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Rec¸u le : 22 septembre 2014 Accepte´ le : 20 janvier 2015

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Fait clinique

Rachitisme carentiel compliquant une maladie de Chanarin-Dorfman Vitamin D deficiency rickets complicating Dorfman-Chanarin syndrome C. Barrauda,*, A. Canoa, C. Boulaya, M. Milha, G. Bollinib, B. Chabrola a

Service de neurope´diatrie, hoˆpital de la Timone-Enfants, boulevard Jean-Moulin, 13005 Marseille, France b Service de chirurgie orthope´dique, hoˆpital de la Timone-Enfants, boulevard Jean-Moulin, 13005 Marseille, France

Summary

Re´sume´

Vitamin D deficiency rickets remains a public health issue in many parts of the world. In France, this diagnosis has almost disappeared since 1992 with routine vitamin D supplementation for children. Therefore, it is more difficult for doctors to identify risk factors and early signs of this disease. In this article, we report a rickets diagnosis acquired by vitamin D deficiency in a child who presented with the onset of a genu valgum and difficulty walking at the age of 9½ years. This patient was a Comorian child followed up from his birth for Dorfman-Chanarin syndrome. Dorfman-Chanarin syndrome is a rare disease, with about 80 cases reported in the literature. It belongs to the group of neutral lipid storage diseases (NLSD) characterized especially on the skin by ichthyosis. This child presented risk factors for vitamin D deficiency (dark skin color, prolonged and exclusive breastfeeding, premature end of supplementation, and particularly severe ichthyosis) that should have alerted us to the risk of vitamin D deficiency and the need for supplementation. This case highlights the importance of vitamin D, especially if there are risk factors such as ichthyosis, and the need to remain watchful in monitoring all chronic diseases. ß 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Le rachitisme acquis par carence en vitamine D reste un proble`me de sante´ publique dans de nombreuses parties du monde. En France, ce diagnostic a quasiment disparu depuis 1992 avec la supple´mentation syste´matique en vitamine D des enfants. De ce fait, les me´decins ont plus de difficulte´s a` identifier les facteurs de risque ainsi que les signes pre´coces de cette maladie. Nous rapportons un diagnostic de rachitisme acquis par carence en vitamine D re´alise´ a` l’aˆge de 9 ans et demi devant l’apparition d’un genu valgum et d’une difficulte´ a` la marche chez un enfant d’origine comorienne suivi depuis sa naissance pour une maladie de Chanarin-Dorfman. Cette maladie rare, environ 80 cas rapporte´s, fait partie du groupe des lipidoses avec surcharge en triglyce´rides ou neutral lipid storage disease (NLSD) comportant une atteinte cutane´e particulie`re a` type d’ichtyose. Cet enfant pre´sentait des facteurs de risque de carence en vitamine D (couleur fonce´e de la peau, allaitement maternel exclusif prolonge´, arreˆt pre´mature´ de la supple´mentation et surtout ichtyose se´ve`re) qui auraient duˆ nous alerter sur ce risque et la ne´cessite´ d’une supple´mentation adapte´e en vitamine D. Ce cas souligne l’importance de la vitamine D surtout s’il existe des facteurs de risque telle l’ichtyose et la ne´cessite´ de rester vigilant au cours du suivi de toutes les maladies chroniques. ß 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

1. Introduction

monde et on observe une augmentation des cas chez les enfants issus des minorite´s ethniques vivants en Europe, en Ame´rique du Nord ou au Moyen Orient [1]. En France, nous ne disposons pas de donne´es e´pide´miologiques re´centes mais ce diagnostic est devenu rare depuis la supple´mentation syste´matique des enfants en vitamine D. De ce fait, les me´decins ont plus de difficulte´s a` identifier les facteurs de risque ainsi

