thromboprophylactique par héparine de bas poids moléculaire Il devra être mis en place dès l’entrée en hospitalisation sauf en cas de risque d’accouchement imminent. La thrombose et l’embolie pulmonaire sont plus fréquentes chez les femmes enceintes drépanocytaires et doivent être évoquées notamment devant tout syndrome thoracique aigu. Si une embolie pulmonaire est suspectée, un traitement par héparine de bas poids moléculaire à dose efficace doit être débuté jusqu’à la réalisation d’un angioscanner ou d’une scintigraphie pulmonaire. Les D-dimères ne sont informatifs que s’ils sont négatifs car ils sont le plus souvent élevés de façon indépendante lors des grossesses et chez les patients drépanocytaires même en dehors de tout phénomène thromboembolique. 21.5.4.  Prise en charge du nouveau-né et des autres complications En cas d’infection au dernier trimestre de grossesse, il faudra prévenir l’équipe de pédiatrie qui prendra en charge le nouveau-né.

Parmi les autres complications à noter, l’anémie arégénérative secondaire à une érythroblastopénie à érythrovirus B19 sera traitée par un soutien transfusionnel ; mais du fait d’une possible transmission, la patiente devra être isolée et le fœtus surveillé. Il faudra prévenir les pédiatres en cas d’utilisation de fortes doses d’opioïdes juste avant ou pendant l’accouchement car ils peuvent être responsables d’un syndrome de sevrage néonatal voire d’une détresse respiratoire. 21.6.  Accouchement Il existe une augmentation de la morbi-mortalité périnatale et particulièrement à un stade avancé de grossesse  : risque majoré de pré-éclampsie, d’hématome rétroplacentaire et de crise vaso-occlusive. Du fait de ces complications et de la fréquence des retards de croissance intra-utérins, un accouchement avant 39 SA est recommandé. À partir de 36 SA, les patientes doivent être suivies à la maternité de façon hebdomadaire pour un monitoring maternofœtal et en cas de signe de complication maternelle ou fœtale (hypertension, protéinurie, retard de croissance intra-utérin), il faut préparer l’accouchement. La surveillance rapprochée se justifie par le risque de complication rapide du fait de la faible réserve du placenta. Une mise en travail spontané et un accouchement par voie basse sont possibles. Les indications de césariennes doivent reposer sur les indications obstétricales usuelles, plus les indications spécifiques suivantes : • les risques hémorragiques cérébraux (anévrysme ou Moya-Moya) ; • décollement de rétine contre-indiquant les efforts expulsifs ; • à discuter : patientes avec ostéonécroses de hanche sévères et limitation des amplitudes articulaires ne pouvant pas être installées en abduction. Les anomalies de forme et de taille du bassin sont fréquentes chez les patientes drépanocytaires, ce qui peut nécessiter une radiopelvimétrie avant de donner l’accord d’un accouchement par voie basse. Prise en charge de l’accouchement Objectif : éviter tous les facteurs favorisant la falciformation : douleur, hypoxie, points de compression, hypothermie, infection, acidose, déshydratation et le stress. Prélever un bilan biologique  : hémogramme, hémostase, ionogramme sanguin, LDH, recherche des agglutinines irrégulières Mesures dès que la patiente est mise à jeun :

Hydrater par perfusion (2 500 à 3 000 mL/24 h) Mesures à prendre dès l’entrée en salle d’accouchement (ou au bloc) : Oxygène au masque (3 litres/min) Antibioprophylaxie selon les recommandations habituelles chez toute femme enceinte Réchauffer si besoin (couverture chauffante) Alcalinisation intraveineuse uniquement si besoin et selon les données de la gazométrie sanguine Analgésie péridurale Médicaments à utiliser avec prudence : prostaglandines intraveineuses, diurétiques. Les corticoïdes peuvent être utilisés sous couvert d’échange transfusionnel. Si l’accouchement a lieu quelques heures après une érythraphérèse, il faudra tenir compte de l’utilisation de



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l’anticoagulation par citrate nécessaire pour cette procédure transfusionnelle. Il n’y a pas lieu de mettre en place une antibiothérapie prophylactique pendant le travail, mais un traitement antibiotique sera prescrit en cas de suspicion d’infection. Un traitement prophylactique des thromboses veineuses (bas de contention et héparine de bas poids moléculaire) en postpartum sera institué chez les femmes n’ayant pas de facteurs de risque de thrombose supplémentaire. En cas de césarienne, une anesthésie locorégionale (rachianesthésie, péridurale ou rachi-péridurale combinée) est préférable du fait du risque de complications potentielles lors de l’anesthésie générale. 21.7.  Postpartum Le postpartum immédiat représente une période à très haut risque. Le suivi doit donc être strict, notamment dans les 48 premières heures, éventuellement dans un service de réanimation ou de soins continus. Il convient de continuer l’hydratation et l’oxygénation jusqu’à la sortie de la maternité. L’apport de fer doit être discuté en cas de carence martiale (à moduler si patiente SC ou S-β+-thalassémique, maintenue parfois en carence martiale pour éviter hyperviscosité). La mobilisation précoce est encouragée mais le traitement thromboprophylactique par héparine de bas poids moléculaire est poursuivi 7 jours après un accouchement par voie basse ou toute la durée de l’hospitalisation et 6 semaines après une césarienne. L’allaitement est possible sous réserve d’une hydratation suffisante (environ 3 litres par jour dont 1 litre d’eau de Vichy) et de l’éviction des traitements contre-indiqués (opiacés, anti-

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inflammatoires non stéroïdiens et hydroxyurée notamment), et après s’être assuré que la sérologie HTLV-1 et –  2 était négative (l’allaitement étant le mode de transmission principal de l’HTLV). Si un traitement antalgique plus fort que le paracétamol ou les anti-inflammatoires non stéroïdiens est nécessaire : dans les 2 à 4 jours qui suivent l’accouchement le tramadol ou l’Acupan® peuvent être utilisés. Au-delà, un traitement par codéine est envisageable à condition qu’il soit bref (de l’ordre de 2 à 3 jours) et à la dose la plus faible possible. En cas d’utilisation de codéine plus prolongée ou d’antalgiques opioïdes mixtes ou forts, les patientes doivent utiliser un tire-lait et jeter leur lait dans les 24 heures qui suivent la prise. La durée d’allaitement devrait être adaptée au profil de la mère : s’il s’agit d’une patiente très symptomatique ayant une indication formelle à l’hydroxyurée, un sevrage rapide (3 mois) sera encouragé pour pouvoir réintroduire ce traitement. 21.8.  Interruption de grossesse En cas d’interruption volontaire ou médicale de grossesse, les mesures de précaution à prendre sont les mêmes qu’à l’accouchement. Le type d’interruption et l’éventualité d’un échange transfusionnel doivent être discutés au cas par cas avec le médecin référent pour la drépanocytose. Il est préférable que les patientes soient surveillées durant 24 heures après le geste. 21.9.  Contraception postpartum La patiente doit sortir avec des conseils pour sa contraception. Aucun mode de contraception n’est contre-indiqué (cf. recommandation « Contraception » [Annexe 22]).

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Annexe 22. Contraception : questions/réponses 22.1.  Faut-il proposer une contraception aux patientes drépanocytaires ? Oui, certainement car toute grossesse drépanocytaire doit être planifiée. En cas de prise d’hydroxyurée en traitement de fond, une contraception est nécessaire car il existe un risque tératogène théorique. 22.2.  Quels conseils donner à une patiente drépanocytaire en âge de procréer concernant la grossesse ? • Toute grossesse est à risque majoré pour la mère et le fœtus (morbi-mortalité importante). Elle doit donc être planifiée et suivie dans une maternité de niveau 3. Toute patiente drépanocytaire doit en être informée. • Un conseil génétique doit être délivré à toute femme désireuse de grossesse. Il faut évoquer, entre autre, la possibilité d’un diagnostic prénatal, si le couple est à risque d’avoir un enfant malade. • Une grossesse ne doit se programmer que lorsque la maladie est stable (peu de crise, à distance d’un syndrome thoracique, facteurs déclenchant de crises vaso-occlusives contrôlés, etc.). • Des transfusions ou échanges transfusionnels mensuels peuvent être nécessaires au cours de la grossesse (cf. recommandation « Grossesse » [Annexe 21]). 22.3.  Quelle contraception proposer ?

traitement peut entraîner des troubles du cycle et un arrêt des règles et parfois des « spotting ». 22.3.3.  Stérilet Il n’est pas contre-indiqué chez la patiente drépanocytaire. Il faudra être vigilant sur le risque infectieux (augmenté dans la drépanocytose). Les valvulopathies et la nulliparité en contredisent l’utilisation. 22.3.4.  Contraception mécanique par préservatif féminin ou masculin 22.4.  Quel traitement proposer aux femmes ayant des crises vaso-occlusives rythmées par les cycles menstruels ? Un traitement par progestatif en continu (cf. supra) paraît être indiqué dans ces cas afin de régulariser les cycles. Les œstroprogestatifs peuvent aussi être testés. 22.5.  Faut-il arrêter la pilule durant une crise vaso-occlusive ? Non, l’avis d’expert est de continuer la prise de la pilule, mais aucune étude n’a été réalisée à ce sujet. 22.6.  Que faire si la pilule est oubliée ou non prise du fait d’une hospitalisation pour une crise vaso-occlusive ? Les conseils en cas d’arrêt de la contraception sont à adapter en fonction du type de pilule et de la date d’arrêt par rapport au cycle et à un rapport non protégé éventuel. Il peut alors être nécessaire d’avoir recours à une pilule du lendemain.

Tous les types de contraceptions peuvent être proposés en respectant les contre-indications et la surveillance habituelle.

22.7.  Quelles sont les interactions médicamenteuses à prendre en compte ?

22.3.1.  Pilules contraceptives

La rifampicine et le phénobarbital, inducteurs enzymatiques, diminuent l’efficacité des pilules.

La contraception hormonale peut théoriquement accentuer le risque de crise vaso-occlusive et de thrombose veineuse profonde mais cela n’a été montré par aucune étude que ce soit pour les pilules progestatives pures ou œstroprogestatives. Certaines études tendent même à montrer une amélioration de la symptomatologie vaso-occlusive et des paramètres biologiques lors de l’utilisation de progestatif à libération prolongée. 22.3.1.1.  Pilules progestatives pures. Les pilules macrodosés seront préférées, car les pilules microdosés sont à prendre à heures fixes. Par exemple  : Lutéran® 10  mg (1 comprimé/j) pendant 20 jours, arrêt 10 jours et reprise (conservation des règles), ou en continu (arrêt des règles). 22.3.1.2.  Pilules œstroprogestatives. Les pilules de deuxième génération seront préférées, car ce traitement est bien toléré, avec un risque moindre de complications thromboemboliques que celles de troisième ou quatrième génération. 22.3.2.  Dispositifs diffuseur d’hormone Les microprogestatifs peuvent également être administrés par implant sous-cutané (Nexplanon®) ou par dispositif intrautérin (Mirena®) avec une durée d’utilisation respectivement de 3 et 5 ans. Cela paraît un bon moyen de contraception. Ce

22.8.  Peut-on prescrire la pilule du lendemain et comment ? Oui (avis d’expert), dans les 72 heures après le rapport sexuel, on peut proposer des progestatifs : Norlevo® 1 comprimé dans les 72 heures après le rapport sexuel, à renouveler 12 heures plus tard. Plus la contraception d’urgence est débutée tôt, plus elle est efficace. Il faut conseiller à la patiente de bien s’hydrater et de rester au calme après cette prise afin de prévenir une éventuelle crise. 22.9.  Quel moyen utiliser pour une interruption volontaire de grossesse ? Devant une demande d’interruption volontaire de grossesse, le gynécologue doit prévenir le médecin responsable du suivi de la drépanocytose, car il existe un risque de crise après l’intervention. Une hyperhydratation et le repos préventifs doivent être conseillés. La méthode par aspiration utérine est à privilégier. Un échange transfusionnel doit être discuté, mais n’est pas systématiquement nécessaire. Le RU 486 (anti-progestérone) est à éviter car il peut déclencher des crises vaso-occlusives graves.



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Annexe 23. Prise en charge psychologique du patient drépanocytaire Par son arrivée inopinée, la crise drépanocytaire provoque une rupture dans l’équilibre de vie du patient. Ses capacités d’adaptation et de maîtrise sont dépassées, tant par la fulgurance du ressenti, que par les affects qui y sont nécessairement associés : anxiété, affects dépressifs, angoisse de mort et d’anéantissement, angoisse d’abandon. La douleur physique est toujours intriquée à une douleur morale, il est donc indispensable de traiter ces symptômes par des anxiolytiques adaptés (Atarax®). Après ce premier temps de la crise, où la priorité consiste en la sédation de la douleur, l’apaisement somatique qui s’installe progressivement permettra de juger de la nécessité d’une intervention psychologique spécialisée. En effet, la crise pourra s’inscrire comme une ultime péripétie de la maladie et n’engendrer qu’une déstabilisation temporaire du malade qui reprendra ensuite le cours normal de sa vie ; mais elle pourra parfois induire des bouleversements profonds et une remise en question de ses repères. Cela notamment dans les périodes de fragilité (rupture familiale ou amoureuse, chômage, échec scolaire, deuil, survenu d’un handicap physique), ou lorsque existe un état dépressif latent qui pourra se prolonger, en l’absence d’une prise en charge adaptée, en syndrome dépressif majeur et parfois massif. Ainsi, lorsque perdurent : • une anxiété trop forte ; • la tristesse ; • des douleurs résiduelles entraînant une consommation excessive de sédatifs ; • des plaintes multiples.

