Journal français d’ophtalmologie (2014) 37, 329—336

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

REVUE GÉNÉRALE

Atteinte oculaire de la syphilis Ocular syphilis C. Chiquet a,∗, H. Khayi a, C. Puech a, M. Tonini a, P. Pavese b, F. Aptel a, J.-P. Romanet a a

Clinique universitaire d’ophtalmologie, CHU de Grenoble, université J.-Fourier, BP 217, 38043 Grenoble cedex 09, France b Clinique universitaire de médecine infectieuse, CHU de Grenoble, université J.-Fourier, BP 217, 38043 Grenoble cedex 09, France Rec ¸u le 8 octobre 2013 ; accepté le 3 d´ ecembre 2013 Disponible sur Internet le 18 mars 2014

MOTS CLÉS Uvéite ; Syphilis ; Neuropathie optique ; Choriorétinite ; Maladie sexuellement transmissible ; Ceftriaxone ; Human immunodeficiency virus

KEYWORDS Ceftriaxone;



Résumé La syphilis est une maladie sexuellement transmissible liée à une infection par Treponema pallidum. Cette maladie, connue pour être une grande imitatrice, peut se révéler par des manifestations cliniques variées. L’ophtalmologiste doit évoquer le diagnostic chez un patient présentant une uvéite ou une neuropathie optique et une conduite sexuelle à risque et/ou une autre maladie sexuellement transmissible (comme le VIH). Par ailleurs, une choriorétinite postérieure en plaque ou une rétinite nécrosante doit faire rapidement rechercher cette étiologie. L’atteinte oculaire survient essentiellement pendant les phases secondaires et tertiaires de la maladie. La syphilis peut atteindre tous les tissus oculaires. L’uvéite est l’atteinte la plus fréquente (1 à 5 % des uvéites en centre tertiaire) sous la forme d’uvéite antérieure granulomateuse ou non, uvéite postérieure, panuvéite ou kérato-uvéite. L’atteinte du système nerveux central peut être asymptomatique mais est fréquente, ce qui justifie la réalisation systématique d’une ponction lombaire en cas d’uvéite et/ou de neuropathie optique. La confirmation diagnostique est essentiellement sérologique. Le traitement parentéral par pénicilline G est le traitement de première intention en cas de syphilis oculaire. Un traitement adjuvant par corticothérapie générale sera discuté en cas d’uvéite, de neuropathie optique ou de sclérite. Un suivi prolongé est nécessaire étant donné les possibilités de réinfections. Le pronostic anatomique et fonctionnel oculaire est souvent favorable après traitement antibiotique approprié. © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Summary Syphilis is a sexually transmitted disease caused by Treponema pallidum. Previously known as the ‘‘great imitator’’, this disease can have numerous and complex manifestations. The ophthalmologist should suspect the diagnosis in patients with uveitis or optic

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Chiquet).

0181-5512/$ — see front matter © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2013.12.006

330

Human immunodeficiency virus; Sexually transmitted disease; Syphilis; Uveitis; Optic neuropathy; Chorioretinitis

C. Chiquet et al. neuropathy and high-risk sexual behavior and/or another sexually transmitted disease (such as HIV) or those presenting with posterior placoid chorioretinitis or necrotising retinitis. Ocular involvement in acquired syphilis is rare, tending to occur during the secondary and tertiary stages of the disease. Syphilis may affect all the structures of the eye, but uveitis (accounting for 1—5% of the uveitis in a tertiary referral center) is the most common ocular finding. Granulomatous or non-granulomatous iridocyclitis (71%), panuveitis, posterior uveitis (8%) and keratouveitis (8%) are often described. In the secondary stage, the meninges and the central nervous system can be affected, sometimes with no symptoms, which justifies performing lumbar puncture in patients with uveitis and/or optic neuropathy. The diagnosis of ocular syphilis requires screening with a non-treponemal serology and confirmation with a treponemal-specific test. Parenterally administered penicillin G is considered first-line therapy for all stages of ocular syphilis. Systemic corticosteroids are an appropriate adjunct treatment for posterior uveitis, scleritis and optic neuritis if ocular inflammation is severe. Prolonged follow-up is necessary because of the possibility of relapse of the disease. With proper diagnosis and prompt antibiotic treatment, the majority of cases of ocular syphilis can be cured. © 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

La syphilis, maladie historiquement célèbre, semblait avoir disparu avec l’avènement de l’antibiothérapie. Entre 1998 et 2001, sa prévalence a été multipliée par 6 en France [1,2]. Ce phénomène a été constaté dans la plupart des pays européens et quelques épidémies localisées sont décrites [3]. La prévalence de cette maladie sexuellement transmissible (MST) était déjà en forte augmentation aux États-Unis depuis les années 2000 [4—6]. Dans le monde, environ 12 millions de nouveaux cas de syphilis sont dénombrés chaque année ; dont 90 % dans les pays développés [7]. Les nouveaux cas surviennent surtout chez des hommes ayant des rapports homosexuels (61 % des cas), la plupart étant infectés par le VIH [8].

