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JFO-1090; No. of Pages 7

Journal français d’ophtalmologie (2015) xxx, xxx—xxx

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ARTICLE ORIGINAL

Efficacité anti-amibienne in vitro de l’association riboflavine/UV-A Evaluation of in vitro efficacy of combined riboflavin and ultraviolet-A (365 nm) for Acanthamoeba J. Letsch a, A. Abou-Bacar b, E. Candolfi b, T. Bourcier c, A. Sauer c,∗ a

Centre ophtalmologique Malraux, 32, rue du bassin d’Austerlitz, Presqu’île André-Malraux, 67100 Strasbourg, France b Institut de parasitologie et de maladies tropicales, hôpitaux universitaires de Strasbourg, 1, rue Koeberlé, 67000 Strasbourg, France c Service d’ophtalmologie, hôpitaux universitaires de Strasbourg, Nouvel Hôpital Civil, 67091 Strasbourg cedex, France Rec ¸u le 8 juillet 2014 ; accepté le 1er septembre 2014

MOTS CLÉS Acanthamoeba ; Cross-linking ; Kératite ; Riboflavine ; Ultraviolet-A



Résumé Introduction. — Les kératites amibiennes constituent une pathologie rare, mais grave. Elles sont particulièrement difficiles à traiter lorsque le diagnostic est tardif, notamment en raison des limites des traitements actuels. Le but de notre étude est d’évaluer l’efficacité anti-amibienne de la riboflavine et des UV-A sur Acanthamoeba castellani. Matériels et méthodes. — Nous avons testé l’effet de la chlorhexidine 0,02 % seule (C), de l’association riboflavine 1 % et UV-A (R + UV-A), et de la combinaison de ces deux procédures (C + R + UV-A) sur des cultures de formes végétatives et de kystes d’A. castellani. Nous avons procédé à un comptage parasitaire sous microscope optique de chaque zone traitée à 1, 4 et 8 jours. Résultats. — Il existe une diminution du nombre de kystes pour les trois traitements (C, R + UVA, C + R + UV-A). Cette réduction est plus importante pour les géloses traitées par R + UV-A (p < 0,01 à j8) et celles traitées par C + R + UV-A (p < 0,001 à j8) en comparaison à celles exposées à la chlorhexidine seule (C). On ne note pas de diminution du nombre de trophozoïtes amibiens pour les trois traitements (C, R + UV-A, C + R + UV-A), mais un enkystement de ceux-ci.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Sauer).

http://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2014.09.013 0181-5512/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Pour citer cet article : Letsch J, et al. Efficacité anti-amibienne in vitro de l’association riboflavine/UV-A. J Fr Ophtalmol (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2014.09.013

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J. Letsch et al. Discussion. — Devant l’efficacité in vitro de l’application de riboflavine combinée aux UV-A contre les formes kystiques d’A. castellani et l’excellente tolérance in vivo de cette procédure, la prise en charge des kératites amibiennes pourrait être améliorée par cette nouvelle approche thérapeutique. © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDS Acanthamoeba; Cross-linking; Keratitis; Riboflavine; Ultraviolet-A