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Ou lorsque s’installent : • des préoccupations hypocondriaques ; • des craintes révélant des phénomènes phobiques ; • un discours emprunt d’un sentiment de dévalorisation de l’image de soi ; • asthénie tant somatique que psychique ; • agressivité, revendication ou demandes multiples en direction du personnel soignant ; • des douleurs viscérales inexpliquées, des céphalées ; • un repli sur soi, isolement, pleurs, moues. L’intervention du psychologue dans le contexte de l’hospitalisation permettra non seulement d’évaluer l’impact traumatique de la crise et la qualité des processus de défense mais aussi d’accompagner les remaniements psychiques qui s’opèrent. Il lui appartiendra, le cas échéant de proposer au malade la poursuite de la prise en charge après l’hospitalisation sous la forme et avec les outils thérapeutiques qui lui sembleront adaptés. Étant donnée l’étroite interaction qui existe entre la physiopathologie drépanocytaire et l’état psycho-affectif du patient, un tableau de morbidité majeure et des crises vaso-occlusives récurrentes amèneront toujours à tenir compte du contexte social, professionnel, familial et affectif du patient et à proposer là encore si nécessaire une prise en charge psychologique. Cette démarche pourra se révéler particulièrement opportune à l’occasion de la mise en place de nouveaux traitements, décision d’actes chirurgicaux, où lors d’annonces de complication nécessitant la mise en place de stratégies thérapeutiques, parfois lourdes.

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Annexe 24. Recommandations vaccinales chez les patients adultes atteints de syndrome drépanocytaire majeur 24.1.  Comme chez tous les patients adultes

antérieure par vaccin polyosidique non conjugué) : deux doses sont injectées à 8 semaines d’intervalle. La fréquence des rappels reste à déterminer.

24.1.1.  Diphtérie – tétanos – poliomyélite (coqueluche)

24.2.3.  Vaccin monovalent B conjugué B

Le calendrier vaccinal 2013 préconise des rappels de la vaccination contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite (DTP) à 25 ans, 45 ans et 65 ans, puis tous les 10 ans [28]. Prévoir une dose de DTPa (contenant le vaccin coqueluche acellulaire), s’il n’y pas eu de vaccination contre la coqueluche depuis 10 ans, de préférence avec le rappel de 25 ans ou en cas de projet de grossesse.

La vaccination comporte l’injection de deux doses à 1 mois d’intervalle. La fréquence des rappels est à déterminer.

24.1.2.  Hépatite B 24.1.2.1.  Cas général. La vaccination comporte trois injections à 0, 1 mois et 6 mois (avec ou sans un à trois rappel(s) supplémentaire(s) si les anticorps anti-VHB sont inférieurs à 10 UI, 1 à 2 mois après la dernière vaccination. Ne pas dépasser six doses au total). 24.1.2.2.  Voyage en zone d’endémie d’hépatite B. Dans des cas de départ imminent en zone d’endémie d’hépatite B, un protocole de vaccination accéléré est possible : trois doses à j0, j7 à j10, j21 et rappel à 1 an. 24.1.3.  Rougeole – oreillons – rubéole (ROR) Pour les personnes nées avant 1980, il est nécessaire de faire une injection et deux injections au total pour les personnes nées après 1980 et les femmes non immunisées en âge de procréer. 24.1.4.  Papillomavirus chez les femmes non vaccinées, de 18 à 19 ans révolus La vaccination comporte l’injection de trois doses à 0, 1 mois ou 2 mois (selon la spécialité vaccinale) et 6 mois. 24.1.5.  Varicelle chez l’adulte sans antécédent clinique (sous réserve d’une sérologie négative) La vaccination est recommandée chez la femme en âge de procréer, les professionnels de santé ou en charge de la petite enfance et en cas de contact avec un cas de varicelle dans les 3 jours après l’exposition. 24.2.  Vaccinations recommandées spécifiquement chez le patient drépanocytaire (du fait de l’asplénie) 24.2.1.  Pneumocoque Jusqu’à récemment la vaccination était proposée par vaccin polyosidique non conjugué tous les 5 ans. Les recommandations récentes indiquent de faire un vaccin conjugué 13-valent (au moins 3 ans après le dernier vaccin non conjugué), puis un vaccin non conjugué au moins 8 semaines après le vaccin conjugué (une étude randomisée d’efficacité immunologique est en cours chez le patient drépanocytaire adulte pour valider la supériorité de cette double vaccination par rapport au vaccin non conjugué seul). La fréquence des rappels reste à déterminer. 24.2.2.  Méningocoque La vaccination est recommandée par vaccin tétravalent conjugué ACYW135 (au moins 3  ans après une vaccination

24.2.4.  Haemophilus influenza b La vaccination comporte l’injection d’une dose unique de vaccin conjugué (si elle n’a pas été faite dans l’enfance). 24.2.5.  Grippe saisonnière La vaccination est recommandée avec le vaccin annuel. 24.3.  Vaccins en cas de voyage en Afrique 24.3.1.  Fièvre jaune La vaccination doit être faite au moins 10 jours avant le départ pour des séjours dans plupart des pays d’Afrique tropicale (et en Amérique Latine). Elle est faite uniquement en centre de vaccination agréée. Faire un rappel tous les 10 ans. La vaccination est contre-indiquée chez la femme enceinte. Elle est possible sous hydroxyurée ou hydroxycarbamide, sous réserve de l’absence de leucopénie. Une sérologie de la fièvre jaune est conseillée pour contrôler l’immunité avant un rappel antiamarile. 24.3.2.  Hépatite A Si la sérologie recherchant les IgG anti-hépatite A est négative (sérologie à faire pour les patients ayant passé leur enfance en zone d’endémie ou nées avant 1945), la vaccination est faite par une injection au moins 15 jours avant le départ, puis un rappel entre 6 et 12 mois plus tard (le rappel peut être repoussé jusqu’à 5 ans). 24.3.3.  Typhoïde La vaccination est recommandée au moins 15 jours avant le départ pour les séjours prolongés ou dans des pays où l’hygiène est précaire et la maladie endémique, particulièrement dans le sous-continent indien. Faire un rappel tous les 3 ans. Dans les périodes de difficultés d’approvisionnement, la vaccination est possible uniquement dans les centres de vaccination internationale agréés. Ne pas oublier pour tout séjour en zone d’endémicité palustre les mesures préventives, en particulier la chimioprophylaxie (cf. recommandation «  Recommandations pour les voyages » [Annexe 31]). Les principaux vaccins disponibles en France sont répertoriés dans le Tableau 14. 24.3.4.  Sources d’information sur la vaccination Pour plus de détails, consulter : • les recommandations du Haut Conseil de la santé publique « Vaccination des sujets immunodéprimés ou aspléniques » (mise à jour prévue 2014) [29] ; • le calendrier vaccinal 2013 du ministère des Affaires sociales et de la Santé [28] ; • le guide des vaccinations et calendrier des vaccinations 2014 de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) sur son site Internet [30].



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Tableau 14 Principaux vaccins disponibles en France. Vaccins

Noms commerciaux

Diphtérie – tétanos – poliomyélite

Revaxis®

Diphtérie – tétanos – poliomyélite – coqueluche

Repevax® Boostrixtetra®

Hépatite B

Engerix B 20 µg®, Genhevac B 20 µg®

Papillomavirus

Gardasil®, Cervarix®

Pneumocoque non conjugué

Pneumo 23®

Pneumocoque conjugué 13-valent

Prévenar 13®

Rougeole – oreillons – rubéole

Priorix®, M-M-R Vax ProR®

Haemophilus influenzae b

Act Hib®

Méningocoque conjugué ACYW135

Nimenrix®, Menveo® a

Méningocoque B

Bexsero®

Hépatite A

Havrix®, Avaxim® a

Typhoïde

Typhim Vi®, Typherix®

Vaccin combiné hépatite A – typhoïde

Tyavax® a

Vaccin combiné hépatite A – hépatite B

Twinrix® a

Grippe

Vaxigrip®, Influvac®

a Non

remboursé en 2014.

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Annexe 25. Indications et modalités transfusionnelles chez le patient drépanocytaire adulte Un geste transfusionnel, transfusion simple ou échange transfusionnel aussi appelé exsanguinotransfusion, a pour but soit de corriger une anémie mal tolérée, soit de diminuer la proportion d’hématies drépanocytaires dans le but d’améliorer la perfusion tissulaire. Le risque le plus important est l’hémolyse post-transfusionnelle retardée, qui est notamment favorisée par les différences de phénotype érythrocytaire entre les patients d’origine afro-antillaise et les donneurs de sang en France en majorité caucasiens. En cas d’existence d’antécédent d’hémolyse posttransfusionnelle, ou d’allo-immunisation complexe les indications transfusionnelles seront restreintes aux situations mettant en jeu le pronostic vital.

25.3.2.  Complication aiguë grave Les indications formelles d’échange transfusionnel ponctuel sont pour les équipes spécialisées la survenue des complications suivantes : • AVC ; • syndrome thoracique sévère (cf. recommandation « Syndrome thoracique aigu » [Annexe 6]) ; • crise vaso-occlusive hyperalgique avec effets secondaires limitant l’utilisation de morphiniques, après avoir éliminé des facteurs aggravants physiques ou psychiques ; • priapisme aigu pris en charge tardivement (plus de 3 heures d’évolution) ; • défaillance multiviscérale ; • infection sévère ; • toute complication grave intercurrente pouvant mettre en jeu le pronostic vital ou fonctionnel ; • nécrose médullaire ; • crise vaso-occlusive chez la femme enceinte (cf. recommandation « Grossesse » [Annexe 21]) ; • surdité aiguë, et dans certain cas vertige.

25.1.  Bilan avant la première transfusion En plus de la recherche d’agglutinines irrégulières prétransfusionnelle réglementaire, il est recommandé de pratiquer un phénotype érythrocytaire étendu (Rhésus, Kell, Kidd, Duffy, MNS, etc.). Il est aussi impératif de récupérer l’historique des résultats de recherches d’agglutinines irrégulières du patient (dans les ­différents hôpitaux où il a été pris en charge), de manière à pouvoir en tenir compte pour le choix des concentrés érythrocytaires. 25.2.  Type de produits sanguins prescrits En France, pour les patients non immunisés (recherche d’agglutinines irrégulières négative le jour de la transfusion et dans l’historique), les concentrés érythrocytaires délivrés sont phénotypés Rhésus (D, C, E, c, e) et Kell, et compatibilisés au laboratoire. Une recherche d’agglutinines irrégulières prétransfusionnelle positive ou une positivité dans l’historique doit conduire à étendre la compatibilité phénotypique érythrocytaire des concentrés érythrocytaires transfusés, à la spécificité des alloanticorps connus, mais aussi aux principaux systèmes de groupes sanguins immunogènes (Kidd, Duffy, MNS, etc.). 25.3.  Indications transfusionnelles Deux situations peuvent être distinguées : • le geste transfusionnel ponctuel (transfusion simple ou échange transfusionnel) qui a pour but de prévenir ou de traiter une complication aiguë ; • le programme chronique dans lequel la transfusion ou l’échange transfusionnel sont utilisés pour la prévention primaire ou secondaire de complications. 25.3.1.  Correction d’une anémie d’installation rapide et mal tolérée avec érythropoïèse insuffisante Dans la plupart des cas, un patient ayant une bonne tolérance clinique, une concentration d’hémoglobine supérieure à 6 g/dL avec plus de 150 000 réticulocytes/mm3 ne nécessite pas de transfusion. Dans les autres cas, l’indication transfusionnelle se discute en fonction du degré de l’anémie, de sa tolérance clinique, de l’amplitude de la réponse réticulocytaire et de l’hémoglobine de base. En cas d’érythroblastopénie la transfusion est souvent nécessaire.

25.3.3.  Complication chronique Un programme transfusionnel chronique est indiqué pour la prévention ou le traitement d’une complication sévère. Dans tous les cas, la poursuite de ce programme doit être réévaluée périodiquement en fonction de l’efficacité, des voies d’abord veineux, de la surcharge en fer et de l’apparition d’anticorps. La transfusion sanguine est programmée toutes les 3 à 6 semaines. 25.3.3.1.  Objectif de maintien de l’hémoglobine S en dessous de 30 %. Les indications d’un programme transfusionnel chronique sont : • la prévention primaire de l’AVC en cas de doppler transcrânien pathologique ou de vasculopathie cérébrale sténosante avérée à l’imagerie ; • la prévention secondaire de l’AVC en cas de vasculopathie sténosante 25.3.3.2.  Objectif de maintien de l’hémoglobine S en dessous de 40 à 60 %. Un programme transfusionnel chronique peut être discuté en cas de : • récidive de syndrome thoracique aigu grave ou récidivant en attendant l’efficacité de l’hydroxyurée, ou en cas d’échec ou de contre-indication d’un traitement par hydroxyurée ; • crises douloureuses fréquentes, en attendant l’efficacité de l’hydroxyurée ou en cas d’échec ou de contre-indication d’un traitement par hydroxyurée ; • hypertension artérielle pulmonaire confirmée au cathétérisme ; • insuffisance rénale chronique sévère ; • insuffisance cardiaque chronique symptomatique ; • ulcères de jambe rebelles ; • grossesse sans être systématique (cf. recommandation « Grossesse » [Annexe 21]). 25.3.4.  Préparation à l’anesthésie générale Le risque de complications postopératoires vaso-occlusives est élevé chez les patients drépanocytaires. L’indication et les modalités transfusionnelles dépendent du type d’intervention et des antécédents du patient (cf. «  Période périopératoire » [Annexe 26]).



