Behavioural Processes, I (1982) 281-294 Elsevier Scientific Publishing Company,

281 Amsterdam

-

Printed

in The Netherlands

ETUDE COMPARATIVE DE LA DENSITE DE GROUPES DE POISSONS CAVERNICOLES ET EPIGES (CHARACIDAE, CYPRINIDAE, CLARIIDAE)

MAGDALENA Centre B-3041

JANKOWSKA

Albert Michotte, Biologie Pellenberg (Belgium)

(Accepted

9 March

et GEORGES

THINES

du Comportement,

Uniuersiti

de Louvain,

1982)

ABSTRACT Jankowska, M. and Thin&, G., 1982. A comparative epigean fishes (Characidae, Cyprinidae, Clariidae). (in French).

study of group density in cave and Behav Processes, 7: 281-294

The group density of four species of cave fishes (Caecobarbus geertsi, Barbopsis devecchii, Astyanax gen. and Uegitglanis zammaranoi) and of two taxonomically related epigean species (Barbus conchonius and Hyphessobricon schokei) was measured tridimensionally in an experimental aquarium, using a video recorder and a mirror inclined at 45” placed on top of the aquarium, The experiments were conducted in dim red light. The illumination was continuous in the case of cave fishes. For the epigean forms a 12/12 LD cycle was superimposed using dim achromatic sources. The relative positions of individuals within their own specific group were registered hourly during a week (168 h). Results show that in cave forms, the mean density of groups falls within the theoretical limits of random distribution values in all cases, whereas epigean species. display a non-random aggregation tendency. RESUME Jankowska, M. et Thin&, G., 1982. Etude sons cavernicoles et Bpiges (Characidae, Behav Processes. 7: 281-294.

comparative Cyprinidae,

de la densite Clariidae).

de groupes

de pois-

Dans les presentes experiences, la densite de groupe de quatre especes de poissons cavernicoles (Caecobarbus geertsi, Barbopsis devecchii, Astyanax gen. et Uegitglanis zammaranoi) et de deux especes epigees taxonomiquement proches (Barbus conchonius et Hyphessobricon scholzei) a etb mesuree dans les trois dimensions dans un aquarium experimental. Les mesures furent effectuees a l’aide d’un enregistreur video et d’un miroir incline 1 45” et place au-dessus de l’aquarium sous lumiere rouge de faible intensite. Les formes cavernicoles furent observees sous eclairage continu, tandis que les formes Bpigees furent soumises a un cycle LD 12/12 obtenu par des sources achromatiques additionnelles de faible intensite. Les positions relatives des individus a l’interieur de leur groupe specifique furent enregistrees d’heure en heure pendant une semaine (168 h). Les resultats montrent que chez les formes cavernicoles, la densite moyenne des groupes se situe dans tous les cas a l’interieur des limites des valeurs de la distribution aleatoire, tandis que chez les formes Bpigees, la tendance au groupement se situe au-de18 de ces limites.