Summary Introduction. — Acanthamoeba keratitis is a rare but serious disease and is particularly difficult to treat when the diagnosis is delayed, partly because of the limitations of current therapies. The purpose of our study is to evaluate the anti-amoebic effectiveness of riboflavin and UV-A on Acanthamoeba castellani. Materials and methods. — We tested the effect of 0.02% chlorhexidine alone (C), the combination of riboflavin 1% and UV-A (UV-A + R), and the combination of the two treatments (R + C + UV-A) on cultures of vegetative and cystic forms of A. castellani. We conducted a parasite count under optical microscopy for each treated area at day 1, 4 and 8. Results. — There was a decrease in the number of cysts for all three treatments (C, UV-A + R, R + C + UV-A). This reduction was greater for the plates treated with R + UV-A (P < 0.01 at D8) and those treated with C + R + UV-A (P < 0.001 at D8) compared to those exposed to chlorhexidine alone (C). There was no decrease in the number of amoebic trophozoites for the three treatments (C, UV-A + R, R + C + UV-A), but encystment was observed. Discussion. — Given the in vitro efficacy of riboflavin combined with UV-A against cystic forms of A. castellani and excellent in vivo tolerance of the procedure, the treatment of acanthamoeba keratitis might be improved by this new therapeutic approach. © 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction Les kératites infectieuses peuvent être d’origine bactérienne, parasitaire, virale ou mycotique. La survenue d’une infection cornéenne nécessite une prise en charge médicale urgente en milieu spécialisé. Il s’agit d’un véritable problème de santé publique, le pronostic visuel des patients atteints étant rapidement engagé du fait de la perte de transparence cornéenne [1]. Le diagnostic d’abcès de cornée est clinique et microbiologique. Le diagnostic microbiologique, indispensable en présence de signes de gravité, permet d’adapter le traitement anti-infectieux à la sensibilité du germe identifié. Le prélèvement de référence est le grattage cornéen permettant un diagnostic microbiologique dans environ 70 % des cas. Il doit s’effectuer avant tout traitement local. Les germes les plus fréquemment retrouvés sont Staphylococcus aureus, Streptococcus pneumoniae, Pseudomonas aeruginosa, Moraxella sp. Les kératites infectieuses peuvent également être d’origine parasitaire (Acanthamoeba sp.) ou mycotique (Candida sp., Fusarium sp., Aspergillus sp.). Le port de lentilles de contact constitue le facteur de risque principal d’abcès de cornée dans les pays industrialisés [2]. L’entretien et le bon maniement des lentilles, souples ou rigides, font partie intégrante du port de lentilles de contact. Il constitue un élément-clef dans la sécurité du port, avec un intérêt majeur dans la prévention des complications cornéennes, en particulier infectieuses [3,4].

Les kératites amibiennes constituent une pathologie rare, mais grave. Les amibes sont des protozoaires ubiquitaires du genre Acanthamoeba vivant en environnement tellurique et aquatique (eau courante, piscines, eau de mer, sol, air ambiant), se divisant de fac ¸on asexuée par mitose. Les amibes se présentent sous deux formes : la forme végétative ou trophozoïte (15—40 ␮m), mobile et infectante, et le kyste (13—20 ␮m), forme de résistance pouvant survivre pendant plusieurs années. Plusieurs espèces d’ Acanthamoeba peuvent être responsables de kératites parmi lesquelles : A. castellani, A. culbertsoni, A. griffini, A. hatchetti, A. lugdunesis, A. polyphaga, A. quina, A. rhysodes [5]. Devant une kératite amibienne, un traitement local horaire par association de molécules antiseptiques est débuté et poursuivi pendant au moins 2 à 4 mois [1]. Les antiseptiques cationiques comprennent les biguanides : polyhexaméthylène biguanide ou PHMB 0,02 % et la chlorhexidine 0,02 %. Ces molécules ont une bonne activité amoebicide et kysticide. Les molécules dérivées des diamidines comprennent l’isethionate de propamidine (brolène 0,1 %) et l’hexamidine diisethionate (Désomédine® ). Le protocole de traitement habituellement proposé est l’association d’un biguanide avec un dérivé des diamidines. Un traitement par voie orale par agents imidazolés (fluconazole, kétoconazole ou itraconazole) peut être associé en cas d’atteinte profonde et/ou de risque de dissémination intraoculaire. Une prise en charge chirurgicale peut s’avérer

Pour citer cet article : Letsch J, et al. Efficacité anti-amibienne in vitro de l’association riboflavine/UV-A. J Fr Ophtalmol (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2014.09.013