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25.3.5.  Préparation à un examen invasif L’indication sera discutée en fonction du geste, des antécédents du patient (cf. « Période périopératoire » [Annexe 26]). 25.3.6.  Indications inappropriées Les situations cliniques suivantes ne sont pas des indications de transfusion ou d’échange transfusionnel : • l’anémie chronique stable ; • les crises douloureuses non compliquées ; • les infections non sévères ; • la petite chirurgie ne nécessitant pas d’anesthésie générale prolongée ; • l’ostéonécrose aseptique de hanche ou d’épaule. 25.3.7.  Contre-indications de la transfusion Les contre-indications de la transfusion sont : • des antécédents d’hémolyse post-transfusionnelle ou d’inefficacité transfusionnelle ; • une poly allo-immunisation. 25.4.  Modalités transfusionnelles Il s’agit de transfusion simple ou d’échange en fonction de l’hémoglobine au moment du geste transfusionnel. Les volumes sanguins peuvent être échangés par voie manuelle ou à l’aide d’un séparateur de cellules (érythraphérèse).

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la transfusion lorsque les culots sont prêts à être perfusés. Il n’est pas indispensable de compenser par voie intraveineuse les volumes retirés sauf en cas de vasculopathie cérébrale, une hydratation par voie orale suffit. Dans les programmes chroniques, il faudra augmenter les volumes des saignées pour diminuer le risque d’hémochromatose et éviter les complications de l’hyperviscosité. Avant la réalisation de la première saignée, il faudra tenir compte de l’état hémodynamique. Le contrôle de l’hémogramme et du pourcentage d’hémoglobine A post-transfusionnel permet d’aider dans l’appréciation du rendement transfusionnel. Le taux d’hémoglobine S permet de surveiller l’efficacité de l’échange. Si le taux d’hémoglobine S est supérieur ou diminue difficilement après les échanges, il faut vérifier le rendement transfusionnel avec les dosages d’hémoglobine S rapprochés et suivre le pourcentage d’hémoglobine A et évoquer le diagnostic d’hémolyse post-transfusionnelle retardée ou d’inefficacité transfusionnelle (cf. recommandation « Hémolyse post-transfusionnelle retardée » [Annexe 11]). En moyenne l’hémoglobine S diminue de 6 à 12 % par concentré érythrocytaire. 25.4.2.2.  Transfusion. En cas de transfusion pour les patients ayant une complication aiguë et une concentration d’hémoglobine inférieure à 8 g/dL, il est préférable de prévoir deux concentrés érythrocytaires d’emblée. Le Tableau 15 est adapté aux échanges en urgence. Les échanges devront parfois être répétés. L’objectif d’hémoglobine S final dépend de l’indication. Un concentré érythrocytaire permet de diminuer l’hémoglobine S de 6 à 12 %. 25.4.3.  Échange érythrocytaire automatisé (érythraphérèse)

25.4.1.  Transfusion simple La transfusion simple est indiquée si l’anémie est profonde. 25.4.2.  Échange transfusionnel manuel La plupart des indications de geste transfusionnel dans la drépanocytose vise à diminuer la proportion d’hématies drépanocytaires. L’hématocrite post-transfusionnel doit être maintenu en dessous de 33 % pour éviter les complications de l’hyperviscosité sanguine (crise vaso-occlusive, thromboses, troubles neurosensoriels). La procédure d’échange est simple et peut être réalisée en urgence dans tous les services. Elle comprend deux étapes : la saignée et la transfusion. 25.4.2.1.  Saignée. Le volume des saignées dépend de l’hémoglobine. En cas de volume de saignée supérieur à 7 mL/ kg de poids, elle sera faite en deux fois (cf. Tableau 15). La première saignée se fait avec le prélèvement pour la recherche d’agglutinines irrégulières et la deuxième se fait juste avant

Les échanges transfusionnels sur séparateur de cellules sont plus rapides, plus efficaces, et mieux tolérés sur le plan volémique (évitent les variations volémiques importantes) et n’entraînent pas de surcharge martiale. C’est la technique idéale pour les patients qui nécessitent un programme d’échange au long cours. Les volumes échangés sont l’équivalent d’une masse érythrocytaire, correspondant à quatre à huit concentrés érythrocytaires. Cependant, ils nécessitent deux voies d’abord veineuses dont une de gros calibre, ce qui est un facteur limitant chez de nombreux patients. En situation aiguë, la pose d’un cathéter central peut être nécessaire. En cas d’échange érythrocytaire au long cours (i.e. vasculopathie cérébrale), la réalisation d’une fistule artérioveineuse est parfois nécessaire après avoir validé l’indication du programme transfusionnel en réunion de concertation pluridisciplinaire. L’érythraphérèse n’est pas possible pour le moment sur chambre implantable classique (débit de ponction insuffisant)  ; de nouvelles chambres implantables sont en cours d’évaluation.

Tableau 15 Modalités transfusionnelles pour les patients drépanocytaires selon la concentration initiale d’hémoglobine. Concentration initiale d’hémoglobine Volume de la première saignée

Volume de la deuxième saignée

Nombre de concentrés érythrocytaires

< 6,5 g/dL 7 à 7,5 g/dL 8 g/dL 8,5 g/dL 9 g/dL 9,5 g/dL 10 g/dL 10,5 g/dL 11 g/dL 11,5 g/dL 12 g/dL

0 250 mL 300 mL 350 mL 250 mL 250 mL 350 mL 400 mL 450 mL 450 mL ± 1 saignée le lendemain 450 mL ± 1 saignée le lendemain

2 2 2 2 2 2 2 2 2 2 2

0 0 0 0 200 mL 250 mL 350 mL 350 mL 350 mL 450 mL 450 mL

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Par ailleurs, la procédure d’érythraphérèse nécessite une anticoagulation au citrate, qui doit être prise en compte en cas de risque hémorragique. Le volume des culots dépend des taux d’hémoglobine S et d’hémoglobine cible ; à titre d’exemple, pour obtenir un taux d’hémoglobine S inférieur à 30 % on doit transfuser une masse éryhtrocytaire toutes les 6 semaines (une masse érythrocytaire =  80 mL/kg × hématocrite pour les hommes ou 70  mL/kg × hématocrite pour les femmes). 25.4.4.  Surveillance biologique après échange transfusionnel Le contrôle de l’hémogramme et du pourcentage d’hémoglobine A post-transfusionnel permet d’aider dans l’appréciation du rendement transfusionnel. Les taux d’hémoglobine S et A permettent de surveiller l’efficacité de l’échange. Si le taux d’hé-

moglobine S est supérieur ou diminue difficilement après les échanges, il faut évoquer le diagnostic d’accident transfusionnel retardé ou d’inefficacité transfusionnelle (cf. recommandation «  Hémolyse post-transfusionnelle retardée  »  [Annexe  11]). En moyenne, l’hémoglobine S diminue de 6 à 12 % par culot érythrocytaire (inversement l’hémoglobine A augmente du même taux). Il est indispensable de faire une recherche d’agglutinines irrégulières 3 semaines à 1 mois après la transfusion. Des alloanticorps peuvent apparaître à cette période et ne plus être détectables à distance. Cette recherche d’agglutinines irrégulières post-transfusionnelle permettra de sécuriser immunologiquement une prochaine transfusion en permettant de tenir compte des allo-anticorps détectés, et ainsi, d’éviter une restimulation pouvant conduire à une hémolyse post-transfusionnelle.



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Annexe 26. Recommandation pour la période périopératoire chez un patient drépanocytaire adulte Une intervention chirurgicale s’accompagne d’un risque de complications liées à la drépanocytose, en particulier le syndrome thoracique aigu qui peut survenir même chez des patients dont l’histoire clinique a été jusque-là simple, risque hémorragique (par modification de l’hémostase chez les patients très anémiques [concentration d’hémoglobine inférieure à 7 g/ dL] et par hyperconsommation de facteurs de coagulation chez les malades drépanocytaires), risque infectieux, risque thromboembolique. La préparation à une chirurgie nécessite une coordination entre l’équipe d’anesthésie, le chirurgien et le médecin référent pour la drépanocytose. Il faut vérifier l’accessibilité à une transfusion en urgence ou le recours à un transfert en réanimation si nécessaires. Cette prise en charge dépend de plusieurs éléments : • l’acte chirurgical : le type d’intervention, le degré d’urgence, la durée de l’acte, retentissement respiratoire et hémodynamique ; • les antécédents vaso-occlusifs (notamment syndrome thoracique aigu), la nature et l’importance des complications dégénératives, les antécédents cardiopulmonaires ; • les possibilités transfusionnelles. La question des indications transfusionnelles est très controversée. Des recommandations américaines récentes, à partir de la médecine fondée sur les preuves, conseillent de remonter la concentration d’hémoglobine à 10 g/dL avant la chirurgie. Nous n’adhérons pas à ces recommandations qui ne prennent pas en compte : • l’indispensable individualisation des décisions ; • le risque élevé d’hémolyse post-transfusionnelle. Dans tous les cas, la surveillance per- et postopératoire est aussi importante que les décisions préopératoires. 26.1.  Mesures préopératoires 26.1.1.  Bilan clinicobiologique et imagerie Il faut apprécier la gravité et le retentissement fonctionnel de la maladie drépanocytaire : vasculopathie cérébrale symptomatique ou non, syndrome thoracique aigu, défaillance viscérale (cardiaque, respiratoire ou rénale).

Le bilan comportera : • NFS plaquettes, réticulocytes, groupage sanguin, phénotype érythrocytaire complet, recherche d’agglutinines irrégulières, taux de prothrombine, temps de céphaline activée ionogramme sanguin, créatininémie, bilan hépatique, LDH ; • dosage du pourcentage des hémoglobines S et A en cas de transfusion dans les 3 mois précédents ; • échographie cardiaque (recherche d’une dysfonction ventriculaire gauche, d’une hypertension artérielle pulmonaire) ; • oxymétrie de pouls (SpO2) ; • épreuves fonctionnelles respiratoires en fonction de l’histoire clinique ; • recherche de foyers infectieux systématique avant la mise en place d’un matériel prothétique (notamment prothèse totale de hanche) : recherche de lithiase biliaire, de foyers dentaires ou ORL, examen cytobactériologique des urines ; • angio-IRM cérébrale en cas de chirurgie nécessitant un traitement anticoagulant ou antiagrégant (notamment chirurgie cardiaque, splénectomie) 26.1.2.  Prise en charge transfusionnelle Les indications dépendent du type de chirurgie, des antécédents du patient, et du degré d’urgence (Tableau 16). Elles doivent prendre en compte les antécédents d’allo-immunisation et d’hémolyse post-transfusionnelle qui doivent être recherchés systématiquement dans le dossier et à l’interrogatoire du patient. Dans tous les cas, l’indication de transfusion préopératoire doit être discutée au cas par cas.

L’objectif de la transfusion est soit de corriger une anémie profonde ou de diminuer le pourcentage d’hémoglobine S pour éviter une complication vaso-occlusive. L’échange transfusionnel doit être réalisé dans les 8 jours précédant le geste chirurgical. Le mode transfusionnel est choisi en fonction de la concentration en hémoglobine préopératoire : transfusion simple pour une concentration en hémoglobine inférieure à 8 g/dL, échange transfusionnel manuel pour des concentrations en hémoglobine supérieure ou égale à 8 g/dL, échange érythrocytaire sur machine (si celle-ci est disponible) pour des échanges volumineux (surtout lorsque l’objectif de taux d’hémoglobine S en fin d’échange doit être inférieur à 40 %). Dans tous les cas l’hématocrite après

Tableau 16 Prise en charge transfusionnelle des patients drépanocytaires, en fonction des antécédents du patient, du type d’intervention et de sa duréea. Pas de transfusion ou d’échange transfusionnel

Échange transfusionnel ou transfusion(s) simple(s) de deux à Échange transfusionnel avec un taux trois concentrés érythrocytaires selon le taux d’hémoglobine de d’hémoglobine S inférieur à 30 % base

Petite chirurgie (i.e. circoncision, exérèse ganglionnaire, petite chirurgie cutanée…) Hernie inguinale Adénoïdectomie Cholécystectomie sans antécédent de syndrome thoracique aigu et [Hb] ≥ 8 g/dL Chirurgie orthopédique sans antécédent de syndrome thoracique aigu chez les patients drépanocytaires SC Ponction-réinjection de la tête fémorale (kyphoplastie)

Cholécystectomie avec antécédent de syndrome thoracique aigu Laparotomie Splénectomie Orthopédie (prothèse totale de hanche, etc.) Amygdalectomie Artériographie cérébrale ou coronarographie Intervention en urgence Interruption thérapeutique de grossesse Interruption volontaire de grossesse chez les malades ayant plus de une hospitalisation par an pour crise vaso-occlusive Chirurgie ophtalmologique sous anesthésie générale

Thoracotomie Intervention avec garrot Transplantation Neurochirurgie Angioplastie par voie endovasculaire Chirurgie avec circulation extracorporelle

Hb : hémoglobine. a Ce tableau est donné à titre indicatif. Dans tous les cas, l’indication de transfusion (ou échange transfusionnel) devra être discutée au cas par cas.

