Rec¸u le : 16 octobre 2013 Accepte´ le : 23 de´cembre 2014 Disponible en ligne 26 fe´vrier 2015

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Fait clinique

Lichen scle´ro-arophique vulvaire chez l’enfant : diagnostic diffe´rentiel d’abus sexuel Vulvar lichen sclerosus in children misdiagnosed as sexual abuse E. Delmarrea,*,b, C. Delteila,b, S. Malletc, C. Bovalb, F. Capassoa,b, M.-D. Piercecchi-Martia,b a

Aix Marseille universite´, CNRS, EFS, ADES UMR 7268, 13916 Marseille, France Service de me´decine le´gale et droit de la sante´, hoˆpital Timone adultes, 264, rue Saint-Pierre, 13385 Marseille cedex 5, France c Service de dermatologie, hoˆpital Timone adultes, 264, rue Saint-Pierre, 13385 Marseille cedex 5, France b

Summary Introduction. With the frequency of lawsuits for sexual abuse increasing, high-quality care for victims is of utmost importance. Genital examination is difficult to perform, especially on children, but is a key item for diagnosis. A case report is presented herein to illustrate this issue. Case presentation. A sexual assault was suspected on 2.5-year-old female twins. Clinical examination primarily detected vulvar microhematoma and hypopigmentation, discreetly sclerosing, as well as atrophic labia and a beginning of lichenification on one of them. The other twin showed an unspecific and erythematous lesion. Elimination of the supposedly dangerous environment and a remote consultation brought out a paradoxical development to the story and confirmed the diagnosis of vulvar lichen sclerosus. Discussion. Traumatic lesions caused by sexual abuse are uncommon. Coexisting allegations and lesions in the genital area lend support to the hypothesis of sexual abuse. However, genital-anal tropism dermatosis can mimic traumatic injuries. Lichen sclerosus is an example of a differential diagnosis of vulvar traumatic lesions, which is quite often unknown to physicians, including pediatricians. This case report shows that taking the appropriate time in multidisciplinary councils can suggest a differential diagnosis. Nonetheless, it should be remembered that identifying the pathology behind the lesions cannot allow the physician to negate the child’s story about potentially sexual acts, although the truth of this story and the perpetrator must still be proven by a court of law. ß 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Re´sume´ Introduction. Face a` la fre´quence croissante des plaintes pour agression sexuelle, la prise en charge des victimes doit eˆtre de qualite´. L’examen ge´nital est de re´alisation difficile en particulier chez l’enfant, cependant c’est un e´le´ment cle´ du diagnostic. Observation. Des attouchements sexuels ont e´te´ suspecte´s sur des jumelles de deux ans et demi. Les examens re´alise´s initialement sur l’une d’elles avaient identifie´ des micro-he´matomes vulvaires, des le´sions de de´pigmentation, des le`vres discre`tement scle´reuses et atrophiques et un de´but de liche´nification. L’autre jumelle pre´sentait une le´sion e´rythe´mateuse aspe´cifique de la grande le`vre. L’e´viction du milieu suppose´ dangereux et une consultation a` distance ont permis de montrer une e´volution infirmant l’hypothe`se initiale et l’e´tablissement du diagnostic de lichen scle´reux atrophique vulvaire. Discussion. La coexistence d’alle´gations et de le´sions des re´gions ge´nitales tend a` soutenir l’hypothe`se de violences physiques a` caracte`re sexuel. Cependant, des dermatoses a` tropisme ge´nito-anal peuvent mimer des le´sions traumatiques. Un exemple est le lichen scle´reux, souvent me´connu des praticiens. Ce cas clinique montre que la temporisation et la pluridisciplinarite´ des avis peuvent permettre de proposer un diagnostic diffe´rentiel. Il faut toutefois rappeler que l’identification d’une affection expliquant les le´sions ne permet pas de rejeter les dires d’enfants concernant des gestes a` caracte`re potentiellement sexuel dont l’e´tablissement de la re´alite´ et l’identification de l’auteur restent du ressort de la justice. ß 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

* Auteur correspondant. e-mail : [email protected] (E. Delmarre). http://dx.doi.org/10.1016/j.arcped.2014.12.016 Archives de Pe´diatrie 2015;22:383-386 0929-693X/ß 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