Le rachitisme acquis par carence en vitamine D est encore un proble`me de sante´ publique dans de nombreuses parties du * Auteur correspondant. e-mail : [email protected] (C. Barraud). http://dx.doi.org/10.1016/j.arcped.2015.01.011 Archives de Pe´diatrie 2015;xxx:1-4 0929-693X/ß 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

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que les signes pre´coces de rachitisme avec le risque de diagnostics tardifs (de´formations osseuses importantes et retard de croissance). L’ichtyose diffuse est un de ces facteurs de risque car il s’agit d’un trouble de la ke´ratinisation qui geˆne la photosynthe`se cutane´e de vitamine D par les rayons ultraviolets B qui assure plus de la moitie´ des besoins. Cette ichtyose est le signe clinique principal de la maladie de Chanarin-Dorfman. Nous rapportons un cas de diagnostic tardif de rachitisme acquis par carence en vitamine D chez un enfant suivi pour une maladie de Chanarin-Dorfman de forme ne´onatale. L’objectif de cette pre´sentation est de rappeler l’importance de la supple´mentation en vitamine D chez tous les enfants et notamment chez ceux pre´sentant des facteurs de risque de rachitisme carentiel.

2. Observation Il s’agissait du premier enfant d’un couple non consanguin d’origine comorienne sans ante´ce´dents familiaux notables, ne´ a` terme par ce´sarienne en urgence pour des anomalies du rythme cardiaque fœtal avec difficulte´ d’extraction ; il s’e´tait cependant bien adapte´ a` la vie extra-ute´rine et avait e´te´ alimente´ par allaitement maternel exclusif. Dans les premiers jours de vie, l’examen clinique avait montre´ une hypotonie axiale importante sans trouble respiratoire, une he´patome´galie, une ichtyose diffuse et une arthrogrypose des quatre membres avec pieds en varus equin, pouces adductus et re´flexes oste´o-tendineux diminue´s mais pre´sents aux quatre membres. Un premier bilan me´tabolique et malformatif s’e´tait ave´re´ normal. A` 2 mois de vie une biopsie musculaire avait re´ve´le´ la pre´sence de micro-vacuoles de triglyce´rides dans l’ensemble des fibres musculaires, sans ne´crose ni involution fibro-adipeuse ou inflammatoire ni atteinte mitochondriale, faisant e´voquer une maladie de Chanarin-Dorfman. Le diagnostic avait e´te´ confirme´ dans un deuxie`me temps par une analyse ge´ne´tique ayant identifie´ 2 mutations du ge`ne ABDH5 (CGI-58) transmises par chacun des parents. Cet enfant s’e´tait bien de´veloppe´ sur le plan psychomoteur, la marche e´tant acquise avant 18 mois. Cependant, l’ichtyose ge´ne´ralise´e avait persiste´ malgre´ les diffe´rents essais de traitements locaux, ainsi qu’un syndrome myopathique mode´re´ avec amyotrophie globale, une attitude des mains en col de cygne et une he´patome´galie discre`te avec ste´atose he´patique. Les bilans biologiques de suivi e´taient normaux en dehors d’une augmentation isole´e des phosphatases alcalines a` 700 UI/L (110-341). Par la suite, cet enfant a e´te´ perdu de vue pendant environ 2 ans durant lesquels e´taient apparus un genu valgum, une majoration de l’hyperlordose puis progressivement une difficulte´ a` la marche. L’enfant a e´te´ revu en consultation 8 mois plus tard a` l’aˆge de 9 ans et demi. La position accroupie e´tait impossible et il existait un de´collement des omoplates, une de´formation en genu valgum se´ve`re, une fatigabilite´ importante a` la marche avec chutes fre´quentes et douleurs