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un geste transfusionnel ne doit pas dépasser 33 %. La numération plaquettaire, la calcémie et l’hémostase doivent être vérifiées après une érythraphérèse sur machine (cf. recommandation « Indications et modalités transfusionnelles » [Annexe 25]). En cas de survenue de complications récentes (syndrome thoracique aigu, crises vaso-occlusives à répétition, etc.), un avis auprès du médecin référent de la drépanocytose est nécessaire afin de différer l’intervention ou d’augmenter le volume transfusionnel. 26.1.3.  Autres recommandations préopératoires 26.1.3.1.  Hydratation. L’hydratation orale de 2 litres par jour est à débuter à domicile 48 heures avant l’intervention à domicile et parentérale dès que le patient est à jeun (1,5 à 2 litres par jour). 26.1.3.2.  Prévention de l’acidose. La prévention de l’acidose comporte la prise orale d’eau de Vichy ; éviter les sodas. 26.1.3.3.  Kinésithérapie respiratoire. La kinésithérapie respiration avec exercices d’ampliation thoracique est recommandée avant les interventions abdominales, et la spirométrie incitative (Respiflow®) 1 semaine avant toute intervention, à domicile, trois fois 10 minutes par jour. Si le patient n’est pas formé, une séance de kinésithérapie pourra être proposée. Des bronchodilatateurs (β2-mimétiques) sont indiqués en cas de trouble ventilatoire obstructif. Cette kinésithérapie sera poursuivie après la chirurgie (cf. paragraphe prise en charge postopératoire). 26.1.3.4.  Programmation de l’intervention. Il est recommandé de programmer si possible ces patients en début du programme opératoire. 26.2.  Anesthésie Les particularités des mesures anesthésiques chez le patient drépanocytaire reposent avant tout sur la prévention de l’hypoxie, de l’hypovolémie, de l’hypothermie, et de l’acidose respiratoire ou métabolique, et non pas sur le choix d’une technique ou d’un agent anesthésique spécifique. 26.2.1.  Prémédication Les agents peu dépresseurs respiratoires, par exemple l’hydroxyzine (Atarax®, 1 mg/kg) sont préférables. 26.2.2.  Installation L’installation doit être rigoureuse. Les zones de compression, sources de stase sanguine et de nécrose cutanée, doivent être évitées, L’usage des garrots chirurgicaux doit être évité. Si cet usage est indispensable, il faut faire un échange transfusionnel préalable, et lever régulièrement le garrot si c’est possible. 26.2.3.  Prévention de l’hypothermie La prévention de l’hypothermie comportera la diminution des déperditions thermiques cutanées (maintient d’une température ambiante adéquate, utilisation d’un drap chaud sur le corps jusqu’à l’installation des champs) et respiratoires (utilisation d’un nez artificiel pour la ventilation mécanique). Le réchauffement des solutés perfusés est nécessaire si les volumes sont importants et en cas de transfusion abondante. Enfin les moyens de réchauffement seront adaptés à l’acte chirurgical  : utilisation d’une lampe chauffante radiante, de matelas chauffant à eau, et surtout de convecteurs d’air chaud.

26.2.4.  Monitorage Le monitorage se fera au moyen de : • cardioscope ; • oxymètre de pouls : moyen rapide de surveillance de l’oxygénation artérielle périphérique. Cependant, une baisse de la saturation doit conduire à la réalisation d’une gazométrie artérielle, car l’interprétation de la saturation peut être difficile chez les patients drépanocytaires ; • capnographe : outil de surveillance de l’efficacité ventilatoire et élément diagnostique en cas d’épisode vaso-occlusif pulmonaire (chute de l’ETCO2 = CO2 de fin d’expiration) ; • brassard à tension automatique ; • sonde thermique. Selon le type de l’intervention et l’état du sujet, un monitorage plus invasif peut être justifié. 26.2.5.  Voie d’abord La mise place d’un cathéter veineux central est parfois nécessaire compte tenu du faible capital veineux et de la nécessité d’avoir une voie d’abord fiable en cas de complication. Les abords veineux aux membres inférieurs sont contre-indiqués car ils peuvent provoquer l’apparition d’ulcères de jambe. 26.2.6.  Agents anesthésiques Tous les agents d’induction et d’entretien de l’anesthésie peuvent être utilisés. 26.2.7.  Antibiothérapie L’antibioprophylaxie en chirurgie chez le patient drépanocytaire suit les recommandations officielles (Société française d’anesthésie et de réanimation [Sfar] actualisation 2010) [31]. Il existe cependant quelques particularités chez le patient drépanocytaire : • en cas d’allergie à l’antibiotique de première intention, l’antibiothérapie de remplacement doit couvrir les germes encapsulés et notamment le pneumocoque. Ainsi, le schéma suivant est proposé : association de vancomycine et de gentamycine en cas d’allergie aux pénicillines quelle que soit la chirurgie ; • dans le document de la Sfar 2010, il n’y a pas de recommandation spécifique pour la réalisation des fistules artérioveineuses [31]. Une antibioprophylaxie par la vancomycine est recommandée ; • pour toute chirurgie des voies biliaires, y compris une cholécystectomie sous cœlioscopie, la recommandation doit suivre « Chirurgie des voies biliaires ». 26.2.8.  Anesthésie locorégionale L’anesthésie locorégionale peut être utilisée. L’hydratation et l’oxygénothérapie doivent être systématiques et la composante anxieuse doit être prise en charge. L’hypovolémie efficace secondaire au bloc sympathique induit par l’anesthésie rachidienne doit être compensée par un remplissage adéquat. Les agents vasoconstricteurs sont déconseillés. Le refroidissement particulièrement fréquent sous rachianesthésie ou anesthésie péridurale doit être prévenu systématiquement. L’anesthésie locale ou tronculaire est réalisable si l’intervention n’est pas trop longue (inférieure à deux heures). 26.2.9.  Prévention de l’hypoxie La dénitrogénation et la préoxygénation sont indispensables avant l’induction anesthésique. Le protoxyde d’azote peut être



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utilisé à des concentrations inférieures ou égales à 50 %. L’oxygénation périphérique, mesurée par l’intermédiaire de la SpO2 ou de la PaO2, guide le choix de la fraction inspirée d’oxygène. Le contrôle des voies aériennes est strict et repose très largement sur l’intubation trachéale. La ventilation mécanique est là encore très largement indiquée, compte tenu des effets délétères de l’hypoventilation alvéolaire. Chez les patients ayant une maladie respiratoire évoluée ou un syndrome respiratoire obstructif patent, il faudra être particulièrement prudent (hypertrophie amygdalienne par exemple). L’extubation doit être réalisée chez un sujet parfaitement réveillé, normotherme, normovolémique.

aux antalgiques de palier I et II. Elle implique une surveillance rapprochée. Le protoxyde d’azote peut être utile en association avec la morphine, dont il semble potentialiser les effets en temps et en puissance analgésique.

26.2.10.  Prévention de l’hypovolémie, solutés de remplissage

26.4.1.  Amygdalectomie

La compensation rigoureuse des pertes volémiques permet d’éviter la vasoconstriction réflexe, facteur de stase vasculaire et d’acidose tissulaire. Les solutés salés isotoniques, le Ringer lactate chez l’adulte, sont le plus souvent utilisés en première intention. La compensation des pertes sanguines doit être rigoureuse en gardant à l’esprit les risques de l’hyperviscosité. Les gélatines, les hydroxyéthylamidons et l’albumine à 4 % sont utilisés suivant les recommandations habituelles.

Elle nécessite habituellement un échange transfusionnel partiel préalable, car faite sous anesthésie générale, elle comporte un risque renforcé de troubles ventilatoires postopératoires.

26.3.  Prise en charge postopératoire Le risque de survenue des complications, surtout du syndrome thoracique aigu, est très élevé. La surveillance doit être rigoureuse (notamment  : auscultation pulmonaire biquotidienne). Au moindre signe d’appel clinique, il faudra contrôler la numération sanguine, plaquettes, réticulocytes, les paramètres d’hémolyse (LDH, bilirubinémie), ionogramme sanguin, créatininémie. 26.3.1.  Durée d’hospitalisation Il est recommandé de prévoir une durée d’hospitalisation plus longue (au moins 72 heures, suivant le type de chirurgie), afin de détecter d’éventuelles complications de la drépanocytose (crise vaso-occlusive, syndrome thoracique aigu). 26.3.2.  Oxygénothérapie et kinésithérapie respiratoire La kinésithérapie respiratoire (spirométrie incitative, dix inspirations par heure) doit être reprise de façon systématique dès le réveil, et doit être poursuivie après extubation pendant au moins 3 jours après la chirurgie. 26.3.3.  Maintien d’un état volémique et thermique optimal Le maintien d’un état volémique et thermique optimal est nécessaire. 26.3.4.  Traitement de la douleur postopératoire La douleur postopératoire thoracique ou abdominale peut induire une hypoventilation alvéolaire et la survenue d’atélectasies. La morphine reste l’analgésique de référence. Elle peut être utilisée en injections intraveineuses discontinues. L’analgésie autocontrôlée (PCA) est la méthode de choix. Elle sera associée

26.3.5.  Prévention thromboembolique La prévention thromboembolique doit être adaptée au type de chirurgie. 26.4.  Cas particuliers

26.4.2.  Chirurgie orthopédique L’échange transfusionnel peut se faire au bloc lorsqu’on prévoit que l’intervention sera hémorragique. Il faut prévoir au minimum trois concentrés érythrocytaires et compenser les pertes sanguines au décours de l’intervention. En l’absence de saignement, il faut pratiquer une saignée avant la transfusion. 26.4.3.  Cholécystectomie programmée Les patients bénéficient de séances de kinésithérapie systématiques en pré- et postopératoire. En cas d’antécédent(s) de syndrome thoracique aigu ou d’atteinte viscérale (hypertension artérielle pulmonaire, insuffisance rénale, cardiaque ou respiratoire), un échange transfusionnel préalable est à prévoir. 26.4.4.  Splénectomie Elle nécessite une transfusion ou échange transfusionnel préopératoire, les vaccinations contre le pneumocoque (si ces dernières ne sont pas à jour), le méningocoque et l’Hæmophilus influenza et une antibioprophylaxie antipneumococcique par la pénicilline (ou macrolide en cas d’allergie) pendant une période d’au moins 2 ans, voire plus. Compte tenu du risque thrombotique élevé après la splénectomie, une anticoagulation préventive est maintenue un mois après l’intervention et un antiagrégant plaquettaire (aspirine à petite dose) pendant au moins un mois, puis en fonction de la numération plaquettaire (maintenir l’antiaggrégation plaquettaire tant que les plaquettes sont supérieures à 600 000/mm3). Une surveillance rapprochée du malade est nécessaire dans les mois qui suivent la splénectomie en raison d’une possible augmentation des crises vaso-occlusives en rapport avec l’augmentation de la viscosité, devant conduire à une adaptation du traitement de fond de la drépanocytose. 26.4.5.  Interruption volontaire de grossesse, césarienne, curetage Un échange transfusionnel sera proposé en fonction des antécédents de syndrome thoracique aigu. 26.4.6.  Chirurgie en urgence En cas de nécessité de transfusion ou d’échange transfusionnel, celle-ci ne doit pas retarder un geste chirurgical urgent et peut être débutée au bloc opératoire.

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Annexe 27. Voies d’abord veineux chez les patients drépanocytaires adultes : questions/réponses L’accès veineux périphérique nécessaire pour réaliser des bilans sanguins et perfuser les malades drépanocytaires est souvent difficile, et expose aux risques d’infections. Un accès veineux central doit rester exceptionnel, son indication et son type devant être mûrement réfléchis. 27.1.  Problèmes aigus de perfusion 27.1.1.  Question 1. Y-a-t-il un cathéter à utiliser préférentiellement chez ces patients ? Utiliser si possible un cathéter de petit calibre pour épargner les veines de ces patients chroniques (cathéther bleu en priorité [20 Gauges], ou à défaut cathéter rose [22 Gauges]). Mais cela doit être laissé à l’appréciation de l’infirmière, suivant l’état veineux du patient. 27.1.2.  Question 2. Combien de temps peut-on laisser un cathéter en place ? Les perfusions périphériques doivent être changées tous les 3 jours pour diminuer le risque infectieux, chez des patients déjà à risque infectieux élevé. Tout point de ponction inflammatoire doit faire envisager une reperfusion quelle que soit la durée de vie du cathéter. 27.1.3.  Question 3. Que faire en cas d’accès veineux périphérique impossible (patient en crise douloureuse ou avec une autre complication aiguë) ? Dans ces situations les recommandations sont : • Penser aux alternatives à la voie veineuse. On peut utiliser l’hydratation per os ou sous-cutanée, la morphine per os ou sous-cutanée, le protoxyde d’azote. • Ne jamais perfuser aux membres inférieurs (risque infectieux important et risque de provoquer des ulcères). • Tenter de poser une voie jugulaire externe (voie périphérique) si une infirmière ou un médecin disponible ont une expérience de ce geste. • Faire poser un cathéter veineux central double voie, jugulaire interne (une voie pour les prélèvements, l’autre pour la perfusion) ou fémoral. La voie fémorale doit être réservée à des utilisations de courte durée (< 3 jours) voire un échange transfusionnel ponctuel. Il faut avoir le souci permanent de garder un cathéter veineux central le minimum de temps. • Les cathéters centraux à insertion périphérique (PICC-line) peuvent être utiles pour administrer des antibiothérapies intraveineuses mais ne permettent pas facilement les saignées (risque d’occlusion). 27.1.4.  Question 4. Quels soins sont nécessaires sur les cathéters veineux centraux ? Il n’est pas nécessaire de changer systématiquement une voie centrale qui ne paraît pas infectée. L’utilisation d’un pansement semi-perméable et transparent occlusif permet la surveillance visuelle et manuelle quotidienne du site d’insertion du cathéter. L’intervalle optimal de changement du pansement est de 72 heures, mais il dépend de l’état de celui-ci : tout pansement souillé ou non occlusif doit être changé sans délai. Les pansements doivent se faire dans des conditions d’asepsie rigoureuse. La date de réfection du pansement est notée.

