Annales de dermatologie et de vénéréologie (2015) 142, 46—49

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CAS CLINIQUE

Érythème noueux au cours d’une mastite granulomateuse idiopathique Erythema nodosum during the course of idiopathic granulomatous mastitis J. Fahmy a,∗, M. Halabi-Tawil a, M. Bagot a, B. Tournant b, A. Petit a a

Service de dermatologie, hôpital Saint-Louis, AP—HP, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75010 Paris, France b Centre des maladies du sein, hôpital Saint-Louis, AP—HP, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75010 Paris, France Rec ¸u le 30 mars 2014 ; accepté le 1er septembre 2014 Disponible sur Internet le 17 octobre 2014

MOTS CLÉS Mastite granulomateuse ; Sein ; Érythème noueux ; Hypodermite ; Tuberculose mammaire



Résumé Introduction. — La mastite granulomateuse idiopathique (MGI) est une inflammation du sein d’origine inconnue qui doit être distinguée des tumeurs et des infections mammaires, y compris la tuberculose. La MGI est une cause rare d’érythème noueux : nous présentons un cas de cette association, utile à connaître pour le dermatologue. Observation. — Une femme de 32 ans, nullipare, consultait pour un érythème noueux des membres inférieurs, des arthralgies inflammatoires et un syndrome fébrile. L’examen trouvait un sein droit rétracté, irrégulièrement bosselé et induré sur une surface de 5 cm, douloureux à la palpation, associé à une adénomégalie sous-axillaire homolatérale. La lésion mammaire était apparue progressivement 4 mois auparavant ; elle avait été explorée par une cytoponction et deux biopsies qui n’avaient pas trouvé de cellules tumorales suspectes mais un aspect d’inflammation subaiguë à chronique granulomateuse. La recherche de mycobactéries sur les prélèvements biopsiques était négative à l’examen direct et en culture. Les autres explorations étiologiques de l’érythème noueux étaient négatives. Le diagnostic retenu était celui d’érythème noueux associé à une MGI. Une corticothérapie générale était débutée, permettant une régression de l’ensemble des manifestations, mais une rechute survenait sur le sein controlatéral lors de la décroissance de la corticothérapie.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J. Fahmy).

http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2014.09.009 0151-9638/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Érythème noueux au cours d’une mastite granulomateuse idiopathique

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Discussion. — La MGI est une inflammation subaiguë aseptique du sein, d’origine inconnue. Son diagnostic repose sur l’examen anatomopathologique et l’exclusion des autres causes de granulomes. Les manifestations extra-mammaires sont rares et concernent l’érythème noueux, des arthralgies et des épisclérites. La prise en charge est mal codifiée. © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDS Granulomatous mastitis; Breast; Erythema nodosum; Panniculitis; Breast tuberculosis

Summary Background. — Idiopathic granulomatous mastitis (IGM) is a benign, aseptic inflammatory disease of unknown origin, which must be distinguished from tumoral and infectious processes that affect the breast, including tuberculosis. IGM is a rare cause of erythema nodosum, but it is useful for dermatologists to be aware of this association. Patients and methods. — A 32-year-old nulliparous woman presented with erythema nodosum, arthralgia and fever. On examination, she had a firm and painful mass of 5 cm in the right breast with retraction and axillary adenopathy. The breast lump developed gradually over the preceding 4 months. Although two biopsies showed no evidence of atypical cells, inflammatory areas and a granulomatous process were seen. Culture of breast tissue for mycobacteria was negative. A diagnostic of idiopathic granulomatous mastitis was made. Systemic corticosteroids led to a reduction in size of the mass, but relapse occurred in the contralateral breast on dose-reduction of the corticosteroids. Discussion. — IGM is a rare disease of unknown aetiology. Diagnosis is based on characteristic histological features and exclusion of other granulomatous diseases. Extra-mammary signs are rare and include erythema nodosum, arthralgia and episcleritis. Management is poorly codified. © 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

La mastite granulomateuse idiopathique (MGI) est une inflammation du sein d’origine inconnue qui doit être distinguée des tumeurs et des infections mammaires, y compris la tuberculose. L’érythème noueux est une hypodermite nodulaire réactionnelle satellite d’affections variées. La MGI est une cause rare d’érythème noueux : nous présentons un cas de cette association, dont le diagnostic peut permettre d’éviter des explorations inutilement agressives.