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1. Introduction Selon l’Observatoire national de la de´linquance et des re´ponses pe´nales, 26 783 cas de violences sexuelles ont e´te´ enregistre´s en France en 2012. Cinq mille neuf cent vingt-deux concernaient des mineurs. Lorsqu’elles inte´ressaient les tre`s jeunes enfants, elles faisaient le plus souvent suite a` une de´claration de faits, re´cents ou anciens. Parfois, il s’agissait de l’observation d’une le´sion ge´nito-anale de fac¸on conjointe aux dires de l’enfant ou de fac¸on fortuite a` l’occasion de sa toilette. La fre´quence croissante des cas alle´gue´s d’agression sexuelle fait qu’un grand nombre de praticiens est amene´ a` en rencontrer. L’absence de formation spe´cifique s’ajoute a` la difficulte´ de re´alisation et d’interpre´tation de l’examen clinique ge´nito-anal chez le jeune enfant et un des risques est de confondre une le´sion dermatologique avec une le´sion traumatique. C’est le cas du lichen scle´reux atrophique dont nous rapportons une observation chez des jumelles.

2. Observation Ces deux jumelles dizygotes aˆge´es de 2 ans et demi (jumelles F. et L.) ont e´te´ amene´es dans une unite´ me´dico-judiciaire pour examen me´dical sur re´quisition de la brigade des mineurs. La plainte de´pose´e par les parents e´tait la conse´quence de dires non spontane´s de la jumelle F. suite a` l’observation par la maman d’une le´sion ecchymotique sur les petites le`vres. La fillette avait indique´ que le mari de l’assistante maternelle les gardant, lui aurait gratte´ les parties ge´nitales avec une brosse a` cheveux. Avant de porter plainte, deux pe´diatres (le me´decin traitant et un urgentiste) avaient e´te´ consulte´s et avaient confirme´ l’origine traumatique de ces le´sions sans proce´der au signalement. Une e´viction du milieu suppose´ a` risque avait d’emble´e e´te´ de´cide´e par les parents. Le lendemain du constat maternel, les deux pe´diatres avaient observe´ chez la jumelle F. des ecchymoses de la face interne des grandes le`vres s’e´tendant aux petites le`vres circulairement et avaient suspecte´ une effraction de l’hymen. Le pe´diatre traitant avait pris des photographies et l’urgentiste avait prescrit des se´rologies (virus de l’immunode´ficience humaine [VIH], syphilis, he´patite B). La jumelle L. examine´e conjointement ne pre´sentait aucune le´sion ge´nito-anale. Trois jours plus tard, l’examen de la jumelle F. au service de me´decine le´gale avait re´ve´le´ une de´pigmentation vitiligo-like du clitoris a` l’anus avec des petites le`vres discre`tement scle´reuses brillantes et atrophiques, des micro-he´matomes ou suffusions he´morragiques et un de´but de liche´nification de la fourchette (fig. 1) sans aucune autre le´sion corporelle. La sœur ne pre´sentait qu’une discre`te le´sion e´rythe´mateuse aspe´cifique au niveau du tiers moyen de la grande le`vre gauche (fig. 2). L’hymen e´tait intact chez les deux enfants

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Figure 1. Aspect initial du pe´rine´e chez la premie`re jumelle. De´pigmentation vitiligo-like allant du clitoris a` l’anus avec des petites le`vres discre`tement scle´reuses brillantes et atrophiques. Petits he´matomes ou suffusions he´morragiques au niveau des deux petites le`vres. De´but de liche´nification de la fourchette.