27.2.  Problèmes chroniques de voie d’abord veineux 27.2.1.  Question 5. Comment faciliter l’abord veineux périphérique ? Quelques mesures simples pour «  piquer  » les malades sont : • demander au patient de bien s’hydrater dans les 24 heures avant le prélèvement ; • masser les bras sous l’eau chaude ; • conseiller au patient d’éviter de fumer ou de boire du café avant d’être perfusé ; • mettre une couverture chauffante. 27.2.2.  Question 6. Comment réaliser en pratique une saignée – transfusion ? Une procédure complète de saignée est proposée en encadré ci-après. 27.2.3.  Question 7. Que faire en cas d’accès veineux périphérique impossible chez un patient nécessitant des échanges transfusionnels réguliers ? La décision prise dépendra de l’indication du programme transfusionnel. 27.2.3.1.  Crise vaso-occlusive. Si le programme transfusionnel est instauré pour des crises vaso-occlusives répétées, l’absence de voie d’abord veineuse disponible est un argument qui plaide plutôt pour le choix de l’hydroxyurée. 27.2.3.2.  Vasculopathie cérébrale. Si le programme transfusionnel est instauré ou maintenu pour une vasculopathie cérébrale, on peut proposer au patient une fistule artérioveineuse, qui permettra en outre la réalisation d’érythraphérèses (échanges érythrocytaires automatisés). À noter que sa réalisation peut être difficile en cas de mauvais état veineux, et qu’on ne connaît pas la répercussion cardiaque à long terme de l’hyperdébit induit par la fistule. 27.2.3.3.  Besoin limité d’échanges transfusionnels. Si le nombre d’échanges transfusionnels à prévoir est limité (i.e. pour une grossesse), un cathéter central peut être posé pour chaque échange (cathéter fémoral habituellement) et retiré immédiatement après le geste transfusionnel. 27.2.3.4.  Utilisation d’une chambre implantable. Exceptionnellement et en tenant compte du risque individuel on peut être amené à faire poser une chambre implantable ou port-a-cath (PAC) pour réaliser des échanges transfusionnels réguliers, par exemple en cas d’échec de réalisation d’une fistule. La saignée est possible sur un PAC, mais pas l’érythraphérèse. Ne pas faire poser de PAC pour des prélèvements sanguins, ou pour des perfusions à domicile. Il faut bien évaluer le rapport bénéfice – risque d’un PAC : le risque d’infection et de thrombose est très élevé (jusqu’à 60 % d’infections dans certaines séries). Il n’est pas nécessaire de transfuser les malades avant la pose. Il faut réaliser un bilan dentaire à la recherche de foyer infectieux à traiter, et une échographie abdominale à la recherche d’un calcul vésiculaire, porte d’entrée infectieuse potentielle qui justifierait une cholécystectomie avant la pose du PAC. Dans tous les cas, il faut penser à faire retirer le PAC une fois qu’il n’est plus utilisé.



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27.2.4.  Question 8. Quel sont les germes les plus fréquemment responsables d’infection du cathéter ? En premier lieu les staphylocoques (S. aureus, staphylocoques à coagulase négative). En second lieu les bacilles à Gram négatif. 27.2.5.  Question 9. Comment faire le diagnostic d’une infection du cathéter veineux central ? Il existe des signes cliniques de suspicion : présence de pus au point de ponction, tunellite, fièvre ou frissons survenant quelques minutes après la perfusion du PAC. La confirmation bactériologique repose idéalement sur la culture quantitative de l’extrémité distale du cathéter veineux central, mais cela nécessite son ablation. Un critère indirect est le délai différentiel de positivation des hémocultures prélevées simultanément sur cathéter et en périphérie. Une différence de temps de pousse de plus de 2 heures (hémoculture prélevée sur cathéter poussant depuis plus de 2 h avant hémoculture périphérique) est hautement prédictive d’une bactériémie liée au cathéter. 27.2.6.  Question 10. Que faire devant une suspicion d’infection de cathéter ?

Recommandations en cas de suspicion d’infection de cathéter 1. Prélever des hémocultures sur le PAC et en périphérie à la même heure et de même volume, en notant l’heure de prélèvement. 2. En cas de suspicion d’infection de cathéter perfuser le patient en périphérie pour débuter l’antibiothérapie ou, à défaut, reposer un nouveau cathéter central. 3. Débuter une antibiothérapie probabiliste en accord avec l’écologie du service et les antécédents du patient : la plupart du temps débuter par la vancomycine intraveineuse à la seringue électrique éventuellement avec un aminoside en attendant les résultats bactériologiques. 4. La décision de retrait du cathéter dépend : du tableau clinique (sepsis sévère ou non), du germe impliqué, et de l’évolution (apyrexie et négativation des hémocultures ou non). 5. Des recommandations sur la nature et la durée de l’antibiothérapie en fonction du germe responsable de l’infection de cathéter sont actualisées régulièrement par la société américaine d’infectiologie (IDSA) [32]. 6. Des verrous antibiotiques (vancomycine ou aminosides) peuvent être faits si l’on souhaite laisser le cathéter en place, notamment pour les infections à staphylocoques coagulase négative. Ne jamais utiliser de verrou pour les infections à Staphylococcus aureus, Candida sp., P. aeruginosa. 7. En cas de bactériémie à Staphylococcus aureus, faire une échographie cardiaque à la recherche d’une endocardite, et éventuellement un doppler veineux à la recherche d’une thrombophlébite. 8. En l’absence de complication et lorsque le contrôle de l’infection est obtenu rapidement (hémocultures négativées et régression du syndrome infectieux en 48 à 72 h), un traitement de 14 jours est suffisant. L’existence de complications (endocardite, thrombophlébite, etc.) nécessite un traitement plus prolongé. En cas de bactériémie à staphylocoque à coagulase négative : si le cathéter est retiré, et en cas de régression rapide du syndrome infectieux après l’ablation, une antibiothérapie après l’ablation n’est pas nécessaire.

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Se référer aussi à la recommandation « Fièvre chez un patient drépanocytaire » [Annexe 9].

27.3.  Procédure de saignée chez le patient drépanocytaire adulte La saignée est une soustraction de sang total à des fins thérapeutiques. Dans la drépanocytose elle est utilisée seule ou en association aux transfusions pour diminuer l’hémoglobine totale dans le but de diminuer la viscosité sanguine ou pour diminuer la surcharge en fer post-transfusionnelle. Il s’agit d’un acte simple ne comportant aucun risque autre que la survenue d’un malaise vagal réversible. Elle ne nécessite pas d’hospitalisation. La seule difficulté peut être liée à l’abord veineux. Cette procédure s’applique aux saignées simples ou aux saignées suivies d’une transfusion. Étapes de la saignée 1. Demander au patient de bien manger et de s’hydrater abondamment dans les 12 heures précédentes. 2. Perfuser le patient avec un cathéter 20 Gauges (rose) ou 22 Gauges (bleu). 3. Connecter le cathéter à un raccord de perfusion simple avec robinet (il s’agit d’une tubulure rigide qui se collabe moins sous pression négative qu’une tubulure standard, par exemple Braun, 0069750R) (Fig. 4). 4. Connecter le raccord à un flacon sous vide de 500 mL (par exemple : flacon en verre « Bioredon » Fresenius Kabi), ou à défaut un redon (par exemple : Drainobag lock 600V), ou une poche souple en déclive, et laisser couler le volume désiré, en se basant sur l’hémoglobine du patient. 5. Si la saignée est difficile : pose en Y d’un flacon de 250 ou 500 mL de sérum physiologique pour hydrater le patient. 6. Volume maximum de saignée en une fois pour une bonne tolérance : ne pas dépasser un volume de saignée 7 mL/kg de poids en une fois, ou 5 mL/kg chez un patient avec antécédent d’AVC récent (au-delà : fractionner les saignées). 7. Faut-il prévoir une compensation volémique après une saignée ? Non en règle générale, sauf si la saignée est volumineuse ou faite dans un contexte de vasculopathie cérébrale, où il faut éviter l’hypotension artérielle à risque de bas débit cérébral et suivre les recommandations suivantes : • Après une saignée simple de moins de 7 mL/kg de poids (ou moins de 5 mL/kg en cas de vasculopathie cérébrale), conseiller simplement au patient une hydratation per os abondante après la saignée. • En cas de saignée de plus de 7 mL/kg (ou de plus de 5 mL/kg en cas de vasculopathie), fractionner en deux saignées. En cas de vasculopathie cérébrale, compenser volume à volume par du sérum physiologique après la première saignée. 8. Si la saignée et suivie d’une transfusion : Pour éviter l’obstruction du cathéter jusqu’à la transfusion : • soit brancher au cathéter un soluté de perfusion ; • soit hépariner le raccord et le cathéter par une ampoule de 5 mL d’héparine sodique à 500 U/5 mL (ampoules « solution stérile pour rinçage des cathéters longs ou des chambres implantables ») ; • réaspirer l’héparine avant l’utilisation du cathéter.

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9. En cas de difficultés pour la saignée : • Les patients aux veines très fines peuvent être piqués avec une aiguille épicrânienne (à ailettes) avec laquelle on observe beaucoup moins d’échecs qu’avec un cathéter. • Si la tubulure se collabe avec le flacon à vide, passer à la poche (moins de pression négative). • Penser à tester le vide du flacon. • En cas d’obstruction du cathéter : ◦◦ Possible collapsus de l’aiguille contre la paroi de la veine : mobiliser l’aiguille. ◦◦ En cas d’obstruction persistante : rincer via le robinet avec 10 mL de sérum physiologique. • En dernier recours : repiquer le patient sur une autre veine. Mais sauf urgence, pour les patients en programme de saignées régulières, limiter les tentatives de ponction, le même jour, et essayer à nouveau un autre jour.

Surveillance pendant et après la saignée 1. Vérifier la pression artérielle du patient avant, pendant et après la saignée. 2.  Rester auprès du patient pendant toute la durée de la saignée. 3. En cas de malaise arrêter la saignée, allonger le patient et appeler un médecin. 4.  Pour les patients ayant une saignée simple non suivie d’une transfusion, une surveillance de 30 minutes suffit avant le retour au domicile.

Fig. 4. Matériel utilisé pour réaliser une saignée : cathéter 20 Gauges ou 22 Gauges connecté à un raccord de perfusion simple avec robinet.



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Annexe 28. Oxygénothérapie : questions/réponses

28.1.3.  Crises vaso-occlusives, priapisme

28.1.  Quelles sont les indications d’oxygénothérapie chez les patients drépanocytaires adultes ?

Lorsqu’un patient présente des crises vaso-occlusives nocturnes ou des accès de priapisme, une oxygénothérapie nocturne doit être discutée et une obstruction des voies aériennes supérieures recherchée.

28.1.1.  Crises vaso-occlusives, complications aiguës Lors des crises vaso-occlusives ou des autres complications aiguës, les patients adultes hospitalisés bénéficient d’une oxygénothérapie durant leur séjour selon les modalités décrites dans la recommandation spécifique (2 à 3  L/min, à adapter afin d’obtenir une SpO2 ≥ 98 %) (cf. « Prise en charge de la crise douloureuse chez l’adulte drépanocytaire » [Annexe 5] et « Prise en charge du syndrome thoracique aigu de l’adulte drépanocytaire » [Annexe 6]). 28.1.2.  Complication pulmonaire, hypoxie postopératoire À la sortie d’une hospitalisation, lorsqu’il y a eu une complication pulmonaire et que le patient reste hypoxique avec une PaO2 < 80 mmHg, une oxygénothérapie de courte durée (1 mois) est proposée. Cette prescription est réévaluée lors de la consultation de contrôle.

28.1.4.  Grossesse Au cours de la grossesse, une hypoventilation pulmonaire est constatée au dernier trimestre. Elle doit être recherchée, en particulier si la patiente présente des crises vaso-occlusives répétées et peut justifier d’une oxygénothérapie à domicile. 28.2.  Quelles sont les modalités pratiques de prescription ? Une demande d’entente préalable concernera les concentrateurs (2 à 3 L/min, 15 heures par jour). Cette prescription est prise en charge dans le cadre de l’ALD30. Il convient de contacter un prestataire de service pour la mise en place de l’appareil au domicile du patient. Un relevé d’utilisation du traitement permet d’améliorer l’observance.

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Annexe 29. Traitement de la drépanocytose de l’adulte par l’hydroxyurée Les seuls traitements de fond de la drépanocytose validés à l’heure actuelle sont les programmes transfusionnels et l’hydroxyurée aussi appelé hydroxycarbamide. Environ 30 % à 40 % des patients drépanocytaires homozygotes (ou porteurs d’une Sβ0-thalassémie) ont une indication à l’hydroxyurée. L’hydroxyurée a fait la preuve de son efficacité. Elle entraîne une diminution du nombre des crises vaso-occlusives, des syndromes thoraciques aigus, des hospitalisations, des transfusions, et de la mortalité. L’activité bénéfique sur la prévention et l’évolution des complications organiques chroniques n’est pas établie. Les indications sont de plus en plus larges. L’observance conditionne l’efficacité et est obtenue si l’assentiment du patient est complet et sans restrictions. Deux médicaments existent : Siklos® et Hydrea®, qui ont le même principe actif. 29.1.  Indications Les indications concernent les patients ayant une drépanocytose homozygote SS ou une hétérozygotie composite Sβ0-thalassémie, avec un des deux critères suivant : • trois hospitalisations dans une année pour crise vaso-occlusive ; • un syndrome thoracique aigu grave (cf. recommandation « Syndrome thoracique aigu » [Annexe 6]) ou la récidive d’un syndrome thoracique aigu. La survenue répétée de crises ambulatoires, avec un retentissement personnel ou social, même en l’absence d’hospitalisation, est une indication à l’hydroxyurée. Idéalement, la décision d’un traitement par l’hydroxyurée devrait être discutée collégialement. Avant de porter l’indication d’un traitement par hydroxyurée, il faut analyser la sémiologie des crises vaso-occlusives et rechercher une cause curable d’aggravation ou de déclenchement des crises, telle que : hypoxie nocturne, acidose métabolique, foyer infectieux, lithiase biliaire, difficultés psychosociales, règles hygiénodiététiques mal suivies, etc. L’existence d’une anémie profonde chronique ne fait pas partie des indications de l’AMM, mais elle peut justifier également un traitement par l’hydroxyurée, après avoir éliminé une cause curable d’aggravation de l’anémie, d’autant plus si celle-ci est symptomatique ou associée à une atteinte viscérale de la drépanocytose (rénale, cardiaque notamment). L’intérêt de l’hydroxyurée n’a pas été démontré dans le traitement de certaines complications, comme le priapisme, les ulcères cutanés et dans la prévention ou l’amélioration des complications organiques chroniques. Il n’y a donc pas d’indication claire dans ces circonstances. La décision est prise au cas par cas. L’hydroxyurée n’est qu’exceptionnellement indiquée chez les patients hétérozygotes composites SC ou Sβ+ thalassémie, dont les symptômes sont souvent en rapport avec une hyperviscosité, en raison d’une concentration basale élevée en hémoglobine. Cette hyperviscosité pourrait être aggravée par l’hydroxyurée, qui augmente fréquemment l’hémoglobine chez les patients drépanocytaires. Ces cas nécessitent particulièrement une discussion collégiale. 29.2.  Effets secondaires Ils participent malheureusement à la sous-prescription de l’hydroxyurée, et sont souvent la cause d’une mauvaise observance, alors qu’ils sont rarement graves en pratique.