0376-6357/82/OOOC-0000/$02.75

0 1982

Elsevier

Scientific

Publishing

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282 INTRODUCTION

L’observation de petites populations de poissons cavernicoles, dans les mares et les gours des milieux souterrains dans lesquels vivent ces especes, semble indiquer, au moins chez les formes qui ont ete etudiees dans leur habitat naturel, que la distribution spatiale des individus ne donne pas lieu a des formations gregaires nettement structurees. Ainsi, les documents photographiques recolt& par Heuts et Leleup (1954) dans les habitats de Cuecobarbus geertsi Blgr., ne permettent d’observer, a l’examen macroscopique, aucun groupement defini de poissons ni aucune orientation collective preferentielle. Les observations de ces auteurs sont, a notre connaissance, les seules qui ont ete effect&es sur une espece cavernicole dans son milieu nature1 et elles ne peuvent evidemment etre considkrees comme representatives du comportement gregaire d’autre Tbleostomes occupant des habitats souterrains. Par ailleurs, l’absence de reactions phobiques a la substance d’alarme observee chez Astyanax (Pfeiffer, 1963) et chez Caecobarbus geertsi Blgr. (Thinks et Legrain, 1973) peut etre interpretee comme l’indice de la disparition d’un des principaux mecanismes biologiques de defense du bane, ce qui Porte a croire que la formation de banes est inexistante chez les poissons cavernicoles, meme lorsque leurs ancetres epiges presentent ce comportement collectif. Ces faits ne constituent toutefois que des indications indirectes d’une eventuelle regression de la tendance specifique a former des groupes organises. Pour cette raison, nous avons pro&de a des mesures de densite de groupe dans des conditions experimentales rigoureuses. Une autre raison particuliere qui a motive cette recherche est la necessite de disposer d’une reference quantitative pour interpreter correctement les phenomenes d’attraction qui se mani~festent a l’egard des signaux chimiques emis par les congeneres, tels qu’ils ont ete etudies par Berti et Thin& (1980) et Quinn (1980). En raison de l’obscurite permanente qui regne dans le milieu souterrain, la vision ne peut intervenir dans l’orientation, meme si l’on suppose qu’elle subsiste encore (Think et Wissocq, 1972). L’orientation des poissons cavernicoles ne peut done etre regie, en principe que par des informations chimiques ou mecaniques, l’intervention d’informations thermiques &ant hautement improbable. Comme la tendance au groupement suppose une attraction inter-individuelle, les mesures quantitatives que nous avons effect&es traduisent probablement les effets d’informations emises par les congeneres et appartenant a ces deux modalitks sensorielles. Les etudes deja anciennes de Breder et Rasquin (1943) et de Kuhn et Kahling (1954) avaient egalement conclu a l’absence de formation de banes typiques chez la forme cavernicole Astyanax jordani tout en suggerant que, dans la mesure oti une tendance minimale au groupement pourrait etre relevee chez cette espece et chez d’autres poissons cavernicoles, elle aurait vraisemblablement une base sensorielle de nature exclusivement chimique. Dans l’etude d’ensemble qu’il a consacree aux phenomenes du groupements chez les poissons, Breder (1959) a analyse l’influence de la lumiere sur le comportement de deux formes d’Astyanax (anterieurement denommes Anoptichthys jordani et

283

Anoptichthys hubbsi). Les resultats montrent que les poissons manifestent plus frequemment une reponse positive a la stimulation photique lorsqu’ils sont en groupe. Ces don&es ne fournissent toutefois aucune indication au sujet de la densite comme telle. En ce qui concerne l’utilite biologique du bane, les auteurs s’accordent a reconnaftre que celle-ci est surtout de garantir les formes qui presentent des formations typiques de cette nature contre les attaques de predateurs (Breder, 1959; Brock et Riffenburgh, 1960; Olsen, 1964; Cushing et Harden-Jones, 1968; Neil, 1970; Shaw, 1970). Dans cette perspective encore, l’absence deja evoquee de formation de banes ches les poissons cavernicoles, dans la mesure oti on peut l’etablir experimentalement avec une precision suffisante, peut evidemment etre interpretee au premier examen comme la consequence de l’absence de predateurs dans les milieux souterrains abritant des populations monospecifiques de poissons regresses. Si tel est effectivement le cas, on pourrait considerer que l’organisation sociale fond&e sur le groupement, et a fortiori sur la formation de banes, n’est pas biologiquement contraignante chez ces especes. 11 reste neanmoins qu’independamment de ce phenomene, la possibilite de reperer par voie chimique la presence de congeneres peut encore revetir dans les biotopes souterrains une signification biologique differente, en particulier dans l’exploration alimentaire et dans la recherche du partenaire sexuel. L’etude quantitative du groupement des especes cavernicoles utilisees a pu etre effect&e en comparant les taux de densite specifiques observes par rapport a la distribution aleatoire des individus dans l’espace experimental utilise. Les restrictions que nous avons faites anterieurement au sujet de la signification biologique des phenomenes de groupement dans le milieu souterrain nous ont men& logiquement a faire l’hypothese que les mesures de densite effect&es sur des groupes de poissons cavernicoles devaient mettre en evidence une tendance peu marquee i l’agregation par rapport au niveau du hasard. Cette tendance devait egalement etre supposee plus faible, par hypothese, chez les esp&es cavernicoles que chez les especes &pig&es. MATERIEL

