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ARTICLE IN PRESS

L’Encéphale (2014) xxx, xxx—xxx

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ÉDITORIAL

Les enjeux ethiques en psychiatrie Ethical stakes in psychiatry

La démarche éthique a pour originalité de ne pas être réductible au conformisme des normes sociales, mais d’être aussi très souvent spécifique de la dimension individuelle. La pathologie psychiatrique offre dans ce domaine des particularités intéressantes. Le névrosé comme l’obsédé, souffrant intérieurement de manifestations pathologiques qu’il juge absurdes et dont il veut se défaire, répond à la norme médicale en demandant et en adhérant activement aux soins. Par contre, le psychotique, qui projette sa souffrance sur autrui, ne demande et ne sollicite aucune aide thérapeutique. Comme tel, il conteste l’ordre médical dans une position immorale par définition, et l’aliéné représente dès lors un scandale médical voire social. C’est pourquoi l’histoire de la prise en charge du malade mental par sa société, depuis la Grèce antique jusqu’à nos jours, ne cesse de poser de multiples réflexions en matière éthique. Deux domaines majeurs semblent illustrer ces tourments éthiques, l’information en psychiatrie et le consentement aux soins. L’information du grand public, et tout particulièrement du patient et de sa famille, est devenue presque une priorité de Santé publique. En 1976, un malade sur cinq connaissait le diagnostic de cancer. Deux décennies plus tard, ce taux s’est élevé à 4 malades sur 5. L’information du patient n’est pas une simple formalité dont on peut se décharger rapidement et une fois pour toutes, mais une obligation continue qui se poursuit tout au long de la maladie, qui doit être adaptée à la personnalité du patient et intelligible pour lui. Mais il faut néanmoins inscrire cet intérêt pour l’information dans le mouvement éthique contemporain, qui accompagne et suscite le recul des attitudes autoritaires, dites paternalistes, au profit de l’attention à la personne, dans le respect de son autonomie et de sa dignité lors de la recherche de son bénéfice. Le débat entre autonomie et

bénéfice est de nature philosophique. On peut cependant soutenir qu’en psychiatrie plus qu’ailleurs l’information est un des moteurs essentiels en vue du maintien de l’autonomie de la personne. La conception de maladie psychiatrique est historiquement liée au concept d’aliénation mentale ou selon certains psychiatres comme Henri Ey à celui de « pathologie de la liberté ». La structure de la situation d’information peut être envisagée selon trois registres.

Le rapport au savoir Le rapport au savoir en est le fondement, puisqu’il s’agit bien de transmettre un savoir. Le savoir possède une dimension explicative, mais il produit aussi des effets psychiques. Comme en médecine, en psychiatrie, il s’articule autour des séquences diagnostique, pronostique et thérapeutique. La dimension du diagnostic comporte la dénomination de la maladie et ses manifestations psychiques. La dénomination de la maladie porte en psychiatrie sur l’être même du sujet et comporte un poids spécifique particulier surtout en matière de schizophrénie. L’évocation du diagnostic entraîne de manière presque automatique la question de la pathogénie et du fonctionnement du trouble par rapport à la personnalité. Avec le pronostic, s’ouvre le registre des effets du trouble sur l’existence, la qualité de la vie, l’avenir et voire même le destin de la personne ; l’information peut ici contribuer à partager la part assumée de l’existence en regard du trouble et la part de destin subie dans la passivité.

0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2014. http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2014.02.003

Pour citer cet article : Richa S. Les http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2014.02.003

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La thérapeutique enfin est cette part du savoir qui s’articule à l’action sur le trouble et, partant, sur la personne. À ce niveau, le patient remet entre les mains du médecin une part de son pouvoir sur soi en vue de se le voir restitué au fil de l’évolution de sa maladie.

Une intention pédagogique Il existe une intention pédagogique dans le fait de nommer le trouble, requête instamment demandée par le patient et son entourage. Par ce processus de nomination, le mal est désigné, mais en psychiatrie, il a la particularité de se confondre avec la personne elle-même et c’est une des tâches de l’information de les démêler et d’en préciser les contours. D’où la nécessité de faire comprendre les mécanismes des troubles, leurs occurrences, leurs effets sur les relations avec l’entourage et la conduite de la vie.