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Efficacité anti-amibienne in vitro de l’association riboflavine/UV-A nécessaire lorsque l’intégrité oculaire est menacée : application de colle cyanoacrylate ou greffe de cornée « à chaud » (kératoplastie transfixiante ou lamellaire), avec un risque important de récidive sur le greffon en cas d’envahissement du lit receveur par le parasite. Une greffe de membrane amniotique peut permettre d’accélérer la cicatrisation cornéenne. On retiendra que, le plus souvent, le traitement précoce de cette pathologie favorise le pronostic final, mais il faut garder à l’esprit qu’il existe un risque majeur de séquelles ou de complications à type de taie cornéenne, de perforation cornéenne ou encore d’endophtalmie par propagation intra-oculaire du parasite. Le pronostic anatomique et visuel des kératites amibiennes étant plus péjoratif qu’en cas de kératite infectieuse d’origine bactérienne ou herpétique, la recherche de nouveaux moyens thérapeutiques amoebicides constitue un véritable défi clinique et microbiologique. La riboflavine, ou vitamine B2, est un nutriment essentiel et constitue un composé cellulaire naturel. Lors d’une exposition à un rayonnement ultra-violet (UV), celle-ci peut inactiver certains germes pathogènes. Dès les années 1960, des scientifiques japonais ont montré que la riboflavine, après exposition à la lumière naturelle ou aux UV-A, pouvait être utilisée pour inactiver le virus de la mosaïque du tabac [6]. Depuis les années 2000, la riboflavine est utilisée comme photosensibilisant pour inactiver les pathogènes dans les poches de transfusion de plasma, de plaquettes ou de globules rouges [7,8]. En parallèle, l’activité antimicrobienne des UV est bien connue sur les spores et les virus et est couramment utilisée pour la désinfection de l’eau potable, de l’air et des surfaces dans les laboratoires de microbiologie. L’effet virucide ou sporicide s’effectue via la formation de radicaux libres oxygénés au contact des acides nucléiques, entraînant ainsi les pathogènes vers une voie apoptotique [9—11]. Martins et al. ont ainsi mis en évidence que la combinaison riboflavine/UVA est efficace in vitro sur S. aureus, Staphylococcus epidermidis, S. aureus résistant à la méticilline et P. aeruginosa [12]. L’association de ce traitement avec l’amphotéricine B a par ailleurs montré son efficacité sur des organismes fongiques (Candida albicans, Fusarium sp, et Aspergillus fumigatus) en comparaison à l’amphotéricine B seule [13]. Le but de notre étude est d’évaluer l’efficacité antiamibienne de la riboflavine et des UV-A sur Acanthamoeba sp., et ainsi d’enrichir l’arsenal thérapeutique dans la prise en charge des kératites amibiennes.

Matériels et méthodes Un isolat d’Acanthamoeba castellani a été sélectionné à partir d’un grattage cornéen réalisé chez un patient présentant une kératite amibienne. L’identification a été validée par examen direct, culture sur milieu spécifique, et PCR (Polymerase Chain Reaction). Les deux formes du protozoaire ont été utilisées : les formes végétatives, ou trophozoïtes, et les kystes. Une mise en culture sur milieu spécifique (gélose Agar, enrichie en Escherichia coli tuées) a été réalisée au laboratoire de microbiologie des hôpitaux universitaires de Strasbourg. Les cultures ont été préparées afin d’obtenir exclusivement, soit des formes végétatives, soit des kystes. Une zone circulaire de 8 mm de diamètre a été définie sur

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Figure 1. Irradiation de la gélose par UV-A après instillation de riboflavine.