ET METHODES

Mathiel Nous avons utilise dans la prksente recherche six groupes de poissons dont quatre etaient constitues d’especes cavernicoles et deux d’especes epigees. Les quatre groupes de cavernicoles comprenaient Caecobarbus geertsi Blgr. (Cyprinidae): cinq individus; Barbopsis deuecchii di Caporiacco (Cyprinidae) : dix individus; Astyanax gen. (Characidae): dix individus; et Uegitglanis zammaranoi Gianferrari (Clariidae): neuf individus. Les Uegitglanis ont ete recolt& a Baidoa en 1976; les Barbopsis proviennent de Calis et ont et& recoltes en octobre 1973, ces deux localites &ant sit&es en Somalie. Les Caecobarbus, quant a eux, ont 6te recoltes en 1976 dans les grottes du Bas-Congo (Rep. du Zaire). Quant aux Astyanax, ils provenaient du commerce, et c’est pour cette

284

raison qu’ils ne sont signal& que sous le nom du genre. Les groupes de poissons epiges etaient constitues de Barbus conchonius Hamilton (Cyprinidae): dix individus et Hyphessobricon schokei Ahl. (Characidae): dix individus. Ces deux derniers groupes provenaient egalement du commerce. Apres leur arrivee au laboratoire, ces differents groupes de poissons ont et& places dans des aquariums de stockage distincts d’une capacite de 70 1. La temperature de l’eau dans les aquariums a et& fixee en conformite approximative avec les niveaux des habitats naturels. Elle etait de 28°C pour Uegitglanis, de 26°C pour Caecobarbus et Barbopsis et de 25°C pour Astyanax, Hyphessobricon et Bar-bus. Le local dans lequel etaient places les aquariums de stockage etait eclair4 en permanence au moyen d’ampoules rouges. Le spectre d’emission se situait entre 630 et 750 nm. Les animaux etaient nourris a la Tetramine, excepte les Uegitglanis qui furent nourris de vers de vase et de coeur de boeuf coupe en petits morceaux. Mkthode

expkrimen

tale

Notre mkthode devait tenir compte d’un certain nombre de contraintes, notamment, le nombre limit& de poissons dont nous disposions, l’impossibilite de les marquer individuellement et les conditions de faible luminosite adoptees. Cullen et al. (1965) ont propose deux methodes tridimensionnelles. L’une est real&e a l’aide d’une camera stereo; l’autre repose sur la mesure de deux coordonnees horizontales couplees a une troisieme obtenue par la reflexion des images des animaux sur le fond de l’aquarium. Ces methodes presentent plusieurs inconvenients, en particulier l’erreur de parallaxe de la camera et l’obligation de travailler sous un eclairement relativement eleve pour obtenir une reflexion suffisante. On retrouve le meme probleme dans la methode de Pitcher (1973) qui, pour obtenir une mesure tridimensionnelle de la distance entre les differents poissons d’un meme groupe, utilise un miroir, photographie l’ensemble du dispositif et calcule a partir de ces images, la distance reelle entre les animaux. Les divers problemes methodologiques que l’on rencontre dans la mesure de la distance entre animaux dans les recherches ethologiques sont discut& dans l’ouvrage d’ensemble de Lehner (1979). Nous avons nous-memes adopt6 une methode tridimensionnelle. Les trois dimensions sont fournies par un quadrillage pose sur une paroi de l’aquarium et d’un autre pose sur le fond. Un miroir permet de reperer la position du poisson sur le fond de l’aquarium. L’ensemble du dispositif est filme a l’aide d’une camera sous faible luminosite. Dispositif

expkrimental

Le dispositif experimental comporte miroir, (3) deux bo?tes d’eclairage. Aquarium.

