Presse Med. 2014; 43: 1302–1306 ß 2014 Elsevier Masson SAS Tous droits réservés.

En pratique

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Fièvre et dyspnée chez une femme panaméenne ayant un ulcère rectal sanglant Ricardo Fernández-Rodríguez1, Coral González-Fernández2, José Antonio Bello Giz3, María Bustillo Casado1, Genoveva Naval Calviño1, María Dolores Díaz López1

1. Complexo hospitalario universitario de Ourense, service de médecine internemaladies infectieuses, 32005 Ourense, Espagne 2. Complexo hospitalario universitario de Ourense, service de pneumologie, 32005 Ourense, Espagne 3. Complexo hospitalario universitario de Ourense, service d’anatomo-pathologie, 32005 Ourense, Espagne

Correspondance : Disponible sur internet le : 26 septembre 2014

Ricardo Fernández Rodríguez, complexo hospitalario universitario de Ourense, unidad de enfermedades infecciosas-servicio de medicina interna, C/Ramón Puga 54, 32005 Ourense, Espagne. [email protected]

Fever and dyspnea in a Panamanian woman with a bleeding ulcer

U

Figure 1

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Coloscopie : muqueuse rectale avec un ulcère hémorragique

ne femme de 48 ans consultait pour un malaise général et des diarrhées sanglantes intermittentes depuis trois semaines. Cette patiente était d’origine panaméenne et vivait en Espagne depuis deux mois. À l’examen physique, il existait un amaigrissement sévère et une pâleur, les rectorragies étaient confirmées. L’hémogramme montrait une anémie (11,1 g/dL) et une lymphopénie (0,44 g/L). La radiographie de thorax était normale. La coloscopie mettait en évidence une ulcération au niveau du rectum, à 10 cm de la marge anale, boursouflée, de 4 à 3 cm de diamètre, accompagnée d’hémorragies punctiformes (figure 1). Une semaine après la coloscopie, la patiente se plaignait de pics fébriles, allant jusqu’à 39,5 8C, de toux et de dyspnée. Une radiographie de thorax révélait un infiltrat diffus, bilatéral, nodulaire (figure 2). Elle était alors hospitalisée dans l’unité de maladies infectieuses. La patiente signalait des relations sexuelles non protégées depuis ses 18 ans. Le dépistage du VIH était positif avec une virémie à 448 000 copies/mL

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(5,65 log) et les CD4 étaient effondrés à 6/mL. Le bilan paraclinique montrait une hémoglobine à 7,2 g/dL et une élévation des LDH à 1890 U/L.

Quel est votre diagnostic ?

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Fièvre et dyspnée chez une femme panaméenne ayant un ulcère rectal sanglant

Figure 2

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Radiographie thoracique : infiltrats intertitiels micronodulaires diffus bilatéraux

R Fernández-Rodríguez, C González-Fernández, J Antonio Bello Giz, M Bustillo Casado, G Naval Calviño, M Dolores Díaz López

Histoplasmose aiguë disséminée à Histoplasma capsulatum var. capsulatum, révélatrice du SIDA, se manifestant initialement par un ulcère rectal sanglant. Le tableau clinique pouvait faire penser à une tuberculose disséminée, à une infection à cytomégalovirus ou à une pneumocystose, autres infections opportunistes. Une bronchoscopie était demandée d’urgence, mais le diagnostic était fait entre temps avec le résultat de la biopsie de l’ulcération rectale (figure 3) : macrophages chargés de nombreuses structures levuriformes intra- et extra cytoplasmiques, avec une paroi non colorée par l´hématéine-éosine et apparaissant sous forme de spores bourgeonnantes, après imprégnation argentique (selon la méthode de Gomori-Grocott). Ce sont des levures caractéristiques d’Histoplasma capsulatum. Lors du lavage broncho-alvéolaire (LBA) et du prélèvement de moelle osseuse, par le séquençage du gène ribosomal codant pour l’ARN 28S, la PCR confirmait la présence de Histoplasma capsulatum var. capsulatum. La mise en culture permettait d’isoler, après 4 semaines, Histoplasma capsulatum. La sérologie de l’histoplasmose était positive. La patiente a été traitée par amphotéricine B liposomale intraveineuse (5 mg/k/j) pendant six semaines. Un traitement par AtriplaW a été prescrit, à la dose suivante : éfavirenz 600 mg, ténofovir 300 mg, emtricitabine 200 mg/j. L’évolution a été favorable. Après six semaines de traitement, les CD4 étaient à 28/mL, la virémie VIH indétectable et la radiographie de thorax normale.

Figure 3 Histologie colique

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Infiltration massive de la muqueuse par des macrophages chargés d’éléments parasitaires capsulées intramacrophagiques mais également interstitiels (HES  400). Avec la coloration de Gomori Grocott, on observe des levures de 2 à 4 mm de diamètre parfois bourgeonnantes à collet étroit (Gomori-Grocott  400).

