Pour citer cet article : Rwabihama J-P, et al. Évolution des droits de patients en fin de vie. Presse Med. (2015), http://dx.doi.org/ 10.1016/j.lpm.2015.02.010 Presse Med. 2015; //: ///

Évolution des droits de patients en fin de vie

Mise au point

SOINS PALLIATIFS

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Jean-Paul Rwabihama 1,2, Marie-Thérèse Rabus 2, Jean-Guy Perilliat 2

Disponible sur internet le :

1. Université Paris-Est, A-TVB DHU, Clinical Epidemiology And Ageing (CEpiA) Unit EA4393, UPEC, 94000 Créteil, France 2. Assistance publique–Hôpitaux de Paris, HU Henri-Mondor, pôle gériatrique de l'Essonne, site Joffre-Dupuytren, 91210 Draveil, France

Correspondance : Jean-Paul Rwabihama, hôpitaux universitaires Henri-Mondor, pôle gériatrique de l'Essonne site Joffre-Dupuytren, 1, rue Eugène-Delacroix, 91210 Draveil, France. [email protected]

Points essentiels Depuis la loi de 1999, les patients en fin de vie ont accès aux soins palliatifs en France. Leurs droits ont été renforcés par la loi Kouchner de 2002 puis par la loi Léonetti de 2005. Plusieurs situations complexes de fin de vie, survenues ces dix dernières années, ont souligné les limites de la loi de 2005, mais les différentes évaluations de cette loi ont révélé, entre autres, sa méconnaissance auprès de la population générale et des professionnels de santé. Avant d'envisager une nouvelle loi, il conviendrait d'assurer une large diffusion des soins palliatifs et de préparer les professionnels de santé et la population générale aux situations complexes de fin de vie.

Key points Evolution of patients' rights at the end of life Since the early 1999, palliative cares were legally allowed in France. The rights of end of life'patients have been reinforced by the Kouchner law in 2002 and by the Leonetti law in 2005. During the last decade, several critical conditions of end of life showed the weaknesses of the Leonetti law however different assessments of this law recently carried out by officials, revealed that healthcare providers and general population were unfamiliar with this law. Before adopting new legislation, there is a huge need to promote palliative care and to train healthcare providers and general population to manage the last moments of end of life.

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Pour citer cet article : Rwabihama J-P, et al. Évolution des droits de patients en fin de vie. Presse Med. (2015), http://dx.doi.org/ 10.1016/j.lpm.2015.02.010

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J-P Rwabihama, M-T Rabus, J-G Perilliat

L'

accès aux soins est un droit fondamental réservé à toute personne dont l'état de santé le requiert. Le professionnel de santé est tenu de garantir à chaque patient un égal accès aux soins adaptés. Lorsque se présente une situation de prise en charge particulière, notamment, celle de la fin de vie, il doit s'inspirer des recommandations validées et des textes de référence, comme la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie du 22 avril 2005. Si cette loi encadre plusieurs situations différentes de fin de vie et souligne l'importance des soins palliatifs, certaines prises en charges complexes demeurent à sa marge et évoluent vers des situations insupportables, aussi bien pour le patient, ses proches et pour les professionnels de santé. La médiatisation de certains cas a soulevé des enjeux sociétaux ces dernières années, en France et dans d'autres pays européens. Les préoccupations générées par ces situations complexes transcendent le cadre juridique de notre système de santé et affectent la sphère politique et judiciaire jusqu'à la Cour européenne des droits de l'homme qui se voit de plus en plus sollicitée pour examiner des cas non résolus au niveau des instances juridiques de chaque état. Plusieurs travaux récents ont contribué à mûrir la réflexion autour du sujet de la fin de vie [1,2], mais la judiciarisation de certains cas met en évidence les limites des mesures actuellement en place. Si les progrès réalisés ont permis le renforcement des droits des patients en fin de vie, il faut souligner certaines limites de la loi sur les droits des malades et la fin de vie, dite loi Léonetti, et quelques axes de réflexion qui en découlent. Cette démarche d'ouverture pourrait plaider pour l'évolution des textes d'application de cette loi.

Genèse de l'encadrement juridique de la fin de vie en France

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Le débat sur la fin de vie a été inauguré par une proposition de loi relative au droit de vivre sa mort, déposée au Sénat par Henri Cavaillet en 1978 [3]. Bien que cette proposition ait été rejetée à l'unanimité par la commission des lois du Sénat, elle avait rappelé la primauté du principe d'autonomie qui marquera le processus législatif et réglementaire évolutif des droits des malades en fin de vie. Ce respect de la volonté des personnes en fin de vie a encore été retrouvé, en 1989, dans la proposition de loi déposée au Sénat par Robert Lacournet et Marc Bœuf [4]. Cette loi a permis d'établir le lien implicite entre la responsabilité individuelle et celle de la communauté sur la question de fin de vie. Elle invite la collectivité et les professionnels de santé à assumer une position et un engagement au service de la personne au terme de sa vie en lui proposant une alternative de prise en charge.