L’aquarium

experimental

trois parties:

(1) un aquarium,

etait un long parallelipipede

(2) un

en verre

285

A

Fig. 1. Dispositif exphrimental. A: aquarium exphimental paroi frontale et sur le fond, B: miroir, C: borte d’klairage

quadrille extkieurement contenant six ampoules

sur la rouges.

co116 de 100 cm de longueur, de 40 cm de largeur et de 50 cm de hauteur et d’une capacitk d’environ 200 1. Sur la paroi verticale faisant face 6 l’observateur est fix6 un quadrillage en papier blanc autocollant divisant la surface en petits car& de 9,5 X 9,5 cm. Deux tuyaux permettant le filtrage de l’eau etaient places contre les parois later-ales. La temperature de l’aquarium Ctait modifiee selon l’espece observee. Miroir. Pour obtenir les images du fond de l’aquarium, un miroir etait fixe a 45” au-dessus de ce dernier de maniere a diminuer au maximum l’erreur de parallaxe. Dispositif d’&lairuge. Deux boites peintes en noir (40 X 40 X 40 cm) 6taient fixees aux deux extremites laterales de l’aquarium et abritaient 6 ampoules rouges de 25 W chacune. Elles etait disposees parallelement aux faces laterales. Sur la boite de droite Ctait placee une horloge qui permettait de filmer l’heure des observations. La camera, sit&e a 2 m de l’aquarium, filmait simultanement l’image du miroir et l’image de la paroi supportant le quadrillage. Elle etait relike a un magnetoscope Ampex et a un moniteur, tous deux places dans une piece voisine. Conduite

des exphiences

Nos experiences se sont limitees i l’enregistrement des positions des poissons et ont ete concues de maniere a eliminer au maximum les facteurs perturbants tels que le bruit, les changements de temperature et les manipulations. Avant l’observation proprement dite, chaque groupe de poissons sejournait

Y Fig. 2. Images provenant du moniteur. A: image du fond de I’aquarium, la largeur de l’aquarium, B: image provenant de la paroi de l’aquarium, largeur et l’axe X reprbente la hauteur, C: horloge.

I’axe Z reprksente I’axe Y represente la

dans l’aquarium expkrimental pendant une semaine au tours de laquelle les animaux ktaient nourris journellement. Aprk cette semaine d’adaptation, l’aquarium &ait film& pendant 1,5 min par heure, et ce pendant une semaine. Le moniteur plack dans la pike voisine permettait de prockder 5 tout moment 2 des observations visuelles directes. Pour les groupes constituks des espkes kpigkes Barbus conchonius et Hyphessobricon scholzei, les expkriences ont &Q r&&iSes avec une source achromatique additionnelle qui klairait l’ensemble du local expkrimental selon un programme pkriodique 12/12. De cette faGon les formes kpigkes ktaient plackes dans des conditions plus conformes 6 celles de leur habitat naturel. Les enregistrements ktaient effect&s aprk une semaine d’adaptation aux conditions expkimentales. Nous disposions au terme de chaque s&ie d’enregistrement, qui durait une semaine, d’un total de 840 images skparbes par un intervalle de 30 s (5 images par heure pendant 168 h). Nous n’avons utilisk dans le dkpouillement de ces documents photographiques que deux images par heure en sklectionnant de prkfkrence la deuxiGme et la troisiGme image, les trois images restantes permettant kventuellement une lecture utilisable en cas de dkfaillance de l’appareil. Ainsi done, pour chaque skrie de 168 h, now avons effectivement utilisk 336 images sur lesquelles nous avons rep&k la position de chaque Poisson par rapport aux trois axes dkfinis par le quadrillage. Les carrk ktaient numBrot& de 1 5 4 pour les dimensions X et Z, et de 1 i 10 pour la dimension Y (Fig. 2). Un Poisson ktait consid& comme prksent dans un des carrk quand les 213 de son corps (de l’extrbmitk antkrieure de la tGte i l’implantation de la nageoire dorsale) htaient compris horizontalement dans sa surface. La mGme rkgle des 2/3 a 6th appliquke dans la dbtermination de la position verticale des poissons dans l’un des car&.