29.2.1.  Toxicité hématologique La diminution modérée de la leucocytose est habituelle et représente un signe d’efficacité du traitement. La toxicité hématologique est variable selon les individus et dose dépendante. L’efficacité étant également dose dépendante, elle peut donc justifier de tolérer une cytopénie modérée, pour maintenir la posologie d’hydroxyurée cliniquement efficace. La toxicité hématologique est réversible à l’arrêt du traitement. Les rares cas d’aplasie prolongée concernent des patients ayant continué à recevoir de l’hydroxyurée sans modification de posologie, ni rapprochement de la surveillance hématologique, malgré l’apparition d’une cytopénie. La numération doit être contrôlée au minimum tous les 3 mois, ce rythme de surveillance devant être adapté et individualisé. En cas de modification de l’hémogramme, il faut tenir compte de l’importance des variations par rapport aux valeurs basales et de la cinétique de ces variations. Il faut aussi tenir compte du fait que les sujets noirs ont souvent une neutropénie, en dehors de toute pathologie. La survenue d’une toxicité hématologique impose une diminution de la posologie ou un arrêt transitoire du traitement, mais ne représente pas une contre-indication définitive, le traitement pouvant être repris après correction des anomalies, à une posologie plus faible. Il faut, avant d’incriminer l’hydroxyurée, rechercher une autre cause à la cytopénie (par exemple anémie aggravée par une carence en fer). L’hydroxyurée diminue l’érythropoïèse de façon dose dépendante, donc la réticulocytose, mais il diminue dans une proportion généralement plus élevée l’hémolyse, la résultante étant donc le plus souvent une élévation de l’hémoglobine d’1 ou 2 g/dL. Il faut poursuivre la supplémentation en folates chez les patients traités par hydroxyurée. 29.2.2.  Toxicité dermatologique 29.2.2.1.  Modifications des phanères. Leur retentissement subjectif est souvent sous-estimé. L’hydroxyurée entraîne souvent une sécheresse cutanée (à traiter par une crème hydratante, par exemple : Dexéryl®, remboursée par la sécurité sociale), une hyperpigmentation de la peau et des ongles diffuse ou localisée (les stries unguéales sont particulièrement fréquentes). Une perte modérée des cheveux est rarement rencontrée. Une fragilité des ongles peut apparaître. 29.2.2.2.  Ulcères cutanés. La responsabilité de l’hydroxyurée dans la survenue d’ulcères est difficile à affirmer, la drépanocytose étant en elle-même pourvoyeuse de cette complication. Selon l’importance de l’ulcère, le traitement doit être diminué ou interrompu. Il peut selon les cas être repris après cicatrisation de l’ulcère, mais à une posologie plus faible qu’initialement. On ne sait pas si l’hydroxyurée a une action bénéfique sur un ulcère déjà constitué. 29.2.3.  Effets sur la fertilité 29.2.3.1.  Homme. La diminution de la fertilité chez l’homme est encore peu documentée. L’hydroxyurée diminue la spermatogénèse. Cet effet semble transitoire et le plus souvent réversible après arrêt du traitement. Des cas d’azoospermie sous hydroxyurée existent, mais leur prévalence exacte et leur réversibilité ne sont pas connues. La proportion d’hommes ne pouvant pas procréer sous hydroxyurée est également inconnue. Des études sont donc nécessaires pour répondre à ces questions. 29.2.3.2.  Femme. Aucun cas de stérilité chez la femme n’a été décrit. 29.2.4.  Risque tératogène 29.2.4.1.  Femme. Il a été mis en évidence chez l’animal, jamais dans l’espèce humaine. Jusqu’à présent, aucun enfant ayant été



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exposé à l’hydroxyurée in utero n’a acquis une malformation imputable à ce traitement. Cependant, le risque de survenue d’une complication encourue par ces enfants à long terme est inconnu. Pour cette raison, il faut éviter qu’une femme sous hydroxyurée débute une grossesse. 29.2.4.2.  Homme. Il n’y a pas d’argument pour penser qu’un risque existe pour le fœtus si le père reçoit de l’hydroxyurée au moment de la conception. 29.2.5.  Risque mutagène Un risque accru de survenue d’une pathologie maligne secondaire a été constaté chez les patients traités par hydroxyurée pour une hémopathie maligne, mais aucune extrapolation à la drépanocytose ne peut être faite. Avec un recul d’environ 20 ans de prescription large de l’hydroxyurée chez les patients drépanocytaires, il n’a pas été constaté d’augmentation de la fréquence de survenue de pathologies malignes (leucémies et tumeurs solides). 29.3.  Contre-indications 29.3.1.  Grossesse Le médicament doit être arrêté dès qu’une grossesse est envisagée ou débutée. La survenue d’une grossesse sous hydroxyurée ne justifie pas une interruption de grossesse. La conception dans un couple dont l’un des partenaires reçoit de l’hydroxyurée doit être planifiée avec le médecin référent. La prise d’hydroxyurée doit s’accompagner d’une contraception efficace. 29.3.2.  Allaitement L’allaitement est contre-indiqué sous hydroxyurée. 29.4.  Initiation du traitement Elle représente un moment important et elle conditionne largement la qualité de l’observance à long terme. Il faut bien prévenir le patient qu’on ne pourra juger l’efficacité du traitement qu’après 6 mois minimum (et que la survenue d’une manifestation clinique de la maladie avant ce délai ne doit pas être considérée comme un échec devant faire arrêter le traitement). Pour les hommes, la réalisation d’un spermogramme, le recueil et la conservation du sperme, doivent être systématiquement proposés avant le début du traitement. Effectuer au préalable les sérologies pour le VIH, les hépatites B et C, le TPHA-VDRL nécessaires pour le centre d’étude et de conservation du sperme (Cécos). Il faut avoir une NFS préthérapeutique de référence récente, un dosage de l’hémoglobine fœtale (hémoglobine F), un ionogramme sanguin, un bilan hépatique, les dosages de ferritinémie et de LDH. La posologie quotidienne moyenne efficace varie entre 20 et 30  mg/kg, et la posologie maximale est de 35  mg/kg (posologie initiale de 1000 mg/jour pour un poids de 50 à 70 kg). Si la clairance de la créatinine est inférieure à 60 mL/min, il faut réduire la posologie initiale de moitié. La prise est quotidienne, en une ou deux fois, au milieu des repas pour éviter la survenue de nausées. La NFS est contrôlée à la semaine 2, puis aux mois 2, 4 et 6, puis tous les 3 mois. La posologie est adaptée : soit pour être diminuée, dès que la NFS objective une cytopénie significative, témoin d’une myélotoxicité, soit pour être augmentée, après 3 mois. L’augmentation est justifiée par une efficacité insuffisante et une bonne tolérance (et si on est certain que l’observance est bonne).

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29.5.  Surveillance Une fois la posologie optimale atteinte, il faut contrôler la NFS au moins tous les 3 mois (indispensable). Dosage de l’hémoglobine F et des paramètres spécifiques de l’hémolyse 2 à 3 fois par an (recommandé, pas indispensable). 29.6.  Appréciation de l’efficacité L’appréciation de l’efficacité se fait essentiellement sur des critères cliniques : diminution des crises vaso-occlusives (en nombre ou en intensité), amélioration de l’état général (notamment gain de poids fréquent). Au plan biologique, on observe presque dans tous les cas une augmentation du volume globulaire moyen. Les augmentations de la concentration en hémoglobine, du pourcentage d’hémoglobine F et la diminution de l’intensité de l’hémolyse sont d’intensité variable. Une dissociation de l’efficacité est possible ; le traitement doit être poursuivi en cas d’efficacité clinique même en l’absence de réponse biologique. Certains paramètres préthérapeutiques font prévoir une meilleure efficacité : • un pourcentage élevé d’hémoglobine F ; • un nombre élevé de réticulocytes et de leucocytes. 29.7.  Observance Dans la pratique quotidienne, l’appréciation de l’observance représente un des problèmes les plus difficiles. Il est utile de reprendre régulièrement avec le patient les modalités pratiques de prise du traitement, pour les préciser et tenter de les améliorer. La survenue de périodes de mauvaise observance (« vacances thérapeutiques »), plus ou moins longues, est presque constante chez ces patients traités au long cours. Il est fondamental, mais difficile, de les anticiper, les dépister, sans dramatisation. L’adhésion au traitement, la qualité de l’observance seront meilleures si le patient a pu exprimer ses questions et ses craintes à plusieurs reprises, qu’elles auront été discutées, éventuellement avec l’aide d’une prise en charge psychologique. L’accord du patient pour la mise au traitement n’est parfois obtenu que plusieurs mois après la proposition initiale. Ce délai n’est pas du temps perdu s’il permet de préparer une observance ultérieure optimale. L’inquiétude des hommes vis-à-vis de leur capacité future à procréer, même si elle a été prise en compte avant le début du traitement, ressurgit souvent secondairement, et représente une cause d’arrêt secondaire de l’hydroxyurée. Cette question doit donc être explicitement et régulièrement reprise. Il y a souvent une confusion entre les risques chez l’homme (fertilité) et chez la femme (tératogénicité). Cette différence doit être clairement explicitée. Chez l’homme il y a souvent une confusion entre fertilité et virilité, qu’il faut lever sans ambiguïté. 29.8.  Problèmes particuliers 29.8.1.  Augmentation de l’hémoglobine En cas d’augmentation importante de l’hémoglobine sous traitement, il peut être nécessaire de proposer un programme de saignées, afin d’éviter les effets délétères de l’hyperviscosité. 29.8.2.  Crise vaso-occlusive La survenue d’une crise vaso-occlusive sans signes de gravité n’impose pas un arrêt de l’hydroxyurée. Un arrêt transitoire doit être discuté au cas par cas lors d’une crise grave ou d’un syndrome inflammatoire prolongé entraînant une baisse de l’érythropoïèse.

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La survenue d’une infection n’impose pas systématiquement un arrêt de l’hydroxyurée, sauf en cas de neutropénie ou d’une infection associée à des signes de gravité. 29.8.3.  Hydroxyurée et EPO L’association d’hydroxyurée et d’érythropoïétine recombinante n’est pas validée. Elle a été proposée à quelques patients, apparaissant bien tolérée à court terme, et entraînant généralement une élévation plus importante de l’hémoglobine que chacun des deux traitements isolément. Une grande prudence est nécessaire car il peut y avoir une augmentation brutale de l’hémoglobine (débuter à faible posologie, surveillance rapprochée de la NFS). 29.8.4.  Hydroxyurée et programme transfusionnel L’hydroxyurée prescrit en relais d’un programme transfusionnel : l’administration concomitante des deux traitements pendant 3 à 4 mois permet de « couvrir » la phase où l’hydroxyurée n’est pas encore efficace. 29.8.5.  Conservation de sperme chez les patients sous hydroxyurée Pour certains patients ayant débuté l’hydroxyurée dans l’enfance souhaitant effectuer un recueil de sperme, on peut proposer un arrêt transitoire (3 à 6 mois), éventuellement avec relais transfusionnel. 29.8.6.  Reprise du traitement après non-réponse La discussion d’une reprise de l’hydroxyurée chez un patient ayant déjà été traité par le passé et étiqueté non répondeur peut se concevoir si la documentation de cet échec n’est pas précise, et en particulier si on n’est pas certain que le patient recevait une posologie optimale et que l’observance était bonne (et il est impossible d’en être certain a posteriori). 29.8.7.  « Épuisement de l’action » Cet effet existe-t-il réellement ? Il faut avant tout rechercher un fléchissement de l’observance, une augmentation du poids rendant la posologie insuffisante, des facteurs déclenchants de crises, une carence en fer ou en folates. 29.8.8.  Échec primaire La cause la plus fréquente est le défaut d’observance. Il peut aussi être lié à un problème associé (atteinte rénale, syndrome inflammatoire, carence en fer, crises vaso-occlusives « menstruelles », hypoxie nocturne, etc.) qui devrait alors être corrigé. 29.8.9.  Prise de poids La prise de poids sous hydroxyurée est positivement ressentie par les patients. Rarement elle est excessive et attribuée par le patient à un effet néfaste du traitement. Il faut alors lui expliquer qu’il retrouve le poids qu’il aurait s’il n’était pas

drépanocytaire, et donc que la solution passe par la limitation des apports caloriques. 29.9.  Causes de sous-utilisation de l’hydroxyurée Elles peuvent être liées au prescripteur :

• craintes du prescripteur en raison des complications potentiellement sévères de ce médicament. Il faut donc insister sur le caractère théorique de ces complications ; sur le fait que la balance bénéfice/risque penche clairement en faveur de l’utilisation de ce traitement, à condition d’en respecter les indications et la surveillance. C’est d’autant plus vrai que l’effet bénéfique de l’hydroxyurée sur l’espérance de vie est maintenant clair ; • difficulté du prescripteur à aborder avec le patient les problématiques de la nature cytostatique, de la fertilité (ou manque du temps nécessaire pour le faire). Elles peuvent être liées au patient ou à sa famille :

• craintes persistantes sur les risques malgré les explications ; • connaissance indirecte et imprécise des effets secondaires (informations inadaptées sur Internet, bouche à oreille), craintes esthétiques non explicitées ; • idées fausses concernant l’hydroxyurée  : craintes d’une « dépendance », d’une aggravation secondaire de la maladie après l’éventuel arrêt du traitement ; • difficulté à envisager la prise d’un traitement à très long terme ; • difficultés sociales perturbant l’accès aux soins. 29.10.  Questions en suspens Afin de pouvoir répondre aux questions non résolues concernant l’éventuelle toxicité à très long terme de l’hydroxyurée, la mise en place d’un suivi de cohorte serait souhaitable. Quatre questions principales se posent :

• Quel est le risque pour les enfants exposés au cours de la vie fœtale ? • Quel est le risque oncogène à très long terme ? • Quel est le risque de survenue d’un effet secondaire totalement imprévu après trois, voire quatre ou cinq décennies d’exposition à l’hydroxyurée ? • Quelle est la réversibilité fonctionnelle de l’azoospermie  ? Quelle attitude proposer aux garçons dont le traitement a débuté à un jeune âge et arrivant à l’âge adulte ?