Garantir le droit d'accès aux soins palliatifs : loi du 09 juin 1999 C'est en 1999 que le législateur français a promulgué une loi visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs et à un accompagnement de fin de vie. Ce texte a facilité l'implantation des soins palliatifs dans les établissements hospitaliers publics par la mise en place d'unités dédiées, par la constitution d'équipes mobiles de soins palliatifs et des places d'hospitalisation à domicile. Afin de faciliter un accompagnement familial, cette loi a aussi octroyé à un ascendant ou un descendant le droit au congé d'accompagnement d'un proche en fin de vie. L'accompagnement des mourants a ainsi légalement été encadré mais certaines situations extrêmes ont révélé des dilemmes pour l'entourage du patient et la société. Sollicité à s'exprimer sur cette délicate question, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a publié son avis sur le thème « Fin de vie, arrêt de vie et euthanasie en 2000 », en ouvrant une brèche sur la notion d'engagement solidaire et d'aide à la mort. L'exemple d'accompagnement dramatique de Vincent Humbert en 2003 avait tristement rappelé les limites de l'encadrement juridique de ces situations extrêmes. Le respect de l'autonomie et de la dignité humaine a été mis en cause par la judiciarisation de cette affaire. Par le non-lieu prononcé, le tribunal a rendu une justice compatissante face à ce drame.

Droit des malades et fin de vie : de la loi de 2002 à celle de 2005 Avec la loi du 04 mars 2002 [5], une nouvelle étape des droits des malades a été franchie par l'obligation des professionnels de santé à informer le patient de son état de santé et le respect du consentement libre et éclairé sans lequel aucun acte médical ni traitement ne peut être réalisé. En plus d'améliorer la qualité du système de santé, cette loi a le mérite d'avoir institué une relation partenariale entre le malade et les professionnels de santé, rompant ainsi avec le paternalisme caractéristique observé chez la plupart des médecins à l'égard de leurs patients. Compte tenu des progrès techniques, le refus de soins d'un patient place le soignant dans une situation difficile ; ce dernier ayant l'obligation de soigner le malade et de l'aider à préserver sa santé. Dans d'autres circonstances, c'est la famille ou le détenteur de la protection juridique d'un patient en perte d'autonomie qui demande le maintien d'une prise en charge disproportionnée, relevant d'une obstination thérapeutique déraisonnable. Les droits de malades en fin de vie ont été plus substantiellement améliorés par la promulgation de la loi Léonetti du 22 avril 2005 [6]. En s'appuyant sur le dispositif des soins palliatifs déjà en place, ce texte encourage l'usage de tous les moyens nécessaires pour soulager la douleur et autres symptômes d'inconfort en situation de fin de vie. Si elle interdit l'acharnement

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Pour citer cet article : Rwabihama J-P, et al. Évolution des droits de patients en fin de vie. Presse Med. (2015), http://dx.doi.org/ 10.1016/j.lpm.2015.02.010 Évolution des droits de patients en fin de vie

TABLEAU I Interventions en fin de vie et aspects juridiques Interventions pouvant conduire au décès d'un patient

Patient pouvant s'exprimer et compétant

Maladie au stade terminal

Particularités

Aspects juridiques

Suicide médicalement assisté

Oui

Oui ou Non

Le médecin prescrit et met à disposition du patient des produits pouvant entraîner la mort et des dispositifs d'injection qui sont utilisés par le patient lui-même

Non autorisé en France

Euthanasie à la demande du patient

Oui

Oui ou Non

Le médecin administre un produit létal avec la finalité d'entraîner le décès du patient

Non autorisé en France

Euthanasie sans demande du patient

Non

Oui

Le médecin administre un produit létal avec la finalité d'entraîner le décès du patient

Non autorisé en France

Oui ou Non

Oui

Le médecin prescrit et administre des sédatifs et/ou des antalgiques à fortes doses dans le but de soulager les souffrances

Autorisé dans le cadre de la loi dite Léonetti

Arrêt de soins vitaux à la demande du patient

Oui

Oui ou Non

Le médecin et l'équipe soignante sont tenus de respecter le choix du patient qui retire son consentement aux soins

Autorisé dans le cadre de la loi dite Kouchner

Arrêt de soins vitaux sans demande du patient

Non

Oui

Le médecin et l'équipe soignante peuvent interrompre ces soins pour éviter une « obstination déraisonnable »

Autorisé dans le cadre de la loi dite Léonetti

thérapeutique et milite contre toute forme d'obstination déraisonnable, elle met en place des dispositions permettant à toute personne d'exprimer à l'avance ses souhaits par la rédaction des directives anticipées. Même si elle rejoint sur certains points l'avis no 67 du CCNE du 27/01/2000, relatif à l'avant-projet de révision des lois de bioéthique, elle interdit toute action provoquant intentionnellement la mort et établit une démarche d'accompagnement en fin de vie par une procédure collégiale et une implication de proches du patient. Il peut survenir des situations complexes ne rentrant pas dans le cadre strict de la loi Léonetti [7] ; l'équipe médicale met alors en route les soins d'accompagnement pour assurer le confort du patient. En France, cette approche d'accompagnement a été préférée à une démarche active de mettre fin à sa vie ou une forme d'assistance au suicide adoptée dans certains pays d'Europe et d'Amérique du Nord. Le tableau I résume les différentes interventions pouvant conduire au décès d'un patient dans les limites de la législation actuellement en vigueur en France.