287

Traitement

statistique

des r&wLtats

Pour proceder a l’analyse statistique des resultats, chaque image enregistree a 6th analysee en calculant le centre de gravite du groupe et les &arts de chaque individu par rapport a celui-ci, ce qui revient a estimer la variance du groupe par rapport i sa moyenne. Si l’on considere les rbultats bruts, on dispose de cette facon de 336 valeurs d’ecart pour chacun des trois axes spatiaux X, Y et Z, pour chaque serie experimentale de 168 h. La valeur finale exprimant l’etat momentane du groupe (represente sur une image don&e) est fournie par la racine carree de la somme des trois variances correspondant aux &arts pour chacun des trois axes spatiaux i ce moment. C’est sur la base des differentes valeurs finales obtenues de cette maniere qu’ont 6te construits les graphiques qui figment plus loin dans le texte. Le programme de calcul applique a ces don&es pour analyser de facon approchee les variations de cohesion des groupes experimentaux, est le suivant: si np designe le nombre de poissons (ou, d’une facon generale, le nombre de points qui les representent) repartis de maniere aleatoire et globale dans un aquarium dont les trois dimensions sont n,, n,, et si l’on considere la distance moyenne au centre de gravite exprimee nY7 par la formule suivante: , ;= +(q-Z)Z = s; + sg+s; (Xj-- T)* + (yj-;)*

J$ ;:

J

i= 1

la valeur attendue (moyenne theorique md) et l’erreur standard (&art-type theorique Od) de cette distance sont don&es au Tableau I et sont calculees d’apres les formules suivantes:

rnd =

v

(np - 1) (~7;+ u$ + ui )/np 1+

1 4(np - 1)

et

Ud

[(np - lM,,

=

- np + 3104, + ](np - l)P,,

- np + 3]04y[(np - l)B,,

4nk (ui + u$ + uf )

n2 - 1

n2 - 1 OX 2

=x_

2

12 P = 2x

(JZ 2

uy CL 12

Wnx2 - 7) 0,

2 - 1)

sont les coefficients

(3

2Y

=

n2z - 1 sont les variances, =~ 12

3(3ny2 - 7) 5(ny

2 -

1)

0 2z

=

3(3n, 2 - 7)

5(ni - 1)

de Pearson apres developpement.

- np+30”,l

288 TABLEAU

I

Valeurs thkoriques de md et od pour diffbrentes valeurs de nP (n, md = moyenne thkorique; Ud= &art-type thborique)

2 3 4 5 6 7 8 9 10 15 20 50 100 200

1,855 2,380 2,621 2,760 2,851 2,914 2,961 2,998 3,026 3,112 3,154 3,229 3,254 3.266

= nombre

de poissons;

1,071 0,807 0,668 0,580 0,519 0,473 0,437 0,408 0,384 0,307 0,262 0,162 0,114 0.080

Le Tableau I donne une serie de resultats numeriques dkduits de ces relations pour differentes valeurs de np. Dans nos conditions n, = 4, IZ~ = 10 et nz = 4. Les calculs realises par simulation montrent que ces resultats approches sont legerement sous-estimes. Dans le cas de np = 10, qui correspond le mieux a la situation experimentale, cette sous-estimation serait de l’ordre de 2%. Les valeurs moyennes de cohesion dans les trois dimensions obtenues pour chaque groupe au moyen de la methode de calcul qui a ete d&rite, permettaient de situer celles-ci par rapport au hasard en se referant a la table du Tableau I. Les resultats numeriques moyens et l’etendue de leur variance par rapport au hasard permettent de comparer entre eux les taux de cohesion relatifs des diverses especes de poissons utilisees dans nos experiences. Ces resultats comparatifs ont ete port& en graphiques. RESULTATS