Physiopathologie La syphilis est une maladie infectieuse due à Treponema pallidum, sexuellement transmissible et contagieuse. La syphilis n’est vraiment contagieuse pour le partenaire qu’au stade primaire de chancre et au stade secondaire des syphilides muqueuses, érosives. Transmis presque toujours par contact direct vénérien, T. pallidum traverse activement les muqueuses saines et, très rapidement (10 minutes), disparaît de la surface de la muqueuse et diffuse dans le sang. La contagiosité immédiate forte (transmission directe au cours de rapports multiples) est donc très brève.

Diagnostic clinique

Syphilis : atteinte multisystémique et grande simulatrice Facteurs de risque La population touchée est similaire à celle infectée par le VIH : sujets masculins, majoritairement jeunes, homosexuels, ayant des comportements sexuels à risque [9]. La découverte de cette MST impose de fait la recherche d’une infection VIH. Une co-infection avec le VIH est fréquente en France (41 %) [10,11]. Les patients co-infectés sont homosexuels dans 90 % des cas [10]. La syphilis oculaire (6 % au lieu de 1 % chez l’immunocompétent) et la neurosyphilis sont plus fréquentes et évoluent plus rapidement chez les patients VIH. Cependant, l’atteinte oculaire n’est pas corrélée au stade du VIH [9,11,12]. L’atteinte est plus fréquemment bilatérale chez les patients séropositifs non traités par les antirétroviraux. La transmission peut être également materno-fœtale, durant la grossesse par passage transplacentaire du tréponème à partir du 4e —5e mois de la grossesse, survenant le plus souvent (80 %) lorsque la mère n’a pas été traitée avant ou pendant la grossesse. Son incidence a diminué ces 20 dernières années (11/100 000 aux États-Unis en 2002).

Nous distinguons schématiquement trois stades (Tableau 1). La syphilis primaire est marquée, après 3 semaines environ d’incubation silencieuse, par l’apparition du chancre au point d’inoculation du tréponème et par son adénopathie satellite. Le chancre externe est toujours associé à une adénopathie inflammatoire dans le territoire de drainage lymphatique donc le plus souvent au creux inguinal. La syphilis secondaire est marquée par plusieurs éruptions cutanéo-muqueuses entrecoupées de phases asymptomatiques de quelques semaines ou mois et durent deux ans en moyenne. S’y s’associent des signes généraux et viscéraux qui témoignent de la diffusion systématique du tréponème. La roséole syphilitique est la première floraison de la syphilis (macules érythémateuses de 5 à 15 mm de diamètre, disséminées sur le tronc, souvent pâles). Elle passe souvent inaperc ¸ue car elle est peu intense et transitoire (7 à 10 jours ; Fig. 1). Les syphilides papuleuses, indolentes et non prurigineuses, siègent aussi bien sur le visage que sur le tronc et les membres et sont au nombre de quelques unités à plus d’une centaine. Les syphilides palmo-plantaires ne sont pourtant pas papuleuses mais infiltrées, leur présence étant très évocatrice. D’autres signes systémiques peuvent être associés : fièvre, céphalées avec syndrome méningé, polyadénopathies, hépatosplénomégalie, polyarthralgies. La syphilis tertiaire se caractérise par la survenue 2 à 20 ans après la syphilis secondaire d’atteinte systémique :

Stades cliniques de la syphilis.

Stade

Manifestations cliniques

Début des signes

Durée des signes

Remarques

Syphilis primaire

Chancre, adénopathies

En moyenne 3 semaines après le début du chancre (10—100 jours)

Le chancre peut persister 2 à 6 semaines

Régresse spontanément en l’absence de traitement

Syphilis secondaire

Éruption cutanéo-muqueuse (tronc, visage, paumes, plantes) avec parfois d’autres manifestations (fièvre, arthralgies, polyadénopathies, méningite, hépatite, uvéite. . .)