Observation Une femme de 32 ans, nullipare, ayant pour antécédent une hypothyroïdie, un diabète de type 2 et un syndrome dépressif, était admise dans le service de dermatologie pour le bilan d’un érythème noueux des membres inférieurs associés à des arthralgies inflammatoires et un syndrome fébrile. Son traitement habituel comprenait depuis plusieurs années de la lévothyroxine sodique (Lévothyrox® ), de la metformine, de la quétiapine (Xéroquel® ), de la lamotrigine (Lamictal® ), de l’agomélatine (Valdoxan® ), de la mélatonine et du bromazépam (Lexomil® ). Il n’y avait pas de prise récente de nouveaux médicaments, ni de contraception orale ; pas d’infection récente des voies respiratoires ni de contage infectieux ; pas de symptomatologie digestive évocatrice de maladie inflammatoire intestinale ; pas d’aphtose. L’examen physique montrait de multiples nodules et placards érythémateux infiltrés en profondeur, sensibles, de taille variable, prédominant sur les faces antérieures et externes des deux jambes (Fig. 1a et b). Il découvrait aussi un sein droit rétracté, irrégulièrement bosselé et induré sur une surface de 5 cm, douloureux à la palpation (Fig. 2a et b), associé à

une adénomégalie sous-axillaire homolatérale. Le reste de l’examen clinique était sans particularité. À l’anamnèse, la tuméfaction du sein droit, initialement de localisation rétro-mamelonnaire, était apparue progressivement quatre mois auparavant et avait été explorée par une cytoponction, puis une micro- et une macro-biopsie qui n’avaient pas trouvé de cellules tumorales suspectes. L’érythème noueux était apparu trois mois après le début de l’atteinte mammaire. L’apparition, dans les suites des biopsies mammaires, d’un placard inflammatoire associé à un écoulement mamelonnaire avait conduit à débuter un traitement antibiotique par amoxicilline pendant un mois, malgré des examens bactériologiques locaux qui montraient seulement la présence de quelques bacilles corynéformes. L’imagerie en résonance magnétique (IRM) montrait un aspect très inflammatoire du sein droit associé à une dilatation des canaux galactophores et un début d’atteinte controlatérale. La biopsie mammaire chirurgicale montrait un tissu mammaire remanié avec présence d’un infiltrat inflammatoire lymphocytaire et quelques plasmocytes péricanalaires, sans atypie épithéliale. La cytoponction trouvait de nombreuses cellules géantes. La recherche de mycobactéries sur les biopsies était négative à l’examen direct et en culture. Le dosage de l’enzyme de conversion de l’angiotensine et la calcémie étaient normaux, de même que le bilan immunologique (anticorps anti-nucléaires, antiDNA, anti-Saccharomyces, dosage du complément sérique et fractions). Trois recherches de bacilles de Koch (BK) dans les crachats étaient négatives à l’examen direct et en culture. Le test Quantiferon® était négatif. Les sérologies virales (VIH 1 et 2, hépatites B et C), streptococciques et pour Yersinia étaient toutes négatives. Il n’y avait pas de

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Figure 1.

J. Fahmy et al.

a et b : nodules érythémateux des deux jambes.

déficit en alpha-1 anti-trypsine. La tomodensitométrie (TDM) thoracique ne montrait pas d’anomalie extramammaire. La cytoponction de l’adénomégalie sousaxillaire était en faveur d’une inflammation réactionnelle. Le diagnostic retenu était celui d’érythème noueux associé à une mastite granulomateuse idiopathique. Une corticothérapie par prednisone à la dose de 1 mg/kg/j était débutée, permettant une diminution de la masse mais l’évolution était marquée par l’apparition d’un nodule controlatéral et de la formation d’abcès au passage à 0,5 mg/kg/j de prednisone. Une ponction évacuatrice à visée symptomatique ainsi qu’une réascension de la corticothérapie générale étaient alors effectuées. L’érythème noueux, après deux poussées successives à trois semaines d’intervalle, disparaissait en quelques semaines. La corticothérapie était poursuivie pour une durée totale de 4 mois, permettant une rémission clinique partielle sans rechute, avec un recul de 6 mois.

siégeant au sein du tissu glandulaire, organisé sous la forme de granulomes épithélioïdes et giganto-cellulaires sans nécrose caséeuse, et sur l’exclusion des autres causes de granulome.