Les 336 valeurs propres a chaque groupe ont ete &parties en 21 classes, ce qui permet d’etablir des graphiques de frequences de distance pour chaque groupe. A partir des don&es utilisees pour la construction de ceux-ci, nous avons calcule la moyenne et l’erreur standard (Tableau II). Pour les especes epigees Hyphessobricon scholzei et Barbus conchonius, la valeur moyenne des distances obtenues comparee a la valeur theorique de repartition aleatoire, montre que ces groupes, tant dans l’obscurite que dans la lumiere, manifestent un comportement d’agregation (Fig. 3). La mQme analyse pour les groupes de poissons cavernicoles Astyanax, Cuecobarbus et

289 TABLEAU

II M = distance

moyenne;

Especes

n

M

0

A. Epigees Hyphessobricon scholzei (obsc.) Hyphessobricon scholwi (lum.) Barbus conchonius Hamilton (obsc.) Barbus conchonius Hamilton (mm.)

10 10 10 10

1,752 1,762 2,269 2,326

0,26 0,257 0,485 0.295

B. Cavernicoles Astyanax gen. Caecobarbus geertsi Blgr. Uegitglanis zammaranoi Gianferrari Barbopsis devecchii di Caporiacco

10 5 9 10

2,62 2,24 2,826 3.407

0,26 0,45 0,68 0.32

Valeurs

obtenues

(n = nombre

1

de poissons;

2

3

4

o = &art

5

type)

5 74

Fig. 3. Valeurs moyennes de cohesion pour Barbus conchonius (B) (N = 10) et pour Hyphessobricon scholzei (H) (N = 10) par rapport 1 la valeur aldatoire calculee. * = condition de lumiere; l = condition d’obscurite; l = valeur aleatoire calculee. Les traits horizontaux indiquent l’etendue de la variance. A gauche du trait central: tendance a l’agregation. A droite du trait central: tendance a la dispersion. Explication des calculs dans le texte.

Uegitglanis, montre que chez ceux-ci, la tendance h l’agregation est faible. Pour les representants de l’espece Barbopsis, il semble qu’il existe une tendance appreciable a la dispersion (Tableau II et Fig. 4, 5, 6). Si l’on envisage l’ensemble des resultats obtenus sur les quatre especes cavernicoles etudiees (Tableau II), il appara?t que dans tous les cas l’ecart de la cohesion des groupes par rapport a leur repartition theorique au hasard est tres faible. La moyenne trouvee chez Caecobarbus va legerement dans le sens de l’agregation sans toutefois tomber en dehors des limites de variabilite de la i-6 partition aleatoire (Fig. 5). Les Barbopsis qui sont des Cyprinidae comme les

290

~1

~

1

0

3

2

5

4

5.74

Fig. 4. Valeurs moyennes (*) de cohesion pour Astyanax (N = 10) (* = 2,62) et pour Barbopsis deuecchii (N = 10) (* = 3,407) par rapport a la valeur aleatoire calculee (0). Les traits horizontaux indiquent l’etendue de la variance. A gauche du trait central: tendance a l’agrbgation. A droite du trait central: tendance a la dispersion. Explication des calculs dans le texte.

1

0

3

2

4

574

5

Fig. 5. Valeurs moyennes (*) de la cohesion pour Caecobarbus (N = 5) par rapport a la valeur aleatoire calculee (0). Les traits horizontaux indiquent l’dtendue de la variance. A gauche du trait central: tendance a l’agregation. A droite du trait central: tendance a la dis persion. Explication des calculs dans le texte.