Fin de vie dans d'autres pays Le développement de la médecine a conduit à l'allongement de l'espérance de vie avec comme conséquence l'émergence des pathologiques chroniques, particulièrement dans les pays développés. Ce progrès a fait reculer la survenue de la mort, mais le recours à une assistance au suicide permet à certains patients atteints d'une maladie chronique grave de mettre fin à leur vie. En Suisse, la loi cantonale de Vaud sur la santé publique (art. 27 d) autorise depuis 1985 l'assistance au suicide en établissement

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sanitaire reconnu d'intérêt public [8]. La demande de suicide assisté, soutenue par les associations du droit à la mort, a progressivement évolué au fil d'années pour atteindre des groupes vulnérables. Le rôle du médecin se résume à évaluer la capacité décisionnelle du demandeur et à prescrire le traitement létal alors qu'il peut ne pas s'agir d'une phase terminale de la pathologie. La Belgique et les Pays-Bas ont légalisé l'assistance au suicide en 2002 et l'euthanasie en 2004, lors d'une maladie incurable sévèrement symptomatique, dans certaines conditions précises, notamment pour les enfants et les adolescents sans fixer les conditions d'âge. Malgré la résistance du Grand-duc Henri, le Luxembourg a aussi légalisé l'assistance au suicide et l'euthanasie en 2009. La procédure privilégie l'autonomie de la personne au lien social, à l'appartenance à une famille. Bien qu'il semble que cette tendance à adopter le suicide assisté et l'euthanasie s'implante progressivement dans les pays de la communauté européenne [9], l'Autriche, le Royaume Uni, l'Allemagne [10] et d'autres pays de la région lui préfèrent le renforcement des droits des malades, tout en restant proches du dispositif législatif français. D'après Ezekiel J. Emanuel, les premiers débats sur l'euthanasie remonteraient à 1906 aux États-Unis [11]. C'est donc un siècle plus tard seulement que trois états américains ont légalisé l'assistance au suicide : l'Oregon a défini, en 1997, une procédure d'accompagnement par une équipe médicale mais l'acte de donner la mort est assuré par le demandeur seul dans un délai de 6 mois ; les états de Washington en 2008, de Montana

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Sédation à visée antalgique

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SOINS PALLIATIFS

Pour citer cet article : Rwabihama J-P, et al. Évolution des droits de patients en fin de vie. Presse Med. (2015), http://dx.doi.org/ 10.1016/j.lpm.2015.02.010

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en 2009 et de Vermont en 2013. Même si le développement de l'encadrement juridique de la fin de vie n'est pas encore harmonisé dans d'autres états américains, la culture d'accompagnement et des soins palliatifs a beaucoup évolué ces 20 dernières années aux États-Unis. Un accent particulier est mis sur l'autonomie décisionnelle du patient en fin de vie. Dans ces pays où le suicide assisté et/ou l'euthanasie sont autorisés, il existe plusieurs projets d'étendre la loi en vigueur sur des patients vulnérables [12]. Après avoir récemment adopté la loi sur l'euthanasie sans fixer les conditions d'âge pour les enfants et adolescents atteints d'une maladie incurable, la Belgique, par exemple, envisage de l'étendre aux patients déments. Les projets d'extension d'une telle loi surgissent souvent au décours de situations de fin de vie complexes largement médiatisées.

Situations complexes de fin de vie, enjeux éthiques et débats de société

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En France, plusieurs circonstances douloureuses de fin de vie survenues au cours de la dernière décennie ont relancé les débats sur la légalisation de l'euthanasie et/ou du suicide assisté. Certaines d'entre elles ont été médiatisées et traînées en procédures judiciaires préjudiciables pour le patient, ses proches et des professionnels de la santé. Pour rappeler les faits les plus marquants, l'affaire Vincent Humbert est un des plus illustres suicides assistés sur le registre français. Après avoir demandé une assistance au suicide, ce jeune pompier, devenu accidentellement aveugle, muet et tétraplégique, a obtenu l'aide de sa mère pour mourir. Marie Humbert et le Dr Chaussoy, prescripteur du produit létal, ont obtenu un non-lieu prononcé par le juge d'instruction, quelques mois après la promulgation de la loi relative aux droits de malades et à la fin de vie du 22 avril 2005. Faut-il évoquer l'instrumentalisation de cette situation complexe de fin de vie – quand l'on sait que le livre de Vincent Humbert, écrit par Frédéric Veille, « Je vous demande le droit de mourir », a été vendu à plus de 300 000 exemplaires – pour faire avancer un débat jusqu'à l'aboutissement d'une loi ? Le dénouement de l'affaire Vincent Humbert fut une ouverture aux situations d'exception. La clémence du jugement prononcé en 2003 dans l'affaire Chantal Chanel, où une patiente de 65 ans était atteinte d'un cancer du pancréas au stade terminal et avait bénéficié d'une assistance au suicide, avait été accueillie par des applaudissements du public. Dans l'affaire Lydie Débaine en 2005, une mère a été acquittée après avoir intentionnellement causé la mort par noyade de sa fille handicapée mentale, âgée de 26 ans. Par ces acquittements, la justice montre une humanité compatissante, même si les actes qui sont reprochés demeurent condamnables. En dépit de l'évolution indéniable marquée par la loi Léonetti, axée sur la limitation thérapeutique et la promotion des soins palliatifs, certaines situations particulières ne rentrent pas dans ce cadre juridique. C'est le cas de l'affaire Chantal Sebire qui a