Discussion La mastite granulomateuse idiopathique est une affection rare de cause inconnue caractérisée par un état d’inflammation chronique non spécifique et amicrobien du sein, décrit pour la première fois par Wolloch et Kessler en 1972 [1]. Elle affecte la femme jeune, en période d’activité génitale, avec un âge moyen de 33,5 ans [2] et mime souvent cliniquement et radiologiquement un abcès ou un carcinome mammaire [3,4]. Elle se présente sous la forme d’une masse ferme, inflammatoire et mal limitée, souvent douloureuse, pouvant secondairement s’abcéder. L’atteinte concerne généralement un seul sein mais peut se bilatéraliser. Le diagnostic repose sur l’examen anatomopathologique, qui montre un infiltrat inflammatoire

Figure 2.

a et b : aspect du sein droit, rétracté et inflammatoire.

Érythème noueux au cours d’une mastite granulomateuse idiopathique La pathogénie de la MGI est obscure. Certains évoquent une atteinte de l’épithélium glandulaire d’origine toxique, traumatique ou infectieuse, responsable d’une extravasation des sécrétions glandulaires dans le tissu conjonctif lobulaire à l’origine d’une réaction granulomateuse de type corps étranger [4]. D’autres suggèrent l’hypothèse d’un processus auto-immun devant la présence d’analogies histologiques avec les lésions observées au cours des thyroïdites ou de l’orchite granulomateuse [1,5—7]. Le rôle pathogène de certains agents bactériens comme des corynébactéries est également discuté [8,9]. Cependant, aucune de ces hypothèses n’a été confirmée à ce jour. Les manifestations extra-mammaires de la MGI sont rares. Des associations avec un érythème noueux, des arthralgies inflammatoires et des épisclérites ont été rapportées [6,10—12], sans pour autant faire considérer la MGI comme une maladie systémique. Moins de 15 cas d’association à un érythème noueux sont décrits dans la littérature. Une publication rapporte la survenue d’une MGI chez une patiente atteinte d’hidrosadénite suppurée, avec une évolution clinique similaire vers l’abcédation et la fistulisation [13]. Des observations de même type faites dans notre centre (données non présentées), et la fréquence des épisodes d’abcédation au cours de la MGI, pourraient suggérer une parenté physiopathologique entre les deux affections. L’évolution est généralement traînante, avec un retentissement important sur la qualité de vie en raison des séquelles esthétiques. La prise en charge thérapeutique n’est pas codifiée mais fait classiquement appel à la corticothérapie générale. Les autres alternatives thérapeutiques sont les traitements immunosuppresseurs avec en premier lieu le méthotrexate et la chirurgie [14—18]. L’azathioprine a également montré des résultats encourageants, associée à la corticothérapie [19]. Les rechutes sont fréquentes, nécessitant un suivi prolongé. Les anti-TNF␣ n’ont pas été essayés dans le traitement de la MGI ; ils pourraient constituer une alternative thérapeutique intéressante dans les formes sévères corticorésistantes. En effet, l’avènement des biothérapies a révolutionné la prise en charge des patients atteints de pathologies auto-immunes et inflammatoires telles que la maladie de Crohn, où la dérégulation de l’immunité antibactérienne est également impliquée, comme cela a été suggéré dans la MGI.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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[Erythema nodosum during the course of idiopathic granulomatous mastitis].

Idiopathic granulomatous mastitis (IGM) is a benign, aseptic inflammatory disease of unknown origin, which must be distinguished from tumoral and infe...
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