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Article original

Infection bactérienne à Streptococcus gallolyticus transmise par transfusion d’un concentré de plaquettes : à propos d’un cas Transfusion-transmitted bacterial infection of a apheresis platelet concentrate with Streptococcus gallolyticus: Analysis of one case C. Le Niger a,∗ , F. Dalbies b , V. Narbonne c , G. Hery-Arnaud c,d , M. Virmaux d , C. Léostic e , F. Hervé e , C. Liétard f a Unité d’hémovigilance, hôpital Morvan, CHRU de Brest, 5, avenue Foch, 29609 Brest cedex, France Institut de cancérologie et d’hématologie, hôpital Morvan, CHRU de Brest, 5, avenue Foch, 29609 Brest cedex, France c Laboratoire de bactériologie-hygiène, hôpital La Cavale Blanche, CHRU de Brest, boulevard Tanguy-Prigent, 29609 Brest cedex, France d CRENO Bretagne, UFR de médecine et des sciences de la santé, 22, avenue Camille-Desmoulins, CS 93837, 29238 Brest cedex 3, France e EFS Bretagne, rue Pierre-Jean-Gineste, BP 91614, 35016 Rennes cedex, France f Service de santé publique et épidémiologie, UFR de médecine et des sciences de la santé, 22, avenue Camille-Desmoulins, CS 93837, 29238 Brest cedex 3, France b

Disponible sur Internet le 13 juin 2014

Résumé Les accidents bactériens sont des complications rares, mais potentiellement graves de la transfusion. De nombreux progrès ont été réalisés ces dernières années afin de garantir la sécurité microbiologique des produits sanguins labiles tels que la sélection des donneurs par l’entretien médical, la dérivation des 30 premiers millilitres de sang au moment du don, la déleucocytation des produits sanguins labiles. . . Cependant malgré ces progrès, des cas de contamination bactérienne existent toujours. L’objet de cet article est de rapporter un cas clinique de contamination bactérienne d’un concentré plaquettaire par du Streptococcus gallolyticus et la conséquence inhabituelle chez le donneur avec la découverte d’une tumeur rectale néoplasique asymptomatique. Ce cas pose à nouveau le problème de l’inactivation des pathogènes dans les concentrés de plaquettes de manière systématique. © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Infection bactérienne ; Transfusion sanguine ; Streptococcus gallolyticus

Abstract Bacterial infections are uncommon complications of the blood products transfusion but they are potentially serious. Many advances have been done over the past few years to guarantee the microbiological security of blood products as the donors selection with a medical talk, the derivation of the first 30 millilitres blood during the donation, the deleucocytation of blood products. . . But in spite of these advances, cases of bacterial infection always remain. The purpose of this study was to point out the platelet concentrate’s transfusion-transmitted bacterial infection with Streptococcus gallolyticus and the unusual consequence for the donor by uncovering an asymptomatic rectal neoplastic tumor. This study as raised as to whether the usefulness of systematic bacterial inactivation in the platelets concentrates. © 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Bacterial infection; Blood transfusion; Streptococcus gallolyticus

1. Introduction ∗

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Le Niger).

http://dx.doi.org/10.1016/j.tracli.2014.05.001 1246-7820/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Les accidents bactériens sont des complications rares, mais potentiellement graves de la transfusion. Le risque est estimé

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pour les imputabilités de 1 (possible) à 3 (certaine) à 0,6 pour 100 000 produits sanguins labiles. Elles apparaissent trois fois plus souvent avec les plaquettes (3,1 pour 100 000 unités) qu’avec les CGR (0,4 pour 100 000 unités) [1]. De nombreux progrès ont été réalisés ces dernières années afin de garantir la sécurité microbiologique des produits sanguins labiles tels que la sélection des donneurs par l’entretien médical, la dérivation des 30 premiers millilitres de sang au moment du don, la déleucocytation des produits sanguins labiles. . . D’autres mesures comme l’inactivation photochimique des concentrés plaquettaires et du plasma par une technique associant l’amotosalen et les UVA se sont développées et ont été appliquées dans certaines régions franc¸aises dans des contextes spécifiques et localisés. Cependant malgré ces progrès, des cas de contamination bactérienne existent toujours. L’objet de cet article est de rapporter un cas clinique de contamination bactérienne d’un concentré plaquettaire par du Streptococcus gallolyticus et la conséquence inhabituelle chez le donneur avec la découverte d’une tumeur rectale néoplasique asymptomatique.