connu en 2005 une forte médiatisation nationale et internationale après un suicide. L'affaire Remy Salvat rappelle aussi ce suicide par overdose d'automédication, relayé par les médias en 2008. Toutes ces affaires permettent de relever certaines limites de la loi relative aux droits de malades et à la fin de vie à encadrer tous les cas particuliers. Bien que le législateur n'aie autorisé ni l'euthanasie ni le suicide assisté, les tribunaux tiennent compte de la particularité de certaines situations complexes et tentent d'y apporter des solutions adaptées. Pour éviter qu'une impunité puisse couvrir de manière anticipée toute personne qui se prévaudrait d'une « exception d'euthanasie », le passage au tribunal permet de prononcer un jugement qui résulte d'un examen des faits, d'une procédure contradictoire et d'une délibération. Ainsi, l'acte dont l'essence n'est pas criminelle, n'est pas condamné. La justice est dans cet équilibre : dire où est l'essentiel, comprendre l'acte circonstanciel [13]. Les partisans pour le suicide assisté crient à l'immobilisme et instrumentalisent la souffrance des proches du patient pendant que d'autres s'alarment sur un franchissement de l'interdit. Alors que la justice et la société assistent à ces débats médiatisés, le patient en fin de vie, ses proches et les professionnels de santé sont pris de partie et souffrent de ces divergences idéologiques. Est-ce convenable de livrer les douleurs morales et physiques d'un patient en fin de vie et de sa famille sur la place publique ? Deux affaires sont venues encore récemment relancer le débat sur l'évolution de la loi Léonetti : celle de Vincent Lambert et celle de Nicolas Bonnemaison. Une procédure collégiale, ayant impliqué l'épouse de Vincent Lambert, patient tétraplégique pauci-relationnel, a abouti à l'interruption de l'alimentation et la réduction de l'hydratation du patient en avril 2013. Opposés à cette décision, les parents de Vincent Lambert ont obtenu, en janvier 2014, une ordonnance judiciaire enjoignant l'équipe médicale à rétablir l'alimentation et l'hydratation. Cette affaire a connu plusieurs rebondissements jusqu'au Conseil d'État qui, après avoir sollicité les avis de l'Académie de médecine, du Conseil national de l'ordre des médecins et du CCNE [14], a invalidé l'ordonnance et considéré conforme à la loi, la décision médicale de l'hôpital de Reims. Saisie en urgence le 25 juin 2014 par les parents de Vincent Lambert, la Cour européenne des droits de l'homme a suspendu la décision du conseil d'État pour étudier dans le fond l'affaire Vincent Lambert. Les rebondissements de cette affaire qui laissent penser à une éventuelle obstination thérapeutique déraisonnable évoqueraient aussi une obstination judiciaire déraisonnable. Outre le fait de continuer à diviser la famille du patient, ils ont probablement dû influer sur la démission du Dr Éric Kariger, chef du service des soins palliatifs en charge de Vincent Lambert. Par ailleurs, en juin 2014, la cour d'assises de Pau a acquitté le Dr Nicolas Bonnemaison qui avait expressément provoqué la mort de 7 patients âgés, en fin de vie, arrivés aux urgences en août

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Pour citer cet article : Rwabihama J-P, et al. Évolution des droits de patients en fin de vie. Presse Med. (2015), http://dx.doi.org/ 10.1016/j.lpm.2015.02.010

Évaluation de la loi Léonetti, une évolution en marche En 2008, une mission parlementaire d'évaluation de cette loi [17] a été dirigée par Jean Léonetti dont le rapport a mis en évidence trois points essentiels :  une méconnaissance et une application insuffisante de la loi du 22 avril 2005 sur le terrain ;  l'inopportunité de légaliser un droit à la mort en arguant entre autres le fait que la procédure pénale d'exception pourrait répondre aux situations d'exception ;  une meilleure prise en compte des intérêts et des droits des malades en fin de vie par la création d'un observatoire des pratiques médicales de la fin de vie.

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En 2010, l'observatoire national de fin de vie a été créé par décret pour apporter des données objectives sur les pratiques d'accompagnement en fin de vie. Dans son rapport annuel, il établit un état des connaissances sur la fin de vie, éclaire les choix des politiques dans l'attribution des moyens nécessaires à la promotion de la culture palliative en France et assure la promotion de la recherche dans ce domaine. Des progrès sont manifestes depuis 2008, mais il persiste des inégalités entre la prise en charge des patients en fin de vie à l'hôpital et ceux qui restent à domicile. Les rapports de l'observatoire ont aussi constaté que l'enracinement de la culture médicale française n'a pas encore permis la reconnaissance du statut d'acteur principal du patient dans sa prise en charge. En 2012, le Pr Didier Sicard a dirigé la mission de réflexion sur la fin de vie en envisageant une assistance médicalisée pour terminer son existence dans la dignité. S'inscrivant dans la suite des lois de 1999, de 2002 et 2005, le rapport Sicard [18] :  a insisté sur l'application effective des lois antérieures ;  a recommandé une large diffusion de la notion des directives anticipées et l'organisation d'une formation systématique, consistante et pérenne aux étudiants en médecine ;  a accordé le même poids aux soins palliatifs comparativement aux soins curatifs et surtout a souhaité transformer la notion de sédation continue en un geste pouvant abréger une longue agonie ;  a envisagé une ouverture pour des cas exceptionnels des patients atteints d'une pathologie incurable en phase terminale par un recours ultime aux médicaments prescrits par un médecin pour interrompre leur existence. Cette évolution ne s'appliquerait qu'aux patients en fin de vie capables d'assurer un geste autonome, au terme d'une procédure collégiale et pluriprofessionnelle, en présence du médecin traitant ou prescripteur, en préservant une éventuelle objection de conscience du pharmacien. En février 2013, l'Ordre national des médecins a émis un avis sur la fin de vie et l'assistance à mourir [19]. Pour des situations exceptionnelles de fin de vie, sortant du cadre de la loi en vigueur, il a aussi préconisé la mise en place d'une sédation profonde et terminale par un collège, en préservant au médecin référent la possibilité de la clause de conscience. Dans un second rapport présenté en avril 2013, Jean Léonetti a aussi souligné la promotion de la sédation terminale pour des patients inconscients en fin de vie. Les rapports d'évaluation de la loi Léonetti couvrent ainsi donc la plupart des contextes de fin de vie en France [20] et sa réputation a franchi les frontières nationales.