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des membres infe´rieurs. Les radiographies ont mis en e´vidence des anomalies me´taphysaires avec un e´largissement des cartilages de croissance (fig. 1) et un aspect frange´ (fig. 2), une de´formation fe´morale en genu valgum se´ve`re en relation avec une oste´omalacie et un e´largissement en cupule de l’extre´mite´ des arcs ante´rieurs de coˆtes. L’oste´odensitome´trie a montre´ pour le rachis un Z-score de 1, nettement infe´rieur aux limites normales pour l’aˆge et le sexe. Sur le plan biologique, la calce´mie corrige´e e´tait a` 2,1 mmol/L (N = 2,23–2,58), la calce´mie ionise´e a` 1,06 mmol/L avec une calciurie < 0,37 mmmol/L, les phosphatases alcalines a` 716 UI//L (N = 110–341), la parathormone e´leve´e a` 93,7 pmol/L (N = 1,6–6,9) et la 25OH-vitamine D a` 10 nmol/L (N = 75-250 ; carence < 25 nmol/ L). Ces anomalies ont permis de faire le diagnostic de rachitisme carentiel. L’enqueˆte alimentaire re´alise´e a montre´ que les apports calciques e´taient corrects mais que ceux en vitamine D e´taient a` 50 % des apports nutritionnels conseille´s (ANC) notamment en raison d’un arreˆt pre´coce de la supple´mentation en vitamine D. Le traitement de ce rachitisme a de´bute´ par une supple´mentation me´dicamenteuse en vitamine D, en calcium et en magne´sium pour une normalisation des diffe´rents taux. La se´ve´rite´ du genu valgum a ne´cessite´ une prise en charge chirurgicale par oste´osynthe`se bilate´rale permettant une re´duction quasi-totale de la de´formation pourtant se´ve`re.

3. Discussion La maladie de Chanarin-Dorfman est une maladie rare avec environ 80 cas de´crits dans la litte´rature. Elle fait partie du groupe des lipidoses avec surcharge en triglyce´rides caracte´rise´e par une accumulation multisyste´mique de vacuoles lipidiques cytoplasmiques. Le diagnostic est fait par la mise en e´vidence de leucocytes pre´sentant des vacuoles de lipides neutres (ou anomalies de Jordans) [2] et d’un de´ficit de la

[(Figure_1)TD$IG]

Figure 1. Radiographie des genoux : genu valgum avec e´largissement des cartilages de croissance au niveau fe´moral.

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[(Figure_2)TD$IG]

Figure 2. Radiographie du bras gauche : aspect frange´ de la me´taphyse hume´rale.

de´gradation des triglyce´rides cytoplasmiques sur culture de fibroblastes. Le mode de transmission est autosomique re´cessif (mutations sur le ge`ne ABHD5 [anciennement appele´ : CGI58] sur le chromosome 3 en p21 [3]). Cliniquement, on observe une ichtyose ge´ne´ralise´e dans 95 % des cas et de fac¸on plus variable une atteinte musculaire (syndrome myopathique mode´re´ le plus fre´quent), un de´ficit intellectuel, une atteinte he´patique, une neuropathie et une atteinte neurosensorielle (oculaire et auditive) [4,5]. Le rachitisme carentiel est une oste´omalacie due a` une carence le plus souvent en vitamine D qui favorise l’absorption intestinale du calcium et agit sur la mine´ralisation osseuse par le maintien d’un e´tat de normocalce´mie et de normophosphore´mie. Il me`ne a` des de´formations osseuses parfois se´ve`res et a` un retard de croissance. Dans notre observation, on peut noter l’augmentation pre´coce et isole´e des phosphatases alcalines qui, a posteriori, aurait pu nous orienter vers un remaniement osseux par carence en vitamine D plus pre´cocement bien avant l’apparition des premiers signes cliniques de rachitisme. En France, ce diagnostic a quasiment disparu depuis l’ame´lioration du suivi, l’enrichissement des laits infantiles en vitamine D et la