chaque gélose. Nous avons procédé à un comptage cellulaire de chaque zone par balayage, sous microscope optique. Nous avons testé l’effet de la chlorhexidine (C) 0,02 % seule (produite à la pharmacie centrale des hôpitaux universitaires de Strasbourg), de l’association riboflavine (R) 1 % (Ricrolin® , Sooft Italia, S.r.l, Montegiorio, Italy) et UV-A (cross-linking), et de la combinaison de ces deux procédures sur des cultures de formes végétatives et sur des cultures de kystes amibiens. Chaque expérience a été répétée trois fois. Deux géloses-témoin, contenant respectivement des trophozoïtes ou des kystes, n’ont subi aucun traitement. L’instillation de chlorhexidine 0,02 % a été réalisée pendant 30 minutes (1 goutte de 50 ␮L/5 minutes) au niveau de la zone définie préalablement. L’exposition aux UV-A a eu lieu après 20 minutes d’instillation de riboflavine (1 goutte de 40 ␮L/minute pendant 5 minutes puis 1 goutte/5 minutes). Le faisceau d’UV-A (UV-X® , 365 nm, Peschke Meditrade GmbH, Zürich, Switzerland) a été focalisé sur un disque de cellulose placé à la surface de la gélose, adjacent à la zone irradiée, puis ajusté sur la zone prédéfinie (spot de 8 mm de diamètre, 50mm2 , 3mW/cm2 ) (Fig. 1). La durée de l’exposition aux UV-A a été de 30 minutes. L’instillation de riboflavine a été débutée 30 minutes après l’instillation de chlorhexidine pour la procédure combinant chlorhexidine et cross-linking. Les géloses ont ensuite été conservées à température ambiante, et réensemencées en bactéries tuées au 5e jour. Nous avons procédé à un comptage cellulaire de la zone traitée à 1, 4 et 8 jours, délai adapté à la vitesse de croissance amibienne. La moyenne et l’écart-type des trois essais ont été calculés et un test t de Student a été appliqué à l’ensemble des données recueillies, permettant la comparaison entre les différents groupes. Une valeur de p < 0,05 a été considérée comme statistiquement significative.

Resultats Il n’a pas été démontré de différence statistiquement significative à j8 entre les différents traitements (C seule, R + UV-A, C + R + UV-A) sur les formes végétatives d’A. castellani (Fig. 2). Ces trois procédures ont provoqué un enkystement des trophozoïtes (+14,5 % à j1, +30,5 % à j4, et +76,7 % à j8 après instillation de chlorhexidine ; +20,6 % à j1, +64,6 % à j4, et +107,1 % à j8 après instillation de riboflavine et exposition aux UV-A ; +12,1 % à j1, +35,0 % à j4,

Pour citer cet article : Letsch J, et al. Efficacité anti-amibienne in vitro de l’association riboflavine/UV-A. J Fr Ophtalmol (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2014.09.013

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J. Letsch et al.

Figure 2. Évolution du nombre de formes végétatives rapporté au nombre initial (%) en fonction du temps (jours), après exposition à la chlorhexidine (C), à la riboflavine + UV-A (R + UV-A), et à la chlorhexidine + riboflavine + UV-A (C + R + UV-A).

et +71,9 % à j8 pour la procédure combinant ces deux traitements) (Fig. 3). Les kystes formés sont de petites tailles comparés au kyste n’ayant subi aucun traitement (Fig. 4). Sur les géloses contenant des kystes amibiens, il existe une diminution du nombre de kystes pour les trois

Figure 3. Nombre de kystes rapporté au nombre initial de formes végétatives et évolution en fonction du traitement appliqué (C = chlorhexidine, R + UV-A = riboflavine + UV-A, C + R + UVA = chlorhexidine + riboflavine + UV-A).

traitements (Fig. 5 et 6). Cette réduction est plus importante pour les géloses traitées par R + UV-A (—46,5 % à j1, SD = 7,3 p < 0,05 ; —70,8 % à j4, SD = 6,1 p < 0,01 ; —82,5 % à j8, SD = 5,3 p < 0,01) et celles traitées par C + R + UV-A (—43,5 % à j1, SD = 6,0 p < 0,05 ; —79,3 % à j4, SD = 4,8 p < 0,001 ; —91,9 % à j8, SD = 1,8 p < 0,001) en comparaison à celles exposées à

Figure 4. A. Forme végétative (trophozoïte) d’A. castellani. B. Kystes d’A. castellani. C. Lyse des formes végétatives d’A. castellani après traitement par riboflavine + UV-A. D. Formation de kystes de petites tailles après traitement par riboflavine + UV-A des formes végétatives d’A. castellani.