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Annexe 30. Diététique, métabolisme phosphocalcique, vitamines et oligoéléments chez le patient drépanocytaire adulte ambulatoire De nombreuses carences nutritionnelles ont été mises en évidence chez les patients drépanocytaires. Elles sont probablement liées à un problème socioéconomique, des habitudes alimentaires culturellement différentes dans cette population, mais aussi à une surutilisation des nutriments liée à l’hypercatabolisme et à l’hémolyse chronique. Il est donc opportun de proposer une consultation avec une diététicienne. Ces recommandations sont une synthèse de la littérature chez l’adulte et l’enfant drépanocytaire et de données récentes concernant les apports alimentaires conseillés dans la population générale française. 30.1.  Boissons La déshydratation est un facteur favorisant et aggravant les crises vaso-occlusives. Il faut donc inciter les patients à boire au moins 2 litres de boisson par jour. La quantité est à augmenter selon l’activité physique, la chaleur ambiante, l’importance de la sudation. Attention certains patients peuvent devenir potomanies et il ne faut donc pas tomber dans l’excès d’apport. L’eau du robinet est à préconiser comme boisson de base. En outre, des eaux minérales riches en calcium (Hépar®, Contrex®, Vittel®, eaux gazeuses, etc.) ou toute autre eau avec teneur en calcium supérieure à 150 mg/L est à préférer, du fait des faibles apports calciques chez ces patients, sauf pour ceux atteints de lithiases rénales calciques (l’eau de Volvic®, très peu riche en calcium, sera alors préconisée). La consommation de soda est probablement à éviter, même si aucune étude n’a été réalisée chez le patient drépanocytaire. Les sodas sont souvent acides et l’acidose est un facteur favorisant de crise vaso-occlusive. La consommation de jus de fruits ne semble pas poser de problème et ils sont de toute façon, très consommés par les patients. Les jus d’ananas et d’orange sont plutôt à conseiller pour leur apport en zinc et calcium (cf. infra). La consommation de boissons alcoolisées est à déconseiller, certains patients pouvant développer une dépendance à l’alcool utilisé pour ses vertus antalgiques et anxiolytiques. L’alcool est aussi source de déshydratation. Au cours d’une crise, à domicile ou en hospitalisation, l’utilisation d’eau alcaline et très salée est conseillée car l’acidose est un facteur de falciformation (Vichy® 0,5 à 1 L/jour). En revanche, ce n’est pas une eau à conseiller au quotidien car trop salée et pas assez calcique, excepté pour les patients ayant une acidose métabolique chronique (par tubulopathie). 30.2.  Apports caloriques et macronutriments Les patients drépanocytaires ont très souvent un indice de masse corporelle bas (inférieur à 20 kg/m2, surtout les hommes) et une masse grasse faible du fait de l’hypercatabolisme de base, lié à la maladie, qui augmente les besoins caloriques et protidiques. Leur consommation calorique est généralement satisfaisante voire augmentée sauf en cas de crise vaso-occlusive où les patients s’alimentent moins. La perte de poids lors des crises vaso-occlusives peut d’ailleurs atteindre 10  % de la masse corporelle, la récupération étant effective en un mois environ. Des suppléments hypercaloriques et hyperprotidiques pourraient être, dans les situations aiguës, logiques, bien que jamais

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évalués. Il faut aussi penser, en hospitalisation, à fractionner les repas, savoir les réchauffer si une crise est survenue « à l’heure du plateau » et permettre autant de grignotage que nécessaire. Il n’existe pas de donnée pour utiliser des suppléments nutritionnels au long cours, mais cela peut se justifier au cas par cas, chez des patients maigres ou ayant une alimentation protidique insuffisante. Pour les patients maigres et n’arrivant pas à grossir malgré des apports caloriques satisfaisants, il faut leur permettre de réaliser des collations et grignotages (produits à bases de céréales, graines, fruits secs, chocolat à favoriser pour leur teneur élevée en zinc et calcium). L’hydroxyurée et les transfusions, utilisés en traitement de fond de la drépanocytose, permettent souvent un gain de poids allant parfois jusqu’à une obésité et devront faire reconsidérer ce régime hypercalorique. Une consultation avec diététicienne est alors souhaitable pour modifier les habitudes alimentaires passées. Les concentrations de cholestérol total, LDL et triglycérides sont généralement bas chez ces patients donc inutiles à doser dans le suivi courant. 30.3.  Métabolisme phosphocalcique 30.3.1.  Vitamine D Une carence en 25-hydroxyvitamine D est fréquente dans la population noire, dont la peau bloque les UVB, nécessaires à la production de 90 % de la 25-hydroxyvitamine D de l’organisme. Une carence profonde (25-hydroxyvitamine D inférieure à 10 ng/mL) est rapportée chez 60 à 80 % des adultes drépanocytaires. Elle est associée à une hyperparathyroïdie secondaire. Elle pourrait rendre compte ou aggraver une ostéopénie voire une ostéoporose chez l’adulte jeune et sa concentration basse serait associée à des antécédents plus importants de fractures. Le dosage de la 25-hydroxyvitamine D est recommandé chez le patient drépanocytaire dans le bilan initial. Une supplémentation en 25-hydroxyvitamine D est recommandée pour toute valeur inférieure à 30 ng/mL (inférieure à 75 nmol/L). C’est le cas de tous les patients adultes, associée à une calcémie normale ou basse. De fortes doses au très long cours sont nécessaires pour maintenir cet objectif de concentration. Proposition : Uvédose® 100 000 UI, une ampoule tous les 15 jours pendant 2 mois puis tous les mois à 2 mois, à interrompre lors d’un séjour en pays ensoleillé. Un dosage de contrôle peut être utile pour adapter ensuite les doses. Chez la femme enceinte, il convient de supplémenter par vitamine D, comme ce qui est recommandé pour toute grossesse en France. Par exemple, Uvédose® 100 000 UI une ampoule au début de la grossesse ou au moins au sixième mois. Un dosage de 25-hydroxyvitamine D peut être utile pour adapter les doses dans cette population à haut risque de carence. 30.3.2.  Calcium et phosphore La calcémie totale et ionisée est le plus souvent dans les valeurs normales basses. Une hypocalcémie vraie est plus rare. La phosphorémie est le plus souvent normale. L’apport en calcium est très en dessous des apports quotidiens préconisés dans la population générale adulte (800–1 000 mg/j), du fait d’habitudes et de goûts alimentaires différents chez le patient drépanocytaire.

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Il convient de conseiller aux patients de consommer davantage de laitages (lait, yaourt), de fromages (surtout à pâte dure lorsqu’il n’existe pas de problème de surpoids), de fruit secs (olives, dattes, noisettes, noix, amandes, etc.) et des eaux riches en calcium (Hépar®, Contrex®, Vittel®, etc.). En cas d’impossibilité d’augmenter ces apports, une cure de quelques mois de supplémentation calcique per os est à envisager (500 mg/j).

antifalciformation in vitro et la supplémentation pourrait abaisser les concentrations d’homocystéine chez ces patients. Il n’y a cependant pas assez d’arguments pour supplémenter les adultes avec cette vitamine. 30.4.4.  Folates (vitamine B9) Une carence en folates est possible du fait de la surconsommation secondaire à l’hémolyse chronique et d’un déficit alimentaire.

30.4.  Vitamines et oligoéléments 30.4.1.  Zinc Un déficit en zinc est observé chez les patients drépanocytaires du fait de l’hémolyse, d’une perte urinaire en zinc et d’une hyper-utilisation. Une supplémentation chronique per os ou intraveineuse à forte dose (100–650 mg/jour) semble diminuer dans quelques études randomisées le risque infectieux et les hospitalisations pour crise (effet stabilisant de membrane et antifalciformation). Elle peut donc être proposée, particulièrement aux patients avec hypogonadisme, enfants avec troubles de croissance, ou patients avec ulcères de jambes. Le problème en France est la formulation (Rubozinc® 15 mg/gélule) qui ne permet pas d’apporter une supplémentation correspondant aux doses utilisées dans les études. Une préparation magistrale peut parfois être demandée au pharmacien. Une augmentation de l’apport alimentaire quotidien de zinc est donc logique. 30.4.2.  Vitamines A, C, E Des déficits en vitamine A, C, E par rapport à une population témoin de la même origine ethnique ont été mis en évidence chez l’enfant et l’adulte. Les causes supposées sont un défaut d’apport et un excès d’utilisation, car il existe dans la drépanocytose une augmentation du stress oxydatif (hémolyse, etc.). Il n’existe pas assez d’arguments pour conseiller une supplémentation systématique médicamenteuse avec ces vitamines à propriété antioxydantes. Certains auteurs feraient cependant de ces antioxydants naturels des traitements permettant de bloquer l’oxydation prématurée des membranes des globules rouges, ce qui pourraient améliorer ainsi leur résistance à la lyse et la maladie (diminution des crises vaso-occlusives, du nombre d’hospitalisations, augmentation de l’hémoglobine, etc.). Il faut éviter la vitamine C chez les patients en surcharge martiale et en programme de saignées car cela augmente l’absorption du fer. Il paraît souhaitable d’augmenter « naturellement » les apports : • en fruits (orange, citron ++), pour la vitamine C ; • en produits laitiers, pour la vitamine A ; • œuf, avocat, fruit sec (noisettes, amandes), huiles végétales, pour la vitamine E ; • œuf, noix, amandes, pain complet, légumes secs, huîtres, pour leur forte teneur en zinc.

Une supplémentation en acide folique (Spéciafoldine® 5 mg) est indispensable chez le patient drépanocytaire : • 5 mg par jour au long cours ; • 10 mg par jour au cours des crises vaso-occlusives et de la grossesse.

30.4.5.  Vitamine B12 Cette carence est rare mais peut se voir en l’absence de véritable maladie de Biermer. La substitution systématique n’est pas recommandée. Il faudra cependant se méfier d’une carence en vitamine B12 démasquée et aggravée par le début d’un traitement par folates. Il peut être alors utile chez un patient perdu de vue et ne prenant pas de folate de doser les vitamines B9 (folate) et B12 avant de débuter le traitement par folate. L’utilisation de protoxyte d’azote inhalé inactive la vitamine B12 ; son utilisation prolongée et répétée, particulièrement chez un patient carencé, expose à un risque de sclérose combinée de la moelle. On peut donc être amené à supplémenter ces patients per os dans cette situation d’utilisation. 30.4.6.  Fer Le problème est le plus souvent celui d’une surcharge martiale liée aux transfusions itératives et à l’hémolyse chronique. Une microcytose n’est pas synonyme d’une carence martiale, elle peut être la conséquence d’une alpha ou bêtathalassémie associée, ou du génotype SC. En cas d’aggravation de l’anémie ou de règles abondantes, on peut facilement évaluer les stocks en fer par le dosage de la ferritinémie à distance d’une crise. Il est indiqué de supplémenter en fer les femmes ayant une ferritinémie inférieure à 20 µg/L et au cours de la grossesse si la ferritinémie est inférieure à 50 µg/L. La carence en fer, même si elle est rare chez le drépanocytaire doit être recherchée (ferritinémie) en cas de réponse inadéquate à l’hydroxyurée. En revanche, il ne faut pas substituer les patients qui bénéficient d’un programme de saignées thérapeutiques dont le but est de provoquer la carence pour diminuer l’hématocrite et la viscosité sanguine (souvent dans les formes SC). 30.4.7.  Autres oligoéléments, acides aminés ou acides gras

30.4.3.  Vitamine B1 et B6 Il ne semble pas y avoir de particulière déplétion en vitamine B1 (thiamine) chez les patients drépanocytaires. Une supplémentation peut se justifier en cas de prise excessive d’alcool. Des déficits en vitamine B6 ont été mis en évidence chez l’enfant drépanocytaire. La vitamine B6 aurait une propriété

Des déficits en sélénium, arginine, glutamine, qui ont des activités antioxydantes et en acides gras essentiels ont été rapportés. L’effet d’une supplémentation systématique n’a pas encore été correctement évalué. Une fiche de conseils destinée aux patients est disponible en ligne, en annexe à cet article (Annexe 32).