2. Cas clinique et investigations bactériologiques 2.1. Cas clinique Madame M., 80 ans, est hospitalisée le 16 octobre 2012 en hôpital de jour d’hématologie pour transfusion d’un concentré de plaquettes d’aphérèse (CPA) Intersol dans le cadre d’une leucémie aiguë myéloblastique. Le taux de plaquettes est à 15 G/L. La transfusion est débutée à 12 h 00 après une prémédication systématique par hydrocortisone et polaramine devant des antécédents de réaction transfusionnelle de type urticarien. La patiente présente des frissons importants 10 minutes après la fin de la transfusion puis une hyperthermie progressivement croissante jusqu’à 41,6 associés à des vomissements. L’hémodynamique reste conservée et aucun signe de gravité n’est observé. Devant ce tableau clinique, la patiente est hospitalisée. Un bilan bactériologique est réalisé avec des hémocultures et l’analyse bactériologique du produit sanguin par le laboratoire de bactériologie-hygiène référent. L’examen direct (ED) du CPA obtenu 2 h 30 après l’incident révèle la présence de cocci Gram + dans le produit sanguin et dans la tubulure attenante. Une antibiothérapie adaptée est débutée immédiatement après les résultats de l’examen direct du produit sanguin. L’évolution est favorable au terme d’une hospitalisation de 21 jours au cours de laquelle la patiente sera retransfusée de 4 concentrés de plaquettes et de 2 concentrés de globules rouges sans problèmes particuliers. Dès l’obtention des résultats de l’ED, le site transfusionnel de l’EFS a été informé pour bloquer d’éventuels autres produits sanguins issus du même donneur.

Fig. 1. Photographie du gel d’électrophorèse en champ pulsé des isolats de Streptococcus gallolyticus après macrorestriction par SmaI. M : marqueur de poids moléculaire. Pulsotype 1 : souche isolée à partir du sang (hémoculture) de la patiente transfusée. Pulsotype 2 : souche isolée à partir de la poche de plaquettes. Pulsotypes 3, 6 : souches isolées à partir du sang (hémoculture) du patient donneur. Pulsotypes 4 et 5 : souches isolées de patients témoins (sans lien épidémiologique avec le cas index). Les souches 1, 2, 3 et 6 présentent des pulsotypes identiques et sont donc clonales. D’après les critères de Tenover.

2.2. Bilan bactériologique Les cultures du produit sanguin mettent en évidence à H24 du S. gallolyticus sensible à la plupart des antibiotiques. Les deux couples d’hémocultures aérobie et anaérobie prélevés sur voie périphérique se positivent plus tardivement le 17 octobre. La comparaison génotypique des souches isolées du concentré plaquettaire, des hémocultures de la patiente et de l’hémoculture du donneur par électrophorèse en champ pulsé permet de retrouver le même germe (Fig. 1). Le diagnostic d’infection bactérienne à S. gallolyticus transmis par la transfusion était donc d’imputabilité certaine. 2.3. Enquête chez le donneur Une enquête ciblée est réalisée chez le donneur puisque le S. gallolyticus est une bactérie connue pour son association avec les cancers et adénomes colorectaux ainsi que les endocardites.