Discussion Il n’existe que deux types d’histoplasmose pathogène qui puissent affecter l’être humain. Le plus commun est Histoplasma (H) capsulatum var. capsulatum, qui donne « l’histoplasmose américaine », endémique aux États-Unis (Ohio et vallées du Mississippi), aux Caraïbes, Amérique Central et du Sud, et présente aussi en Afrique et dans d’autres régions du monde, mais absente en Europe. L’Histoplasma capsulatum var. duboisiie, responsable de « l’histoplasmose africaine », est plus rare, puisqu’elle est endémique uniquement en Afrique. En Europe, tous les cas sont importés, excepté ceux transmis de façon exceptionnelle par exposition accidentelle aux cultures en laboratoire ou par usage de drogues contaminées [1–5]. L’histoplasmose est un champignon dimorphique qui se présente sous forme filamenteuse dans le milieu extérieur à température ambiante (produit les spores infestant), et sous forme de levures dans les tissus infectés à température corporelle. Il n’y a donc pas de transmission d’homme à homme. La sporulation est favorisée par les sols enrichis à base de déjections d’oiseaux ou de chauves-souris. La contamination se fait par inhalation des microconidies, entraînant une primoinfection pulmonaire. La sévérité de la maladie dépend de l’intensité de l’exposition et de l’état immunitaire de l’hôte. L’histoplasmose pulmonaire aiguë est inapparente dans la plupart des cas chez les immunocompétents. Elle se caractérise par un syndrome pseudo-grippal et l’atteinte pulmonaire est rare. Après guérison, il peut persister des nodules et des adénopathies calcifiés. Si l’inoculum est important ou si la personne est immunodéprimée, le pronostic vital peut être menacé par une affection pulmonaire sévère ou une infection multiviscérale. L’histoplasmose disséminée s’observe essentiellement chez les immunodéprimés, soit par réactivation d’une infection préalable causée par Histoplasma, soit par une infection récente, de façon semblable à ce qui se passe avec la tuberculose [1–6]. Chez les patients ayant une infection à VIH avec une immunodépression sévère et habitant les régions endémiques, l’histoplasmose n’est pas rare en tant qu’infection opportuniste classante de Sida. C’est le cas pour cette patiente [7]. L´histoplasmose intestinale est secondaire à la dissémination hématogène. L’atteinte gastro-intestinale peut toucher 70 à 90 % des cas sur des séries d’autopsie, mais les manifestations digestives sont plus rares, survenant chez 3 à 12 % des malades [8,9]. Les lésions peuvent être uniques ou multiples, ulcérées, granulomateuses ou polypoïdes. Les signes cliniques (épigastralgies, diarrhées, douleurs abdominales) sont peu spécifiques. Parmi les diagnostics différentiels, on retient la tuberculose, les tumeurs de l’appareil digestif, la maladie de Crohn, la colite ulcéreuse, l’amyloïde, la sarcoïdose, etc. Les complications sont plus exceptionnelles et représentées par l’hémorragie digestive, comme dans cette observation, l’obstruction et même la perforation et l’occlusion intestinale [8–10].

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L’histoplasmose africaine à H. capsulatum var. duboisii, rare et moins connue, a une forme similaire de présentation disséminée chez des patients immunodéprimés, mais avec un tropisme spécial pour la peau, les ganglions lymphatiques et les os (crâne, côtes, vertèbres). Les atteintes sont souvent sévères chez les personnes infectées par le VIH [5,11]. Le diagnostic d’histoplasmose repose sur l’examen direct des tissus prélevés ou après culture d’échantillons biologiques sur milieu de Sabouraud avec mise en évidence, après 2 à 6 semaines d´incubation, des moisissures dont la morphologie évoque H. capsulatum. L’identification morphologique devrait idéalement être confirmée par un test ADN, ou par un séquençage du gène de l’ARN ribosomal, ce qui pourrait permettre de raccourcir le délai diagnostique et préciser plus valablement le pathogène en cause. La sérologie est utile pour les formes chroniques ou pour la forme pulmonaire aiguë, lorsque le taux d’anticorps est multiplié par quatre entre deux dosages, mais leur apport est limité chez les patients immunodéprimés. Des LDH élevés, comme pour cette patiente, suggèrent une forme disséminée et possèdent une valeur pronostique [3,11,12]. Aucun traitement n’est généralement nécessaire en cas d’histoplasmose pulmonaire aiguë, légère ou modérée, chez l’immunocompétent ; elle doit néanmoins toujours être traitée chez l’immunodéprimé. Le traitement des formes disséminées doit être instauré sans tarder par l’amphotéricine B liposomale intraveineuse avec un relais, dès l’amélioration de l’état général, par itraconazole par voie orale. Le traitement initial peut être à base d’itraconazole, dans les cas modérés, ou

d’histoplasmose localisé [1,3,11,13]. Le fluconazole est moins efficace que l’itraconazole, et le rôle d’autres azoles, comme le voriconazole ou les échinocandines, reste mal connu [13,14]. L’efficacité de triméthoprime-sulfaméthoxazole a été rapportée dans un cas d’histoplasmose disséminée [15]. Pour l’infection VIH, on doit utiliser la trithérapie antirétrovirale, et la durée du traitement antifongique est préconisée au moins six mois après avoir obtenu un taux de CD4 > 200/mL [11,16]. Il est nécessaire de prendre en compte les interactions possibles entre les traitements antirétroviraux et les antimycotiques [17,18]. En Espagne, il est conseillé de proposer un test VIH à tous les immigrants provenant de pays dont la prévalence de l’infection est supérieure à 1 % (Afrique subsaharienne, Caraïbes). Quelle que soit l’origine de la personne, il est important de tenir compte des facteurs de risque d’infection à VIH, afin d’éviter un diagnostic tardif [19]. Par ailleurs, il est nécessaire d’envisager l’histoplasmose devant un syndrome pulmonaire chez n’importe quel patient, même immunocompétent, ayant séjourné dans une zone d´endémie, même de façon temporaire. Cette observation est également originale par sa présentation initiale sous forme d’hémorragie digestive. Face à un patient séropositif ou immunodéprimé, provenant d’une zone endémique, avec une fièvre peu spécifique ou associée à des manifestations digestives ou cutanées, l’histoplasmose doit faire partie des hypothèses diagnostiques [2,7,11,13].

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Fièvre et dyspnée chez une femme panaméenne ayant un ulcère rectal sanglant

Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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