Une part idéologique En psychiatrie, tout rapport avec le savoir comporte une part idéologique, doctrinale ou théorique. L’information du patient est immanquablement marquée par les références, les appartenances théoriques et doctrinales du psychiatre qui la dispense. D’où la nécessité pour le psychiatre de discerner ces implications idéologiques et peut-être d’évaluer de quel poids elles pèsent sur le destin des patients. Il résulte de ces considérations que l’information, en psychiatrie plus qu’ailleurs, doit relever d’un processus étendu dans le temps et animé par la relation thérapeutique ; elle ne relève pas d’un moment ponctuel. Elle doit aussi être engagée sur le mode du partenariat, dans un processus dynamique, faisant ainsi partie de la thérapeutique. Il semble important de signaler que ces informations soient transmises dans le cadre d’un dialogue médecin/patient. Les représentations et les images que tous deux ont de ce traitement se confrontent dans cette démarche d’information et de consentement. L’exigence d’un consentement libre (c’est-à-dire sans pression) et éclairé (c’est-à-dire bien informé), avant tout acte médical constitue la pierre angulaire de tous les textes internationaux de l’éthique médicale contemporaine. De nombreux médecins considèrent que l’obtention d’un consentement totalement libre et éclairé reste du domaine de l’utopie. Si l’on peut admettre qu’on peut informer correctement un patient et obtenir un consentement de qualité en Médecine somatique, peut-on être aussi optimiste en psychiatrie ? Quels critères faut-il retenir pour apprécier la capacité à consentir chez un individu qui a ses facultés de discernement amoindries et ses affects émoussés ?

Pour citer cet article : Richa S. Les http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2014.02.003

En dehors des situations où l’on sait que le consentement libre est impossible (dissociation du schizophrène délirant, détérioration cognitive du dément sénile), est-il, pour autant, éthique d’écarter volontairement des soins (et de la recherche) des patients qui poseront des difficultés au médecin du fait de leur personnalité (psychopathie, paranoïa) ? Quelle valeur éthique donner à l’accord d’un patient dépressif sévère qui peut comprendre « intellectuellement » ce qui lui est proposé, mais qui accepte passivement de collaborer à une recherche, dans un acte de soumission lié à un état affectif d’auto-dépréciation et de sentiment de culpabilité ? En psychiatrie, un consentement obtenu peut être parfaitement légal sans être éthique (la suggestibilité de l’hystérique, la culpabilité du dépressif mélancolique. . .) ou, au contraire, il peut être éthique sans être légal. C’est naturellement dans le domaine des états psychotiques, celui des états détérioratifs intellectuels ou d’arriération mentale que l’ambiguïté sera la plus grande. L’une des spécificités de la revendication chez les personnes atteintes d’affections mentales est d’éprouver, de fac ¸on encore plus radicale que les autres, la méthodologie d’approche de la décision éthique mise en place à la consultation et dans les soins hospitaliers, dans une relation duelle entre le souffrant et le soigné, entre celui qui a mal et celui qui est censé savoir, qui représente l’épure d’une situation profondément inégale, où là plus qu’ailleurs, l’élaboration de procédures adaptées s’impose. Les patients qui consultent en psychiatrie sont la plupart du temps en situation de souffrance. Cet état plus ou moins durable exige de fac ¸on pertinente d’imaginer en permanence les équivalences permettant, quel que soit son état, du simple mal-être quotidien aux psychoses chroniques schizophréniques, de reconnaître et de maintenir au patient son statut d’être humain : l’émergence de l’éthique peut être là ! C’est bien de cette asymétrie qu’il est question en permanence quand le soignant rec ¸oit un malade psychiatrique revendiquant. Nier cette revendication peut signifier parfois nier l’individu incapable de s’en séparer et qui peut se sentir trahi, que ce soit de fac ¸on tragique (expériences médicales dans les camps d’extermination, médecins tortionnaires au service des régimes politiques totalitaires. . .) ou plus banalement, au quotidien, chaque fois que dans une situation de soins, par manque d’égard et de parole, le souffrant n’est pas reconnu dans toute la dimension de son humanité. S. Richa Service de psychiatrie à l’Hôtel-Dieu de France, faculté de médecine de l’U.S.J., BP 166830, Achrafieh, Liban Adresse e-mail : [email protected]

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