Pour citer cet article : Letsch J, et al. Efficacité anti-amibienne in vitro de l’association riboflavine/UV-A. J Fr Ophtalmol (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2014.09.013

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Efficacité anti-amibienne in vitro de l’association riboflavine/UV-A

Figure 5. Évolution du nombre de kystes rapporté au nombre initial (%) en fonction du temps (jours), après exposition à la chlorhexidine (C), à la riboflavine + UV-A (R + UVA), et à la chlorhexidine + riboflavine + UV-A (C + R + UVA).

la chlorhexidine uniquement (C). La réduction moyenne du nombre de kystes après instillation de chlorhexidine seule (C) est de —25,5 % à j1, —45,0 % à j4, et —57,8 % à j8. Il n’a pas été démontré de différence statistiquement significative entre les groupes R + UV-A et C + R + UV-A.

Discussion Notre étude démontre une efficacité in vitro de la riboflavine couplée à l’exposition UV-A (365 nm) sur les kystes amibiens. L’effet anti-amibien est probablement lié à une dégradation de l’ADN via une production de radicaux libres. L’application concomitante de chlorhexidine ne potentialise pas cet effet. En pratique ophtalmologique, l’utilisation de riboflavine couplée à une exposition aux UV-A provoque une polymérisation des fibrilles de collagène cornéen (crosslinking) et permet d’augmenter la résistance mécanique du tissu cornéen en cas d’ectasies évolutives (kératocône, ectasie cornéenne post-LASIK) [14—16]. La combinaison

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riboflavine/UV-A va entraîner la formation de radicaux libres oxygénés qui vont induire la formation d’une liaison covalente irréversible entre les terminaisons hydro-carbonées des fibrilles de collagène. Nos résultats confirment ceux obtenus in vitro dans deux autres publications [17,18]. Une étude sur des modèles animaux (injection intracornéenne d’Acanthamoeba chez des lapins) a montré l’inefficacité de l’association riboflavine/UV-A sur la croissance amibienne. Ces résultats s’expliquent probablement par des kératites profondes atteignant le stroma profond, zone dans laquelle la modeste efficacité du cross-linking est connue [19]. Par ailleurs, une récente étude incluant six patients atteints de kératite amibienne rapporte une amélioration clinique et symptomatique après cross-linking cornéen, avec disparition des kystes amibiens [20]. Nous n’avons pas testé séparément l’efficacité anti-amibienne de la riboflavine et des UV-A. Makdoumi et al. ont mis en évidence que l’effet anti-amibien serait lié uniquement à l’action des UV-A [21]. Les résultats de notre étude permettent de montrer que l’application de riboflavine associée aux UV-A constitue ainsi un remède prometteur dans la lutte contre les kystes amibiens. A contrario, on ne note pas d’efficacité de l’association riboflavine/UV-A sur les trophozoïtes amibiens, comme cela avait déjà été mis en évidence dans une étude sur un modèle de kératites amibiennes chez le hamster [18]. Cette procédure, comme la chlorhexidine seule, provoque leur enkystement. Le kyste amibien, forme de résistance de l’amibe, survient lorsque le milieu n’est plus favorable à sa survie. Toute thérapeutique perturbant l’environnement bactérien des amibes ou entraînant leur agression physicochimique est ainsi capable d’induire un enkystement. Devant l’efficacité de cette procédure sur les formes kystiques exclusivement, nous pouvons imaginer une prise en charge en deux temps des kératites amibiennes. Un prétraitement par chlorhexidine aurait pour conséquence de provoquer un enkystement des formes végétatives. Dans un second temps, un cross-linking cornéen éventuellement associé à la chlorhexidine permettrait une réduction du nombre de ces kystes. Un cross-linking réalisé préalablement pourrait se substituer à l’utilisation de chlorhexidine lors de la première phase et la prise en charge des kératites amibiennes serait ainsi constituée de plusieurs cross-linking successifs. Toute thérapeutique perturbant l’environnement

Figure 6. A. Kystes d’A. castellani. B. Lyse des kystes d’A. castellani après traitement par riboflavine + UV-A. Certains kystes perdent leur double membrane et leur réfringence après traitement par riboflavine + UV-A.