Mise au point

2011 sans se référer à une procédure collégiale. Les applaudissements déclenchés par cet acquittement ont partagé aussi bien les professionnels de santé que la population générale. Un sondage réalisé par le Journal International de Médecine [15] a prouvé que la question était loin d'être tranchée : 48 % des professionnels de santé ont déclaré approuver l'appel du parquet après l'acquittement du Dr Bonnemaison, tandis qu'ils ont été une proportion à peine élevée, 49 %, à désapprouver ce rebondissement judiciaire évoquant une obstination judiciaire déraisonnable. Alors qu'une seule famille des sept patients décédés s'était constituée partie civile, plusieurs centaines de professionnels de santé avaient envoyé des lettres de soutien en faveur du Dr Nicolas Bonnemaison, rappelant les conditions de travail dans un service d'accueil d'urgences et la particulière fragilité des sujets âgés accueillis. Toutes ces situations complexes mettent en évidence les limites de la loi Léonetti, ouvrant la discussion aux enjeux éthiques et relançant un débat sociétal sur la fin de vie. Ces affaires entraînent souvent des procédures judiciaires éprouvantes pour le patient, ses proches et désormais pour l'équipe médicale. Lorsque les professionnels de santé sont impliqués au conflit opposant deux parties dans une procédure litigieuse, non seulement la relation de confiance patient-soignant en souffre mais ce dernier subit des pressions lourdes de conséquences sur le plan personnel et professionnel [16]. Pourtant ces drames familiaux pourraient être apaisés par la prise en compte des difficultés rencontrées par les patients en fin de vie et leurs familles. Il est inenvisageable d'apporter une réponse unique aux enjeux éthiques de la fin de vie ni de proposer une solution systématiquement applicable à toutes les situations. La loi Léonetti semble en encadrer un grand nombre et une démarche dépassionnée d'échanges pourrait aboutir à l'issue la moins pénible pour tout le monde. Les avancées apportées par la loi Léonetti sont-elles insuffisantes ? Certaines de ces situations n'évoquent-elles pas une obstination déraisonnable ? Pour répondre à ces questionnements, une concertation de la population, à l'initiative des autorités de l'État sur la loi relative aux droits de malades et la fin de vie s'est avérée indispensable en lançant un débat de société.

SOINS PALLIATIFS

La loi Léonetti, admirée aux États-Unis et en Europe, peu appliquée en France Cette loi rappelle le rôle d'acteur central du malade dans sa prise en charge médicale depuis la loi Kouchner en 2002. Grâce à la loi Léonetti, celui-ci peut rédiger ses directives anticipées et

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Évolution des droits de patients en fin de vie

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désigner une personne de confiance pour rappeler ses souhaits en cas d'incapacité ultérieure. L'application de ces deux principaux mécanismes – directives anticipées et personne de confiance – fait encore défaut, comme l'a rappelé l'enquête publiée récemment par Guyon et al. [21]. Pourtant, ce progrès indéniable dans les processus décisionnels de limitation ou d'arrêt des traitements chez certains patients en fin de vie est aussi intégré dans d'autres pays. Le développement des droits de malades remonterait aux années 1970 aux États-Unis et le respect du principe d'autonomie qui en découle est devenu depuis, une directive standard de bonne pratique. D'après le Pr Graig Klugman de l'université DePaul à Chicago, le cadre législatif français confère plus de souplesse aux professionnels de santé [22]. Pour illustrer ce point de vue, il a évoqué l'aspect consultatif des avis de la personne de confiance, de la famille et des directives anticipées, laissant à la discrétion du médecin, le choix de la décision à prendre en cas d'incapacité pour s'exprimer du patient en fin de vie. Ce pouvoir décisionnel que confère le législateur français au médecin est une reconnaissance irréfutable indiquant que, compte tenu de sa formation et de son expérience, le médecin est la personne – après une procédure collégiale – la plus indiquée pour prendre la décision de poursuivre les soins actifs ou assurer l'accompagnement de fin de vie d'après Graig Klugman. Pour cet universitaire américain, le projet de loi sur la fin de vie envisagé actuellement en France s'oriente vers le cadre juridique américain où l'avis du patient et de sa famille est prépondérant lors des soins de fin de vie. Le bras de fer entre l'équipe du Dr Kariger et la famille de son patient dans l'affaire Vincent Lambert en est une illustration. D'après Graig Klugman, en adoptant une nouvelle loi, la France subirait une pression accrue des demandes de fin de vie, au nom du principe d'autonomie du patient, qui caractérise les débats contentieux survenant aux États-Unis dans le cadre de la fin de vie. Dans son éditorial, il a souligné l'approche consensuelle de la loi Léonetti. Même si l'Union européenne n'a pas encore voté un projet de loi communautaire relative à la fin de vie, quelques États-membres disposent de législations différentes sur le suicide assisté et l'euthanasie. Ainsi, la tendance libéraliste et progressiste de certains pays du nord de l'Europe ayant adopté l'euthanasie et/ou le suicide assisté (Pays-Bas, Belgique, Suisse, Luxembourg) contraste avec l'esprit conservateur qui demeure dans les pays du sud de l'Europe (Italie, Espagne, Portugal) où, à cause probablement de la tradition catholique, les responsables politiques semblent réticents. La loi française relative aux droits de malades et à la fin de vie est reconnue comme un remarquable dispositif consensuel qui remet le patient au centre de la prise en charge. Ayant refusé le renfermement dogmatique considérant que toute vie est sacrée tout en rejetant d'autoriser l'euthanasie, le législateur français a établi un accompagnement en fin de vie à travers une procédure d'évaluation qui assure les droits