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Un courrier est adressé au patient ainsi qu’à son médecin traitant par le médecin de l’EFS. En l’absence de réponse, une relance est faite fin décembre. Mi janvier, le bilan colonoscopique réalisé chez le donneur met en évidence une tumeur rectale de 3 cm dont l’analyse histologique confirme le caractère néoplasique. L’hémoculture réalisée chez le donneur au moment du bilan retrouve le même germe lors de l’analyse par électrophorèse en champ pulsé. 3. Discussion L’analyse clinique initiale de cet effet indésirable receveur par le médecin en charge de la patiente s’est tout d’abord orientée vers un diagnostic de réaction fébrile non hémolytique entraînant une prescription de corticoïdes et d’antipyrétiques. Il est à noter que cette patiente dans ses antécédents avait déjà présenté une réaction transfusionnelle mineure de type allergique expliquant la prémédication systématique par antihistaminiques et corticoïdes. Devant la symptomatologie présentée par la patiente, certains éléments étaient d’emblée évocateurs d’une contamination bactérienne du produit sanguin (l’hyperthermie majeure associée à des frissons et les troubles digestifs à type de vomissements). Il est à noter que la tolérance hémodynamique a été tout à fait satisfaisante chez cette patiente âgée et immunodéprimée. L’effet indésirable receveur a été classé de gravité 1 (non sévère). La qualité de la prise en charge bactériologique est à souligner puisque le délai entre le début de la symptomatologie et les résultats téléphonés de l’examen direct du concentré plaquettaire a été de 2 h 30, ce qui a permis dès l’obtention des résultats de mettre en place une antibiothérapie adaptée chez la patiente. Les hémocultures se positiveront le lendemain et en l’absence de résultats d’examen direct du produit sanguin, un retard à la mise en place d’un traitement antibiotique aurait pu être constaté. Cet incident bactérien est également tout à fait original par la nature du germe isolé puisqu’il a été retrouvé un S. gallolyticus. D’emblée, le biologiste du laboratoire de bactériologie-hygiène a interpellé le médecin du service et le correspondant d’hémovigilance sur l’association connue de ce germe avec des tumeurs colorectales ou des endocardites. L’enquête chez le donneur incriminé a montré que celui-ci était un donneur régulier et qu’il était totalement asymptomatique au moment du don. Le bilan réalisé suite à cet effet indésirable receveur a permis de mettre en évidence une tumeur rectale dont l’analyse histologique a confirmé le caractère néoplasique ce qui a permis une prise en charge thérapeutique spécifique précoce. Bien que l’incidence des infections bactériennes transmises par transfusion (IBTT) diminue régulièrement depuis 2000, elles restent des complications rares mais potentiellement graves de la transfusion. En 2011, 17 infections bactériennes [1] d’imputabilité 1 (possible) à 3 (certaine) ont été déclarées, avec des concentrés de globules rouges (CGR) dans 14 cas et des concentrés plaquettaires dans 3 cas. Dans 1 cas, le grade de gravité était sévère, dans 2 cas avec menace vitale immédiate et dans 1 cas, l’IBTT a entraîné le décès du patient avec une transfusion de CPA. Les IBTT sont plus fréquents avec les plaquettes

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qu’avec les CGR et pour les concentrés de plaquettes, plus fréquents avec les concentrés de plaquettes d’aphérèse qu’avec les mélanges de concentrés de plaquettes standards. Les germes isolés dans les concentrés plaquettaires sont notamment des bacilles gram négatif (Escherichia coli, Klebsiella oxytoca, Serratia marcescens), des staphylocoques (Staphylococcus aureus, Staphylococcus à coagulase négative, Staphylococcus epidermidis) ou des bacilles Gram positif type Bacillus cereus. Il n’a pas été décrit jusqu’à présent de cas de contamination par du S. gallolyticus. Au CHRU de Brest, nous avons déclaré depuis 1994 au réseau d’hémovigilance, 4 cas supplémentaires d’IBTT (1994–1996–2010) survenus chez des patients immunodéprimés suivis pour des pathologies hématologiques et concernant un concentré de globules rouges dans un cas et des concentrés plaquettaires dans les trois autres cas. Le germe retrouvé dans le concentré de globules rouges était un Acinetobacter johnsonii et dans les trois cas survenus avec des concentrés de plaquettes un S. epidermidis, un Bacillus cereus et un Bacillus spp. L’évolution a été favorable dans les quatre cas. L’enquête réalisée chez le donneur dans le cas de la contamination bactérienne d’un CPA par du S. epidermidis a permis de retrouver lors de l’analyse par électrophorèse en champ pulsé le même germe dans les hémocultures, le produit sanguin et au niveau du site de prélèvement cutané du donneur. Dans le cas décrit ici, la bactérie isolée est un S. gallolyticus. Le S. gallolyticus est l’ancienne dénomination du Streptococcus bovis qui appartient aux streptocoques du groupe D [2]. Le S. bovis biotype I a été renommé S. gallolyticus sous-espèce gallolyticus, le biotype II/1 Streptococcus infantarius sous-espèce infantarius et sous-espèce coli et le biotype II/2 S. gallolyticus sous-espèce pasteurianus. Les bactériémies à S. gallolyticus sont connues pour être associées à des adénomes et des cancers colorectaux, ainsi que des endocardites [3]. Les patients avec une bactériémie à S. gallolyticus ont une tumeur colorectale concomitante dans 25 à 80 % des cas et l’incidence de l’association des tumeurs coliques avec des endocardites à S. gallolyticus est de 18 à 62 %. Les résultats d’une méta analyse basée sur six études indépendantes avec un total de 340 patients, ont montré que les patients présentant une bactériémie à S. gallolyticus sous-espèce gallolyticus en particulier ont un risque plus élevé de néoplasie colorectale et d’endocardite que les patients infectés avec les autres espèces de S. gallolyticus [4]. La tumeur colique peut survenir des années après la bactériémie ou l’endocardite infectieuse à S. gallolyticus. Initialement, ce germe était considéré comme un pathogène de faible grade impliqué dans les bactériémies et les endocardites. Bien que la relation entre le cancer colique et la présence d’une endocardite infectieuse ait été suggérée en 1951, ce n’est qu’en 1974 que l’association entre S. gallolyticus et néoplasie colique a été reconnue. Cette association a par la suite été confirmée par de nombreuses études. Abdulamir et al. [3] concluent que le S. gallolyticus joue un rôle étiologique dans le développement des tumeurs colorectales. Le rôle proinflammatoire du germe ainsi que ses