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Annexe 31. Recommandations pour les voyages des patients drépanocytaires Les voyages à l’étranger sont des périodes à risque pour les patients drépanocytaires : risques de crises vaso-occlusives liés aux voyages en avion et à une possible déshydratation en pays chaud, risques de maladies infectieuses, accès aux soins limité dans certains pays. La question des voyages doit être abordée systématiquement lors des consultations car les patients ne signalent pas forcément spontanément leurs projets de voyages. Idéalement le patient devrait être vu par son médecin référent dans les 2 mois précédents son voyage. Nous discutons ici des précautions à prendre par les patients drépanocytaires voyageant dans un pays éloigné concernant les voyages en avion, les vaccinations, la prévention du paludisme et le traitement des infections bactériennes. 31.1.  L’état du patient lui permet-il de voyager ? Toute déstabilisation récente de la maladie constitue une contre-indication à un voyage en avion. Il faut être également prudent en cas de séjour en altitude (plus de 1500 m). Situations à risque pour des voyages aériens • Accélération récente de la fréquence des crises vaso-occlusives • Syndrome thoracique aigu dans les 2 mois précédents • Grossesse ++ • Antécédent récent d’accident vasculaire cérébral • Priapismes non contrôlés • Complications chroniques avancées ou récemment décompensées : insuffisance rénale, insuffisance cardiaque, hypertension artérielle pulmonaire, hépatopathie chronique • Majoration récente d’une anémie avec signes de mauvaise tolérance Dans tous les cas, il est conseillé systématiquement aux patients de prendre un contrat d’assurance annulation – rapatriement sanitaire. 31.2.  Voyage en avion 31.2.1.  Indication de l’oxygénothérapie Les avions de ligne actuels ont un niveau de pressurisation correspondant à 2 500 m d’altitude. Un patient sous oxygène au long cours doit bénéficier d’oxygène dans l’avion. Dans les autres cas, un certificat médical peut éventuellement être remis au patient pour qu’il réclame de l’oxygène en cas de douleur osseuse ou thoracique ou de dyspnée pendant le vol. Les avions locaux non pressurisés sont contre-indiqués chez les patients drépanocytaires. 31.2.2.  Indication d’un échange transfusionnel ou transfusion simple avant le départ Il n’y a actuellement aucune règle systématique et l’indication doit être discutée au cas par cas. Celle-ci dépend de l’histoire de la drépanocytose, et notamment du nombre de crises douloureuses dans les mois précédant le voyage, surtout s’il y a eu un syndrome thoracique aigu, des complications chroniques, des antécédents transfusionnels du patient (existence ou non d’une allo-immunisation), et enfin de l’éloignement du lieu de destination avec un centre médical adapté. La transfusion simple

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ou l’échange transfusionnel sont effectués dans la semaine précédant le voyage. Pour les indications et modalités de l’échange transfusionnel ou transfusion simple : voir recommandation spécifique. Pour les patients sous protocole transfusionnel au long cours, il est conseillé que la durée du voyage n’excède pas le délai entre deux transfusions. 31.2.3.  Température Il faut conseiller aux patients de prévoir des vêtements chauds car il fait souvent froid dans les cabines. 31.2.4.  Hydratation Elle devra être abondante pendant toute l’attente à l’aéroport et tout le voyage, d’autant plus dans l’avion où l’air est sec. Prévoir l’achat de 2 litres d’eau minérale une fois passée la douane. 31.2.5.  Prévention thromboembolique La drépanocytose est un état prothrombotique, mais il n’y a pas de consensus de prévention thromboembolique chez le patient drépanocytaire. En voyage, il faut appliquer les recommandations d’usage qui préconisent une bonne hydratation, le déplacement en cabine pendant le vol, le choix d’un siège proche d’un couloir si possible, des contractions isométriques des membres inférieurs en station assise, une contention veineuse. Un traitement préventif par héparine de bas poids moléculaire le jour du voyage doit être proposé en cas d’antécédent de thrombose. 31.2.6.  Cas des patients drépanocytaires SC Ces patients ayant une viscosité sanguine accrue, l’indication d’une saignée avant le voyage doit être discutée en fonction de la symptomatologie et de la concentration en hémoglobine. 31.3.  Vaccinations Les règles de vaccination du voyageur drépanocytaire ne diffèrent pas de celles du voyageur non drépanocytaire. La préparation du voyage est une bonne occasion de vérifier les statuts vaccinaux, mais la réalisation des vaccins du voyageur est souvent freinée par leur coût puisque la plupart ne sont pas remboursés. Pour le détail des recommandations vaccinales : cf. « Recommandations vaccinales chez les patients adultes atteints de syndrome drépanocytaire majeur » [Annexe 24]. NB : la vaccination contre la rage peut être proposée pour des séjours de plus de 1 mois en Afrique, Asie du sud, ou Amérique latine, particulièrement en cas de situations à risque au contact de chiens, animaux sauvages ou chauve-souris. 31.4.  Paludisme

La drépanocytose ne protège pas de l’infestation palustre. La prophylaxie antipalustre doit donc être rigoureuse chez les patients drépanocytaires, car une infection par Plasmodium falciparum peut avoir des complications graves liées à l’hémoglobinopathie et à l’hyposplénie ou au contraire l’hypersplénisme dans les formes à rate persistante (crise douloureuse, aggravation aiguë de l’anémie, état de choc, surinfection à pneumocoque ou salmonelles, etc.). Tous les pays d’Afrique sont désormais classés en zone 3 de résistance à la chloroquine.

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31.4.1.  Prévention La prévention repose sur : • Le port de vêtements longs et couvrant, en particulier sur les chevilles. • Les répulsifs cutanés, en particulier à base de DEET (ou d’IR3535 recommandé chez la femme enceinte bien que de plusieurs études aient montré l’innocuité du DEET), tels que Insect Ecran®. • Les répulsifs pour les vêtements et l’utilisation de moustiquaires imprégnées d’insectifuge. • La chimioprophylaxie antipalustre : les médicaments utilisables sont les mêmes que chez l’adulte non drépanocytaire (cf. Tableau 17). ◦◦ La Malarone® est efficace dans toutes les zones de résistance moyenne ou élevée à la chloroquine, elle est bien tolérée, mais sa prescription est limitée par son coût élevé. Elle est à privilégier pour les séjours courts ou en cas de crainte de mauvaise observance. ◦◦ La doxycycline, peu coûteuse et bien tolérée est le traitement de choix en cas de revenus limités, à condition qu’elle soit prise de façon très rigoureuse (prises à heures fixes étant donné la demi-vie courte et à poursuivre 1 mois après le retour). Privilégier les formes génériques pour les patients à faibles revenus car le Doxypalu® n’est pas remboursé. 31.4.2.  Traitement de réserve antipaludique La prescription d’un traitement de réserve antipaludique doit prendre en compte plusieurs facteurs : • le principal est l’isolement géographique du voyageur par rapport à des structures sanitaires de qualité. Le traitement est indiqué uniquement s’il est impossible de consulter un médecin en moins de 12 heures ;

• la compréhension de la prescription et de la nécessité de consulter sans délai même après avoir débuté le traitement ; • l’aptitude, ou non, à suivre une chimioprophylaxie ; • le type de voyage : durée, etc. La prescription d’un traitement de réserve doit rester l’exception chez le patient drépanocytaire. Le médicament prescrit pour le traitement de réserve devra être différent de celui utilisé pour la chimioprophylaxie. Les possibilités de traitement de réserve sont : • Malarone® (quatre comprimés par jour en une prise, 3 jours de suite). • Association de dérivé de l’artémether et de luméfantrine (par exemple  : Coartem®, quatre comprimés deux fois par jour pendant 3 jours). • Association de pipéraquine et de dihydroartémisinine (Eurartesim®) (quatre comprimés par jour en 1 prise, pendant 3 jours). • Quinine : 8 mg/kg trois fois par jour pendant 7 jours, seule ou associée à la Vibramycine® (200 mg par jour pendant 7 jours) en Asie du Sud-Est. • Le Lariam® n’est proposé qu’en deuxième intention (25 mg/ kg en trois prises espacées de 8 h). 31.5.  Diarrhée La déshydratation associée à la diarrhée peut avoir des conséquences graves chez l’adulte drépanocytaire. 31.5.1.  Prévention La prévention repose sur l’hygiène des mains, la consommation d’eau bouillie ou d’eau ou de boissons en bouteille capsulée, d’aliments cuits ou de fruits épluchés.

Tableau 17 Prophylaxie médicamenteuse antipalustre. Dose

Schéma du traitement

Tolérance

Contre-indications

Recommandation suivant zone de résistance à la chloroquine

Coût

Doxycycline (prescrite sous forme générique)

100 mg/j

À débuter le jour du départ et jusqu’à 4 semaines après le retour

Bonne

Grossesse et allaitement

Recommandée en zone 3 Peut être utilisée en zone 2

Faible (environ 8 � la boîte de 28 comprimés)

Malarone® (atovaquone 250 mg + proguanil 100 mg)

1 comprimé/j

À débuter le jour du départ et jusqu’à 7 jours après le retour

Très bonne

Insuffisance rénale sévère Allergie à l’un des composants

Recommandée pour les zones 2 et 3

Élevé (prix moyen 44 � la boîte de 12 comprimés)

Lariam® (méfloquine)

1 comprimé/semaine

À débuter 2 semaines avant le départ et jusqu’à 3 semaines après le retour

Mauvaise

Antécédent de convulsions Troubles psychiatriques Insuffisance hépatique sévère Traitement par le valproate de sodium (Dépakine®) Antécédent de fièvre bilieuse hémoglobinurique (à vérifier attentivement)

Recommandé en zone 3 Peut être utilisée en zone 2

Élevé (45 � la boîte de 8 comprimés)

Savarine® (proguanil + chloroquine)

1 comprimé/j

À débuter la veille du départ et jusqu’à 1 mois après le retour

Parfois mauvaise

Déficit en glucose 6-phosphate déshydrogénase

Recommandée seulement en zone 2. Attention : tous les pays africains sauf Madagascar sont désormais en zone 3

Moyen (20 � la boîte de 28 comprimés)



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31.5.2.  Traitement 31.5.2.1.  Réhydratation. Le traitement repose en premier lieu sur la réhydratation, au moyen de : • solutés de réhydratation orale type GES 45 ; • liquides sucrés associés à des aliments salés (biscuit apéritifs, ou autres) ; • liquide préparé par le patient lui même : 1 litre d’eau+8 morceaux de sucre + 1 cuillère à café de sel. 31.5.2.2.  Antidiarrhéiques. Le Tiorfan® (racécadotril, une à trois gélules par jour) doit être préféré à l’Imodium® (lopéramide) (contre-indiqué en cas de syndrome dysentérique fébrile). L’antibiothérapie de réserve est détaillée ci-après (Section 31.7). 31.6.  Infections cutanées Les infections bactériennes cutanées sont fréquentes chez le voyageur, pouvant compliquer la moindre plaie voire une simple piqûre d’insecte, et elles peuvent évoluer en ulcères cutanés du fait de troubles de la microcirculation des membres inférieurs au cours du voyage. L’adulte drépanocytaire doit être particulièrement informé de ce risque et vigilant, notamment en se protégeant les pieds et les chevilles et en désinfectant la moindre excoriation à l’aide de compresses stériles et d’un antiseptique cutané (Biseptine®). La prescription d’un antibiotique de réserve (voir ci-dessous) pourra être discutée, en rappelant la nécessité de consulter un médecin rapidement.

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L’antibiothérapie de réserve doit idéalement traiter une infection digestive, une infection urinaire haute ou basse, une infection cutanée ou une infection pulmonaire. Plusieurs choix sont possibles : • en cas de signes respiratoires ou ORL : amoxicilline (3 g/24 h) ou Augmentin® (amoxicilline + acide clavulanique) ; • en cas d’infection cutanée  : synergistine (Pyostacine ®, 3 g/24 h) ; • en cas d’infection urinaire : Oflocet® 200 mg : un comprimé matin et soir pendant 3 à 5 jours pour une cystite, et en cas d’infection urinaire fébrile 14 jours chez la femme et 21 jours chez l’homme (prévenir du risque de photosensibilité) ; • en cas de diarrhée profuse, d’autant plus si elle est associée à de la fièvre ou à un syndrome dysentérique : ◦◦ Oflocet® (ofloxacine) 200 mg : un comprimé matin et soir pendant 3 à 5 jours, ◦◦ Zithromax® (azithromycine) : 500 mg par jour en une prise pendant 3 à 5 jours.

31.8.  Communication au patient La communication au patient est faite par le médecin référent des coordonnées des équipes de référence du pays de destination (selon la disponibilité). 31.9.  Retour de voyage

31.7.  Prescription d’une antibiothérapie de réserve

La prescription d’une antibiothérapie de réserve ne doit pas être systématique car elle risque de retarder une consultation médicale. Elle doit être réservée uniquement aux cas d’isolement géographique et à condition que le patient soit informé de la nécessité absolue de consulter dès que possible.

• Une consultation médicale systématique est recommandée au retour. Elle permettra entre autres de s’assurer de la poursuite du traitement antipalustre et au patient de signaler tout problème médical ayant eu lieu pendant le voyage. • Toute fièvre survenant au retour d’un voyage doit motiver une consultation médicale en urgence.

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Annexe 32. Matériel complémentaire Une fiche d’information aux patients sur les conseils diététiques pour les patients drépanocytaires accompagnant la version en ligne de cet article est disponible sur http://www.sciencedirect. com et http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2015.03.005. Références [1] [2]

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Sickle cell disease is a systemic genetic disorder, causing many functional and tissular modifications. As the prevalence of patients with sickle cell...
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