6 semaines à 6 mois après le début du chancre

L’éruption peut durer quelques jours ou quelques semaines. En l’absence de traitement, on peut noter la survenue de plusieurs éruptions cutanéo-muqueuses entrecoupées de phases asymptomatiques, pendant une période variable (1, 2 ans. . .)

Régresse spontanément en l’absence de traitement

Syphilis latente précoce

Absence de signes cliniques

Syphilis de moins d’un an d’évolution Syphilis de plus d’un an d’évolution

Syphilis latente tardive Syphilis tertiaire

Atteinte cutanée (gommes), atteinte neurologique (tabès, paralysie générale. . .), atteinte cardiovasculaire (aortite, anévrismes. . .)

Atteinte oculaire de la syphilis

Tableau 1

Plusieurs années après le contage (10 ans ou plus)

Rare de nos jours, en particulier dans les pays industrialisés (prise fréquente de traitements antibiotiques intercurrents)

331

332

Figure 1.

C. Chiquet et al.

Roséole syphilitique.

lésions cutanéo-muqueuses nodulaires, lésions osseuses, lésions cardiovasculaires (anévrisme aortique, coronarite oblitérative, valvulopathies), lésions neurologiques (perte de mémoire, dégradation de l’intellect, modifications de la personnalité, tabès : paralysie générale).

Diagnostic biologique La recherche TPHA/VDRL suffit à confirmer le diagnostic d’infection active ou non. Le VDRL (Venereal Disease Research Laboratory) constitue un marqueur d’activité de la maladie. Il est peu spécifique mais utile pour juger de l’efficacité du traitement antibiotique [13]. Son taux initial n’est pas corrélé à la gravité de la maladie [14]. Sa diminution permet de suivre l’efficacité du traitement et sa négativité signe la guérison sérologique. De plus, 30 % des syphilis latentes ou tertiaires ont des titres VDRL négatifs rendant la réalisation de tests tréponémiques nécessaires. Le TPHA (Treponema pallidum Haemagglutination Assay) plus spécifique est en effet un marqueur de contact qui reste positif à vie.

Le titrage des anticorps et l’observation de leur cinétique au cours du temps sont essentiels pour pouvoir interpréter les sérologies de syphilis (Fig. 2). Le FTA, lorsqu’il peut être réalisé (nécessité d’avoir un microscope à fluorescence), est particulièrement utile dans certaines situations, par exemple au tout début du chancre (FTA positif) ou pour confirmer la présence d’anticorps anti-cardiolipidiques (VDRL positif, TPHA et FTA négatifs). Il n’existe à l’heure actuelle aucun test permettant de distinguer une tréponématose vénérienne d’une tréponématose non vénérienne, d’où la difficulté d’interprétation chez les sujets originaires de pays d’endémie de tréponématoses non vénériennes. Dans la grande majorité des cas, la réponse sérologique syphilitique n’est pas modifiée par l’infection VIH. Il a été rapporté cependant des séronégativités des tests tréponémiques ou des réponses anormalement faibles ou retardées chez des patients ayant une syphilis secondaire. La recherche du génome (gène de la polymérase 1) de T. pallidum est possible dans les liquides oculaires (humeur aqueuse ou vitré) [15,16].

Syphilis : atteinte ophtalmologique L’atteinte ophtalmologique de la syphilis est une manifestation peu fréquente de cette infection : seulement 0,5 % des patients non traités développent une atteinte oculaire de la maladie [17]. Elle survient classiquement au cours des phases secondaires et tertiaires de la maladie. Toutes les structures de l’œil peuvent être concernées (Tableau 2) mais l’uvéite (5—25 % des atteintes oculaires), volontiers postérieure, reste l’atteinte la plus fréquente [4,18].

Physiopathologie de l’atteinte oculaire L’atteinte tissulaire est liée à la réaction inflammatoire secondaire à l’infection par les spirochètes. Les tréponèmes peuvent être identifiés dans des prélèvements oculaires, comme l’humeur aqueuse. L’infection syphilitique peut être chronique et ne confère pas une immunité protectrice après une première infection [19]. La chronicité de l’infection

N’exclut pas le diagnostic de syphilis débutante dans un contexte de contage récent

TPHA -

Sérologie négative

TPHA+

Syphilis traitée

(1)

Le FTA est en général négatif, ou faiblement positif (FTA=

[Ocular syphilis].

Syphilis is a sexually transmitted disease caused by Treponema pallidum. Previously known as the "great imitator", this disease can have numerous and ...
1MB Sizes 0 Downloads 3 Views