et aucune le´sion anale n’e´tait pre´sente. Cependant, l’analyse des ante´ce´dents a retrouve´ chez la jumelle F. l’existence d’une fissure anale re´cente avec constipation, interpre´te´e par les parents comme une autre le´sion lie´e a` l’agression. Des e´couvillonages a` vise´e bacte´riologique et virologique (Clamydia trachomatis, Nesseria gonorrhoeae, mycoplasmas uroge´nitaux, varicelle, herpe`s 1 et 2) et diffe´rentes se´rologies se sont ave´re´s ne´gatifs. En l’absence d’ame´lioration voire du fait de l’aggravation des le´sions alors que l’e´viction du milieu suppose´ dangereux e´tait comple`te et alors qu’une le´sion semblait apparaıˆtre chez la jumelle L., il a e´te´ demande´ a` la famille, apre`s accord du magistrat et en maintenant l’e´viction, de revoir les 2 enfants apre`s un avis dermatologique pour la jumelle F. Dix jours apre`s le constat maternel, la dermatologue a observe´ chez cette enfant la persistance des micro-he´matomes ou suffusions he´morragiques (fig. 3). La muqueuse vulvaire e´tait discre`tement scle´reuse et atrophique avec une de´pigmentation pe´riphe´rique et persistance de la liche´nification. Le diagnostic de lichen scle´ro-atrophique vulvaire et anal sans atteinte buccale a alors e´te´ propose´. Il n’a pas e´te´ ne´cessaire de re´aliser une biopsie devant l’association de la symptomatologie e´vocatrice, l’e´volution contradictoire apre`s e´viction du milieu

Lichen scle´ro-atrophique vulvaire

Figure 3. Aspect du pe´rine´e de la premie`re jumelle 6 jours plus tard. Persistance des micro-he´matomes, muqueuse vulvaire discre`tement scle´reuse et atrophique avec de´pigmentation pe´riphe´rique, poursuite de la liche´nification. Figure 2. Aspect du pe´rine´e chez la sœur jumelle. Discre`te le´sion e´rythe´mateuse aspe´cifique au tiers moyen de la grande le`vre gauche.

suppose´ a` risque et l’ame´lioration favorable sous dermocorticoı¨des a posteriori.

3. Discussion Les alle´gations d’attouchements ou de violences a` caracte`re sexuel par l’enfant sont des situations rencontre´es plusieurs fois par les pe´diatres ou les me´decins ge´ne´ralistes au cours de leur exercice. Ces alle´gations peuvent eˆtre formule´es par un ou les deux parents ou faites directement par l’enfant, parfois a` l’occasion d’un acte de soin banal. Il convient de ne jamais les ne´gliger et meˆme si le praticien n’a pas de roˆle d’enqueˆteur pour rechercher un responsable, il doit identifier clairement le risque qu’il fait courir a` l’enfant s’il ignore ces dires ou ne prend pas les mesures ne´cessaires a` sa protection (information inquie´tante ou signalement judiciaire : loi no 2007-293). De`s lors qu’un abus sexuel est suspecte´, il convient de re´aliser syste´matiquement un interrogatoire semi-directif, un examen physique complet et des pre´le`vements (ge´ne´tiques, bacte´riologiques et virologiques  HCG [hormone chorionique gonadotrope humaine]). Ces examens sont utiles a` la proce´dure judiciaire et permettent d’e´tayer un diagnostic car

en cas de signalement, le me´decin ne peut exprimer que des de´clarations, un doute ou une incompatibilite´ le´sionnelle avec une histoire propose´e sans eˆtre tenu de certifier la re´alite´ des faits qui rele`ve du temps de l’expertise. Une e´tude de 2384 cas a montre´ qu’en dehors de cas dramatiques ou` l’enfant se pre´sente avec des le´sions ge´nito-anales ne´cessitant des gestes chirurgicaux et mettant parfois son pronostic vital en jeu, seuls 4 % des enfants examine´s dans le cadre d’alle´gations d’actes de ce type pre´sentent a` l’examen clinique des le´sions fortement suspectes ou caracte´ristiques de violence [1]. Il peut s’agir de le´sions ge´nitales aigue ¨s ou gue´ries telles qu’une effraction de l’hymen, un e´rythe`me, une abrasion, un œde`me, une cicatrice, une adhe´rence, ou de le´sions anales : anomalies du tonus, de´chirure et dilatation veineuse. Les cas douteux ne sont pas exceptionnels et me´ritent d’eˆtre discute´s de fac¸on colle´giale, autant dans le cadre me´dical que me´dico-le´gal [2]. L’e´viction du milieu suppose´ a` risque est un pre´alable indispensable. Le suivi de l’e´volution des le´sions apre`s cette e´viction peut eˆtre un moyen diagnostique comme nous l’avons vu ici. Parmi les le´sions ge´nito-anales, des affections dermatologiques peuvent entraıˆner une suspicion d’abus sexuels comme l’e´rythe`me fessier d’irritation, l’infection herpe´tique, la tache mongoloı¨de, les e´rosions du pemphigus vulvaire, l’e´rosion pe´rianale d’un lichen plan et les e´rythe`mes et pseudo-ecchymoses