Pour citer cet article : Letsch J, et al. Efficacité anti-amibienne in vitro de l’association riboflavine/UV-A. J Fr Ophtalmol (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2014.09.013

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bactérien des amibes peut entraîner un enkystement et constituer alors un pré-traitement vraisemblable avant le cross-linking cornéen. Une antibiothérapie pourrait éventuellement se soumettre à cette fonction. Il est intéressant de noter que les modifications architecturales de la cornée observées après cross-linking pour un kératocône évolutif ne sont présentes que dans les 300 microns les plus superficiels de la cornée. Or, une invasion stromale profonde (prédescémétique), voire intracamérulaire est notée dans les cas les plus sévères de kératites amibiennes, laissant craindre une efficacité limitée de cette nouvelle thérapeutique [1]. Cependant, une diminution de la charge infectieuse dans les couches superficielles de la cornée n’est bien sûr pas à négliger. Le principal facteur de risque reconnu dans la survenue des kératites amibiennes est le port de lentilles de contact. De nombreux cas rapportés de kératites infectieuses sous lentilles de contact mettent en lumière divers facteurs de risque potentiels comme le port de lentilles cosmétiques (lentilles colorées à indication esthétique ou festive, planes ou correctrices), ou des erreurs grossières dans le maniement et l’entretien des lentilles [22—25]. Certaines solutions d’entretien sont efficaces sur les formes végétatives d’Acanthamoeba sp., mais ne le sont pas forcément sur les formes kystiques : les kystes, protégés par leur double paroi, présentent une résistance accrue. Il existe une différence d’efficacité selon le type de solution d’entretien. Les solutions multifonctions pour lentilles rigides sont efficaces pour la destruction des trophozoïtes et des kystes amibiens, si la durée de décontamination est respectée. Les solutions multifonctions pour lentilles de contact souples sont en général inefficaces contre Acanthamoeba sp. La pratique du rub and rinse (massage doux des lentilles puis trempage dans la solution d’entretien) représente alors un adjuvant important à l’efficacité de ces solutions, face à la capacité d’adhérence des amibes à la surface des lentilles de contact. Les solutions oxydantes sont très efficaces sur Acanthamoeba sp., en particulier les systèmes two steps, permettant un temps de contact prolongé au peroxyde d’hydrogène concentré avant sa neutralisation. Les systèmes one step semblent moins efficaces, en particulier sur la forme kystique, car la neutralisation commence dès le début de la phase de trempage [26]. Devant l’augmentation continue du nombre de porteurs de lentilles de contact, il est à prévoir une hausse de l’incidence des kératites amibiennes. De fait, la procédure combinant riboflavine et UV-A, dont nous avons prouvé l’efficacité in vitro sur A. castellani, pourrait voir ses indications s’étendre.

Conclusion Les kératites amibiennes, dont le facteur de risque principal est le port de lentilles de contact, constituent une pathologie rare mais grave, engageant le pronostic visuel de patients souvent jeunes et mal informés. Un retard diagnostic fréquent et une mise en route retardée du traitement sont liés à un diagnostic souvent difficile malgré la sensibilisation de tous les ophtalmologistes. Par ailleurs, le traitement médical ne permet pas toujours une guérison des kératites amibiennes. Devant l’efficacité in vitro de l’application de riboflavine et de l’exposition

aux UV-A contre les formes kystiques d’Acanthamoeba sp. et l’excellente tolérance in vivo de cette procédure, la prise en charge des kératites amibiennes pourrait être révolutionnée par cette nouvelle approche thérapeutique. Toutefois, des études complémentaires nous semblent nécessaires afin d’évaluer l’efficacité in vivo de ce traitement.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt en relation avec cet article.

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Pour citer cet article : Letsch J, et al. Efficacité anti-amibienne in vitro de l’association riboflavine/UV-A. J Fr Ophtalmol (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2014.09.013

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Pour citer cet article : Letsch J, et al. Efficacité anti-amibienne in vitro de l’association riboflavine/UV-A. J Fr Ophtalmol (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2014.09.013

[Evaluation of in vitro efficacy of combined riboflavin and ultraviolet-A (365 nm) for Acanthamoeba].

Acanthamoeba keratitis is a rare but serious disease and is particularly difficult to treat when the diagnosis is delayed, partly because of the limit...
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