du patient mais aussi tient compte des contraintes professionnelles du corps médical. Cette procédure semble avoir inspiré le processus décisionnel relatif aux traitements médicaux dans les situations de fin de vie, publié par le comité de bioéthique du Conseil de l'Europe en mai 2014 [23].

Quelques pistes de réflexion Campagne de diffusion de la loi Léonetti Tous les rapports d'évaluation de la loi Léonetti ont souligné sa méconnaissance par bon nombre des professionnels de santé et une majorité de la population générale. Cette méconnaissance constitue le principal handicap de son application. Dans le corps médical français, si les réanimateurs et certaines équipes de cancérologie, de gériatrie et de neurologie sont sensibilisés aux droits des malades en fin de vie, la majorité des médecins d'autres spécialités semblent ne pas s'y intéresser. Dans une étude récemment publiée à La Presse Médicale, Le Meur et al. ont trouvé que 28 % des médecins généralistes avaient déclaré ne pas connaître la loi régissant la fin de vie en France [24]. La culture médicale du soin curatif accorde généralement le relais à la médecine palliative pour les 2 voire 3 dernières semaines de la vie. La médecine palliative devrait intervenir dès que le diagnostic d'une pathologie grave incurable est posé pour redéfinir les objectifs de prise en charge et prévoir des soins palliatifs. Une vaste campagne d'information et de formation destinée aux professionnels de santé, en particulier les médecins, sur les principes et les pratiques de soins palliatifs est nécessaire. À une échelle plus importante, un éditorial du 8 février 2014 du Lancet soulignait la nécessité d'une campagne mondiale pour promouvoir les pratiques de soins palliatifs, particulièrement dans des zones défavorisées du monde [25]. Dans un récent rapport de l'Organisation mondiale de la santé et l'Alliance mondiale des soins palliatifs intitulé « Global Atlas of palliative care at the end of life » [26], on estime à près de 20 millions les patients atteints d'un cancer et nécessitant une prise en charge palliative : 22 % d'entre eux résident dans des pays riches, 70 % dans des pays émergents et 8 % dans des pays en développement. À côté de cette limite géographique de la pratique de la médecine palliative, la méconnaissance par les médecins de cette spécialité réduit considérablement son expansion. Aussi, comme il arrive souvent aux domaines émergents de la médecine, les programmes de formation en soins palliatifs sont variés, destinés parfois simultanément à différents corps de métier des soignants et avec des approches peu uniformes pour les étudiants en médecine de différentes facultés. Dans une revue de la littérature, Chiu et al. [27] ont récemment souligné l'insuffisance de formation en soins palliatifs, rapportée par des médecins et des étudiants en médecine, et le manque de standardisation des programmes de ces formations. Ils ont proposé le développement des outils d'évaluation de formations en soins palliatifs destinés aux médecins. Avec

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Pour citer cet article : Rwabihama J-P, et al. Évolution des droits de patients en fin de vie. Presse Med. (2015), http://dx.doi.org/ 10.1016/j.lpm.2015.02.010

La culture de la mort et de fin de vie à l'hôpital Le phénomène de la mort, vécu auparavant comme un départ naturel, une fin de la vie, a progressivement été rejeté par la société qui demande à la médecine encore plus de performance pour la repousser à défaut de ne pas pouvoir l'éviter. Avec les progrès de la médecine, le personnel hospitalier n'intègre pas facilement ce phénomène naturel ; les médecins et les équipes soignantes déploient leur savoir-faire et l'appui des technologies disponibles pour l'enrayer. Lorsque cette prise charge ressemble à un acharnement thérapeutique, le patient – quand il le peut –, ses proches et la société demandent à l'équipe médicale d'abréger la vie. Au milieu de ce paradoxe, l'équipe médicale et soignante n'est pas souvent disposée à accepter la mort ni à l'accueillir, pourtant celle-ci s'impose à elle. En effet, en France, en 2008, plus de la moitié du nombre de décès est survenue à l'hôpital. La mort n'est généralement pas attendue ni préparée par l'équipe médicale qui la vit comme un échec. Dans un nombre considérable d'articles colligés par Chiu et al. [27], les étudiants en médecine ont rapporté leurs mauvaises expériences au cours des soins de fin de vie. Il faut souligner cette impréparation des jeunes médecins face aux situations