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du lichen scle´reux [3]. Ce dernier est une affection d’e´tiologie inconnue, d’e´volution chronique et re´cidivante, ayant une pre´dilection pour la re´gion ano-ge´nitale. Il existe une re´partition bimodale des cas de lichen scle´reux : chez les enfants pre´pube`res puis chez la femme me´nopause´e. Le sex-ratio est tre`s en faveur du sexe fe´minin (0,12). Bien que le lichen scle´reux soit connu chez le jeune enfant, notre observation montre que la me´connaissance des pe´diatres des formes atypiques me´rite cet e´clairage par le cas particulier de l’abord judiciaire du diagnostic. Le lichen scle´reux peut se manifester par un prurit vulvaire inconstant comme dans notre observation et est fre´quemment associe´ a` des fissures anales responsables de constipation. L’aspect clinique associe diffe´rents types d’anomalies visibles de`s l’inspection. Il existe des modifications de la muqueuse vulvaire : blancheur nacre´e typique et atteinte ano-ge´nitale en 8 caracte´ristiques. Les fissures et les he´morragies sous-e´pithe´liales en nappe sont plus fre´quentes chez l’enfant. Il peut exister une fusion des petites le`vres ainsi qu’une protrusion pyramidale pe´rianale. Dans les cas atypiques, un examen anatomopathologique peut eˆtre re´alise´ (triade histologique : atrophie e´pithe´liale, hyalinisation en bandes du chorion et infiltrats inflammatoires lymphocytaires) [4]. Dans notre observation, c’est la persistance paradoxale voire l’amplification des le´sions, alors que l’e´viction du milieu suppose´ dangereux e´tait effective, qui a e´te´ un e´le´ment de´terminant. Toutefois, pre´cisons que dans le cadre judiciaire, le me´decin expert ne peut prescrire des examens encore moins invasifs, meˆme avec l’accord des parents. Il peut uniquement les solliciter aupre`s du magistrat en charge de l’affaire, qui les demande sous le mode de la re´quisition selon leur pertinence.

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4. Conclusion Dans notre observation, la forte suspicion clinique de pathologie dermatologique a e´te´ suffisante pour exclure un lien de causalite´ entre les dires de l’enfant et les le´sions constate´es. Il appartient alors a` la famille de retourner dans le cadre me´dical strict pour une prise en charge spe´cifique. Cependant, l’e´tablissement de ce diagnostic diffe´rentiel ne permet pas a` l’expert, et encore moins au pe´diatre traitant, d’exclure la re´alite´ d’actes a` caracte`res sexuels car les deux diagnostics peuvent coexister et ne s’excluent pas l’un l’autre. La justice doit alors statuer sur la valeur des dires de l’enfant devenus isole´s de toute preuve physique.

De´claration d’inte´reˆts Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article.

Re´fe´rences [1]

[2]

[3] [4]

Heger A, Ticson L, Velasquez O, et al. Children referred for possible sexual abuse: medical findings in 2384 children. Child Abuse Negl 2002;26:645–59. Vazquez P. Aspects cliniques des organes ge´nitaux des filles pre´pube`res et adolescentes dans les abus sexuels. Ann Dermatol Venereol 2004;131:921–5. Asati DP, Singh S, Sharma VK, et al. Dermatoses misdiagnosed as deliberate injuries. Med Sci Law 2012;52:198–204. Dehen L, Vilmer C. Lichen scle´reux vulvaire chez la petite fille. Ann Dermatol Venereol 2001;128:689–90.

[Vulvar lichen sclerosus in children misdiagnosed as sexual abuse].

With the frequency of lawsuits for sexual abuse increasing, high-quality care for victims is of utmost importance. Genital examination is difficult to...
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