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propriétés pro-carcinogènes sont des arguments pour dire que le S. gallolyticus est probablement responsable d’une carcinogenèse lentement progressive des tissus de la muqueuse colorectale. Cette carcinogenèse se ferait par un processus de transformation à partir de tissus normaux en lésions précancéreuses, les adénomes, puis en tissus cancéreux malins. Suite à ces constats, des investigations ciblées ont été réalisées chez le donneur permettant de mettre en évidence une tumeur rectale de 3 cm dont l’analyse histologique a confirmé le caractère néoplasique.

Bien que les IBTT soient très rares mais compte tenu des conséquences parfois dramatiques chez les receveurs, ce cas pose à nouveau le problème de l’inactivation des pathogènes dans les concentrés de plaquettes de manière systématique. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références

4. Conclusion Les modalités de survenue et de prise en charge de cet IBTT ont confirmé l’importance de pouvoir disposer 24 heures sur 24 d’un examen direct du ou des produit(s) sanguin(s) incriminé(s), pouvant aider le médecin dans sa décision de débuter une antibiothérapie adaptée. Les IBTT sont des complications rares de la transfusion. Le premier diagnostic évoqué par les cliniciens a été celui de réaction fébrile non hémolytique qui ne nécessite pas de traitement spécifique. Cet incident a permis grâce aux investigations menées chez le donneur de retrouver une tumeur rectale néoplasique et la mise en place d’une prise en charge thérapeutique spécifique.

[1] Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Hémovigilance rapport annuel; 2011. www.ansm.sante.fr [2] Schlegel L, Grimont F, Ageron E, Grimont PA, Bouvet A. Reappraisal of the taxonomy of the Streptococcus bovis/Streptococcus equinus complex and related species: description of Streptococcus gallolyticus subsp. gallolyticus subsp. nov., S. gallolyticus subsp. macedonicus subsp. nov. and S. gallolyticus subsp. pasteurianus subsp. nov. Int J Syst Evol Microbiol 2003;53:631–45. [3] Abdulamir AS, Hafidh RR, Bakar FA. The association of Streptococcus bovis/gallolyticus with colorectal tumors: the nature and the underlying mechanisms of its etiological role. J Exp Clin Cancer Res 2011; 30:11. [4] Boleij A, Tjalsma H. The itinery of Streptococcus gallolyticus infection in patients with colonic malignant disease. Lancet Infect Dis 2013;13: 719–24.

[Transfusion-transmitted bacterial infection of a apheresis platelet concentrate with Streptococcus gallolyticus: Analysis of one case].

Bacterial infections are uncommon complications of the blood products transfusion but they are potentially serious. Many advances have been done over ...
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