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d'accompagnement à la mort et la nécessité de confronter les stagiaires hospitaliers aux circonstances de fin de vie et aux soins palliatifs d'une manière générale. Cette formation conférerait un savoir-faire aux médecins, qui, traditionnellement formés à la médecine curative, associeraient à leur pratique une prise en charge palliative précoce avec un impact sur la qualité des derniers instants de vie. Pour les proches de patients et la société, la médecine moderne doit, d'une part, répondre efficacement aux situations médicales complexes et, d'autre part, pouvoir mettre fin à la vie lorsque la guérison n'est plus envisagée. Ce rejet de la mort par la société et la délicatesse de la mission de l'équipe médicale peuvent compliquer sa survenue de telle sorte que certaines fins de vie se transforment en drames et/ou en procédures judiciaires. Envisager la mort dès la déclaration d'une pathologie grave, discuter des souhaits et des attentes du patient, évoquer des circonstances éventuellement de la fin de vie avant l'apparition des complications de la pathologie incurable avec le patient et/ou la famille après une démarche collégiale et pluriprofessionnelle pourraient mieux préparer les situations conflictuelles de fin de vie. Bien souvent, en cancérologie, l'oncologue s'étale sur les bénéfices potentiels d'un protocole de chimiothérapie dans un langage optimiste mais ambigu sans se préoccuper de ce que le patient a retenu. Weeks et al. ont montré que 65 % des patients souffrant d'un cancer pulmonaire ou colorectal n'avaient même pas compris que leur état de santé était incurable [29]. Le sujet de la mort pourrait aussi être discuté lors des réunions médicales ; si le patient et ses proches pouvaient librement discuter de la fin de vie et des directives anticipées, des consignes de soins anticipés seraient disponibles pour orienter la décision médicale. En commentant la publication du livre de David Clark intitulé « Transforming the culture of dying: the work of the project on death in America » paru en 2013, John Ellershaw a aussi plaidé pour une forte sensibilisation aux soins du patient mourant. Il a insisté sur le dilemme qui émerge du débat sociétal sur la fin de vie, en rappelant que la société est ouverte à un débat sur les questions de fin de vie tout en redoutant en même temps les conséquences d'une telle approche sur la culture curative de la médecine [30]. Changer la culture de la mort est un important défi que la société ne peut résoudre qu'en levant le tabou sur le sujet de la mort et que tout soignant apprenne à assurer l'accueil de la mort comme un soin ultime au patient.

Mise au point

l'émergence de pathologiques chroniques dont la survenue des complications nécessiterait une prise en charge palliative, il serait souhaitable de proposer une formation pratique à tous les internes, toutes spécialités confondues, afin de leur conférer des compétences pour les soins palliatifs et la gestion des symptômes d'inconfort, en situation de fin de vie. De manière plus systématique, un effort massif de formation et d'information devrait mobiliser les médecins pour les sensibiliser aux soins palliatifs. Afin de donner à la médecine palliative une place équitable à côté de la médecine curative, il conviendrait aussi de sensibiliser le conseil national des universités pour ouvrir des postes universitaires pour que la médecine palliative puisse former des enseignants spécialistes et assurer ainsi la promotion et la pérennité de cette spécialisation. Le changement des mentalités pour les médecins à l'égard des soins palliatifs devrait passer par cette universitarisation de la médecine palliative comme l'a souligné le rapport Sicard. Cela améliorerait considérablement l'application de la loi sur les droits de malades en fin de vie. La mission Sicard a permis, entre autres, de révéler l'angoisse qu'éprouve la population générale face aux circonstances particulières de fin de vie, souvent médiatisées. Une vaste campagne nationale d'information pourrait permettre de rassurer la population, d'envisager la fin de vie à son domicile et de réduire cette phobie de « finir ses jours dans un milieu étranger », qu'est une chambre d'hôpital. Cette campagne devrait aussi concerner les acteurs de santé publique et impliquer les décideurs politiques au niveau central et régional afin d'allouer des ressources suffisantes pour renforcer des filières extrahospitalières pouvant intervenir au domicile [28].

SOINS PALLIATIFS

Le stress pour l'équipe médicale en situation de fin de vie La loi relative aux droits des malades et à la fin de vie indique une procédure collégiale impliquant les proches afin d'assurer un accompagnement digne. Bien qu'elle prévoie qu'au terme de cette procédure, la décision de prise en charge resterait médicale, les droits attribués au patient et à ses proches par les lois

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Évolution des droits de patients en fin de vie

Pour citer cet article : Rwabihama J-P, et al. Évolution des droits de patients en fin de vie. Presse Med. (2015), http://dx.doi.org/ 10.1016/j.lpm.2015.02.010