AGREGATION

DISPERSION

?0.56 -*-

zo.45 -4,;

2.14

2.76

I I I

I 4

0

1

2

I

3

4

5

Fig. 6. Valeurs moyennes (*) de la cohesion pour Uegitglanis zammaranoi (N = 9) par rapport a la valeur aldatoire calculee ( l ). Les traits horizontaux indiquent I’btendue de la variance. A gauche du trait central: tendance a l’agrbgation. A droite du trait central: tendance a la dispersion. Explication des calculs dans le texte.

5 .7 4

291

Caecobarbus, presentent un &art comparable par rapport a la repartition au hasard mais avec une tendance comparable dans le sens de la dispersion (Fig. 4). Ce phenomene ne semble pas lie au degre de regression beaucoup moindre de l’oeil chez Barbopsis, vu qu’il a 6th observe dans des conditions tres defavorables au rep&age visuel, dans la mesure ou celui-ci peut encore etre evoque chez cette forme. Cet effet devrait plutbt etre interprete comme l’indice d’une variabilite elevee dans la cohesion de groupe, susceptible d’etre mise en parallele sur le plan comportemental, avec la variabilite elevee des caracteres morphologiques consider& comme typiques des formes cavernicoles peu accudes comme les Barbopsis (Vandel, 1964; Kosswig, 1965). Ceci expliquerait, dans une certaine mesure, que les reponses individuelles aux conditions dans lesquelles s’effectue la locomotion prennent le pas sur des mecanismes comportementaux determinant des interactions sociales bien definies, et qui caracteriseraient l’espece dans son ensemble. Dans le cas d’A.styanax, l’ecart par rapport au hasard est egalement tres faible et il en va de meme d’uegitglanis, cette derniere espece presentant une repartition pratiquement aleatoire (Fig. 6). Chez toutes ces formes cavernicoles, la variabilite de la concentration de groupe est tres marquee. Elle est maximale chez Uegitglanis et chez Barbopsis et minimale chez Astyanax. Ces don&es quantitatives confirment tout a fait l’hypothese emise au debut de ce travail, selon laquelle la tendance au groupement chez les poissons cavernicoles est pratiquement inexistante et aleatoire. Si l’on se &f&e par ailleurs au reperage des congenkres par voie chimique, egalement evoque au debut de ce travail, les resultats obtenus au sujet de la cohesion peuvent etre rapproches de ceux qui ont 4th mis en evidence par Berti et Thin& (1980) et Quinn (1980). Ce rep&age, qui peut determiner une reponse en direction des congeneres comme chez Caecobarbus (Berti et Thin&, 1980) ou au contraire une reponse d’evitement par rapport a ceux-ci, indique a notre avis, en raison meme de l’ambivalence du signe de la reponse, que le mecanisme de comportement implique ne presuppose pas nkessairement une tendance au groupement, mais seulement une reaction qui peut se manifester meme lorsque deux ou plusieurs individus sont relativement eloignes les uns des autres. Ceci se comprend d’autant mieux que, dans les conditions de l’habitat aquatique souterrain, les signaux chimiques presents dans le milieu et non lies a des proies, sont necessairement emis par des congenkres vu que les poissons cavernicoles constituent, dans l’immense majorite des cas, des populations monospecifiques i l’interieur d’un seul et meme habitat. En bref, malgre les quelques differences constatees chez les formes cavernicoles sous le rapport, soit de l’agregation, soit de la dispersion, le niveau de cohesion observe est compatible avec la fonction biologique la plus probable du rep&age chimique, tel qu’il a QtC mis en evidence par les auteurs precites. En ce qui concerne les especes epigees de comparaison (Barbus conchonius et Hyphessobricon schokei) (Fig. 3), la tendance au groupement mesuree sur la meme echelle theorique met en evidence une tendance a l’agregation nettement plus marquee surtout chez Hyphessobricon, tant sous eclairement spectral faible que sous eclairement achromatique addi-