Rachitisme et Chanarin-Dorfman

mise en place des recommandations du programme national nutrition sante´ (PNNS 2004) [6] puis par celles de l’Acade´mie ame´ricaine de pe´diatrie en 2008 [7] pour une supple´mentation quotidienne syste´matique en vitamine D d’au moins 400 UI/ jour chez tous les enfants sains y compris les adolescents a` adapter en fonction des facteurs de risque de carence. Une mise au point a` ce sujet a e´te´ faite par le comite´ de nutrition de la Socie´te´ franc¸aise de pe´diatrie en 2012 [8] qui recommande pour les enfants de moins de 18 mois recevant un lait enrichi en vitamine D, un comple´ment de 600 a` 800 UI/j ; pour les enfants de moins de 18 mois recevant un lait de vache non enrichi en vitamine D : 1000 a` 1200 UI/j et pour les enfants de 18 mois a` 5 ans et adolescents de 10 a` 18 ans : 2 doses de charge trimestrielle de 80 000 a` 100 000 UI en hiver (novembre et fe´vrier). En pre´sence d’un risque particulier (forte pigmentation cutane´e ; affection dermatologique empeˆchant cette exposition ; malabsorption digestive, cholestase, etc.), il peut eˆtre justifie´ de poursuivre la supple´mentation toute l’anne´e chez l’enfant de 1 a` 5 ans et chez l’adolescent, et de la maintenir entre 5 et 10 ans (e´tudes en cours) [8]. Une re´cente e´tude a permis d’identifier les facteurs de risque de carence en vitamine D et de rachitisme dont la plupart e´taient pre´sents dans notre observation tels que la couleur fonce´e de la peau, l’allaitement maternel exclusif prolonge´, l’absence ou l’arreˆt pre´coce de la supple´mentation des enfants en vitamine D ou encore l’alimentation carence´e en vitamine D. Des auteurs ont e´galement rapporte´ comme facteurs de risque : la faible exposition solaire, l’absence de supple´mentation maternelle en vitamine D pendant la grossesse et l’utilisation d’aliments riches en phosphates [9]. De plus, dans notre observation, l’ichtyose persistante et la peau fonce´e auraient du ˆ nous alerter sur le risque de carence en vitamine D (comme rapporte´ dans une e´tude prospective franc¸aise en 2014 [10]) du fait de la difficulte´ de pe´ne´trance des ultraviolets au niveau cutane´ pour la biosynthe`se de cette vitamine. Cela nous aurait en effet permis d’entreprendre et de controˆler au cours du suivi une supple´mentation adapte´e en vitamine D par des dosages re´guliers chez cet enfant. On peut e´galement s’inte´resser aux traitements de l’ichtyose dont l’association au rachitisme dans cette maladie a de´ja` e´te´ rapporte´e dans un cas [11]. Un article re´cent sur les traitements topiques de l’ichtyose a insiste´ sur le fait qu’il n’existait pas de traitement efficace pour tous les patients car il y a une grande variabilite´ individuelle en fonction de l’aˆge et des activite´s [12] en dehors des traitements e´mollients toujours utiles. Les re´tinoı¨des oraux semblent efficaces dans cette indication moyennant une surveillance des effets secondaires [13,14].

4. Conclusion Ce cas souligne l’importance de la pre´vention par la supple´mentation en vitamine D a` doses adapte´es chez tous les enfants et en particulier s’il existe des facteurs de risque comme une ichtyose. Il est ne´cessaire de s’assurer de la

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compliance et de la bonne dose des traitements par des dosages re´guliers de vitamine D chez ces enfants a` risque car le rachitisme est une maladie souvent se´ve`re mais e´vitable. D’autre part, ce cas nous incite a` rester vigilants au cours du suivi de toute maladie chronique du fait de la possibilite´ de survenue d’autres affections.

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[5] [6] [7]

De´claration d’inte´reˆts [8]

Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article. Absence d’aide financie`re.

[9] [10]

Re´fe´rences [1] [2]

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[Vitamin D deficiency rickets complicating Dorfman-Chanarin syndrome].

Vitamin D deficiency rickets remains a public health issue in many parts of the world. In France, this diagnosis has almost disappeared since 1992 wit...
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