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Mise au point

J-P Rwabihama, M-T Rabus, J-G Perilliat

Kouchner et Léonetti peuvent parfois mettre en difficulté l'équipe médicale. Lorsque la famille et les proches d'un patient en fin de vie n'approuvent pas une décision médicale, ils ont recours à la justice au lieu de confronter cette décision à l'avis d'une autre équipe médicale. Cette possibilité génère des situations conflictuelles entre l'équipe médicale et les proches du patient. La médiatisation de certaines affaires telles que celles citées ci-dessus amplifie les tensions qui sont préjudiciables à la qualité des soins du patient et génère du stress à l'équipe médicale. Dans une étude menée en service de réanimation, Curtis et Vincent [31] ont montré que les soins de fin de vie sont associés à l'augmentation du burnout pour les équipes médicales et soignantes affectées en unités de soins intensifs. Dans l'affaire Vincent Lambert, le Dr Eric Kariger a reconnu que le stress entourant cette fin de vie a contribué à sa décision de démissionner du CHU de Reims. Embriaco et al. ont estimé que 50 % des réanimateurs français ont eu un taux élevé de burnout dans une étude publiée en 2007 [32]. En outre, pour la particularité de certaines situations complexes qui ne rentrent pas explicitement dans la loi Léonetti, l'angoisse générée par une plainte des proches au tribunal peut faire préférer à l'équipe médicale une attitude d'obstination déraisonnable. Pourtant, si la loi Léonetti est appréciée à l'étranger, les Américains, c'est aussi parce que le pouvoir décisionnel du médecin est encore plus considéré en France qu'aux États-Unis. Il n'est pas question de revenir sur le pouvoir historique du médecin cum imperio, mais l'édition d'un décret d'application clarifiant le rôle décisionnel du médecin ou établissant une procédure de recours via une commission de pairs pourrait éviter le recours à la justice avec une médiatisation préjudiciable. Une relation de partenariat établi entre le patient, sa famille et l'équipe médicale conduirait aux meilleures conditions d'accompagnement en fin de vie. La lecture de la relation médecin–malade évoluerait vers un partenariat renforcé avec le patient et non plus pour le patient [33]. Concernant les situations particulières de fin de vie qui ne rentrent pas dans le cadre de l'état actuel de la loi, une sédation profonde et terminale pourrait être décidée par un collège lorsque la demande est conforme aux directives anticipées, réitérée par le patient, en cas d'incapacité mentale ou d'absence de directives anticipées. Quant à l'assistance au suicide, cette situation mériterait encore une profonde réflexion puisqu'il s'agit là de frôler d'au plus près l'interdit – l'acte qui consiste à donner la mort. Le processus de réflexion d'une demande de suicide assisté pourrait aussi être confié à une commission nationale. Reste en débat la compatibilité d'une telle demande avec les exigences déontologiques actuelles de professions médicales et soignantes [34]. En dépit de toute la réticence que l'on peut éprouver pour s'opposer

à une assistance au suicide au nom des valeurs morales et de l'essence du rôle de tout soignant qui s'interdirait de poser un geste d'assistance au suicide, il est souhaitable de garder un dialogue permanent. Lorsqu'on a été confronté à des souffrances indescriptibles d'un patient en tant que soignant, l'on ne peut opposer à sa conscience tourmentée un dispositif législatif en évolution. C'est d'ailleurs dans ce cadre qu'un projet de recherche est encours de conception au pôle gériatrique de l'Essonne des hôpitaux universitaires Henri-Mondor (Assistance Publique–Hôpitaux de Paris), pour évaluer la perception des professionnels de santé en milieu gériatrique confrontés à ces situations récurrentes et complexes de fin de vie. Il est légitime d'envisager la prise en charge d'un patient atteint d'une pathologie grave, évolutive et incurable en prenant en compte les difficultés qu'éprouvent l'équipe de soin.

Conclusion Les droits de patients en fin de vie ont évolué ces 20 dernières années en France, un tournant a été marqué en 2002 par la loi Kouchner et en 2005 par la loi Léonetti. Plusieurs situations complexes de fin de vie ont suscité des débats de société pour faire évoluer la loi Léonetti en réponse aux cas particuliers relayés par les médias. Après deux rapports d'évaluation publiés par le sénateur Jean Léonetti en 2008 et 2013, les travaux de l'observatoire de fin de vie en 2011, 2012 et 2013, et le rapport de la mission Sicard, le principal constat montre qu'il n'y a pas lieu à légiférer puisque que la loi en vigueur couvre déjà plus de 98 % des situations de fin de vie. Cependant, presque 10 ans après sa promulgation, la loi Léonetti est méconnue et mal appliquée. Ainsi, est apparue la nécessité d'assurer une large diffusion de la loi. La particularité du rapport de la mission Sicard est de souligner l'intérêt d'une filière de formation universitaire en médecine palliative. Cette commission a aussi préconisé une sédation profonde et terminale pour abréger une agonie pénible. Enfin, elle évoque le principe d'assistance au suicide sous certaines conditions. Cette loi est particulièrement admirée à l'étranger, notamment aux États-Unis et dans d'autres pays d'Europe. Le développement de ces trois pistes de réflexion pourrait permettre une large diffusion de la loi Léonetti et sa meilleure application, promouvoir une culture de la mort qui en faciliterait l'acceptation par les équipes de soin et diminuerait l'impact des situations conflictuelles, et renfoncer la position du médecin au cœur de la procédure d'accompagnement en fin de vie. Déclaration d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d'intérêts en relation avec cet article.

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Pour citer cet article : Rwabihama J-P, et al. Évolution des droits de patients en fin de vie. Presse Med. (2015), http://dx.doi.org/ 10.1016/j.lpm.2015.02.010 Évolution des droits de patients en fin de vie

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Références

Mise au point

SOINS PALLIATIFS

[Evolution of patients' rights at the end of life].

Since the early 1999, palliative cares were legally allowed in France. The rights of end of life'patients have been reinforced by the Kouchner law in ...
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