292

tionnel. On peut done affirmer que la tendance gregaire des formes cavernicoles telle qu’elle est mesuree dans nos experiences, est nettement plus faible que chez les espkces epigees. Notons secondairement que Hyphessobricon manifeste une tendance au groupement plus marquee que Barbus conchonius, dans les conditions experimentales que nous avons utilisees. En outre, la variabilite interindividuelle de la tendance au groupement est plus elevee en eclairement faible chez les deux especes. DISCUSSION

Selon Keenleyside (1955), la tendance d’un individu a s’agreger b un bane constitue de congeneres est declenchee de facon primaire par la vision et donne lieu a un comportement appetitif dont le but consommatoire est atteint au moment oti l’individu, anterieurement isolk, se percoit comme inclus dans le groupe. Le meme auteur signale toutefois que des informations sensorielles, autres que visuelles, peuvent intervenir pour permettre a un individu d’atteindre ce but, celles-ci etant probablement de nature chimique. Ainsi, des individus aveugles du genre Scardinius ne forment pas de banes caracteristiques mais forment un groupe plus lathe dont l’extension spatiale correspond h l’aire determinee par l’odeur des congeneres. Goz (1941) avait toutefois montre anterieurement que chez certaines especes gregaires (15 espkces d’eau deuce &parties sur 8 familles), l’odeur du groupe permettait la reconnaissance specifique. Ces resultats ont 6th confirm& par Schutz (1956), selon lequel la base chimique de la reconnaissance specifique serait principalement un signal chimique d’origine cutanee emis activement par les individus. Selon Keenleyside (1955) encore, le maintien d’une distance optimale entre les individus aveugles du genre Scardinius indiquerait qu’un des effets particuliers des signaux chimiques intervenant en l’absence de la vision serait d’empecher une dispersion marquee des individus pendant la nuit. Les poissons cavernicoles vivant de facon permanente dans l’obscurite, cette hypothese relative au role des signaux chimiques dans la formation d’une structure gregaire relativement peu accusee doit etre prise en consideration et discutee dans la perspective de sa signification biologique eventuelle dans le milieu souterrain. La signification biologique des taux de concentration observes chez les cavernicoles est difficile a degager sur la seule base de mesures de laboratoire. Dans l’ensemble, les resultats obtenus peuvent etre rapprochks des repartitions spatiales des petites populations relevees par Heuts et Leleup (1954) sur Caecobarbus dans le milieu nature1 de l’espece. Ce parallele, nous l’avons signalk, est insuffisant pour fonder une interpretation g&-kale de la structure sociale des populations des poissons cavernicoles. 11 semble toutefois que les interactions inter-individuelles de ces poissons au sein des petites, souspopulations prksentes dans les gours, les mares et les autres niches delimitees par la structure topographique des habitats souterrains, soient regies par un systeme eco-ethologique dans lequel les reactions aux informations specifiques determineraient des comportements d’exploration a partir d’informa-

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tions chimiques et mecaniques provenant des congeneres, celles-ci &ant traitees comme des indices locaux indiquant la simple presence d’individus plut6t que comme des signaux lib $ une structure sociale definie. Si tel etait le cas, la monospecificite des populations, leur faible importance numerique et l’espace etendu sur lequel s’effectuent leurs d&placements expliqueraient en principe la diminution, voire la disparition de modes de communication inter-individuels nettement &mantis& (Thin&, 1979). L’etendue des habitats qui vient d’etre evoquee doit Qtre consideree comme un aspect important du probleme dans l’analyse comparative de la dispersion individuelle d’especes vivant respectivement dans les nappes aquatiques des grottes et dans la nappe phreatique, l’espace disponible &ant d’un ordre de grandeur t&s superieur dans le second cas. REFERENCES

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The group density of four species of cave fishes (Caecobarbus geertsi, Barbopsis devecchii, Astyanax gen. and Uegitglanis zammaranoi) and of two taxon...
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